samedi 25 juillet 2020

Le graduel de l’abbaye cistercienne de Bronnbach (XIVème siècle)

L’invention de l’imprimerie a porté un coup fatal aux vieux manuscrits copiés laborieusement par les moines dans leur scriptorium. Cependant les relieurs ont fait œuvre de conservation, sans le savoir, en réutilisant des morceaux de manuscrits comme claies ou comme doublures. J’en ai plusieurs exemples dont l’un formant le cartonnage est constitué d’une bonne quinzaine de feuillets in-folio pour chaque plat, feuillets collés l’un à l’autre, ce qui doit représenter une partie non négligeable du manuscrit original.

Aujourd’hui ces fragments de textes font l’objet d’études savantes car ils permettent parfois de retrouver un écrit perdu de l’Antiquité. Certaines recherches poussées, comme l’analyse ADN du support, facilitent le regroupement des fragments et leur lecture. Tel est le cas pour les manuscrits de la Mer Morte, par exemple.

Tous ces morceaux épars ne sont pas des chefs d’œuvres disparus, le plus souvent il s’agit tout simplement d’antiphonaires, de livres liturgiques déclassés, de psautiers ruinés par les souris.

Les deux pages de manuscrit que je présente aujourd’hui font partie de ceux-là, mais elles possèdent une particularité : les psaumes sauvegardés appartenaient à un graduel, c’est-à-dire à un livre de chants liturgiques et ils contiennent une notation musicale ancienne : les neumes, ancêtres des notes de la gamme.  

Page de manuscrit contrecollée sur le plat supérieur du livre. 

Détail de la page du graduel 


Plat de la reliure en peau de porc estampé

Le neume est un signe graphique (du grec neuma, signe) que l'on plaçait au-dessus des syllabes à chanter. A l’origine la musique n’était pas notée, le moine ayant retenu par cœur la mélodie. Puis l’habitude fut prise d’indiquer les intonations par des signes. Les neumes décrivent ainsi des petites formules mélodiques appliquées à une syllabe, chaque type de neume correspondant à une figure mélodique et surtout rythmique particulière.

Les premières traces de cette pratique remontent à la charnière des VIIIe-IXe siècles, autant en occident que dans l'espace byzantin. Le creuset en serait la Renaissance carolingienne et correspondrait aux efforts d'unification de l'empire par Charlemagne.

La notation neumatique dérive des accents grammaticaux ; Les neumes n'étaient autres que les graphies pour l'écriture manuscrite.  L'accent grave se transforma en un simple trait puis en un point, le punctum, tandis que l’accent tonique créa la virgule (ou virga). L'accent circonflexe donna la forme du clivis. D’abord sans disposition spatiale, ces neumes furent composés entre eux et étagés pour former un ensemble de signes de bas (grave) en haut (aigu). Ainsi les 4 neumes de base donnèrent le scandicus (punctum + virga), le climacus (virga + punctum), le torculus (pes +  clivis), etc…

Cette graphie se perfectionna peu à peu et gagna en précision, d’abord sans ligne, puis avec une ligne à la pointe sèche ou de couleur pour repère, comme on le voit dans le Graduel de Sainte Cécile de Trastevere, conservé à la fondation Bodmer,[1] le scribe finit par écrire les neumes à des hauteurs différentes sur plusieurs lignes (de deux à quatre). En s'inscrivant sur cette portée, les neumes se déforment et évoluent progressivement d'une notation initialement cursive vers une notation gothique (qui donnera finalement la notation carrée classique).

Alors même que la mélodie du chant grégorien présente une remarquable uniformité, les neumes anciens se caractérisent par la diversité des notations utilisées. Chaque région développait sa propre graphie, notamment entre les Xe et XIIe siècles. Cependant, leurs formes peuvent être classées en deux groupes : point ou accent. Comme chaque scriptorium avait son style et ses usages particuliers, un spécialiste de cette écriture musicale est capable de retrouver l’abbaye qui a produit le manuscrit et la date de fabrication.

Bien que n’étant nullement compétent sur ce sujet compliqué, je pense qu’il doit être possible de déterminer l’origine et la date des deux pages manuscrites de mon livre.

