mercredi 26 août 2020

Alessandro Bindoni, l’imprimeur du lac Majeur.

Pour faire suite au précédent article sur une édition des Amours de Rinaldo de Montalbano publiée par Alessandro Bindoni et ses frères, en 1522, intéressons-nous à l’activité de cet atelier d’imprimeurs pour laquelle cette édition non recensée apporte quelques détails.

Alessandro Bindoni est né sur Isola Bella, une des iles Borromées sur le Lac Majeur, une ile d’à peine 20 Ha de superficie. Il fut le premier des frères Bindoni à s’installer à Venise et à y ouvrir une imprimerie, vers 1505. Sa première adresse était dans le quartier San Marco, "à Frezzaria, près de San Moysè", à l’enseigne de la Justice.

La marque d’Alessandro Bindoni, "A la Justice", sur le tarif des poids et mesures de Praxi, 1521.


Colophon de l’Innamoramento de Rinaldo du 2 décembre 1522


Son premier livre connu est daté du 4 Novembre 1506, c’est un tarif des poids et mesures par Bartolomeo Paxi, suivi, le 27 Novembre de la même année, d’une vie du bienheureux patriarche Josaphat converti par Barlaan[1], un petit ouvrage populaire sur la vie du Saint. Il est possible qu'avant cela, il ait imprimé d'autres feuillets populaires, mais sans adresse typographiques, qui - bien que reconnaissables comme étant sorties de son imprimerie - sont difficiles à dater. En 1507, il s'associe avec Nicolò Brenta da Varenna, dont l’atelier est "au passage de San Polo sur le cours Petriani"[2]. La collaboration dure deux ans (1507-1508), avant que Nicolo Brenta déménage provisoirement à Pesaro, puis de façon permanente à Rimini.

Ensemble, ils produiront des éditions sur des thèmes religieux : un Confessionnal du pseudo-Augustin (1er avril 1507), le Transit de Jérôme (13 avril 1507), la Règle du Tiers Ordre de Saint François (1507), la Statuta Firmanorum (17 mars 1508) et le premier livre de chevalerie, un Guérin mesquin[3] d’Andrea da Barberino (25 octobre 1508) connu par un seul exemplaire conservé au British Museum, que Alessandro Bindoni fera rééditer en 1512 et 1522.


Une page du Rinaldo

Après la dissolution de l’association, il poursuit seul l’impression de petits textes comme ces pamphlets vendus sur le pont Rialto, des feuilles de chansons, des estampes, etc. Son talent est suffisamment reconnu pour que Luc Antonio Giunta lui confie l’impression d’un Ovide en langue toscane ("Ovidio maggiore"), illustrée des figures qui ornaient les éditions de G. Rossi (1497) et C. Pensi (1502), toutes deux publiées par Giunta.

Son activité éditoriale s’accélère à partir de 1515, et surtout durant les quatre dernières années d’activité, preuve de l’importance prise par son atelier ; Plus de la moitié de sa production répertoriée a été imprimées en 4 ans seulement, entre 1519 et 1522 ; L’essentielle de celle-ci est en langue toscane. Très peu d’ouvrages théologiques mais des livres médicaux, comme ceux de Galien, des ouvrages de grammaire et de vocabulaire, quelques classiques comme les Métamorphoses d’Ovide. En revanche, les romans de chevalerie occupent une place de plus en plus importante. Sur les 85 titres recensés par le Word Catalogue dans les institutions publiques, pas moins de 11 titres concernent les aventures de Charlemagne, Orlando ou Rinaldo. Nous pouvons citer, outre le Guerino il meschino, le Morgante magiore qual tracta delle battaglie & gran facti de Orlando & de Rinaldo de Luigi Pulci (1515), Leandra Qual tracta delle battaglie & gran facti de li baroni di Francia composto in sexta rima de Pietro Durante (1517),  Il Mambriano istoriato de F. Bello (1518), le Cerva Biancha d’Antonio F. Fregoso, le Capitolo che fa vno innamorato a vna sua amante, l’Orlando innamorato  de Boiardo con i libri di Nicolò degli Agostini (1522), l’Innamoramento di Carlo Magno, et pour finir notre innamoramento de Rinaldo.

En 1520, Alessandro associe à son frère Benedetto et les éditions sont alors signées : "presso Alessandro e Benedetto fratelli de Bindoni". Parmi les éditions issues de leur collaboration, citons : Tristan et Iseut de Nicolò degli Agostini (1520) ; les Épîtres et les Évangiles qui sont lus toute l'année (1521) ; le Bovo d'Antona (1521) ; le Bellum gramaticale de A. Guarna (1522).



