Noël
du Fail, seigneur de la Hérissaye, est un truculant conteur breton, souvent
comparé à Rabelais qui l’avait certainement inspiré. Il n’a pas son pareil pour décrire la vie du
petit peuple des campagnes, les fêtes villageoises, les jalousies entre hameaux
voisins, quand ceux de Vindelles s’en prennent aux archers de Flameaux.
Au mois de Mai que les ébats amoureux commencent à se remettre aux champs, ceux de Flameaux firent une archerie, où toutes les fêtes s’exerçaient fort, tellement qu’on ne parlait que d’eux dans tout le pays, et à leur grand avantage.
Ceux de Vindelles (comme vous savez prochains voisins), conspirèrent une haine couverte et viennent leur chercher querelle. Ils sont reçus avec des moqueries par ceux de Flameaux : « Allez, allez ; vous êtes ivres de lait caillé » [1] Tout cela ne pouvait finir qu’en bagarre générale, dont le vacarme attira les femmes qui ne furent pas les dernières à rentrer dans la mêlée.
A la nuit tombée, toutes égratignées, les robes défaites et les cheveux Dieu sait comment accoutrés, le conflit se poursuivit à coups de jurons : Par le moyen de la nuit survenue, commencèrent à belles injures, comme putains, vesses, ribaudes, paillardes, prêtresses, bordelières, tripières, lorpidons, vieilles édentées, méchantes, larronesses…. Et tellement criaient et braillaient ces déesses, que tout le bois de la Touche en retentissait.
Noël
du Fail eut une vie tout aussi agitée. Il naquit vers 1520 dans le manoir
familial de Château Létard, à Saint-Erblon (Aujourd'hui en Ille et Vilaine) au sud de Rennes.
Il était issu de la petite noblesse de Haute Bretagne. Vers 1540, il quitta sa
famille pour entreprendre des études juridiques, la coutume de Bretagne sous un
bras et le mousqueton sous l’autre. On le retrouve dans les universités de
Poitiers, d'Angers, de Bourges, de Toulouse [2]. Son humeur joyeuse ne
parait pas avoir été affectée par ses embarras financiers qui l’obligèrent à
entrer dans l’armée. Il participa en 1544 à la bataille de Cerisoles durant les
guerres d’Italie.
Rentré de la guerre, il termina sa formation universitaire à Lyon où il y publia, en 1547, chez Jean de Tournes, ses Propos rustiques de maistre Léon Ladulfi, champenois [3].
Le
livre eut un succès certain qui l’incita à lui donner deux suites. Il fit
paraitre successivement :
-
Les Baliverneries d'Eutrapel (Imprimé à Paris pour Pierre Trepperel.
1548. Trepperel était alors libraire à Orléans)
-
Les Contes et Discours d’Eutrapel (Rennes, Noël Glamet de
Quinpercorentin [4],1585, in-8°)
L’ensemble
constitue un témoignage unique sur la société rurale du XVIe siècle. C’est sans
doute parce qu’il avait vu tant d’autres régions qu’il sut si bien observer et
décrire les petites habitudes des campagnes du pays de Rennes. Ce n’est pas une
description de la vie rustique en général, faite d'imagination et ornée de
souvenirs classiques, comme on en rencontre souvent au XVIème siècle, mais une
suite d’anecdotes d'après nature qui sentent le vécu.
Que
racontent les vieux ? Ils regrettent le temps passé et se souviennent des
vieilles coutumes du village, quand c’était mieux avant. Au temps ancien, il
estoit mal ajsé voir passer une simple feste que quelqu’un du village n’eust
invité tout le reste à disner, à manger sa poulie, son oyson, son jambon. Les
invités ne venaient point les mains vides, ils apportaient chez leur hôte toutes
leurs bribes et les mettaient en commun pour faire le festin plus beau.
