samedi 31 mai 2025

Le Premier Livre des Vers de Marc Claude de Buttet, savoisien (1561)

 Il y a un an jour pour jour, la Bibliotheca Textoriana présentait la première édition séparée du poème Amalthée de Marc Claude de Buttet, parue à Lyon, chez Benoit Rigaud, en 1575. Ce fut l’occasion de rappeler la vie et l’œuvre de ce poète, largement méconnu aujourd’hui, ami de plusieurs membres de la Pléiade et certainement le meilleur poète savoyard de son temps.

Page de titre du Premier Livre des Vers (1561)

Autour de 1546, Marc Claude de Buttet, né à Chambéry, vient étudier à Paris, au collège de Coqueret, sous la férule de Jean Dorat, éminent helléniste. Il y croise de jeunes étudiants qui rêvent de gloire et de poésie tels que Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay ou Guillaume des Autels. Marc Antoine de Buttet se fait remarquer à la cour par le cardinal Odet de Châtillon, frère de l'amiral Gaspard II de Coligny, qui le fait entrer dans le cercle de la princesse Marguerite de France, Duchesse de Berry. Alors qu’il commençait à se faire une petite réputation de poète dans les cercles parisiens, il choisit de suivre sa protectrice à Chambéry lorsqu’elle s’installa sur ses terres savoyardes après son mariage avec le Prince Emmanuel Philibert de Savoie, le 10 Juillet 1559. Le mariage, endeuillé par la mort du roi Henri II, fut l’occasion pour de Buttet d’écrire un épithalame, comme l’avaient fait de leur côté Ronsard et Du Bellay. [1]

Epithalame à la Duchesse de Savoie, première de toute une série d’œuvres que Buttet dédie à sa protectrice jusqu’à sa mort en 1574. Réédité ici en annexe du Premier Livre des Vers.

Le poète savoisien aurait beaucoup écrit selon son ami Louis de Richevaux [2] mais assez peu publié. Le poète ne recherchait pas la gloire mais se contentait de la compagnie de ses compatriotes, réunis dans le château des Buttet, près du lac du Bourget, qui se firent appeler le Cercle de Tresserve. Nous savons, parce qu’il en parle dans son ode VI adressée à Madame de Saint Vallier (Claudine de Miolans) qu’il avait écrit un poème épique sur Bérold, l’ancêtre mythique des ducs de Savoie, mais cette pièce s’est perdue.

Sarah Alyn Stacey, grande spécialiste du poète, a dénombré moins d’une dizaine de courtes publications (Apologie pour la Savoie contre les injures de Barthélémy Anneau, Ode à la Paix pour célébrer le traité de Cateau-Cambraisis, Epithalame pour le mariage de la Duchesse de Savoie, Ode Funèbre sur la mort du Roi, etc). Elle a même retrouvé deux pièces inédites aux archives de Turin l’une intitulée Chant de Liesse (1563) [3] après la convalescence du Duc, l’autre Sur La Venue de Tresillustre Anne d’Este (1566), pour l’entrée de Jacques de Savoie et d’Anne d’Este à Annecy, pièce reprise dans l’Amalthée de 1575 [4].

Buttet écrit principalement des pièces de circonstance pour ses amis ou ses protecteurs. Comme souvent à cette époque les textes circulent sous forme manuscrite avant qu’il ne se décide tardivement à les rassembler pour une édition. Il nous dit d’ailleurs qu’il lui a fallu retrouver tous ces poèmes éparpillés chez ceux à qui il les avait envoyés.

Et maintenant, lecteur, afin que je ne me montre ingrat de ce peu qu'elles (les Muses) m'ont donné, je t'ai assemblé tout ce que j'ai pu recouvrer de mes vers, lesquels, pour les avoirs nonchalamment délaissés étaient perdus quant à moi. Sans quelques-uns de mes amis et ceux à qui je les avais adressés, qui, plus curieux que je n’en étais à cette heure, m’en ont fait part ; espérant faire encore un volume ayant recouvré le reste [5].

