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samedi 31 mai 2025

Le Premier Livre des Vers de Marc Claude de Buttet, savoisien (1561)

 Il y a un an jour pour jour, la Bibliotheca Textoriana présentait la première édition séparée du poème Amalthée de Marc Claude de Buttet, parue à Lyon, chez Benoit Rigaud, en 1575. Ce fut l’occasion de rappeler la vie et l’œuvre de ce poète, largement méconnu aujourd’hui, ami de plusieurs membres de la Pléiade et certainement le meilleur poète savoyard de son temps.

Page de titre du Premier Livre des Vers (1561)

Autour de 1546, Marc Claude de Buttet, né à Chambéry, vient étudier à Paris, au collège de Coqueret, sous la férule de Jean Dorat, éminent helléniste. Il y croise de jeunes étudiants qui rêvent de gloire et de poésie tels que Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay ou Guillaume des Autels. Marc Antoine de Buttet se fait remarquer à la cour par le cardinal Odet de Châtillon, frère de l'amiral Gaspard II de Coligny, qui le fait entrer dans le cercle de la princesse Marguerite de France, Duchesse de Berry. Alors qu’il commençait à se faire une petite réputation de poète dans les cercles parisiens, il choisit de suivre sa protectrice à Chambéry lorsqu’elle s’installa sur ses terres savoyardes après son mariage avec le Prince Emmanuel Philibert de Savoie, le 10 Juillet 1559. Le mariage, endeuillé par la mort du roi Henri II, fut l’occasion pour de Buttet d’écrire un épithalame, comme l’avaient fait de leur côté Ronsard et Du Bellay. [1]

Epithalame à la Duchesse de Savoie, première de toute une série d’œuvres que Buttet dédie à sa protectrice jusqu’à sa mort en 1574. Réédité ici en annexe du Premier Livre des Vers.

Le poète savoisien aurait beaucoup écrit selon son ami Louis de Richevaux [2] mais assez peu publié. Le poète ne recherchait pas la gloire mais se contentait de la compagnie de ses compatriotes, réunis dans le château des Buttet, près du lac du Bourget, qui se firent appeler le Cercle de Tresserve. Nous savons, parce qu’il en parle dans son ode VI adressée à Madame de Saint Vallier (Claudine de Miolans) qu’il avait écrit un poème épique sur Bérold, l’ancêtre mythique des ducs de Savoie, mais cette pièce s’est perdue.

Sarah Alyn Stacey, grande spécialiste du poète, a dénombré moins d’une dizaine de courtes publications (Apologie pour la Savoie contre les injures de Barthélémy Anneau, Ode à la Paix pour célébrer le traité de Cateau-Cambraisis, Epithalame pour le mariage de la Duchesse de Savoie, Ode Funèbre sur la mort du Roi, etc). Elle a même retrouvé deux pièces inédites aux archives de Turin l’une intitulée Chant de Liesse (1563) [3] après la convalescence du Duc, l’autre Sur La Venue de Tresillustre Anne d’Este (1566), pour l’entrée de Jacques de Savoie et d’Anne d’Este à Annecy, pièce reprise dans l’Amalthée de 1575 [4].

Buttet écrit principalement des pièces de circonstance pour ses amis ou ses protecteurs. Comme souvent à cette époque les textes circulent sous forme manuscrite avant qu’il ne se décide tardivement à les rassembler pour une édition. Il nous dit d’ailleurs qu’il lui a fallu retrouver tous ces poèmes éparpillés chez ceux à qui il les avait envoyés.

Et maintenant, lecteur, afin que je ne me montre ingrat de ce peu qu'elles (les Muses) m'ont donné, je t'ai assemblé tout ce que j'ai pu recouvrer de mes vers, lesquels, pour les avoirs nonchalamment délaissés étaient perdus quant à moi. Sans quelques-uns de mes amis et ceux à qui je les avais adressés, qui, plus curieux que je n’en étais à cette heure, m’en ont fait part ; espérant faire encore un volume ayant recouvré le reste [5].

