samedi 30 janvier 2021

Durand de Saint Pourçain, Doctor resolutissimus. (1308)

Peut-être vous souvenez-vous qu’il y a quelques mois je vous avais présenté deux pages manuscrites constituant les gardes d’une reliure du début du XVIème siècle. L’article s’intitulait Fragmentum parce qu’il s’agissait d’un fragment d’une œuvre du XIVème siècle que je n’avais pas encore identifiée, mais aussi par allusion à la base documentaire Fragmentarium à laquelle j’avais envoyé mon manuscrit pour qu’il apparaisse dans le corpus de ce site.

Les deux pages sauvegardées de cette reliure correspondent au livre 4, distinction 23 question 2 et 3 du commentaire des Sentences de Pierre Lombard par Durand de Saint Pourçain (ou Durandus de Sancto Porciano). Elles viennent d’être mise en ligne. Il suffit maintenant d’entrer sur ce site pour retrouver le manuscrit et les commentaires de présentation qui l’accompagnent. Tout chercheur pourra ainsi le consulter, le traduire, le comparer aux œuvres connues de Durandus et ces deux pages oubliées dans une reliure du 16ème siècle feront peut-être avancer la recherche. En attendant, un premier examen rapide du texte réalisé par les administrateurs de la base Fragmentarium fournit déjà des précisions intéressantes que j’aimerais partager avec vous.



Une des deux pages des Commentaires de Durand de Saint Pourçain. 


La base Fragmentarium a enregistré les fragments manuscrits dans l’attente de plus amples recherches.

Le théologien dominicain français Durandus de Sancto Porciano, alias Durand de Saint-Pourçain (v.1275-1334) [1] est un penseur original, farouchement opposé à une certaine orthodoxie « thomiste » imposée par son ordre religieux. Il naquit à Saint Pourçain sur Sioule, en terre auvergnate, aux alentours de 1270. Il a participé activement aux débats de ce début de 13ème siècle où les docteurs opposent raisons de croire et vouloir croire. Ses prises de position lui valurent une forte opposition des Dominicains et il dut réécrire par deux fois le commentaire des Sentences.

En effet, quoique dominicain lui-même, Durandus finit par repousser la maxime de Thomas d'Aquin, que les dogmes ne peuvent rien contenir de contraire à la raison, et par conséquent qu'il est possible de les démontrer indubitablement ; il contesta même à la théologie le titre de science, et demanda la certitude, non plus à la conviction, mais à l'obéissance, à la soumission à l'autorité de l'Église représentée par le siège apostolique, seul juge infaillible et régulateur de la foi. Durandus a fortement contribué à accélérer la décadence de la scolastique et cette orthodoxie ouvrira la voie à Guillaume Ockham, qui défendra un volontarisme encore plus radical.

Nous ne connaissons pas sa formation initiale mais il arrive à Paris en 1303 et nous le retrouvons au couvent des Jacobins, rue St Jacques, célèbre pour avoir accueilli Albert le Grand et St Thomas d’Aquin, institution pour laquelle il va devenir lecteur sententiaire en 1307-8 puis maître en théologie en 1312 alors que Maître Eckhart y enseignait. C’est à cette occasion qu’il entreprend de commenter les sentences de Pierre Lombard. Ce commentaire aura une diffusion importante.


Vue cavalière du couvent des Jacobins, à Paris, rue St Jacques - Musée Carnavalet.

Comme nous savons aussi que l’année suivante il partit pour Avignon, après avoir été nommé Maître du Sacré Palais à la cour pontificale, nous pouvons situer son séjour à Paris entre ces deux dates, 1308 à 1312, soit une période de 4 ans.

Or, les experts de Fragmentarium disent que le manuscrit fut copié à Paris.

En effet, les lettrines peintes et filigranées apparaissant dans le texte seraient typiques du style parisien, comme le sont les 3 points figurant sous le S majuscules. Je ne savais pas qu’on pouvait déterminer la provenance d’un manuscrit en se fondant sur 3 petits points peints par un enlumineur il y a 700 ans mais c’est apparemment le cas si on se fie aux travaux de Patricia Stirnemann qui fait autorité en matière d’histoire de l’enluminure médiévale [2].

Une lettrine se terminant par 3 points bleus signe une provenance parisienne.

Dès lors, la touche de l’enlumineur donnant une provenance, nous avons une date de départ qui est 1308, si ce texte a été copié lorsque Durandus était à Paris et lisait ses sentences aux Jacobins. Ou bien il l’a été dans les années qui ont suivi, alors que notre prédicateur était déjà parti en Avignon. La base Fragmentarium propose pour le moment une fourchette entre 1308 et 1350.