L’ouvrage que recouvre la reliure est la seconde édition de l’œuvre de Saint Augustin imprimé par Martin Flach à Strasbourg en 1491. Il fut acquis par les moines de l’abbaye de Bronnbach, une ancienne abbaye de moines cisterciens fondée en 1151, dans la ville actuelle de Wertheim. C’est eux qui réalisèrent la reliure en peau de truie estampée. Ils ont laissé leur ex-libris sur la page de titre et les fers sont de facture toute germanique, ce qui ne laisse aucun doute sur la présence du livre dans les locaux de l’abbaye à la fin du XVème siècle.

 

L'Abbaye de Bronnbach aujourd'hui

 Un motif de la reliure   

 

Si la reliure a été réalisée au sein de l’abbaye, le moine-relieur s’est servi des matériaux qu’il avait sous la main et il a pu se dire que ce vieux graduel, copié par ses prédécesseurs des décennies plus tôt, ferait très bien l’affaire. Il n’était même pas nécessaire que le manuscrit fût dégradé car, à la fin du XVème siècle, la notation carrée sur des lignes avait fini par s’imposer jusqu’à substituer complètement la notation par neumes et elle entraina la mise aux archives ou la destruction des manuscrits anciens devenus démodés, si bien qu’on ne saura plus lire le chant grégorien par neumes jusqu’à sa redécouverte au milieu du XIXème siècle. 

En rapprochant ces signes des tableaux de classification des neumes, je leur trouve certaines similitudes avec ceux de l’abbaye de Saint-Gall, ce qui permettrait de les classer parmi ceux des pays germaniques car le style sangallien y sert souvent de référence. Par exemple, si on examine le premier chant (« Dum steteritis ante reges et praesides nolite praemeditari qualiter respondeatis dabitur enim vobis in illa hora quid loquamini ») on y voit successivement un clivis, un punctus, deux scandicus avec episème (punctus + virga), puis deux punctus, le dernier surmonté d’un C (pour celeriter). La notation sangallienne se distingue par sa précision. L’épisème, petit trait perpendiculaire, à l'extrémité supérieure du virga sert à accentuer la syllabe. Inversement, lorsqu'il faut une note isolée et moins importante, la virga s'accompagne d'une lettre significative (celeriter = accélération), à la place d'un épisème. .  . La valeur et la durée de note diminuent, par rapport à une autre note voisine, plus important dans le contexte.

Donc j’opterai pour un graduel d’origine bronnbachien. Mais j’accepte la contradiction. 

On voit que l’enlumineur a recouvert d’encre rouge le texte du copiste qui avait écrit invitate avec une encre brune. 


Saint Gall. Manuscrit 359 (vers 922 - 926).


La date d’exécution est une affaire plus complexe. La forme et le style des neumes permettraient-ils de dater plus précisément les pages du manuscrit ? C’est la question qui reste à trancher. J’ai quelques hésitations.

La construction de l'église abbatiale de Bronnbach commence en 1157 et le monastère atteint son apogée dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Il comptait alors entre 30 et 40 moines, plus 60 à 120 convers. En conséquence la fourchette maximale se situe entre le XIIème et le XIVème siècle.  La forme des lettres gothiques du texte fait penser à une écriture germanique du XIVème siècle. En revanche, les neumes semblent plus archaïques si on considère que la notation carrée a débuté à partir du XIIIème siècle et qu’ici nous voyons une notation transitoire entre le pur cursif du XIIème siècle et la notation gothique.

Je choisirais donc, sans certitude, le XIVème siècle. Allez, disons 1363, date à laquelle l’abbé Berthold, est nommé à Bronnbach avec une dotation spéciale de deux mille florins, afin de réorganiser le monastère après une période difficile qui vit la ruine des bâtiments et la dispersion de son mobilier. Si on retient cette période, le graduel n’aurait eu qu’à peine 130 ans, ce qui est jeune pour utiliser ses pages en matériaux de réemploi, mais plausible si l’ évolution de la notation musicale l’avait rendu démodé.  

Page manuscrite contrecollée sur le plat inférieure. 

