lundi 6 février 2023

Si périssable est toute chose née : L’Olive de Joachim du Bellay (1569)

Le Recueil de sonnets que Joachim du Bellay intitule L’Olive est mon ouvrage préféré du poète. C’est une poésie élégante et raffinée d’une grande beauté formelle à travers laquelle il nous démontre que le français bien maitrisé parvient à être une langue littéraire, illustrant ainsi sa publication précédente, la deffence et illustration de la langue francoise.


Page de titre du recueil L'Olive

Joachim du Bellay a 27 ans lorsque parait l’Olive. Il a quitté son petit Liré pour entamer des études de droit à Poitiers. C’est dans cette ville qu’il commence à s’intéresser à la versification et se lie à des poètes tels que Jean de La Péruse, Jacques Peletier du Mans, tous deux futurs membres de la Pléiade, mais aussi Pierre de Ronsard, dont il fit la connaissance en 1547, et qui devait devenir son meilleur ami et son plus grand rival en poésie.

Avec ce dernier, il gagne alors Paris pour entrer au collège de Coqueret, où il rencontre encore Jean Antoine de Baïf. Ce collège de la montagne Sainte Geneviève est alors dominé par la personnalité de son proviseur, Jean Dorat, fervent admirateur des Anciens, grecs et romains, et qui devait rejoindre plus tard le groupe de la Pléiade à l’invitation de Ronsard.

La principale occupation de ce groupe de lettrés est l’étude des auteurs grecs et latins et des poètes italiens. Le cercle, baptisé d’abord La Brigade, puis plus poétiquement La Pléiade, expose pour la première fois une véritable théorie littéraire après la publication de l’Art poétique (1548) de Thomas Sébillet, qui préconisait l’usage aussi bien des formes médiévales françaises que des formes antiques.

En réponse à Thomas Sébillet, du Bellay rédige une sorte d’art poétique, la Deffence et Illustration de la langue française, généralement considéré comme le manifeste de la Pléiade. Le poète y plaide, l’usage de la langue française en poésie contre les défenseurs du latin. Il appelle à enrichir le vocabulaire par la création de termes nouveaux, quitte à emprunter à d’autres langues, régionales ou étrangères, à condition que les mots choisis soient adaptés en français. Du Bellay recommande aussi d’abandonner les formes poétiques médiévales employées jusqu’à Clément Marot et préconise l’imitation des genres en usage dans l’Antiquité, tels que l’élégie, le sonnet, l’épopée ou l’ode lyrique.

 


Dédicace à Marguerite de Navarre et Adresse au Lecteur

L’art du poète, selon du Bellay, consiste donc à se consacrer à l’imitation des Anciens, tout en respectant certaines règles de versification spécifiquement françaises.  L’Olive, recueil paru la même année que la Deffence, est une application de sa théorie poétique, à cette différence près que l’imitation n’est pas celle des Anciens mais du poète italien Pétrarque qui chante la beauté de Laura. Pétrarque joue avec le nom de sa muse qui se transforme en laurier en s'enfuyant devant Apollon. Du Bellay francise le mythe gréco-latin et remplace le laurier d'Apollon, florissant sur l'Acropole, par l'olivier, l'emblème d'Athéna à laquelle était assimilée Marguerite de France.

 Si Laura est une jeune femme bien réelle, Olive est plus évanescente, voire même très ambiguë, mi femme mi plante, sans contour ni caractère bien précis. Nous saurons simplement qu’elle a des tresses blondes et un regard de feu. Pour le reste, c’est un idéal de beauté, un remède à l’emprisonnement du poète sur terre, une raison pour s’élever au plus haut ciel, vers l’inaccessible et ainsi échapper à la fugacité du temps, comme l'illustre admirablement le sonnet 113 :  

Si notre vie est moins qu’une journée / En l’éternel, si l’an qui fait le tour / Chasse nos jours sans espoir de retour, / Si périssable est toute chose née, / Que songes-tu, mon âme emprisonnée ? / Pourquoi te plaît l’obscur de notre jour, / Si pour voler en un plus clair séjour, / Tu as au dos l’aile bien empennée ? / ….. Là, ô mon âme, au plus haut ciel guidée, / Tu y pourras reconnaître l’Idée / De la beauté, qu’en ce monde j’adore.

Une beauté plus qu’humaine donc et une adoration-fascination où le vocabulaire amoureux et le vocabulaire religieux s’entremêlent et prolongent une tradition remontant au Cantique des Cantiques, comme l’a démontré Corinne Noirot-Maguire [1]. Joachim Du Bellay se complait à idolâtrer Olive. Elle est l’antique feu [2] ou l’amour païen, qui mue, altère, et ravit (s)a nature [3] . Transformé en phénix au sonnet XXXVI, l’amant dépend même de la pitié de la dame pour le faire renaître de ses cendres.