Quelques pages du Rinaldo de 1522, dernière œuvre d'Alessandro Bindni

Alessandro serait décédé à la fin de 1522 ou au début de 1523, selon les biographes. Dès 1523, on rencontre des impressions signées des héritiers Bindoni : "Presso gli heedi di Alessandro Bindoni".

Ce qui est certain désormais c’est qu’il vivait encore au moment de la publication de l’inamoramento de Rinaldo le 2 Décembre 1522. Ce livre constitue sans doute sa dernière production. Il avait précédemment imprimé 11 titres cette année-là, sur un rythme de presque un titre par mois : Le Libro devotissimo intitulato Information de langelo proprio ; des indulgences pour toute l’année ; le Bellum grammaticale d’Andrea Guarna, le 5 Mars ; Un roman de chevalerie de Barberino Guerrino pronominato Meschino,  le 11 Mars ; le  Morgante maggiore de Luigi Pulci, autre livre de chevalerie ; le Vocabularium breve de Gasparini Bergamensis, le 20 mai ; un Vocabulista ecclesiastico latino e vulgare de Giovanni Bernardo Forte ; le Leandra de Pietro Durante du cycle de Rinaldo, le 3 juin ; le Vocabularium vulgare cum Latino apposito nuper correctum de Niccolo Valla, le 7 Juillet ; un herbier en langue vulgaire, le 30 Aout ; et le dernier répertorié, en Octobre, au titre prémonitoire : Contrasto del vivo e del morto Io sono il gran capitano della morte che tengo le chiave de tutte le porte, du 10 Octobre.

Ce qui est curieux c’est que nous ne sommes pas renseignés sur la date exacte de sa mort mais que nous connaissons en détail les péripéties de la succession qui fut houleuse. Alessandro Bindoni avait visiblement constitué une association avec ses frères Benedetto et Agostino, tous les deux imprimeurs en leur nom propre par la suite. Cette structure juridique aurait dû continuer à fonctionner après le décès d’un des membres et les frères aurait dû reprendre les parts. Mais, Alessandro ayant été le seul à se marier, il fit un testament en 1521 attribuant à son fils Francesco la succession légitime de l’entreprise familiale. Pour Alessandro, il s’agissait de léguer sa part dans l’association à son fils, afin qu’il puisse continuer l’activité paternelle ; Francesco commence d’ailleurs à imprimer dès 1523. Mais la question du partage entre les deux frères et le fils est compliquée par une supposée donation de tous ses biens qu’Alessandro aurait faite de son vivant à ses deux frères. Ceux-ci réclament donc pour eux l’héritage. Finalement, l’exécuteur testamentaire, qui n’est autre qu’un libraire du nom de Piero Ravani, a gain de cause et rétablit le fils dans ses droits. Selon les règles de succession, Franscesco d’Alessandro Bindoni héritait de la part de la compagnie et les oncles et le neveu auraient pu imprimer ensemble. L’association a été visiblement rompue en raison du conflit qui a opposé les membres de la famille. Les frères comme le fils d’Alessandro décident d’imprimer chacun de leur côté, ce qui aboutit à une division du patrimoine familial.|4]

Les romans de chevalerie rimés des Bindoni se rencontrent rarement aujourd’hui. La plupart, sans doute victimes de leur succès à l’époque, ne se sont conservés qu’à très peu d’exemplaires. Il faudrait plus d’une vie pour rassembler la collection impressionnante de Monsieur L. dispersée le 28 Juin 1847. Les ouvrages de chevalerie en langue italienne et en ottava rima, regroupés sous le titre générique Belles-lettres, occupent 25 pages du catalogue et 128 numéros[5] !

Bonne Journée 

Textor.



[1] La vita del beato patriarcha Iosaphat conuertito per Barlaa” - Impressa in Venetia : per Alexandro de Bandoni (sic), 1506 adi XXVII de nouembrio.

[2] l transito di san Polo in corte Petriani

[3] Il Guerrino Meschino

[4] Catherine Kikuchi – « Transmettre à bon escient :  le rôle de l’héritage et de l’éducation  dans l’imprimerie vénitienne (1469-1530) » in Camenulae 20, mai 2018.

[5] N° 1028 à 1156, section des Poèmes Chevaleresques de la Table Ronde, de Charlemagne, des Douze Pairs, des Paladins, etc… https://books.google.it/books?id=BpxMAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

dimanche 23 août 2020

Une édition inconnue des Amours de Renaud de Montauban. (1522)

Il faut parfois savoir être patient en bibliophilie. Je viens de trouver les renseignements qui me manquaient sur un roman de chevalerie acheté voilà 12 ans. Il s’agit des Amours de Renaud de Montauban (Inamoramento de Rinaldo de Montealbano), poème épique en italien, imprimé à Venise par les frères Alessandro et Benedetto Bindoni en 1522. 