La beauté de l’internet est que qu’il est possible de taper les premiers mots d’un cantique et d’écouter les psalmodies des chants grégoriens comme devaient les chanter les moines de Bronnbach en ayant ces deux pages sous les yeux. Je vous invite donc à écouter le Respondium : Sanctum et verum lumen et admirabile ministrat lucem his qui permansuerunt in agone certaminis. (Corpus antiphonalium Officii, n° 7607) ou bien à vous rendre sur place car aujourd’hui, 700 ans plus tard, l’abbaye de Bronnbach, devenu centre culturel, propose encore des concerts de chants grégoriens lors de son programme d’Eté.

https://www.youtube.com/watch?v=CByojMaIEwo

Bonne journée,

Textor



[1] Cologny, Fondation Martin Bodmer, Cod. Bodmer 74 Parchemin · 128 ff. · 31.2 x 19.6 cm · Rome · 1071 Graduale · Troparium · Sequentiarium (en ligne)

dimanche 19 juillet 2020

L’herbier des pharmaciens de Marmande (1549)

Le De Historia Stirpium ou De l'Histoire des plantes de Leonart Fuchs (1501-1566) est un ouvrage curieux qui attire aujourd’hui les bibliophiles par la beauté de ses représentations de plantes et hier les apothicaires et les médecins pour la science des remèdes qu’il divulguait.


L’édition originale de cet herbier a été donnée à Bâle chez Isingrin en 1542 en version latine avec des bois à pleine page et l’exemplaire que j’ai entre les mains s’intitule "Commentaires tres excellens de l'hystoire des plantes, composez premièrement en latin par Leonarth Fousch, medecin tres renommé : et depuis nouvellement traduictz en langue Françoise, par un homme scavant & bien expert en la matière". C’est la première traduction illustrée en Français, parue en 1549, chez Jacques Gazeau, en la rue Sainct Jehan de Latran devant le collège de Cambrai. L’homme savant en question est Eloy (de) Maignan, docteur en médecine à l'Université de Paris. Le privilège fut accordé par Henri II pour cinq ans à compter du 7 juillet 1547. Les gravures, dont les bois furent achetés directement à Michael Isingrin, sont celles de son édition de 1545. Elles font 12 cm et sont insérées dans le texte, principalement à droite de la page. L'ouvrage en compte 511, soit le même nombre que l'édition originale. 




Quelques pages du livre et sa reliure de parchemin fripé.

Jacques Gazeau ne rééditera pas l'ouvrage et ne réutilisera pas les bois qui semblent avoir passés entre les mains de plusieurs imprimeurs avant de finir à Anvers. En effet, il meurt en 1548 alors que l'impression de l'ouvrage était déjà en cours.

La même année, à Paris, paraît une autre traduction française, publiée chez Benoît Prevost en édition partagée avec Pierre Haultin, par la veuve d'Arnould Birckmann, libraire à Paris entre 1547 et 1549, puis ensuite à Anvers. Les gravures de cette édition sont très proches de celles achetées par Jacques Gazeau, mais Philippe Renouard dans sa bibliographie des éditions parisiennes du XVIe siècle affirme que la veuve Birckmann a fait faire par un graveur des copies de ces gravures de taille réduite, «différentes mais très voisines ». Ariane Lepilliet constate effectivement d’infimes différences [1].

Suivront une trentaine d’éditions jusqu’en 1560, dans différents format, in-4 ou in-8, illustrés ou non, ce qui montre bien le succès éditorial de l’ouvrage qui a révolutionné la science botanique. Certains exemplaires sont coloriés, ouvrage de luxe qui valent 10 fois le prix d’une édition courante et qui sont de ce fait souvent mieux préservés que les éditions utilisées par les médecins et les apothicaires. 

Leonart Fuchs avec Brunfels et Bock sont les pères fondateurs de la discipline ; ils se sont employés, pour des raisons avant tout religieuses, à classer et corriger le savoir botanique, jusqu’alors aux mains d’herboristes itinérants et illettrés. Pour cela, il fallait identifier et reproduire les plantes avec exactitude. Fuchs s’est appuyé sur les meilleurs artistes de Bâle : Albrecht Meyer pour le dessin, Heinrich Fullmaurer pour la transposition sur bois et Veit Rudolf Speckle pour la gravure.  L’illustration magistrale par son élégance et son exactitude comprend des figures de plantes, d’arbres et de fleurs, dont plusieurs d’entre elles trouvaient dans cet ouvrage leur nom définitif ou étaient décrites pour la première fois, comme le maïs, encore appelé blé d'Inde.