L’essentiel de la production conservée du poète savoyard tient dans son recueil intitulé Le Premier Livre des Vers dédié à tresillustre princesse Marguerite de France, Duchesse de Savoie et de Berri auquel a esté ajouté le Second ensemble L’Amalthée. Comprenez, au premier livre a été ajouté le second livre des vers, puis le poème l’Amalthée. Sous le titre figure l’une des marques de Michel Fézandat accompagnée de son adresse à Paris, au Mont St Hilaire, à l’Hôtel d’Albret. [6]

Cet ouvrage a été publié en 1560-1561. Quelques exemplaires sont à la date de 1560 et la plupart des autres sont datés de 1561, dont le nôtre. La comparaison des pages de titre et du texte montre que les exemplaires de 1561 ne sont pas une seconde édition mais bien la première avec une date modifiée. Michel Fezandat avait sans doute anticipé qu’il n’écoulerait pas tous les exemplaires la première année et il avait prudemment choisi d’en rajeunir le tirage dès l’origine car la page de titre des deux versions est strictement identique en dehors de la date [7].

Peu de bibliophiles ont eu ce volume en main et tous s’accordaient pour dire que l’édition était introuvable. Il existerait même quelques exemplaires portant la date de 1560, disait-on, sans jamais n’en avoir vu aucun.  Mon article de 2024 reprend donc ce commentaire mais il ne faut jamais dire Fontaine, je ne boirais plus de ton eau, car moins d’un an après voilà qu’un exemplaire de cette édition mythique rejoint la bibliothèque [8] !

L’ouvrage contient respectivement vingt-cinq et trente et une odes introduites à chaque livre par des pièces liminaires : Un poème de Buttet entame le premier livre : Muses affin qu’avant ma mort s’arrache/ Mon nom de l’avare tombeau…. Il est en quatorze vers et ressemble à un sonnet sans en avoir exactement la structure. Une ode latine de Jean Dorat, son ancien professeur, précède le Second Livre (F° 36v) De Illustriss. Allobrogium ducis … : à laquelle Buttet répond par une pièce en ver mesuré, à la fin de ce second livre, qui a la particularité d’avoir été typographiée en caractère de civilité (F° 75r). Enfin, Jean Gaspard de Lambert donne une autre pièce latine en exergue de l’Amalthée Io Gasparis Lamberti Camberiani ad M. Clau .Buttetum, suivi d’un texte de Jean Dorat en grec qu’il a lui-même traduit en latin. A la suite de l’Amalthée figure encore une ode en latin de Guillaume des Autels, (F° 109) puis l’Epithalame aux nosses de tresmagnanime Prince Em. Philibert de Savoie…, seul texte qui ne soit pas en édition originale puisque déjà parue en 1559.

Ode de Guillaume des Autels à Buttet.

La version de 1560 de l’Amalthée est composée de 127 sonnets alors que la première édition séparée de 1575 contiendra 320 sonnets et un dizain, Soit 193 morceaux inédits supplémentaires. Nous aurons l’occasion dans un prochain article de revenir sur la comparaison des deux versions de cette œuvre majeure.

La date de composition des Odes n’est pas connue. Elles sont distribuées dans un ordre qui semble aléatoire, en dehors des premières pièces dédiées à Henri II et aux souverains de Savoie. Sarah Stacey a tenté une reconstitution chronologique en fonction du thème et des évènements rapportés. Ainsi les plus anciennes sont antérieur à 1544 comme l’ode XVI adressée à Louis de Buttet car il y est évoqué le Comte de Varas, mort à cette date. Le poète n’avait alors que 14 ans environ. Celle dédiée à la mort de Marguerite de Navarre (Ode VII) se situe entre 1549 et 1550. Les suivantes s’échelonnent entre 1553 et 1559. Le savoyard a donc toujours écrit depuis son plus jeune âge.

Premier Livre des Vers, Ode I

L’imprimeur auquel fait appel Marc Claude de Buttet est Michel Fézandat, actif entre 1538 et 1566. C’est un habile typographe qui imprime pour Jehan Petit, François Regnault et Maurice de La Porte. Il a pour marque la vipère qui mord le doigt de Saint-Paul, ainsi qu’on la voit le Tombeau de Marguerite de Valois.

Page de titre du Tombeau de Marguerite de Valois de 1551, 
époque de l’association entre Michel Fézandat et Robert Granjon.

Poème introductif de Buttet en quatorze vers

Installé au Mont-Saint-Hilaire, en l'hôtel d'Albret, il s'associe en 1542 avec deux autres marchands Bernard Vernet et Guillaume Duboys, chacun apportant dans la communauté cent livres tournois ; pendant cinq ans, ils sont à la fois libraires, imprimeurs et marchands de vin et se partagent tous les frais, notamment la nourriture et les gages de leurs serviteurs

A court d’argent, Fézandat se fait prêter en 1543 quatre cents livres tournois par le marchand libraire Pierre Regnault et doit, pour rembourser sa dette, mettre ses presses au service du libraire.