Par ailleurs nous pouvons suivre le cheminement du manuscrit. Rédigé à Paris,  peut-être au sein même du couvent des Jacobinspuis transporté en Belgique, où il a été dépecé moins de 200 ans après sa rédaction par un relieur qui avait un grand besoin de fourniture pour confectionner ses reliures. Le fragment servit donc de garde contrecollée sur les plats de la Somme de Saint Thomas d’Aquin imprimée à Venise en 1512.  Après être passé entre plusieurs possesseurs dont les noms ont été consciencieusement biffés, c’est à Liège que Thomas Rompserius, un professeur de théologie dont le nom apparait sur la liste des régents nommés par la faculté des Arts de Louvain en 1550, se porta acquéreur de l’ouvrage et qu’il prit soin de mentionner le lieu de son achat : « Emptus Leodii ».

La marque de possession de Thomas Rompserius, professeur à Louvain en 1550.


Détails de la reliure aux motifs de roses estampées qui m'avait conduit à lire Rosen au lieu de Rompserius, mais c'était une fausse piste. 

Deux lignes des Soliloquium de St Bonaventure.

Le relieur devait avoir un beau stock de vieux livres destinés à ses travaux car Fragmentarium a identifié que les deux phrases qu’on entraperçoit au niveau de la gouttière ne sont pas tirées du commentaire des Sentences de Durand de Saint Pourçain mais proviennent d’un autre manuscrit : Les Soliloquium de Saint Bonaventure. D’ailleurs le style d’écriture est visiblement différent et le texte sans doute plus récent.

Les Sentences de Pierre Lombard commentées par Durandus auront une belle audience pendant tout le 16ème siècle. Imprimé pour la première fois en 1508 par Josse Bade dans une édition de Jean Merlin, qu’il rééditera en 1515, Charlotte Guillard associée à Jean de Roigny en donnera une nouvelle version dans une édition de Jacques Albert de Castres, en 1539 [3]. 

Bonne Journée,

Textor



[1] A ne pas confondre avec Guillaume Durand (1230-1296) auteur du Rationale divinorum officiorum ou avec Guillaume d’Auxerre (11..-1231) auteur d’un autre commentaire des Sentences de Pierre Lombard. Le prénom de Durandus de Sancto Porciano n'est pas connu.

[2] Patricia Stirnemann, « Fils de la Vierge, L'initiale à filigranes parisienne : 1140-1314 », Revue de l'art, 90, 1990. p. 58-73, 47 fig.

[3] Voir Remi Jimenes, « Charlotte Guillard, une femme imprimeur à la Renaissance », PUR 2017, p. 256.

vendredi 22 janvier 2021

Franz Renner de Heilbronn, imprimeur vénitien. (1471 – 1486)

Mon précédent billet consacré à une impression vénitienne de la géographie de Denys le Périégète méritait une suite sur son imprimeur, Franz Renner, tant les trois émissions sorties de ses presses en 1478 sont atypiques par rapport à l’ensemble de sa production.  Mais cette recherche soulève plus de question qu’elle n’apporte de réponse car sa biographie apparait bien mince.


Page de l’incipit du De Sphera Mundi de Jean de Sacrobosco avec le titre imprimé en rouge (Détail).
 
Page de l’incipit.
 L'imprimeur n’utilise pas de page de titre distincte. La première page contient le titre, la table et le début du premier chapitre.
Notez que le mot Sphera est orthographié Spera dans tout l’ouvrage. 

Franz Renner, de son nom allemand qu’il transformera en Franciscus Renner de Hailbrun sur ses livres ou Francesco della Fontana dans ses relations commerciales, apparait à Venise en 1471 et y produira une cinquantaine d’ouvrages [1] avant d’interrompre son activité en 1486.

L’imprimerie arrive à Venise en 1469 avec les frères Jean et Wendelin de Spire qui obtinrent du Doge le privilège exclusif pour tailler des lettres et imprimer des livres selon la nouvelle technique. Lorsque Jean de Spire meurt fin 1469, Wendelin poursuit seul l’activité de l’atelier mais perd le privilège obtenu par son frère, ce qui permet à d’autres imprimeurs, essentiellement venus d’Allemagne d’ouvrir des officines à Venise [2]. C’est ainsi que débute l’activité de Franz Renner et de son compatriote Nicolas de Francfort, comme celle de très nombreux ateliers qui choisissent de s’installer dans la lagune. Il faut dire que Venise est une ruche, un carrefour commercial et un des foyers intellectuels des plus brillants. Dans les années 1480, plus d’une cinquantaine d’imprimeur sont actifs simultanément, réalisant une centaine d’éditions annuellement. Venise dépasse rapidement les villes allemandes, puis Rome, avant d’être rattrapée par Paris à la toute fin du siècle.

On suppose que Franz Renner est né avant 1450 à Heilbronn sur le Neckar, en Bade-Wurtemberg, fils de Jean Renner, un riche propriétaire terrien dont la famille alliée aux von Böckingen avait reçu en apanage une des fermes du monastère Schöntaler Hof, comme fief héréditaire en 1430 [3]. Nous ne savons pas où Franz fit ses études mais la famille était lettrée et comptait un juge en son sein. [4]

Où avait-il appris la typographie ? Avec Peter Schoeffer à Mayence ? Ulrich Zell à Cologne ? Nous ne le savons pas non plus, mais c’est nécessairement dans un des rares ateliers qui a précédé le sien dans la décennie précédente, ce qui ne laisse que 5 possibilités [5]. Il s’installe d’abord dans le quartier de Sancti Apostoli puis déménage dans celui de la Merceria. Il est membre de la confrérie de S. Maria dei calegheri tedeschi (des cordonniers allemands), puissante corporation des artisans du cuir, où il aurait été en contact avec des figures importantes du milieu typographique vénitien. Le lien entre cordonniers et imprimeurs ne saute pas aux yeux à moins qu’il n’ait été aussi relieur ou, comme l’indique d’anciens biographes, que son père ait été cordonnier.