Le Mouron Mâle

Mais ce fut sans doute moins la beauté des gravures que la précision du dessin qui intéressèrent plusieurs générations de pharmaciens de la ville de Marmande qui l’annotèrent copieusement, parfois en latin, parfois en grec, mais le plus souvent en français. Ils notaient la vertu de telle ou telle plante, le nom sous lequel il la connaissait plus communément, leurs effets curatifs ou la manière de l’utiliser. Ainsi au chapitre 119, nous lisons au sujet des iris bien connues pour dilater la rate : "…. Peller une racine longue de quatre doig toute leste et presser le jus dans un linge tant qu’il en peut donner. (verser) dans ung cuiller d’argent et le boire avec ung jaune d’œuf …. ou du lay ». J’ai essayé, çà marche ! (Mais on peut remplacer le lait par du Porto).

Un remède à base d'oignons d'Iris.

Dans certains cas, sur l’indication d’un client qui rapportait avoir été soigné quasi miraculeusement par l’effet conjugué d’une prière à la Vierge Marie et d’une plante appelée Bec de Cigogne ou Rostrum, le pharmacien notait la prière en marge du livre, au cas où, pour le prochain patient : «Rostrum - Rejouysses vous Marie de ce qu’estant saluée du messager des cieux vous aves conceu le verbe divin en vos sacrées entrailles avec un contentement infiny de votre ames tres saincte ».

Prière associée à l'emploi du Bec de Cigogne ou Rostrum

Bien plus qu’un document de travail, l’ouvrage fut un véritable registre d’entrée pour les collaborateurs d’un maitre-apothicaire de Marmande dénommé de Fauché. 

Le premier à avoir eu cette idée fut Jean Bonnet, pharmacien en 1616. A vrai dire, je ne sais pas s’il travaillait chez de Fauché, il a juste laissé une mention sibylline : «Johannes Bonnetus pharmacopeus anno domini 1616. » qui pourrait passer pour un ex-libris s’il n’était suivi, juste en dessous de cette première mention, de différents petits textes plus explicites. Chaque nouveau pharmacien consignait la date de son arrivée et laissait un petit hommage au très vénéré Maitre-Apothicaire. Ceux qui sont lisibles sont inscrits sur le dernier feuillet blanc mais il devait aussi en exister sur le premier feuillet blanc qui est manquant. Quand le premier feuillet fut rempli, les apothicaires suivants portèrent leurs textes sur le premier plat en vélin mais ceux-ci sont à peine lisibles sur la reliure, sauf l’un d’eux où se devine les mots pharmacopeus et marmandiensis plus une date : 1678.  

En revanche la mention latine manuscrite du sieur Mouret datée du 16 Avril 1678 et celle d’un certain Depréville dit Cosnard de 1680 sont bien lisibles.



Les mentions sur le dernier feuillet blanc.

Je traduirais approximativement le texte de Mouret comme suit : « Je soussigné, Mouret, déclare que je suis entré chez Maitre de Fauché, pharmacien très expérimenté et le plus reconnu de cette ville de Marmande, le 16 avril 1678, à qui je promets en retour toute ma fidélité et mon respect. [2]»

Le texte de de Préville est encore plus révérencieux, pour ne pas dire obséquieux [3]

J’ai qualifié ces personnes d’apothicaires, mais en réalité, (et c’est ce qui m’a tout de suite frappé dans ces mentions) les mots utilisés sont "pharmacopeus" et "pharmaciae" au sens de pharmacien, alors que je croyais que le terme en usage jusqu’au 18ème siècle était apothicaire.

De fait, si l’on en croit Charles-Henri Fialon (1846-1933), créateur du Musée de la pharmacie de la Faculté de Paris V,  membre de plusieurs sociétés savantes et grand historien de sa profession,  le terme pharmacien ne s’était pas encore imposé au 17ème siècle. La première occurrence serait de 1609. Il faudra attendre bien plus longtemps pour que « apothicaire » prenne une tournure légèrement péjorative et que Louis XVI transforme leur société de "Jardin des Apothicaires" en "Collège de Pharmacie".