En 1550 on le retrouve, concluant une association de dix ans avec Robert Granjon, connu pour ses polices de caractères de civilité : à laquelle association ils ont promis et seront tenus apporter et mettre en commung toute la marchandise qu'ils ont de présent de leurd. estat, ensemble les presses, fontes de lettres, poinssons taillez [9]... Leur collaboration ne dura guère plus d’un an puis sa situation s’améliore lorsqu’en 1552 François Rabelais, délaissant l'atelier de Chrétien Wechel, fait appel à lui pour imprimer l'édition définitive du Tiers livre et la première édition complète du Quart livre.

Poème à Jean Dorat, limousin, en vers mesurés. (F°75r)

Les caractères de civilité utilisés par Fézandat au folio 75 du Second Livre des Vers ne sont pas, semble-t-il, ceux de Granjon. Il avait dû forger sa propre police de caractère [10]. Toujours est-il que ce poème retranscrit dans une police de caractères qui n’apparait nulle part ailleurs dans le livre marque la première tentative de Buttet de composer des vers mesurés sans rime à l’imitation des anciens [11]. Il pensait que le français était une langue qui se prêtait à cette métrique et Jean Dorat l’encouragea pour qu’il poursuive dans cette voie. Le poète nous dit dans ce morceau que l’idée d’imiter Sappho l’enthousiasme.  Lorsque je vien à soner d’un luth doux-chantre ma Sapphon, / Et que je pleure l’amour, Ô que ce nombre me plait !

Les vers mesurés sont certes innovants mais pas toujours très agréable à l’oreille. Cette recherche de modernité a conduit à ce que son style soit souvent décrié. Son cousin Jean de Piochet disait même que ses vers clochaient du pied ! Tandis que Jean Pasquier reconnait que Buttet avait été pionnier dans ce domaine mais avec un assez malheureux succès.

Marc Claude de Buttet avait anticipé ces critiques et répondu par avance à ses détracteurs dans la postface de son livre : Je ne doute point que quelque Monsieur le repreneur des œuvres d’autrui ne se veuille formaliser contre moi de ce que je recherche une nouvelle poésie bien différente de l’accoutumée estimant du tout la langue française (qui suivant le naturel de ceux de sa nation a toujours été libre) ne pouvait endurer un frein si rude que de l'asservir aux mesures des anciennes langues. A celui-ci je dirais ce petit mot en passant, que si les latins eussent eu cette opinion de la leur, nous ne la verrions aujourd’hui si excellente, ni tant de divins poèmes qu’ils ont. [12]

Redécouvert au XIXème siècle, les critiques seront moins sévères avec le poète. Paul Lacroix écrivait de lui : M. Cl. de Buttet est incontestablement un des poètes les plus remarquables de son temps. Il se distingue par la pensée, par l’expression et par le rythme…Il a du sentiment, de la passion ; il sait peindre la nature ; il parle souvent le langage du cœur …Il atteint parfois le plus haut degré de la forme [13]

Il est vrai que Marc Claude de Buttet maitrise parfaitement la versification et qu’il sait faire varier le ton de ses odes en fonction du sujet. Le style est solennel pour les grands personnages auxquels il s’adresse : Marguerite de Savoie, Odet de Coligny, Catherine de Médicis, le duc Charles III, Claude de Miolans, François de Seyssel, ou encore lorsqu’il s’adresse aux Muses. Il est lyrique quand il s’agit de célébrer un évènement historique comme la Prise de Calais, funèbre pour commémorer la mort de la Reine de Navarre ou celle du roi Henri II, plus léger quand il s’agit de poèmes amoureux et visiblement joyeux lorsqu’il évoque sa Savoie natale comme dans cette pièce adressée à son ami Philibert de Pingon (Ode VI) : Or que l’hyver s’approche / Pingon, Pingon, vois-tu / La Nivolette roche [14] / Haussant son chef pointu / Toutte de nege blanche : / et les arbres pressés / de glaçons sur la branche, / Se courbans tous lassés ? Et relisez enfin cette description d’un matin d’Octobre tout frais, pâle encore, dans les champs pleins de rosée : Jà, se levait la belle aubette / partant de son nuiteux séjour / Et jà redisait l’alouette / au laboureur qu’il était jour.