La première production connue de Renner est le Quadragesimale aureum du dominicain Leonardo da Udine et l'Oratio habita apud Sixtum IV contra Turcos de l'historien vénitien Bernardo Giustinian. Les deux éditions datent de 1471 mais le nom de l’imprimeur n’apparait pas, c’est l'examen du matériel typographique qui permet de les lui attribuer. La première signature au colophon, "Franciscus de Hailbrun", apparait dès l’année 1472 dans l’ouvrage de Roberto Caracciolo, les Sermones quadragesimales de poenitentia. Il ajoutera plus tard son patronyme Renner à ses productions, à partir de 1478.

Les Sermones aurei de Sanctis Fratris Leonardi de Utino imprimé par Franciscus Renner de Heilbronn avec Nicolaus de Frankfordia, Venise 1473, contenant un signet avec un indicateur de colonne tournant - Bibliothèque de l’Université de Princeton.

Doté d'un esprit d'entreprise certain, Franz Renner s’associe en 1473 avec l'imprimeur Nicolò da Francoforte (Nicolas de Francfort) qui pourraient avoir joué un simple rôle de financier. Une quinzaine d’ouvrages associent leurs deux noms, des bréviaires, des sermons, des ouvrages théologiques et des Bibles.

Ils ont été les premiers imprimeurs vénitiens à se spécialiser dans le secteur des livres religieux et liturgiques au format in-octavo, ce qui était assez rare à l'époque, et la première Bible latine imprimée à Venise datant de 1475 provient de leur presse [6]. Cette Bible servira de modèle pendant dix ans. Elle sera notamment copiée par Jenson l’année suivante.  Son format, que Renner et Francfort avaient été les premiers à choisir, destinait le livre à une lecture individuelle et non à la lecture à haute voix dans les réfectoires. Le texte lui-même provenait indirectement de la Bible de Gutenberg. Celle-ci avait servi de copie à l’édition imprimée à Mayence en 1462, utilisée à son tour par Giovanni Andrea Bussi pour l’édition romaine de 1471. Franz Renner et Nicolas de Francfort reprirent la plupart des modifications et ajouts apportés par Bussi à partir de manuscrits et ils firent à leur tour de modestes changements et complétèrent la préface.[7]

La seule exception à la ligne éditoriale qu’ils s’étaient fixée est la sortie des Questiones super Metaphisicam Aristotelis [8], composé par le théologien franciscain Antonius Andreas, un étudiant de John Duns Scot.

Le partenariat entre Franz Renner et Niccolo da Francoforte est rompu en 1477 mais suivi rapidement d’un rapprochement, de courte durée, avec un autre imprimeur, Petrus de Bartua, pour éditer à nouveau des sommes théologiques, souvent des rééditions d’ouvrages produits par sa première association [9], ce qui dénote un certain succès de l’atelier.

Ce Petrus de Bartua est un imprimeur venu de Hongrie, du village de Bártfa, aujourd’hui en Slovaquie orientale. (Il se fait appeler également Petrus Hungarus, Pierre le Hongrois ou Pierre Hongre). Il aurait fondu des caractères pour Renner mais ils resteront peu de temps ensemble et Pierre de Bartua partira ensuite à Lyon où il fut un des premiers imprimeurs et libraires de cette ville, à partir de 1482. Avec Matthias Huß, il imprime l'année suivante la version française de la Légende dorée de Jacques de Voragine. Guillaume Le Roy a également utilisé les caractères typographiques de Bartua. Décidemment très itinérant, il part ensuite à Toulouse où il fait des caractères pour Henry Mayer tout en étant inscrit comme libraire (Mercator Librorum) avant de retourner à Lyon en 1492, puis finir ses jours en Hongrie.

Sacrobosco, chapitre quatre, la révolution des planètes et les éclipses solaires.

Le succès de l’atelier au cours de cette période est confirmé par le réseau d’influence que Renner parvient à tisser au sein de sa corporation. Ainsi, il marie deux de ses filles à des membres important de la profession.  Sa fille Cristina (qui, dans son testament rédigé en 1547, se décrit comme "fiola del quondam messer Francesco Fontana, todesco") a d'abord épousé l'influent libraire vénitien Francesco de Madiis et, en secondes noces, le jeune imprimeur et papetier de Brescia Paganino de Paganini (lequel avait probablement commencé son apprentissage sous la direction de son beau-père). Une autre de ses filles contracte mariage avec le célèbre éditeur et libraire Giovanni Bartolomeo da Gabiano, qui a dirigé avec succès la librairie Fontana crée par le fils de Renner. Enfin, Renner était aussi proche de l'imprimeur Gregorio de Gregori qui est cité comme témoin dans un testament de 1491.