Rinaldo face à sa conscience.

L'édition des Bindoni dans son vélin d'époque

Je ne trouvais aucune référence sur cette édition dans les bibliothèques publiques consultées. Il faut dire que je ne connaissais ni l’auteur, ni le titre exact car cet exemplaire possède un défaut majeur, il lui manque la page de titre, ce pour quoi il avait été jeté par l’expert de la vente dans une manette avec d’autres ouvrages sans valeur et des catalogues sur les papillons. Sans page de titre, seul le colophon permet de se faire une idée de ce que ce titre pourrait bien être, bien que l’intitulé entre l’un et l’autre soit souvent différent. Heureusement, des libraires new-yorkais plus habiles que moi ont réussi à réunir quelques informations très précieuses qui ont débloqué la situation.

Cette épopée médiévale française du XIIIème siècle qui narre les aventures des quatre frères d’Aymon de Dordogne, de leur cousin l’enchanteur Maugis et du cheval magique Bayard qui a le pouvoir de s’étirer pour accueillir autant de cavaliers que voulu, a connu une vitalité exceptionnelle, suscitant de multiples adaptations étrangères, en Espagne avec Fierabras et surtout en Italie où les exploits de Rinaldo sont développés, à partir de la fin du XIVe siècle, en différentes versions, tant en vers qu'en prose[1]. "Les Italiens de la Renaissance aimaient les romans chevaleresques autant ou plus que tout autre peuple européen [...] Bientôt, les ménestrels italiens habillèrent Roland et Charlemagne en armure italienne. Puis, ils ont créé de nouveaux chevaliers et de nouvelles suites pour accompagner les héros de Roncevaux, et les ont tous envoyés sur une route d'aventures sans fin"[2]

Ce poème épique est plaisant à lire et d’une grande modernité. Pour résumer, Rinaldo (Renaud), fait chevalier par Charlemagne, s’embrouille avec le petit-fils de ce dernier, qu’il tue en duel, ce qui l’oblige à fuir pour échapper à la vengeance de l'empereur. Tenaillé par le remords et la hantise que sa révolte ne soit pas juste, il ne cesse de chercher le moyen de regagner la faveur royale, mais toutes ses tentatives pacifiques de conciliation se heurtent à la vindicte impériale. Charlemagne, loin de la légende de l’empereur affable, tient le mauvais rôle, abandonné par ses barons qui veulent invalider sa politique. Après divers épisodes de guerres et de réconciliations avec Charlemagne, Rinaldo poursuivit ses aventures en Terre Sainte, pour finir par mourir à Cologne. Rinaldo n'est pas seulement un chevalier, mais aussi un saint, et sa légende a plu au public des cours princières comme aux bourgeois lettrés. L'histoire de Renaud se retrouve également dans d’autres épopées du cycle des Barons Révoltés, dans le Morgante de Pulci, dans les poèmes de Bayard et de l’Arioste, dans le Ricciardetto de Forteguerri et dans le Rinaldo du Tasse.

 

De joutes en batailles, Rinaldo, le preux chevalier défend l'honneur chevaleresque.



Jusqu’à présent, je ne disposais que des informations lacunaires du Brunet que j’avais repris tel quel dans mon catalogue : « Poème chevaleresque découvert par feu le Comte de Boulourdin et sur lequel tous ses soins et ses recherches, continués pendant plusieurs années, n'ont pu lui procurer de renseignements satisfaisants. Son excellence conservait ce volume comme le plus précieux de sa collection.". Il ajoute que cet exemplaire contient une lettre de M. Panizzi précisant que, pour le fonds de l’histoire, ce poème est la même chose que celui qui a été imprimé à Milan en 1521 sous le nom d’auteur de Dino. Cet exemplaire est aujourd’hui à la British Library. Il est en 138 ff., sans page de titre et en 58 strophes. Toutes les pages contiennent 10 stances de 8 vers (Ottava Rima). Chaque chant est annoncé par une petite échancrure et une lettrine. Il est dépourvu de ponctuation et les points sur les i sont remplacés par un accent aigu. Autant de caractéristiques que l’on retrouve dans mon exemplaire à ceci près qu’il est composé de 75 chants et non 58.