L’essentiel de la production conservée du poète savoyard tient dans son recueil intitulé Le Premier Livre des Vers dédié à tresillustre princesse Marguerite de France, Duchesse de Savoie et de Berri auquel a esté ajouté le Second ensemble L’Amalthée. Comprenez, au premier livre a été ajouté le second livre des vers, puis le poème l’Amalthée. Sous le titre figure l’une des marques de Michel Fézandat accompagnée de son adresse à Paris, au Mont St Hilaire, à l’Hôtel d’Albret. [6]

Cet ouvrage a été publié en 1560-1561. Quelques exemplaires sont à la date de 1560 et la plupart des autres sont datés de 1561, dont le nôtre. La comparaison des pages de titre et du texte montre que les exemplaires de 1561 ne sont pas une seconde édition mais bien la première avec une date modifiée. Michel Fezandat avait sans doute anticipé qu’il n’écoulerait pas tous les exemplaires la première année et il avait prudemment choisi d’en rajeunir le tirage dès l’origine car la page de titre des deux versions est strictement identique en dehors de la date [7].

Peu de bibliophiles ont eu ce volume en main et tous s’accordaient pour dire que l’édition était introuvable. Il existerait même quelques exemplaires portant la date de 1560, disait-on, sans jamais n’en avoir vu aucun.  Mon article de 2024 reprend donc ce commentaire mais il ne faut jamais dire Fontaine, je ne boirais plus de ton eau, car moins d’un an après voilà qu’un exemplaire de cette édition mythique rejoint la bibliothèque [8] !

L’ouvrage contient respectivement vingt-cinq et trente et une odes introduites à chaque livre par des pièces liminaires : Un poème de Buttet entame le premier livre : Muses affin qu’avant ma mort s’arrache/ Mon nom de l’avare tombeau…. Il est en quatorze vers et ressemble à un sonnet sans en avoir exactement la structure. Une ode latine de Jean Dorat, son ancien professeur, précède le Second Livre (F° 36v) De Illustriss. Allobrogium ducis … : à laquelle Buttet répond par une pièce en ver mesuré, à la fin de ce second livre, qui a la particularité d’avoir été typographiée en caractère de civilité (F° 75r). Enfin, Jean Gaspard de Lambert donne une autre pièce latine en exergue de l’Amalthée Io Gasparis Lamberti Camberiani ad M. Clau .Buttetum, suivi d’un texte de Jean Dorat en grec qu’il a lui-même traduit en latin. A la suite de l’Amalthée figure encore une ode en latin de Guillaume des Autels, (F° 109) puis l’Epithalame aux nosses de tresmagnanime Prince Em. Philibert de Savoie…, seul texte qui ne soit pas en édition originale puisque déjà parue en 1559.

Ode de Guillaume des Autels à Buttet.

La version de 1560 de l’Amalthée est composée de 127 sonnets alors que la première édition séparée de 1575 contiendra 320 sonnets et un dizain, Soit 193 morceaux inédits supplémentaires. Nous aurons l’occasion dans un prochain article de revenir sur la comparaison des deux versions de cette œuvre majeure.

La date de composition des Odes n’est pas connue. Elles sont distribuées dans un ordre qui semble aléatoire, en dehors des premières pièces dédiées à Henri II et aux souverains de Savoie. Sarah Stacey a tenté une reconstitution chronologique en fonction du thème et des évènements rapportés. Ainsi les plus anciennes sont antérieur à 1544 comme l’ode XVI adressée à Louis de Buttet car il y est évoqué le Comte de Varas, mort à cette date. Le poète n’avait alors que 14 ans environ. Celle dédiée à la mort de Marguerite de Navarre (Ode VII) se situe entre 1549 et 1550. Les suivantes s’échelonnent entre 1553 et 1559. Le savoyard a donc toujours écrit depuis son plus jeune âge.

Premier Livre des Vers, Ode I

L’imprimeur auquel fait appel Marc Claude de Buttet est Michel Fézandat, actif entre 1538 et 1566. C’est un habile typographe qui imprime pour Jehan Petit, François Regnault et Maurice de La Porte. Il a pour marque la vipère qui mord le doigt de Saint-Paul, ainsi qu’on la voit le Tombeau de Marguerite de Valois.

Page de titre du Tombeau de Marguerite de Valois de 1551, 
époque de l’association entre Michel Fézandat et Robert Granjon.

Poème introductif de Buttet en quatorze vers

Installé au Mont-Saint-Hilaire, en l'hôtel d'Albret, il s'associe en 1542 avec deux autres marchands Bernard Vernet et Guillaume Duboys, chacun apportant dans la communauté cent livres tournois ; pendant cinq ans, ils sont à la fois libraires, imprimeurs et marchands de vin et se partagent tous les frais, notamment la nourriture et les gages de leurs serviteurs

A court d’argent, Fézandat se fait prêter en 1543 quatre cents livres tournois par le marchand libraire Pierre Regnault et doit, pour rembourser sa dette, mettre ses presses au service du libraire.