Bien que l'association avec Petrus de Bartua ait été semble-t-il active dès 1477-1478, Renner imprime déjà seul deux ouvrages géographiques et un ouvrage astronomique. Les deux premières éditions sont le De situ orbis de Denys le Périégète, publié dans la traduction faite par Antonius Beccaria, récemment présenté sur ce site [10]  et la Cosmographia, sive De situ orbis de Pomponius Mela [11]. Beaucoup plus complexe a été la préparation de l'édition illustrée du Traité des Sphères de Johanes de Sacrobosco, le De sphaera mundi, que Renner imprime en y ajoutant un autre traité distinct : la Theorica planetarum de Gérard de Crémone [12].

Le traité des Planètes est attribué à Gérard de Crémone, auteur de nombreuses traductions de textes scientifique grecs et arabes mais il n’est peut-être que le traducteur d’une œuvre de Gérard de Sabbioneta.

Chapitre sur la triade Saturne, Jupiter et Mars.

C’est une petite révolution dans la politique éditoriale de Franz Renner difficile à expliquer. Pourquoi éditer brusquement des traités scientifiques que ne devait pas lire sa clientèle habituelle de clercs et de théologiens. S’agit-il d’une commande particulière ? D’un gout de notre imprimeur pour les voyages et le cosmos ? Il ne possède visiblement pas les connaissances nécessaires qui vont avec le sujet puisque tout au long du Traité de Johannes de Sacrobosco, il va orthographier Spera au lieu de Sphera !

L’expérience sera de courte durée puisque l’année suivante, après un dernier livre hors du champ théologique, Les Pronostiques pour l’année 1479 de Hieronymus de Manfredis, Renner revient à ses sujets de prédilection que sont les bréviaires, les missels, un Supplément à la Somme de Pisanelle, et une volumineuse édition in-folio de la Bible, en trois tomes, accompagnée du commentaire de Nicolas de la Lyre parue entre 1482 et 1483. Il s’agit de la cinquième Bible imprimée par Renner. Cette édition sera vendue, au moins en partie, par son gendre, le libraire Francesco de Madiis, comme nous l'a rapporté l'inventaire de son échoppe dans lequel sont répertoriés les exemplaires de la « Biblia con nicolao de lira de mastro francesco ». [13]


Le De Sphera de Sacrobosco comme le Theorica Planetarum de Gerard de Cremone sont illustrés de schémas cosmologiques.

Après quoi, Il n’imprimera plus. La dernière édition où son nom est cité est un bréviaire en date du 1 Avril 1486, imprimé par Johannes Leoviler de Hallis, où Renner n’assume que le rôle d'éditeur en fournissant à l'imprimeur les matériaux nécessaires à la préparation de l'impression ainsi que le matériel typographique, ce qui suggère qu’il a sans doute pu lui vendre son atelier.

Que fit-il ensuite ? Après cette date, il n’y a plus de trace de son activité en tant qu’imprimeur. D’anciennes biographies suggèrent qu’il ait pu déménager à Nuremberg en 1491 et à Ulm en 1494, mais il existe peu de preuves tangibles de ces déplacements. Ses enfants restent à Venise et son fils y tient une librairie. Une inscription peu claire de la Chambre des Comptes de Heilbronn pourrait signifier que l'imprimeur était déjà décédé en 1487, ce qui pose aujourd’hui un problème de cohérence avec le testament de 1491. Ce qui est certain, c'est qu'il n’est plus de ce monde en 1496, puisque son fils Benedetto, dans deux demandes de privilèges adressées à la République de Venise, se décrivait comme orphelin de père et mère.

Il reste de Franz Renner de Heilbronn cette suite d’ouvrages aux impressions particulièrement soignées et toujours très esthétiques qui donne plaisir à lire.


Le colophon du De Sphera suivi d’une épigramme de Francesco Negri (1450-1510) philologue et professeur à Padoue.

Bonne Journée !

Textor

 


[1] L’ISTC dénombre 47 titres  et le GW 51.

[2] A l’exception notable de Jean Jenson, champenois, mais qui avait travaillé en Allemagne et peut-être à Subiaco avant d’arriver à Venise en 1480.

[3] Archives Municipales UB Heilbronn I n ° 422

[4] Klaus Renner, accède à la fonction de juge en 1459.

[5] Mayence, Strasbourg, Cologne, Nuremberg, Augsburg.

[6] ISTC ib00541000.

[7] Voir L’article de la BNF consacré à la Bible de Jenson de 1476. http://classes.bnf.fr/livre/grand/1079.htm

[8] ISTC ia00579000

[9] Comme par exemple, le Breviarium Fratrum Praedicatorum (ISTC ib01139000), le Breviarium Romanum (ISTC ib01118200), le Mammotrectus super Bibliam (ISTC im00238000), la Summa theologiae (ISTC it00204000) et le Supplementum Summae Pisanellae (ISTC in00068000).