Brunet poursuit en précisant que, selon le catalogue Boulourdin, le papier et la typographie portent à croire qu’il a été imprimé à Naples sur les presses de Riessinger et qu’il fut ensuite réimprimé plusieurs fois sous le titre In(n)amoramento di Rinaldo avec des changements et des augmentations plus ou moins considérables. Jacques-Charles Brunet cite différentes éditions mais pas celle de 1522. Ces sources semblent être le Melzi et Tosi[3]. Faute d’être fixé sur le nom de l’auteur, il traite de ce livre à l’entrée Rinaldo et ajoute que ce même poème est aussi attribué à Girolamo Forti de Teramo, mort en 1489, lequel parait l’avoir tiré d’un ancien roman en vers français dont l’auteur serait un certain Sigisbert, comme Girolamo Forti l’annonce lui-même à la cinquième stance du premier chant. De fait, je retrouve une allusion similaire à Sigimberto Gallico dans mon exemplaire, à la cinquième stance :

Io huo tradutto il libro netto e tondo

Come haver potrete fermo indicio

De Sigimberto gallico jocondo

Che gia lo scrisse in la lingua Francesca

E la mia penna in tallian lo rinfrescha

Les sources manuscrites sont incontestablement françaises et ont été minutieusement étudiées par François Suard[4]. Il existe deux manuscrits originels : le manuscrit Douce[5] qui donne la version la plus ancienne et le manuscrit La Vallière[6] sur lesquels se sont greffés de multiples variantes, comme ce bel exemplaire enluminé de la Bibliothèque de l’Arsenal (ms 5073).

 

Manuscrit Ms.5073, f.117v- Renaud de Montauban et Clarice lors d'un banquet puis dans la chambre nuptiale, Flandre 1470, commandé pour Philippe le Bon. (données BNF)

 

Suivront 7 éditions incunables à partir de 1485 dont celle de Jehan de Vingle illustrée de bois magnifiques qui vont inspirer les imprimeurs du 16ème siècle puisqu’on dénombre environ 23 éditions françaises à gravures.

 

Les quatre fils Aymon, Lyon, Jehan de Vingle, 1497. Aymon présente ses fils à Charlemagne. La même scène dans le Rinaldo de Bindoni, 1522. La gravure a perdu en finesse ce qu’elle a gagné en concision.

 

De l’autre côté des Alpes, la version italienne de l'histoire de Rinaldo a fait l’objet d’une première publication à Naples vers 1474, comme citée par Brunet, puis la fortune de l’œuvre fut tout aussi importante. Il semble aujourd’hui admis que l’auteur, ou du moins l’adaptateur, soit Girolamo Forti. C’est à cette entrée que l’on retrouve les éditions italiennes de la British Library et de Yale University Library. Une dizaine d’éditions apparaissent dans les premières décennies du XVIe siècle, généralement d'une extraordinaire rareté et connues pour la plupart à travers un seul exemplaire.

Les éditions italiennes peuvent être répertoriées comme suit en compulsant, outre le Brunet,  la British Library, Yale University, ainsi que l’étude détaillée d’Ana Grinberg [7] : 

1/ Rinaldo sans titre, s.d. (vers 1474) Naples, Riessinger in Fol de 139 ff. en 54 chants en deux colonnes - British Library (G.11352)

2/ El inamoramento de Rinaldo da Monte Albano, Venise, Manfredo di Montferrato, 1494, in-4 de 147pp. Coll. HG Quin - Trinity College, Dublin (Quin 53). Acheté par Henry George Quin en 1789 et lègué au Trinity College en 1805. (Hain 13915.324)

3/ Inamoramento de Rinaldo, 1501, Milan, Zohane Angelo Scizezeler, in-?, 34 pp., mutilé,  British Library (11426.f.73.)

4/ Turin, 1503

5/ Milan, 1510

6/ Venice, Melchiorre Sessa, 1515

7/ Inamoramento de Rinaldo de Monte Albano, 1517, Venise, Joanne, in-4 (180) ff. Un exemplaire conservé à Yale University, Collation : a-y8 z4. Z4, (incomplet de 2 feuillets) relié par Lortic, ancienne collection Masséna, (Beineke 1979 496). Un autre exemplaire en main privée, complet celui-là, en provenance des collections Charles Farfaix Murray, Giuseppe Martini, Leo Olschki (Rome, 15 April 1927), S.F. Brunschwig (Cat. Genève, 28-30 March 1955, no. 259), et Pierre Berès. Actuellement en vente à la librairie Govi Rare books LLC. NY, USA). Un 3ème exemplaire répertorié par Melzi et Tosi  et relié avec une édition Bindoni de Leandra de Pietro Durante (1517) avait été proposée par le libraire parisien Edwin Tross (1822-1875) dans son Catalogue n°. 19 pour la somme de 300 francs (n° 2532) mais il a disparu depuis lors.