Dans une communication très documentée, prononcée au congrès de la pharmacie en 1920, C-H. Fialon conte à ses confrères l’histoire des mots "Pharmacien" et "Apothicaire" [4].

Depuis l’antiquité l’art d'employer les médicaments - ou les poisons - s'appelait "pharmakeia". Ce mot grec de pharmakeia ou pharmacie est arrivé jusqu'à nos jours sans éclipses dans le sens d'art pharmaceutique. La civilisation romaine, le moyen âge, la Renaissance ne cessèrent de l'employer dans ce sens. En revanche le mot de "pharmaeus" ou "pharmacien", c’est-à-dire le boutiquier qui prépare et vend des remèdes, n’existait pas.

M. Fialon, se fondant sur des études précédentes, nous dit que le mot pharmacien a été employé en province longtemps avant de l'être à Paris et qu’il l’a rencontré pour la première fois dans le Grand Dispensaire de Jean-Jacques Wecker, traduit par Jean du Val, docteur médecin d'Issoudun (Genève, 1609, folio 4, v°) : "Préface du traducteur aux Pharmaciens françois", dont l'Epître dédicatoire est datée du 25 octobre 1607; puis dans les Œuvres pharmaceutiques de Jean de Renou, traduites par Louis de Serres,, Dauphinois, docteur en médecine, agrégé à Lyon (Lyon, 1624, page vii : "Préface du traducteur à tous les vrays pharmaciens français" ; enfin, dans une lettre de Guy Patin (Lettres, édition Reveillé, Paris, tome II, page 191), qui, en 1665, demande à Charles Spon de lui indiquer "quelque auteur pharmacien" qui ait décrit les pilules de Francfort.

Et il poursuit en épluchant des registres corporatifs à Saintes et à Marennes où le terme pharmacien semble s’imposer à partir de 1640. Et encore, avec une nuance entre les deux mots. Pharmacien désigne plutôt celui qui est expert en "l'art de pharmacie". Au contraire, apothicaire continue à désigner exclusivement celui qui exerce la profession, qui tient boutique. Tous les "pharmaciens" ne sont pas établis "apothicaires", et il y a des "apothicaires" qui sont de mauvais "pharmaciens".

Il est donc, sinon bizarre, du moins très nouveau, qu’à Marmande, c’est sous le nom de pharmaciens que de Fauché et ses collaborateurs préféraient qu’on les appelle, dès 1616.

Au Lecteur

Maintenant, il ne reste plus qu'à trouver quelques amis à Marmande qui puissent poursuivre les recherches aux archives départementales pour trouver des traces de cette officine et de ses illustres experts en pharmacie.

Bon Dimanche,

Textor

 


[1] La meilleure source sur ce livre est l’étude très sérieuse d’Ariane Lepilliet, « Le De Historia Stirpium de Leonhart Fuchs : histoire d'un succès éditorial (1542-1560) » in Master Cultures de l'Écrit et de l'Image, Mémoire de master 1, juin 2012, pp. 60 sq.  https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/60360-le-de-historia-stirpium-de-leonhart-fuchs-histoire-d-un-succes-editorial-1542-1560.pdf 

[2] "Ego infra scriptus ingressuae sum apud dominum De fauché pharmaciae perittissimum et in ista urbe Marmandica celeberrima probattum die vero sexdecimo mensi aprili anno domini millegïmo sexagesimo septuagesimo octavo cui omnem fidelitattem atque reverentiam reddere promitto (signé) Mouret." 

[3] "Ego infra scriptus ingressus sum Dominum Fauché Pharmaciae, necnon totius generaliter Medicinae Scientiae admodum eruditum, in ista urbe marmandensis celeberrima probatum, anno domini millesimo sexcentesimo octogesimo, die decimo octavo mensis julii. (18 juillet 1680) Cui fidelitatem atque reverentiam reddere ac servus humillimus atque obsequiosissimus in perpetuum este promitto. (Signature)"

 [4] https://www.persee.fr/doc/pharm_0995-838x_1920_num_8_28_1378

lundi 13 juillet 2020

Commentaire non imprimé de la Coutume de Bretagne. (1718)

A l’approche des grandes vacances, choisissons de nous intéresser à la Bretagne, cette région fière de son bord de mer, de son air  iodé, indépendante dans ses opinions politiques et religieuses comme dans son droit coutumier. Ceux qui prennent les autoroutes sans péage de Bretagne en savent quelque chose, merci Anne de Bretagne !