[10] ISTC id000254000

[11] ISTC im00450000

[12] ISTC ij00402000

[13] Voir C. Dondi - N. Harris, The Zornale of the Venetian Bookseller Francesco de Madiis, 1484-1488, in Documenting the early modern book world. Inventories and catalogues in manuscript and print, M. Walsby - N. Constantinidou, Leiden-Boston 2013, pp. 341-406.

dimanche 17 janvier 2021

Le Monde habité selon Denys le Périégète. (1478)

Samedi, début du couvre-feu. Cette assignation à résidence me donne des envies de voyages. Pas vous? Partir vers l’ouest, franchir les colonnes herculéennes, changer de beau temps. Heureusement, j’ai un livre dans la bibliothèque pour m’évader, celui de Denys d’Alexandrie dit le Périégète. 

Denys d’Alexandrie est un géographe grec du IIème siècle de notre ère qui vécut sous le règne d’Hadrien. Il écrivit un traité de géographie destiné aux élèves des écoles d’Alexandrie. Ce voyage poétique autour du monde habité (En grec, Periêgêsis tês oikoumenês) décrit les régions connues des grecs à son époque, c’est-à-dire l’Europe, les rivages de la Méditerranée et ses îles, l’Orient d’Alexandre le Grand. Denys offre une vision grecque du monde romain et une réflexion philosophique sur le rapport des hommes, des héros et des dieux [1].

La page d'incipit de l’édition de Franciscus Renner de Heilbronn, 1478.

Comme il était d’usage à l’époque pour certain textes scientifiques, sa description du monde fut écrite sous forme d'un poème didactique de 1187 hexamètres. C’est une tradition développée en Grèce à la suite des Travaux et des Jours d’Hésiode, un manuel pratique de techniques agricoles auquel se mêlent des considérations religieuses et philosophiques sur la condition des hommes. A l’époque hellénistique et gréco-romaine, alors que la prose s’est depuis longtemps imposée pour les textes savants, certains auteurs choisissent encore la forme de la poésie didactique. Il s’agit parfois d’un jeu littéraire où le poète affronte avec virtuosité un sujet technique. Mais parfois, on trouve un contenu scientifique réel traversé par une méditation philosophique. Tel est le cas des Phénomènes d’Aratus qui adaptent un traité d’astronomie ou de cette Description de la Terre Habitée.

Denys d’Alexandrie est un contemporain de Claude Ptolémée ou de Marin de Tyr; il composa son traité vers 124 après JC. et il choisit de mêler des descriptions topographiques avec des annotations historiques, ethnographiques et même minéralogiques. L’ouvrage était sans doute accompagné d’une carte, aujourd’hui perdue. Ce sera une des sources importantes de la géographie au Moyen-âge, traduite en latin par Rufus Festus Avienus dès le IVe siècle, puis par Priscien au VIe siècle, versions qui ont été conservées. Il continuera de jouir d’une grande popularité pendant tout le Moyen-âge et Begnine Saumaise en donnera une traduction en français en 1597.

L'édition princeps (Donc en grec, avec le commentaire d'Eustathe) a été publiée par Robert Estienne à Paris en 1547. Mais avant cela, plusieurs traductions latines ont vu le jour. La première est celle qui parut à Venise en 1477 chez Bernhard Maler, Erhard Ratdoldt, et Peter Löslein, en 42 pages, immédiatement suivie par la traduction de Beccaria, l’année suivante, sortie des presses vénitiennes de Franciscus Renner de Heilbronn, présentée ici. On trouve ensuite des réimpressions de la traduction de Beccaria en 1498 (Venise, de Pensis) et 1499 (Paris, Kerver) ainsi que des versions de la traduction de Priscien en 1497 (Rome), 1499 (Cologne et Deventer).

L’Europe est une ile que l’on peut contourner par les colonnes herculéennes. Gadira (Cadix) nous apparait tout d’abord, ville connue autrefois des Phéniciens qui redoutaient Héraclès (Hercule).

Marseille. La mer d'Ibérie se présente d'abord, puis les ondes Galatiques où s'étend la terre de Massalie, au port contourné.

Id est Corsica dans la Mer de Sicile.

Denys le Périégète est un compilateur de livres et de récits de marins. Il devait arpenter les quais d’Alexandrie et rêver de terres lointaines que les navigateurs avaient quelquefois cru voir. Il condense la science d’Erasthotène et les mythes d’Homère sur 36 feuillets de 26 lignes. Il y égrène les noms de lieux, de fleuves et de montagnes.  Une sorte d’aide-mémoire pour les élèves que le chant devait aider à mémoriser, comme pour nous les tables de multiplication psalmodiées.

Ce qui intéresse Denys, c’est moins le monde hellénistique, connu de tous, que les confins du monde habité, là où la terre en forme de trapèze s’enfonce dans l’océan, là où on aura le plus de chance de croiser les Argonautes, les nomades des steppes glacées de Scythie ou les Blemye, au sud de la terre noircie par le feu solaire.  