8/ Tutte le opere Del inamoramento de Rinaldo da monte albano Poema elegantissimo nouamento Istoriato: Composto per Miser Dino Poeta, etc …Milan, Fratello da Valle ad Instantia de Nicolo da Gorgonzola, 1521. Il appartenait à la collection Gaignat. British Library (G.11037).

Nous arrivons ainsi à l’édition des frères Bindoni qui n’apparait jamais dans les bibliographies consultées et pas davantage dans les catalogues des bibliothèques publiques. Son titre complet, selon le colophon, est :

9/ Inamoramento de Rinaldo, nelquale se tratta l’aduenimento suo: et in che modo trouo Baiardo: et delle gran battaglie che lui fece  contra pagani ne lequale occise Manbrino et molti altri famosissimi pagani, Et come piu fiate combattere con re Carlo et con Orlando et con gli altri paladini p(er) gli tradimenti di Sano : Et ultimamente de la pace hauta con re Carlo : Et della sua morte. Venise, per Alessandro e fratelli de Bindoni, 2 Décembre 1522. Pet. In-8 de (191) ff ( mq A1 et A8). Bibliotheca Textoriana.

 

Colophon de l'édition de 1522.

Rinaldo rencontre Clarisse, le banquet des noces, la Mort de Rinaldo

Comme le mentionne la librairie Govi, l'édition qui précède la nôtre, celle de 1517, est basée sur le Rinaldo publié par le vénitien Melchiorre Sessa en 1515, dont sont également tirées la fine gravure sur bois imprimée sur la page de titre ainsi que la plupart des vignettes du texte. J’ai comparé cet exemplaire de 1517 (avec le peu de données disponibles sur le site de la librairie) avec mon exemplaire de 1522 pour savoir s’il pouvait y avoir une filiation.

Résultat, la source est bien la même, ce qui n’a rien d’étonnant puisque les trois imprimeurs étaient à Venise. Les vignettes sont très similaires en taille et en motif bien que celles qui apparaissent dans les 2 pages présentées par la librairie Govi présentent des scènes différentes. La mise en page est identique, au point que les vignettes coupent le texte entre les mêmes stances, comme nous pouvons en juger par comparaison des feuillets respectifs L7 et N2. La seule différence notable réside dans la typographie utilisée, l’impression de 1517 est en caractère romain, la nôtre en gothique. La première est plus soignée et au format in-quatro, la seconde correspond à une édition populaire au format in-octavo.




Comparaison des feuillets L7 et N2 des éditions vénitiennes de 1517 et 1522.

D’autres versions suivront celle de 1522, imprimées avec de moins en moins de soin. Les bibliographes notent que la mise en page est de plus en plus compacte, le papier médiocre, et qu’un nombre grandissant de coquilles peut être relevé. L’illustration elle-même est parfois peu logique et utilise des bois de réemploi. Aucune de ces réimpressions ne remontent au texte source :

-           Inamoramento de Rinaldo, A. Torti: Venise, 1533. In-4°.

-           Inamoramento de Rinaldo, Venise, 1537. In-8°.

-           Inamoramento de Rinaldo, Venise, Bartholomeo detto Imperatore, 1547. In-8°.

-           Inamoramento de Rinaldo, Venise, 1575. In-8°.

-           Inamoramento de Rinaldo, Venise, 1640. In-8°.

Il semble que la place de Venise se soit fait une spécialité de ce Rinaldo à la vitalité étonnante.

Mon exemplaire a appartenu à Paul Langeard (1893-1965)[8], un discret bibliothécaire et bibliophile qui habitait à Paris, Place Saint Sulpice et dont tout ou partie de sa bibliothèque fut dispersée à Vannes en 2013.

Paul Langeard était un ancien élève de l'Ecole des chartes. Sa surdité presque complète l'empêcha de postuler une charge officielle et il devint le bibliothécaire de la magnifique collection Marcel Jeanson. Le fond de cette bibliothèque était formé de l'ancienne collection d'Henri Gallice d'Epernay, que Marcel Jeanson avait achetée en bloc à la mort de celui-ci et qu'il augmentait et enrichissait constamment. Paul Langeard dressa le catalogue des livres et manuscrits de Marcel Jeanson. Il possédait de vastes connaissances dans le domaine de l'histoire, de la littérature médiévale et de la paléographie. Il réussit parfois à acquérir des choses fort curieuses, selon son biographe, comme par exemple un roman picaresque espagnol inconnu de 1706, dont il fit l'analyse dans la Revue hispanique[9]. Paul Langeard mettait souvent ses riches fonds de connaissances bibliographiques et paléographiques à la disposition des libraires.