En 1550 on le retrouve, concluant une association de dix ans avec Robert Granjon, connu pour ses polices de caractères de civilité : à laquelle association ils ont promis et seront tenus apporter et mettre en commung toute la marchandise qu'ils ont de présent de leurd. estat, ensemble les presses, fontes de lettres, poinssons taillez [9]... Leur collaboration ne dura guère plus d’un an puis sa situation s’améliore lorsqu’en 1552 François Rabelais, délaissant l'atelier de Chrétien Wechel, fait appel à lui pour imprimer l'édition définitive du Tiers livre et la première édition complète du Quart livre.

Poème à Jean Dorat, limousin, en vers mesurés. (F°75r)

Les caractères de civilité utilisés par Fézandat au folio 75 du Second Livre des Vers ne sont pas, semble-t-il, ceux de Granjon. Il avait dû forger sa propre police de caractère [10]. Toujours est-il que ce poème retranscrit dans une police de caractères qui n’apparait nulle part ailleurs dans le livre marque la première tentative de Buttet de composer des vers mesurés sans rime à l’imitation des anciens [11]. Il pensait que le français était une langue qui se prêtait à cette métrique et Jean Dorat l’encouragea pour qu’il poursuive dans cette voie. Le poète nous dit dans ce morceau que l’idée d’imiter Sappho l’enthousiasme.  Lorsque je vien à soner d’un luth doux-chantre ma Sapphon, / Et que je pleure l’amour, Ô que ce nombre me plait !

Les vers mesurés sont certes innovants mais pas toujours très agréable à l’oreille. Cette recherche de modernité a conduit à ce que son style soit souvent décrié. Son cousin Jean de Piochet disait même que ses vers clochaient du pied ! Tandis que Jean Pasquier reconnait que Buttet avait été pionnier dans ce domaine mais avec un assez malheureux succès.

Marc Claude de Buttet avait anticipé ces critiques et répondu par avance à ses détracteurs dans la postface de son livre : Je ne doute point que quelque Monsieur le repreneur des œuvres d’autrui ne se veuille formaliser contre moi de ce que je recherche une nouvelle poésie bien différente de l’accoutumée estimant du tout la langue française (qui suivant le naturel de ceux de sa nation a toujours été libre) ne pouvait endurer un frein si rude que de l'asservir aux mesures des anciennes langues. A celui-ci je dirais ce petit mot en passant, que si les latins eussent eu cette opinion de la leur, nous ne la verrions aujourd’hui si excellente, ni tant de divins poèmes qu’ils ont. [12]

Redécouvert au XIXème siècle, les critiques seront moins sévères avec le poète. Paul Lacroix écrivait de lui : M. Cl. de Buttet est incontestablement un des poètes les plus remarquables de son temps. Il se distingue par la pensée, par l’expression et par le rythme…Il a du sentiment, de la passion ; il sait peindre la nature ; il parle souvent le langage du cœur …Il atteint parfois le plus haut degré de la forme [13]

Il est vrai que Marc Claude de Buttet maitrise parfaitement la versification et qu’il sait faire varier le ton de ses odes en fonction du sujet. Le style est solennel pour les grands personnages auxquels il s’adresse : Marguerite de Savoie, Odet de Coligny, Catherine de Médicis, le duc Charles III, Claude de Miolans, François de Seyssel, ou encore lorsqu’il s’adresse aux Muses. Il est lyrique quand il s’agit de célébrer un évènement historique comme la Prise de Calais, funèbre pour commémorer la mort de la Reine de Navarre ou celle du roi Henri II, plus léger quand il s’agit de poèmes amoureux et visiblement joyeux lorsqu’il évoque sa Savoie natale comme dans cette pièce adressée à son ami Philibert de Pingon (Ode VI) : Or que l’hyver s’approche / Pingon, Pingon, vois-tu / La Nivolette roche [14] / Haussant son chef pointu / Toutte de nege blanche : / et les arbres pressés / de glaçons sur la branche, / Se courbans tous lassés ? Et relisez enfin cette description d’un matin d’Octobre tout frais, pâle encore, dans les champs pleins de rosée : Jà, se levait la belle aubette / partant de son nuiteux séjour / Et jà redisait l’alouette / au laboureur qu’il était jour.