J’ai sous les yeux un commentaire de cette coutume de Bretagne qui pose un petit problème d’attribution que la lecture des notices qui lui sont consacrées à la bibliothèque publique de Nantes ne semblent pas avoir résolu.

Qui est l’auteur du Commentaire sur la Coutume de Bretagne, non imprimé, rédigé (ou recopié ?) à Nantes en 1718 par un certain Maitre Guignard du Temple, Avocat, qui n’a pas laissé beaucoup de trace sur internet.

Le titre complet est : Commantaire Sur La Coutume De Bretagne, non Imprimé ; ou Il Est traitté De Plusieures Questions, De droit Et De Pratique, avec Les Arrests rendus Sur Icelles par Maitre**** Ancien Advocat au Parlement de Bretagne Et outre Plusieurs arrests tirés des mémoires Des Plus Celebres Advocats audit Parlement aussy non Imprimés, par Lesquels on void Le Changement qui Cest fait au Pallais Depuis La Refformation de La Coutume En 1580. (Paraphe) J’ay Ecrit Le Present En 1718 : Demeurant chéz monsieur Dumoulin Lainé Procureur au presidial Denantes. Du Temple Guignard. (Signature)

Dos de la reliure avec la mention de Morandière

Page de titre du manuscrit signée par Guignard du Temple

Dans le volume 10 des Annales de la Société Académique de Nantes et du Département de la Loire-Inférieure, 1839, page 222, on lit une notice sur les manuscrits de la bibliothèque publique de Nantes qui décrit un manuscrit de Maitre Morandière, ancien avocat au Parlement. C’est un commentaire sur les coutumes de Bretagne contenant plusieurs belles et utiles observations sur les ordonnances et sur les coutumes des provinces circonvoisines et avec un recueil de plusieurs nouveaux arrêts tiré des mémoires des plus célèbres avocats du parlement de Bretagne, 1711.

Comme la reliure de notre manuscrit reprend le nom de Morandière, il faut en déduire que le texte est retranscrit de ce mémoire.  

En fait, il existe trois manuscrits portant au titre « commentaire non imprimé » à la Bibliothèque de Nantes sous les n° 261, 262 et 263 [1]. Ils paraissent très similaires au nôtre. Notamment le n°262 qui possède un titre quasi identique à ceci près qu’il mentionne le nom de l’auteur d’origine : « Commentaire sur la coutume de Bretagne, non imprimé, où il est traité de plusieurs questions de droit et de pratique, avec les arrests rendus sur icelles, par maistre Pierre Hévin, ancien advocat audit parlement de Bretagne » mais Emile Péhant, conservateur de la bibliothèque, remarque que cet ouvrage n°262, attribué par le copiste du no 261 à Maitre Morandière, ne saurait être entièrement de Pierre Hévin, ce dernier étant mort en 1692. La bibliothèque de Nantes précise dans sa fiche que l’ouvrage fut aussi attribué à Pierre Motais ou Motays.

Il était effectivement non imprimé en 1718 mais il ne le restera que très peu de temps car dès 1725, on trouve une version in-quarto imprimée.

Titre 1er Des justices et Juridictions, ministères et droits d'icelles

Guignard du Temple avais d’abord écrit dans le manuscrit : « J’ay transcrit le présent en 1718 », puis il a corrigé en « J’ay Ecrit le présent en 1718 », comme s’il voulait indiquer par là qu’il en était l’auteur, ce qui est peut-être en partie vrai s’il a rajouté des passages de son cru. Comme il est certainement à l’initiative de la reliure et que celle-ci porte une pièce de titre où il est encore indiqué Morandière et non Hévin ou Motay, il faut en déduire que le fond de l’ouvrage reste inspiré de ce célèbre avocat au Parlement.