L'Olive, Sonnet 113

 Nous retrouvons cette quête de la beauté inaccessible dans un autre sonnet très connu du poète [4] qui a pour thème la belle matineuse dont la beauté éclipse le soleil qui se lève. Du Bellay évoque la caverne de Platon et la quête de l'Idée platonicienne dont la beauté des créatures terrestres n'est que l'ombre portée :

Déjà la nuit en son parc amassait / Un grand troupeau d'étoiles vagabondes, / Et, pour entrer aux cavernes profondes, / Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ; / Déjà le ciel aux Indes rougissait, / Et l'aube encor de ses tresses tant blondes /Faisant grêler mille perlettes rondes, / De ses trésors les prés enrichissait …

 

L'Olive, sonnet 83

Publié pour la première fois en 1549 chez Arnoul L’Angelier sous le titre L'Olive et quelques autres œuvres poeticques. Le contenu de ce livre. Cinquante sonnetz à la louange de l'Olive. L'Anterotique de la vieille, & de la jeune amye. Vers lyriques, il parait à nouveau en 1550 chez Gilles Corrozet et les Angeliers, passant de 50 à 115 pièces avec un titre annonçant cette augmentation :  L'olive augmentee depuis la premiere édition. La Musagnoeomachie & aultres œuvres poëtiques.

L’Olive paraitra ensuite seul ou avec la Deffence et Illustration de la Langue Française en 1553, 1554, 1561.

Puis Federic Morel succède aux Angelier et sort en 1561 au format in-4 La Defense et illustration de la langue francoise, avec l'Olive de nouveau augmentee, la Musagnoeomachie, l'Anterotique de la vieille & de la jeune amie. Vers lyriques, etc. Le tout par Joach. Du Bellay ang. Avant de faire paraitre toute la production de du Bellay en fascicule séparé durant les années 1568 et 1569 lesquels seront regroupés en un recueil factice qui constituera la première édition collective, avec une pagination séparée et un titre propre à chaque fascicule. Elle n’aura de pagination continue qu’à partir de 1573. Seul le titre général porte la date de 1569, chacune des huit parties (L’Olive compte pour une partie) ayant son titre propre, à la date de 1568 ou 1569.

La Musagnoloemachie

Louange de la France et du Roy Henry II

Nous avons trouvé des exemplaires de cette édition collective où l’Olive porte la date de 1568 ou 1569. Notre exemplaire est daté de 1569 mais cela ne permet pas de savoir s’il avait été vendu tel quel, comme ouvrage unique, ou s’il a été détaché par la suite d’une édition collective. C’est l’ex-libris qu’il contient qui permet de savoir qu’il ne provenait pas d’un exemplaire démembré de l’édition collective car son premier possesseur, un certain Grenet a laissé une marque d’appartenance dans l’Olive : Je suis à René Grenet, seigneur du bois Desfourches et une autre mention avec son nom dans le fascicule de la Deffence, qu’il avait acheté la même année. Il n’aurait probablement pas inscrit deux ex-libris si les fascicules avaient été reliés ensemble dans l’édition collective.

René Grenet faisait partie d’une des plus anciennes familles de Chartres ; un de ses membres prit part à la première croisade. En 1423, Jean Grenet était lieutenant général du pays chartrain. En 1462, cette place était occupée par Michel Grenet, sieur du Bois-des-Fourches. C’est lui qui publia à Nogent le Rotrou l’ordonnance royale de 1462 qui abolissait le péage sur la rivière. Plus bas dans la généalogie, on trouve un Claude Grenet, sieur du Bois-des-Fourches, receveur des aides à Chartres qui épousa, le 15 janvier 1554 à St-Martin-le-Viandier, Marie Acarie, fille de Gilles, seigneur d'Estauville. Son fils est René Grenet, né vers 1555. C’est le probable auteur de l’ex-libris. Il est receveur des décimes, cet impôt exceptionnel prélevé sur le clergé, justifié par la guerre contre les huguenots mais qui aura tendance à devenir régulier. René Grenet se maria avec Claude Cheron et eut un fils prénommé aussi René qui devint greffier du grenier à sel de Chartres.  Ce dernier étant né en 1594, un peu tard, compte tenu du style d’écriture (une écriture typique du XVIème siècle) pour lui attribuer l’ex-libris.

Le receveur des aides, un percepteur donc, devait avoir l’âme romantique pour goûter la poésie de Du Bellay …

Bonne Journée,

Textor


[1] Olive de 1550 : l'épreuve de la fascination idolâtre, par Corinne Noirot-Maguire in L'information littéraire 2008/1 (Vol. 60), pages 44 à 51.

[2] Ode XXIV.

[3] Ode XXXVIII v.8

[4] Sonnet LXXXIII