Au passage, il donne des indications sur des lieux jusqu’alors non décrits comme l’Irlande ou des détails sur certains rites celtes. Il s’intéresse aussi beaucoup à la minéralogie et ne manque pas de donner la localisation des pierres fines ou des minerais qui se trouvent dans les contrées traversées, l’ambre des Celtes, l’étain des galates. Il cite une rivière qui fait couler le cristal et le jaspe couleur de brume, odieux aux spectres et autres fantômes. D’autres quêtent incessamment le béryl vert de mer, le riche diamant, le jaspe au front luisant, la pierre aux yeux de feu du pur topaze ou la douce améthyste au léger éclat pourpre…

« Après eux (les Ibères), ce sont les Pyrénées et les demeures des Celtes, près des sources de l'Éridan aux belles eaux. Sur ses bords jadis dans la nuit solitaire, les Héliades gémissantes pleuraient Phaéton, et là, les enfants des Celtes, assis sous les peupliers, recueillent les larmes de l'ambre qui a l'éclat de l'or. À la suite sont les demeures de la terre Tyrsénide (Tyrrhénienne), à l'orient de laquelle on voit commencer les Alpes, et du milieu d'elle les eaux du Rhin roulent au bout (du monde), vers les flots de la boréale Amphitrite.» [2] 

« Près (des îles Bretanides), il est un autre groupe d'îlots, et sur la côte opposée, les femmes des braves Amnites célèbrent en des transports conformes au rite les fêtes de Bacchus, elles sont couronnées de corymbes de lierre, et c'est pendant la nuit, et de là, s'élève un bruit, des sons éclatants. Non, même dans la Thrace, sur les rives de l'Absinthe, les Bistonides n'invoquent pas ainsi le frémissant lraphiotès; non, le long du Gange aux noirs tourbillons, les Indiens avec leurs enfants ne mènent pas la danse sacrée du frémissant Dionysos, comme en cette contrée les femmes crient : Evan ! » [3]

Terra Omnis

Par delà la Caspienne, les Macrones de Colchide.

Le texte s’est prêté à de nombreuses exégèses, comme celle d’Eustathe de Thessalonique au XIIème siècle et à des paraphrases [4].

Si nous cherchions à dessiner la carte du monde tel que décrit par le Périégète, nous aurions vite l’impression d’être au milieu d’un labyrinthe car l’abondance des repérages est trompeuse. Il utilise la course du soleil et le souffle des vents pour situer telle et telle contrée, laquelle est au-delà de telle autre, ou « fort loin » en remontant un fleuve. Il en appelle aux Muses pour tracer la route : « Dites-moi les chemins et obliques détours, mignonnes, servez-moi de fanal et de guide ». Il faut se positionner comme derrière une caméra qui balayerait l’espace pour suivre la progression du voyage : « Et considère, depuis cet endroit, de nouveau tourné vers les ourses, le large chemin de la Mer Egée ».

Alors nous finissons par être un peu perdu à tourner la carte mentale dans tous les sens mais peu importe, les innombrables épithètes qui singularisent une description la rendent pittoresque et les disgressions donnent un tour philosophique à sa description du monde et des peuples rencontrés. C’est un voyage intérieur dans le monde antique.

Les bateaux ne partent pas que des ports, ils sont poussés par un rêve et en cette fin de XVème siècle, on rêve beaucoup d’horizons lointains dans les ports de Méditerranée, à Venise comme à Gênes ou à Lisbonne. Franscicus Renner de Heilbronn l’a bien compris. Il imprimait en association avec Nicolas de Frankfort jusqu’en 1476, essentiellement des livres religieux, mais en 1478, il semble s’être séparé de son associé et change sa politique éditoriale pour des livres scientifiques. Sortent de ses presses, la même année 1478, le De Situ orbis du Périégète, le De Sphæra mundi de Sacrobosco complété de la Theorica planetarum de Gérard de Crémone, ainsi que la Cosmographia de situ orbis de Pomponius Mela. Un riche amateur fera relier les trois premiers titres ensemble sous une reliure de daim.

 

Colophon de Franz Renner

La reliure d’époque est en feutre de daim sur ais de bois avec des restes de cabochons et de fermoirs de cuivre.

C’est dans cette profusion de livres de voyages et de cosmographie que seront nourris les projets des navigateurs. Quatorze ans après la sortie de ces trois livres, Christophe Colomb découvrira les Indes Occidentales.

Bon Dimanche

Textor



[1] Pour une traduction moderne du texte grec comparé à la traduction de Bégnine Saumaise au XVIème siècle, voir Christian Jacob, La description de la terre habitée de Denys d’Alexandrie, Paris Albin Michel, 1990.

[2] In Extraits des auteurs grecs concernant l’histoire et la géographie des Gaules, traduction d’Edmond Cougny, Paris, Librairie Renouard, 1878, numérisé sur Gallica.

[3] Idem préc.