Gageons que Paul Langeard avait dû passer aussi beaucoup de temps à rechercher d’autres exemplaires de son Innamoramento de Rinaldo de Montealbano.

Bonne Journée

Textor



[1] Sarah Baudelle-Michels, « La fortune de Renaut de Montauban », Cahiers de recherches médiévales [En ligne], 12 | 2005, mis en ligne le 30 décembre 2008, consulté le 28 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/crm/2222 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crm.2222

[2] P.Grendler, "Form and Function of Italian Renaissance Popular Books", p. 472

[3] G. Melzi & PA Tosi, Bibliografia dei romanzi di cavalleria in versi e in prosa italiani, Milan, 1865.

[4] « Le développement de la Geste de Montauban en France jusqu'à la fin du moyen âge », François Suard in Medieval Institute Publications, Western Michigan University, 1987.

[5] J. Thomas, « Renaut de Montauban, édition critique du manuscrit Douce », Genève, Droz, 1989.

[6] F. Castets, « La Chanson des Quatre fils Aymon », d’après le manuscrit La Vallière, Montpellier, Coulet, 1909

[7] Ana Grinberg, (Un)stable Identities : Impersonation, Conversion, and Relocation in Historia del emperador Carlo Magno y los doce pares, UC San Diego, 2013. https://escholarship.org/uc/item/92c4d4vk

[8] Nécrologie de Paul Langeard (1893-1965) dans la revue Romania, Année 1965 n° 342 pp.279-288.

[9] Revue hispanique, LXXX, 718-22.


lundi 17 août 2020

L’imprimeur Ludwig von Renchen (Actif à Cologne entre 1483 et 1505)

Un petit ouvrage in quarto du 15ème siècle me donne du fil à retordre. Son imprimeur serait Ludwig von Renchen, il avait installé ses presses à Cologne, une des premières villes d'Allemagne à voir l’imprimerie se développer après Mayence. Le premier imprimeur de la ville fut Ulrich Zell qui avait appris son art dans l’atelier de Gutenberg et qui emprunta ou bien copia les caractères de Schoeffer.  La vie et l’activité de Ludwig von Renchen sont restées assez confidentielles et les bibliographies se disputent encore aujourd’hui l’attribution de ses éditions. 

  

 Feuillet a2r - Prologue dans lequel Rampigollis s’adresse aux membres de son ordre des Augustins à Naples : Incipit: ‘[R]eligiosis atque honestis viris in Christo dilectis fratribus Neapolim conuentus ordinis fratrum heremitarum sancti Augustini, frater Anthonius Rampigollis . . .

Une page du livre

L’ouvrage en question est une compilation des meilleurs préceptes de la Bible, comme on les aimait tant au 15ème siècle, classés dans l’ordre alphabétique pour plus de facilité, en commençant par l’Apathie (Accidia) pour finir par le Bon Zèle (Zelus Bonus) dans une suite d‘une logique implacable. L’œuvre est attribuée à Rampigollis et porte comme titre (quand on a la chance de l’avoir car le mien est manquant) :  "Compendium Biblie quod et aureum alias Biblie Roportorium nuncupatur" mais vous le trouverez à la British Library et ailleurs avec le titre générique de toutes les autres impressions (car il fut souvent réimprimé ) à  l’entrée : "Aurea Biblia, sive Repertorium aureum Bibliorum" [1]. En fait seul le prologue serait d'Antonius d'Ampigolius, prédicateur génois surnommé Rampigollis (1360- 1423) ; Le texte, quant à lui, est donné au frère Bindo de Sienne (ou Bindus Senensis 13..- 1390) [2].

1. La vie et l’activité de Renchen.

Que sait-on de l’imprimeur ? Les premières références à Ludwig von Renchen se trouvent dans les notes manuscrites du chanoine de Cologne Konrad von Büllingen [3]. Dans ses "Annales typographici Coloniensis", il rapporte : "Né à Renchen, un village de Lotharingie, il fut en activité de 1485 à 1489, de sa presse sont sortis quelques livres d'église et un Passionel allemand, qui est rare, et s'il est complet, bien payé. Après l'année 1489, nous perdons sa trace et il est sans doute mort prématurément". Ce village de Lotharingie, c’est Kehl an der Rech. Autrement dit, il serait né dans la banlieue de Strasbourg, de l’autre côté du Rhin.