Ode VI du livre II

En dédiant ses odes à son cercle d’amis, Marc Claude de Buttet rend hommage au milieu culturel savoyard et met en lumière des personnages qui ne devaient pas être très connus du milieu intellectuel parisien de son époque, pas plus qui ne le sont aujourd’hui. Nous y trouvons Antoine Baptendier, avocat au Sénat de Savoie et poète à ses heures que Jean de Boyssonné, son professeur, considérait comme le meilleur poète de Chambéry. Peletier du Mans, dans son poème La Savoye, fait son éloge : Batendier, de suffisance égale / En poésie et science légale….[15] Et Buttet conseille à Baptendier de délaisser le droit pour la poésie de la nature. Laisse, laisse ces loix rongeardes / Et te per aux champs avec moi / pour voir caroler les Dryades.

La Savoye de Peletier du Mans, Second Livre, 
hommage à Antoine Baptendier.

Parmi les autres membres de la Trouppe fidelle, il y a Jean de Balme, sieur de Ramasse, poète ami de Marot qui n’a, semble-il, laissé aucune œuvre, Louis Milliet, baron de Faverges, syndic de Chambéry et vice-président du Senat de Savoie, Jean de Piochet (1542-1624) cousin maternel de Buttet, dont le livre de raison donne des détails précieux sur la vie de son cousin. Jean de Piochet a participé à la rédaction d’un corpus de notes et de commentaires qui auraient dû accompagner la troisième édition de l’Amalthée, édition qui n’a jamais vu le jour. Enfin Phillibert de Pingon (1525-1582), sans doute le plus connu des proches de Buttet, est successivement vice-recteur de l’université de Padoue, docteur en droit, avocat au Parlement, Premier Syndic de Chambéry et historiographe du Duc, dont l’ouvrage sur la Maison de Savoie est toujours recherché des bibliophiles [16].

Ainsi, grâce à Marc Claude de Buttet et son Premier Livre des Vers, l’activité littéraire de la Savoie à la Renaissance nous est mieux connue et il a fait écrire à Gabriel Pérouse : il comprend la nature et parle souvent le langage du cœur. [17]

Bonne Journée,

Textor

Trois ouvrages de poésies en Savoie au XVIème siècle : 
La Savoye de Peletier du Mans (1572), Le Premier Livre des Vers de Buttet (1561), l’Amalthée de Buttet (1575).



[1] Voir Bibliotheca Textoriana Epithalame sur le mariage de Philibert-Emmanuel de Savoie par Joachim du Bellay du 3 Mars 2025. 

[2] Personnage non identifié, peut-être un pseudonyme de Jean de Piochet, qui a préfacé l’édition de 1575, mais il est curieux que dans le même ouvrage Jean de Piochet ait signé simultanément de son nom et sous un pseudonyme. 

[3] Exemplaire portant un envoi de M.C. de Buttet à Ph. De Pingon.

[4] L’Amathée, Ed de Rigaud, 1575, pp. 104-105.

[5] De l’Auteur au Lecteur, postface du Premier Livre des Vers, folio 121v (1560)

[6] Pour une édition critique récente de ce recueil, voir Sarah Alyn Stacey in Œuvres Poétiques. Le Premier Livre Des Vers. Le Second Livre Des Vers. Les Vers De Circonstance. (3 Volumes). Paris, Honoré Champion, 2022. Édition critique, avec introduction, commentaires et glossaire

[7] C’est l’hypothèse émise par S.A.Stacey

[8] Exemplaire des Bibliothèques de Hyacinthe Théodore Baron et Jean Bourdel, avec leur ex-libris.

[9] Histoire de l'édition française, tome I, p. 251.

[10] Pour en savoir plus sur l’origine de cette police, il faudra attendre que la base BaTyR s’intéresse aux caractères de civilité….

[11] Les vers mesurés (ou strophe saphique) sont composés de 3 vers de onze syllabes (hendécasyllabiques) et d’un vers de cinq syllabes (adonique). Leurs auteurs cherchent à imiter la psalmodie antique.

[12] Le Premier Livre de vers folio 121v.

[13] P. Lacroix in Œuvres Poétiques de M.-C. de Buttet, édit. Jouaust, 1880, I, 36.

[14] La montagne du Nivolet surplombe la ville de Chambéry.

[15] Jacques Peletier du Mans, La Savoye, Annecy, Jacques Bertrand 1572, pp.42. Voir Bibliotheca Textoriana 29 Déc. 2022.

[16] Emmanuel-Philibert de Pingon, Inclytorum Saxoniæ Sabaudiæque principum arbor gentilitia, Turin, héritiers de Nicolò Bevilacqua, 1582.

[17] Gabriel Pérouse, archiviste de Savoie, citant le Bibliophile Jacob in Causeries sur l'histoire littéraire de la Savoie, Chambéry, Dardel 1934, pp. 146.