Seul un passage par la Bibliothèque de Nantes, en prenant son temps pour comparer ligne à ligne les 3 manuscrits du fonds public avec le nôtre ainsi qu’avec l’édition de 1725, permettrait de trancher cette épineuse question : Qui a copié sur qui ?  Il serait aussi intéressant de savoir s’il y a autant de fautes d’orthographe dans les autres manuscrits car le nôtre est quasiment écrit en phonétique ce qui oblige le lecteur à lire à haute voix pour comprendre le sens des propos.

Ceci dit, cet ouvrage est un précieux témoignage du travail d’un avocat nantais qui a sans doute copié ce texte alors qu’il était encore stagiaire chez le procureur Dumoulin l’Aisné, puis l’a conservé pendant une grande partie de sa vie professionnelle. Il y est revenu régulièrement en mentionnant dans la marge les changements de jurisprudence et les commentaires de ses confrères. On y trouve notamment plusieurs références à Pierre Hévin et au célèbre conteur breton Noel du Fail, dont le recueil « Mémoires recueillis et extraicts des plus notables et solemnels Arrests du Parlement de Bretagne » (1579) parait avoir grandement marqué des générations d’avocats. Les commentaires en marge s'échelonnent de 1718 à 1724. Sans doute qu'après cette date, Maitre Guignard du Temple s'était procuré l'exemplaire imprimé de la Coutume de Bretagne. 

Référence à Noel du Fail

Les Mémoires des Notables Arrêts du Parlement de Bretagne par Noel Du Fail  

Bonne soirée,

Textor





 [1] https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/servlet/ViewManager?menu=public_menu_view&record=eadcgm:EADC:D27010348&setCache=all_simple.PUBLIC_CATALOGUE_SIMPLE_MULTI&fromList=true&source=all_simple&action=public_search_federated&query=PUBLIC_CATALOGUE_SIMPLE



dimanche 12 juillet 2020

Un livre d’arpentage romain : Le De Agrorum conditionibus et constitutionibus limitum. L’exemplaire de William Cecil (1554)

Lorsqu’un livre rejoint ma bibliothèque, commence un long travail de recherches sur les différents personnages qui ont tous contribués à l’histoire du livre : L’auteur, l’éditeur, l’imprimeur ou le typographe, le relieur, parfois le fabricant du papier et enfin le possesseur. Pour cette première notice, inaugurant le blog, je choisis de commencer par le possesseur. En fait, seulement l’un des possesseurs, celui qui a laissé ses armes sur la reliure.

Trouver les informations utiles peut relever du parcours du combattant, surtout lorsque le livre vous a été vendu avec une vague description : "Reliure aux armes non identifiées, probablement anglaises, dorées sur les plats au XVIIe ou au XVIIIe siècle" et qu’à la fin des recherches on réalise que les armes sont parfaitement identifiables et qu’elles sont du XVIème siècle !

Reliure aux armes 

William Cecil, baron de Burghley (1520-1598)

Il s’agit d’un livre d’arpentage romain ; c’est l’édition princeps des recueils des plus célèbres arpenteurs latins sur le droit de bornage et la cartographie. Depuis que Romulus a tracé les fondations de Rome en dessinant un carré au sol avec sa charrue, les romains ont une passion pour le bornage et l’arpentage. Ils avaient un terme pour cela : agrimenseurs (du latin agrimensores, mesureurs du champs). La première mention d'un agrimenseur professionnel est due à Cicéron : il nous a laissé le nom d'un certain Lucius Decidius Saxa, qui était employé sous les ordres de Marc Antoine à l'arpentage des camps militaires.[1]

L’ouvrage a été publié par Pierre Galland et Adrien Turnèbe à Paris en 1554, d'après un manuscrit de l'abbaye de Saint-Bertin à Saint-Omer, rassemblant les écrits de Frontin, Siculus Flaccus, Hygin le Gromatique, Aggenus Urbicus et d'autres arpenteurs romains. L'ouvrage est illustré de 156 bois gravés dans le texte, dont certains à pleine page et un sur un papillon hors texte, présentant divers aspects de l'arpentage, la géométrie, l'agriculture et la géographie, d'après les illustrations du manuscrit.