Quelques mentions dans les registres de la ville et les colophons de certaines de ses impressions nous apprennent tout le reste : Le premier livre où il se désigne est daté du 31 janvier 1483, c’est un missel romain, ce qui laisse penser qu’il a monté son atelier dans la seconde moitié de 1482. Le 4 octobre 1482, les chroniques de la ville de Cologne rapportent qu’un ouvrier de Von Renchen est arrêté et retenu prisonnier au château de Wildenburg. Nous apprenons à cette occasion que Ludwig von Renchen possédait déjà la citoyenneté de la ville de Cologne. Dans les colophons, il aime préciser cette qualité de bourgeois de la ville, comme dans l’exemplaire de la Légende dorée de Jacques de Voragine de 1485: "gedruckt durch mich Lodovvich van Renchen, burger tzo Coellen".

Colophon de la Légende dorée de Jacques de Voragine

On ne sait toujours pas comment Ludwig von Renchen a obtenu ses droits civiques. Son nom ne figure pas dans les listes des nouveaux citoyens, on ne le retrouve pas dans les listes de la guilde de Fischmenger, à laquelle les imprimeurs étaient affiliés à cette époque, et il ne compte pas parmi les étudiants de l’université. Il est possible qu’il ait acquis cette citoyenneté par son mariage mais rien ne dit qu’il ait épousé une femme de Cologne.

Nous sommes mieux renseignés sur les différentes adresses de son atelier. Dans les registres de l’évêché, il est consigné que Ludwig von Renchen et sa femme Sophia ont pris une maison à la Porte de Mars (Marspforte), l'Erbschaft Syvertzkapelle, le 27 septembre 1485 pour 10 florins rhénans en prêt héréditaire.

Après quelques années seulement, le 22 avril 1490, Ludwig von Renchen vend le bâtiment et installe l'atelier d'imprimerie dans la grande Neugasse, dans la maison à l’enseigne de la Roue (Haus zum Rad).  Cette adresse apparait au colophon de plusieurs impressions, comme le Cisioianus, un calendrier donné par l’ISTC comme "about 1485" mais nécessairement postérieur [4], où on lit : "yn der nuwer gassen",  ainsi que dans l’Aureum reminiscendi d’Hermann von dem Busche : "in nova platea in rota". 



L'exemplaire a été soigneusement rubriqué

Notre imprimeur ne se contentait pas de diriger son imprimerie, il semble qu’il ait eu aussi des fonctions de trésorier pour la ville ou un rôle municipal quelconque. En 1493, un droit d'accise a été perçu par lui pour l'importation de livres. Son nom est également cité dans une pétition de 1501, pour en appeler à Rome, auprès du pape Sixte V, à l’encontre de l’ordonnance qui autorisait l’université de Cologne à exercer sa censure sur les livres jugés hérétiques, ce qui fut sans doute le cas pour une de ses productions,  et peut-être même cette Biblia Aurea, car, chose curieuse, ce livre, bien que destiné aux prédicateurs, n’a pas plu à la censure ecclésiastique et il fut mis à l’index plus tard sous le pontificat de Clément VIII !

2. L’attribution de l’Aurea Bibliae à Ludwich von Renchen.

Comme pour la plupart des publications de Von Renchen, ce dernier n’a laissé ni nom ni date sur l’Aurae Bibliae mais cette impression lui est traditionnellement donnée par tous les bibliographes par comparaison avec les caractères typographiques d’autres ouvrages mieux documentés [5].

Le problème est qu’il existe 2 impressions distinctes, bien différentes, du texte sorti de ses presses qui sont aujourd’hui considérées par la British Library comme publiées à la même date, en 1487. C’est en se fondant sur un exemplaire conservé à Wurzburg qui a été rubriqué en 1489, qu’il est possible de dater approximativement l'impression de 1487. Or, l’exemplaire de Wurtzburg est répertorié sous la référence ISTC ir00018000. Donc, rien ne dit que l'autre édition, ISTC ir00018500, la mienne, ne pourrait pas être légèrement postérieure à 1489 [6]. D’ailleurs, les anciennes bibliographies donnaient les dates de 1473, 1487 ou 1490 [7].

Feuillet A1v de l’édition ISTC ir00018000 de Dusseldorf


Feuillet A1v de l’édition ISTC ir00018500 de l’exemplaire Textor


Notice d’un libraire collée sur l’exemplaire Textor

Les deux textes se distinguent nettement par un jeu de caractères provenant de fontes très différentes. Cette différence se voit au premier coup d’œil, notamment par le I de départ, plus tarabiscoté sur mon exemplaire, mais de manière générale par le style plus rond des lettres pour l’autre émission. La différence est si grande que Joachim Schüling doute de l’attribution de l’Aurea Bibliae ISTC ir00018500 à Renchen [8] ! Son explication est assez technique (surtout pour les profanes qui n’ont pas fait d’allemand depuis 40 ans) mais convaincante :

Personne ne semblait jusqu’alors contester les recherches faites sur les incunables par des experts aussi reconnus que Proctor ou Vouillème. Proctor a été le premier à attribuer un grand nombre d'impressions avec une police de caractère de type rotunda à l’atelier de Renchen, bien qu’il ait mis certaines réserves pour un groupe d’entre elles : "Ce groupe de livres est conjecturalement attribué à Ludwich von Renchen en raison de la présence de son type 2 dans l'un d'entre eux ; mais il ne s'agit pas nécessairement de productions de sa presse."