[4] Voir les extraits d’Eustathe dans l’ouvrage de Ed. Cougny op. préc.

jeudi 31 décembre 2020

Les lettrines ornées d’un antiphonaire du XVème siècle.

Je propose de terminer l’année en musique, non pas pour fêter celle qui s’achève mais pour espérer que la prochaine soit moins terrible.  Alors j’ai choisi un cantique de circonstance, le psaume 17, Circum Dederunt.



Les pages de cet antiphonaire étonnent par la décoration de leurs lettrines ornées.

Ponctuer les entames de phrases ou de paragraphes d’une initiale plus grande que le corps du texte correspond à un besoin pratique que l’antiquité romaine semble avoir ignoré. Cette lettre est un repère et un guide pour le lecteur ; c’est une articulation du texte. Avant le Moyen-Age, les textes de l’Antiquité étaient rédigés sans séparation entre les mots et sans ornement particulier des initiales, il fallait toute la dextérité du lecteur pour déchiffrer le texte, mais sans doute était-il habitué à ce bloc compact.

Les premiers exemples de lettres ornées remontent au VIe siècle, mais c'est à partir du Xe que l'ornementation des manuscrits devient une pratique courante chez les copistes. A l’aspect pratique s’ajoute alors une dimension décorative qui parait ne correspondre à aucune codification. Chaque scriptorium, et dans celui-ci chaque enlumineur, propose ses propres créations. À l'extraordinaire liberté de l'époque romane succède, à partir du XIIIe siècle, une certaine standardisation imposée par la demande croissante de fabrication de manuscrits. Les formes et les couleurs sont plus sobres et les motifs fantaisistes, les animaux fantastiques ou les figures grotesques tendent à se raréfier [1].

Les pages ici présentées sont plus tardives, possiblement du XIVème ou XVème siècle mais cela n’a pas empêché le copiste de laisser quelques messages humoristiques au fil des lettrines. Sans doute que les moines de l’abbaye qui ont utilisé cet antiphonaire comprenaient bien mieux que nous le sens de ces petits croquis et les éventuelles allusions cachées qu’ils contiennent.

Une haste figurative.

La page débute par un grand C rouge filigrané. La lettre filigranée est une invention du XIIe s. Elle consiste en une initiale de couleur entourée de motifs filiformes exécutés sans pleins ni déliés. Cette lettre serait assez commune s’il n’y avait pas au bout d’une haste contournée en accroche-cœur une petite tête de profil, à la manière des grotesques du Pont-Neuf, qu’on dénomme drôlerie.

Nous lisons dans les meilleurs ouvrages sur les lettres ornées que l’image nous renseigne sur la lecture du texte auquel il sert d’explication et d’illustration. Ici, je n’aurais pas nécessairement pensé à dessiner une drôlerie pour introduire une phrase qui dit « Circum dederunt me gemitus mortis, dolores inferni circumdederunt me et in tribulatione mea invocavi Dominum » (Les gémissements de la mort m’étreignaient, les douleurs de l’enfer m’étreignaient, et dans mon épreuve j’ai invoqué le Seigneur.) mais bon [2]


Lettrine L à décor de chanteurs

Suivent des lettrines qui entrent dans la catégorie des lettres historiées qui, comme leur nom l’indique, nous racontent une histoire. Il reste à interpréter le sens du dessin, chose plus ou moins facile selon les motifs. Ainsi ces deux personnages qui encadrent une lettre L chantent à tue-tête, toute langue dehors. Ils sont coiffés d’un couvre-chef dont nous ne voyons pas le sommet mais qui est ouvragé à sa base. Il semble que ce soit une sorte de mitre ou de tiare. L’intérieur de la lettre elle-même fait penser aux fanons qui ornent les mitres.

La mitre est une coiffe liturgique, distinctive des hauts prélats de l'Église catholique romaine ayant charge pastorale, c'est-à-dire les évêques et les abbés, mais il n’existe pas de distinction de forme entre les mitres des abbés et celles des évêques. La mitre apparaît en Occident au cours du XIIème siècle, elle est portée durant les cérémonies. Toujours formée de deux cônes avec fanons, plus ou moins ouvragés selon les époques et les périodes liturgiques. La mitre simple était portée le Vendredi saint et pour les offices des défunts.

Sans doute ces visages représentent des dignitaires de l’Eglise qui ne devaient pas souvent s’égosiller de la sorte, ce qui confère à la scène un aspect humoristique. La tête de la partie gauche, aux traits précis, fait penser au portrait d’un personnage réel. L’usage était davantage de styliser les visages et non de chercher une ressemblance mais ce profil ainsi qu’un ou deux autres sur ces pages est tellement réaliste et différent de son vis-à-vis qu’il fait penser à un portrait.

 

La lettrine Q au moine bénissant

Quelques lignes plus loin, enfermé dans une lettre Q, un homme tonsuré et en habit de moine fait le signe de la bénédiction. Il porte une petite barbe du genre collier. Je ne sais trop quoi penser de ce moine barbu. S’agit-il d’un autre trait d’humour ?