Quelques pages du livre

Les armes appliquées sur les plats sont celles de William Cecil, baron de Burghley (1520-1598). Il s’agit de la marque n°1 sur les quatres recensées par la Bibliothèque de l’université de Toronto.[2]

William Cecil fut un personnage de premier plan sous les Tudor. Son habileté politique lui permit de rester au pouvoir malgré les changements d’influence : protégé de Somerset au début du règne d’Édouard VI, il survécut à la disgrâce de son maître, parvint à demeurer en grâce sous Marie Tudor, qui l’obligea à se convertir au catholicisme. Dès l’accession au trône d’Élisabeth (1558), il devint son principal secrétaire ; jusqu’à sa mort il joua le rôle d’un véritable inspirateur de l’action royale, avec des titres divers, celui de lord trésorier par exemple ; Il fut élevé à la pairie en 1571. Il sut créer un réseau de fidélités à la Cour et au Conseil privé, s’assurer le concours d’espions nombreux dans tous les groupes de la société, choisir avec bonheur les clans qu’il appuierait et ceux qu’il devrait combattre ; il a surmonté l’hostilité de bien des favoris d’Élisabeth, comme Leicester et Essex. Champion de la cause protestante en Angleterre, lié aux réformés écossais, il a constamment cherché à resserrer les liens avec l’Europe protestante, espérant durant un temps une alliance avec la France de Coligny. Il a été le plus résolu des adversaires de Marie Stuart, l’avocat de son emprisonnement et de son exécution. [3]

Jean Paul Fontaine, dit le Bibliophile Rhemus, ayant retrouvé la référence du catalogue de vente de la bibliothèque de Burghley en 1687. Il ne me restait plus qu’à retrouver mon livre dans le catalogue qui est conservé à la BNF pour être certain que la reliure et les armes étaient d’origine. C’est chose faite. Il figure sous le numero 52 du catalogue de la vente ; Une grande partie de la bibliothèque de Burghley a été vendue par T. Bentley & B. Walford, libraires à Londres sur Ave Mary Lane, le 21 novembre 1687.

Le jour de la visite à la BNF fut un jour de chance car le catalogue contient plus de 3700 références classées par thèmes très généraux et par formats de livres, Je ne savais pas où chercher un livre d’arpentage romain, mais en ouvrant le catalogue au hasard page 20, je suis tombé sur le nom de l’auteur en quelques secondes. J’aurais tout aussi bien pu passer plusieurs heures à rechercher le titre de l’ouvrage !

La bibliothèque était impressionnante, des livres de toutes matières, en latin, français, espagnols, italiens, des manuscrits, etc. Ces livres sont de qualité et choisis avec soin, précise la note introductive de Bentley et Walford. Le bibliophile qui a assisté à la vente à Londres a noté à la plume le prix de vente et parfois le nom de l’acquéreur. Le prix réalisé lors de la vente est souvent à 2 chiffres comme on le voit page 20 mais il est à 3 chiffres pour les manuscrits. Il pourrait s’agir de Pound / Shilling / Pence pour les manuscrits et de Shilling / Pence pour les imprimés. Le De Agrorum a été vendu pour 1 shilling et huit pences, dans la moyenne de prix des livres de philologie et d’histoire. Le catalogue de la vente, quant à lui était vendu pour 6 pences (Catalogues are distributed at 6 d. per book ) donne des détails intéressants sur les conditions de la vente.[4]



Catalogue de la vente de la bibliothèque de Cecil William en 1687 (BnF).

La magnifique bibliothèque du Baron de Burghley, ministre d’Elisabeth 1ere mériterait un chapitre dans le prochain tome des Gardiens de Bibliopolis !

Bonne journée,

Textor.

 


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Arpenteur_romain  

[2] https://armorial.library.utoronto.ca/content/cecil-william-1st-baron-burleigh-1520-1598-stamp-4 

[3]   Voir Sandra di Giusto, les Chroniques de l’Histoire, 13 Sept 2020, chronique consacrée à William Cecil le jour de son cinq centième anniversaire.

[4] Le même ouvrage a fait 2500 GBP à une vente Sotheby en 2018.