Ses
pérégrinations universitaires avaient dû le conduire aussi à Paris car il cite
les noms de plusieurs libraires chez qui ses maîtres l’envoyaient chercher des
ouvrages. Déjà à l’époque, il était difficile de discuter le prix du
livre : Eutrapel dit que,
lorsque maistre Jehan Ricaut, Jean Boucher, Jean Reffait, Gaillard, dom
Bertrand Touschais, dom Jacques Mellet, tous savans pédagogues, l'envoyaient,
et ses compagnons aussi, quérir quelques livres chez Collinet [5],
Robert Estienne son gendre, Vascosan, Wechel, libraires de Paris, il ne fallait
aucunement disputer ni contester du prix, car autant en avait bon marché
l'enfant comme le plus crotté et advisé maistre aux arts de l'Université. Et estre le vray moyen de s'enrichir, gagner petit mais souvent.[6].
Devenu
licencié en droit, Noël du Fail rentra en Bretagne et fit un beau mariage, ce
qui lui permit de financer l’achat d’une charge au Présidial de Rennes (en
1552) puis au Parlement de Bretagne (en 1572). Parallèlement à ses éditions de
Contes et Baliverneries, il publia un recueil de jurisprudence intitulé Mémoires
recueillis et extraicts des plus notables et solennels Arrests du Parlement de
Bretagne, divisez en trois livres : le premier contient les arrests donnez en
l'Audience, le second ceux des Chambres, le tiers les Meslanges, A Rennes, de
l'imprimerie de Julien du Clos, imprimeur du Roy. Ce genre de littérature
est généralement austère et réservé à un public de juristes avertis. Mais sous
la plume de notre conteur, les arrêts du Parlement de Bretagne deviennent des
épisodes de la guerre Picrocholine. …
Il
ne recopie pas les arrêts du Parlement, il en expose les faits dans un résumé à
sa manière, souvent très concis en quelques lignes puis il donne le point de
droit à trancher, analyse les prétentions et les moyens des parties et
finalement la solution retenue. Le tout ne tient souvent qu’en quelques lignes.
Il se souvient certainement des cours de son professeur Eguiner-François Baron, à
Bourges, qui se plaignait des commentaires sans fin des glossateurs [7].
Parfois, lorsque l’affaire le mérite, il en détaille les circonstances et cela devient un petit tableau qui aurait trouvé toute sa place dans les Baliverneries d’Eutrapel. Par exemple, cette audience du 19 octobre 1566 entre Jean Le Moine et Nicole Tilon. Le mari catholique, la femme huguenote ou quand les dissentions religieuses troublent la paix du ménage : Le mаrу ne voulait que sa femme allast à l'exhortation mais à la messe. Elle, au contraire. Y a plusieurs débats. II dit qu'elle l’а injurié, qu'elle luy faict mille maux. Elle estoit pauvre, se voyant avec luy homme riche, elle est devenue insolente. Elle va en des lieux qui ne luy sont agréables… Elle dit que c'est luy qui faict tout le mal. Il l'a battue revenant de la presche, il luy a fermé la porte. Elle luy porte honneur et révérence. Si elle s'est courroucée, il faut qu'il sache formicoe esse suam iram; qu'il excuse l'infirmité du sexe; qu'il se montre le plus parfaict. Ce sont maladies communes des femmes, quarum mores nosse oportet, non odisse. La Court, corrigeant le jugement, ordonne que l'intimée retournera à son Mаrу, auquel ladicte Court enjoinct la bien traicter : et à elle aussi de se comporter avec son mаrу comme une bonne et honneste femme doit faire. Et leur a permis et permet, suyvant l'édict du Roy, de vivre, pour le regard de la religion, chacun d'eux en la liberté de leurs consciences.[8]
Du Fail s’amuse aussi à relever des décisions qui ne paraissent pas très importantes mais qui en disent long sur les habitudes et comportements des gens de justice : Du 18 Aoust 1572. Defend la Court aux advocats d'icelle d'estre longs, prolixes et superflus en leurs plaidoyez : mais leur enjoinct de les abréger sans user de répétitions et redites, ou dire chose qui ne serve à la cause [9]. L'ouvrage débute sur une affaire tout aussi insignifiante d'un litige du 20 Septembre 1554 entre l'un des quatre notaires de la ville du Grand-Fougeray avec ceux de Nantes.
Le
recueil des arrêts est complété de différentes pièces liminaires et de poèmes
de ses amis [10].