Page sur les bons anges. On remarque que le rubricateur a utilisé 2 couleurs  : le rouge et le jaune, la seconde s'est moins bien conservée.

Joachim Schüling reprend le travaille à zéro et démontre qu’on ne trouve pas un certain N bastarda "soufflé", qui, est en fait une caractéristique de l'écriture de la rotunda de Renchen : "Le caractère rotunda avec bastarda-N "soufflé" a été assimilé à tort au Type 9 de Renchen, mais il présente des caractéristiques complètement différentes de celles du caractère de Ludwig von Renchen". Je vous passe les détails techniques sur la forme d’un N beaucoup moins raide, d’un U plus étroit, du crochet inférieur de l'abréviation "con" à peine plié vers la droite et des ligatures pour be, pe et ve, etc … Or, la police de caractères rotunda avec bastarda-N et les autres caractéristiques différentes de la police 9 se retrouvent dans le Compendium bibliae de Rampigollis ir00018500.

Il en conclu que cette police ne peut pas être donnée à Renchen mais qu’elle peut être clairement identifiée à celle d’un ouvrage de la Bibliothèque de Munich où l’imprimeur a eu la bonne idée de laisser une mention manuscrite avec son nom. C’est un exemplaire du livre de Johannes Vivetus, Tractatus contra daemonum invocatores dans lequel il est dit à la fin du texte : "Impressum per me, Vdalricum Geyswincz de Haydelberg, anno dom(ini) 1489".

Ruhling rappelle qu’un de ses prédécesseurs, Karl Schottenloher, avait déjà demandé, lors de la publication de la mention manuscrite, que les activités de l'imprimeur de Cologne Ludwig von Renchen soient clairement distinguées de celles d'Ulrich Geyswinz.

Cette analyse, pourtant bien étayée, n’est pas encore complètement acceptée par la communauté des conservateurs puisque la Bibliothèque de Berlin indique en marge d’une analyse sur les types de Renchen : "Selon Schüling, certaines impressions précédemment attribuées à Renchen sont celles d'Ulrich Geyswinz de Heidelberg ; ce point doit faire l'objet d'une enquête plus approfondie" [9].

Un lecteur attentif a signalé d’une manicula insistante un passage important.

La bibliophilie est une maitresse exigeante et ingrate. J’ai passé plusieurs heures à rechercher des informations sur un imprimeur quasiment inconnu pour finir par découvrir que mon livre ne serait peut-être même pas imprimé par lui mais par un autre imprimeur encore moins connu, lequel s'est contenté de laisser son nom à la plume en guise de colophon, le comble pour un imprimeur. Je crois que je vais me consoler en me disant que je tiens là un livre rare d’un atelier qui a très peu produit puisqu’un groupe de 6 titres seulement peut lui être attribué.

Bonne journée

Textor



[1] Le titre ‘Aureum Reportorium Bibliae' est mentionné dans l’explicit, au folio y5v.

[2] Exemplaire rubriqué en rouge, avec une grande initiale R peinte en rouge et décorée d'un portrait à la plume (f.a2r°). GW : M36979. ISTC ir00018500

[3] La plupart des informations de cet article sont tirées de l’étude faite par Joachim Schüling in « Der Drucker Ludwig von Renchen und seine Offizin: Ein Beitrag zur Geschichte des Kölner Buchdrucks ». Harrassowitz Verlag, Wiesbaden 1992.

[4] D’ailleurs le Gesamtkatalog est plus précis : [Köln: Ludwig von Renchen, um 1485] [vielmehr 1491].

[5] C 5025; Voull(K) 1001; Pell Ms 9968 (9759); CIBN R-14; Polain(B) 3298 = 3299; Sajó-Soltész 2904; IBP 4670; IDL 3871; Finger 826; Bod-inc B-345E; Sheppard 953; Pr 434; GW M36979.

[6] Mon exemplaire est représenté dans les institutions publiques par un nombre de copies plus faible que l’autre émission (24 occurrences contre 42).

[8] Il ne fait pas référence à l’ISTC mais au Gesammtkatalog : GW M36979

[9] https://tw.staatsbibliothek-berlin.de/of0615