L’église préconisait que les clercs soient glabres [3]. A l'exception des ermites, moines et prêtres doivent sacrifier leur barbe et porter tonsure en signe de renoncement au monde et d'humilité. Cette législation canonique a cependant été débattue au sein même de l'Église catholique. Au XVIe siècle, les protestants désignèrent les membres du clergé catholique sous le nom de « rasés », signe d'une soumission au pape, mais aussi d'une contre-nature : l'homme est barbu et marié, tandis que le clerc catholique est glabre et chaste. Le fait est que l’iconographie du XVème siècle ne présente pas de moine barbu. Mais vous pouvez peut-être m’apporter la preuve contraire.

Entourant ce moine, deux profils de personnages plus stylisés, coiffés de chapeau de feutre à rabats comme en portait Louis XI. Qui se fait bénir ? Le lecteur ou ces deux personnages? Les commanditaires du livre, peut-être. 

La lettrine aux poissons.

Une autre lettre, un S,  représente un personnage, également coiffé d’un chapeau à rabats, qui semble absorbé dans la contemplation d’un beau poisson. Le côté opposé de la lettrine est entièrement occupé par un autre poisson. Qu’elle est donc la signification de ce dessin ? Certes, le poisson est omniprésent dans la symbolique des premiers chrétiens, et les évangiles traitent de la pêche miraculeuse, mais il semble que la présente représentation soit plus anecdotique.   L’abbaye possédait-elle une pêcherie ?

La lettrine à la belle captive.

Mais de toutes les lettres figurées sur ces pages, c’est la dernière qui est la plus étonnante et la moins facile à interpréter. C’est aussi la plus volumineuse car elle regroupe 4 personnages dont une femme. Celle-ci parait jeune, elle porte de beaux cheveux longs, la taille est fine et la gorge décolletée. Sa robe est richement brodée et sa ceinture décorée de motifs circulaires, peut-être des cabochons. Elle est un peu en retrait, comme enfermée dans la lettrine. Est-ce une sainte ou une tentation du diable ? J’hésite.

Autour d’elle, deux personnages. A droite, un seigneur à l’air hautain, richement habillé, chapeau à rabats et vêtements décorés, à gauche un prélat, le bras tendu. Et au-dessus de la damoiselle un horrible personnage à la figure rouge, habillé d’une tunique simple, lassée à l’avant, tête nue. Un paysan peut-être, ou une représentation du Diable.

Le diable ?

Quelle est la scène représentée ? Difficile à dire. Est-ce une simple juxtaposition de figurines décoratives sans signification ou bien la représentation d’un évènement et de personnes ayant réellement existés. Un mari trompé, une femme séduite par le prélat ? Je vous laisse avancer les hypothèses. Pour vous aider, je vous donne le texte du psaume que cette lettre  Q entame : "Quoniam non in finem oblivio erit pauperis patientia pauperum non peribit in aeternum exsurge domine non praevaleat homo".

La répétition inlassable des psaumes copiés dans le scriptorium était une tache plutôt pénible et ce moine-copiste aurait sans doute préféré peindre une chapelle de l’abbatiale. C’est sa façon à lui de sortir de l’anonymat et de laisser une trace de son passage, comme cet autre moine qui écrivit dans la marge d’un livre :

« Saint Patrick d'Armagh, délivre-moi de l'écriture. L'écriture est une corvée excessive. Elle vous fait courber le dos, elle obscurcit la vue, elle vous tord le ventre et les côtés. Encre fluide, mauvais vélin, texte difficile ; Dieu merci, il fera bientôt nuit. C'est triste ! Ô petit livre ! Un jour viendra où, en vérité, quelqu'un sur votre page dira : la main qui l'a écrite n'est plus. Maintenant, j'ai tout écrit : pour l'amour du Christ, donnez-moi à boire". [4]

Bonne Année 2021 !

Textor



[1] Voir BNF, L'image dans les manuscrits par Danièle Thibault et Cécile Cayol in L’aventure dans les écritures. http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/page/textes_images/01.htm. Ainsi que l'article d'Erik Kwakkel consacré aux "grumpy faces" sur son site Erik Kwakkel • Grumpy faces In medieval times

[2] Les psaumes de ces deux pages suivent l’ordre suivant : Ecce virgo, Circum dederunt me, Diligam te domine, Adjutor in, Quoniam non in.

[3] Marie-France Auzépy « Tonsure des clercs, barbe des moines et barbe du Christ » in Histoire du poil (2017), pages 81 à 103

[4]St. Patrick of Armagh, deliver me from writing. Writing is excessive drudgery. It crooks your back, it dims your sight, it twists your stomach and your sides. Thin ink, bad vellum, difficult text ; Thank God, it will soon be dark. This is sad ! O little book ! A day will come in truth when someone over your page will say, the hand that wrote it is no more. Now I’ve written the whole thing: for Christ’s sake give me a drink." (Michael Camille, in Images of the Edge : The Margins of Medieval Arts. London, Reaktion Books, 1992)