Notons, en passant, que, les trois distiques latins placés en tête du volume pourraient donner quelques présomptions sur le lieu de naissance de Noel Du Fail, sur lequel tous les biographes ne s’accordent pas. Ce poème commence ainsi : Natalis Rhedonae decus altum, ingensque Senatus, Et magna Armorici gloria lausque soli, etc. [11]
Chacun
des trois livres possède sa préface, la première, dédiée à Louis de Rohan,
Prince de Guemené, est datée du 1er février 1576, l’occasion de rappeler que
l’idée de rassembler ces décisions judiciaires est née de la réforme de la
coutume annoncée pour le 2 Mars de cette même année. Cette préface est très
étendue (22 pages) et constitue en elle-même un petit exposé de sa philosophie
sociale, que nous pourrions qualifier de très conservatrice. Du Fail fait
l’éloge de la Bretagne, la province aussi entière et moins meslée et
bigarrée de sang et familles estrangères qu'autre qui soit aux environs d'elle
: ayant depuis onze cens ans en çà subsisté et soy tenue debout, sans estre
courue ni pillée de ces peuples septentrionaux et Allemans, qui sont venuz habiter
et occuper les Gaulles, Hespagnes et Italie, juxtement après la rupture et
dissolution de l'Empire Romain.
La
préface du second livre est dédiée aux Etats de Bretagne en 1578.
Le
troisième livre est introduit par un long poème intitulé Discours sur la
corruption de notre temps qui porte in fine pour signature Le Fol N'a
Dieu, anagramme de Noel Du Fail. Il met en rimes une conversation tenue en
sa présence par les deux premiers avocats de Rennes, Maitre Nicolas Bernard et
Maitre Pépin de la Barbaie :
Quoy
donc, dira quelqu'un, que servira ton livre, / Ton recueil des Arrests, qu'il
ne faudra plus suivre / Quand ce beau temps viendra qu'on gardera la foy /
Et le noble sera de son subject la loy? / Ce sera un tableau où l'on verra
portraitte, / Tandis que nous vivrons, la faulte qu'on a faicte. / Cependant,
si ton age à le voir ne suffit, / Pren ce livre tousjours et en fay ton profit.
Il
y exprime une certaine critique de la société de son temps, ses principaux
défauts et ses aspects les meilleurs. Il s’en dégage une certaine nostalgie du
passé, un respect pour les jugements anciens et une fierté de l’œuvre accomplie
par les bretons, vertueux et doués de savoir et sagesse…
L’ouvrage aura un certain succès et sera réédité à Rennes chez Vatar en 1653, puis encore en 1737 avec une révision de Michel Sauvageau, preuve que son recueil d’arrêts est resté une référence du droit coutumier breton pendant cent cinquante ans.
Bonne
Journée,
Textor
[1] Le lait
ribot est un lait caillé qui est encore bu aujourd’hui dans les campagnes mais
qui monte assez peu à la tête…
[2] Ses
œuvres citent le nom des professeurs dont il avait suivi les cours et d’autres
évènements qui démontrent son séjour dans ces villes.
[3] Une
seconde édition fut faite la même année à Paris, par Estienne Groulleau demeurant
en la rue neuve Notre Dame, à l’enseigne de Saint Jean Baptiste.
[4] Arthur
De la Borderie avait effectué des recherches approfondies sur cet imprimeur
tout entier dévoué à la seule impression des 9 éditions des Contes d’Eutrapel.
Au final le matériel typographique parait être celui de Jean Richer, imprimeur
à Paris, comme l’avait démontré Louis Loviot dans son article l’imprimeur
des "Contes d'Eutrapel, 1585 in Revue des livres anciens, T.
II, fasc. 3, 1916, p. 313.
[5] Il
s’agit de Simon Collines qui mourut en 1546.
[6] Les
Contes et Discours d’Eutrapel, f° 177 de l’édition de Quimpercorentin 1597.
[7] Voir
l’article à paraitre sur Eguinaire Baron in Bibliotheca Textoriana.
[8] Du Fail,
Mémoires… p. 78.
[9] Du Fail, Mémoires… p. 292.
[10] Dont
une épitre de P. Mahé et une ode signée J.D.G.
[11] Ce qui
pourrait être traduit librement par : L'honneur de Noel, de Rennes, était
grand, et le Sénat était vaste, et la gloire et les louanges de toute l'Armorique
étaient grandes.
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