Ode VI du livre II

En dédiant ses odes à son cercle d’amis, Marc Claude de Buttet rend hommage au milieu culturel savoyard et met en lumière des personnages qui ne devaient pas être très connus du milieu intellectuel parisien de son époque, pas plus qui ne le sont aujourd’hui. Nous y trouvons Antoine Baptendier, avocat au Sénat de Savoie et poète à ses heures que Jean de Boyssonné, son professeur, considérait comme le meilleur poète de Chambéry. Peletier du Mans, dans son poème La Savoye, fait son éloge : Batendier, de suffisance égale / En poésie et science légale….[15] Et Buttet conseille à Baptendier de délaisser le droit pour la poésie de la nature. Laisse, laisse ces loix rongeardes / Et te per aux champs avec moi / pour voir caroler les Dryades.

La Savoye de Peletier du Mans, Second Livre, 
hommage à Antoine Baptendier.

Parmi les autres membres de la Trouppe fidelle, il y a Jean de Balme, sieur de Ramasse, poète ami de Marot qui n’a, semble-il, laissé aucune œuvre, Louis Milliet, baron de Faverges, syndic de Chambéry et vice-président du Senat de Savoie, Jean de Piochet (1542-1624) cousin maternel de Buttet, dont le livre de raison donne des détails précieux sur la vie de son cousin. Jean de Piochet a participé à la rédaction d’un corpus de notes et de commentaires qui auraient dû accompagner la troisième édition de l’Amalthée, édition qui n’a jamais vu le jour. Enfin Phillibert de Pingon (1525-1582), sans doute le plus connu des proches de Buttet, est successivement vice-recteur de l’université de Padoue, docteur en droit, avocat au Parlement, Premier Syndic de Chambéry et historiographe du Duc, dont l’ouvrage sur la Maison de Savoie est toujours recherché des bibliophiles [16].

Ainsi, grâce à Marc Claude de Buttet et son Premier Livre des Vers, l’activité littéraire de la Savoie à la Renaissance nous est mieux connue et il a fait écrire à Gabriel Pérouse : il comprend la nature et parle souvent le langage du cœur. [17]

Bonne Journée,

Textor

Trois ouvrages de poésies en Savoie au XVIème siècle : 
La Savoye de Peletier du Mans (1572), Le Premier Livre des Vers de Buttet (1561), l’Amalthée de Buttet (1575).



[1] Voir Bibliotheca Textoriana Epithalame sur le mariage de Philibert-Emmanuel de Savoie par Joachim du Bellay du 3 Mars 2025. 

[2] Personnage non identifié, peut-être un pseudonyme de Jean de Piochet, qui a préfacé l’édition de 1575, mais il est curieux que dans le même ouvrage Jean de Piochet ait signé simultanément de son nom et sous un pseudonyme. 

[3] Exemplaire portant un envoi de M.C. de Buttet à Ph. De Pingon.

[4] L’Amathée, Ed de Rigaud, 1575, pp. 104-105.

[5] De l’Auteur au Lecteur, postface du Premier Livre des Vers, folio 121v (1560)

[6] Pour une édition critique récente de ce recueil, voir Sarah Alyn Stacey in Œuvres Poétiques. Le Premier Livre Des Vers. Le Second Livre Des Vers. Les Vers De Circonstance. (3 Volumes). Paris, Honoré Champion, 2022. Édition critique, avec introduction, commentaires et glossaire

[7] C’est l’hypothèse émise par S.A.Stacey

[8] Exemplaire des Bibliothèques de Hyacinthe Théodore Baron et Jean Bourdel, avec leur ex-libris.

[9] Histoire de l'édition française, tome I, p. 251.

[10] Pour en savoir plus sur l’origine de cette police, il faudra attendre que la base BaTyR s’intéresse aux caractères de civilité….

[11] Les vers mesurés (ou strophe saphique) sont composés de 3 vers de onze syllabes (hendécasyllabiques) et d’un vers de cinq syllabes (adonique). Leurs auteurs cherchent à imiter la psalmodie antique.

[12] Le Premier Livre de vers folio 121v.

[13] P. Lacroix in Œuvres Poétiques de M.-C. de Buttet, édit. Jouaust, 1880, I, 36.

[14] La montagne du Nivolet surplombe la ville de Chambéry.

[15] Jacques Peletier du Mans, La Savoye, Annecy, Jacques Bertrand 1572, pp.42. Voir Bibliotheca Textoriana 29 Déc. 2022.

[16] Emmanuel-Philibert de Pingon, Inclytorum Saxoniæ Sabaudiæque principum arbor gentilitia, Turin, héritiers de Nicolò Bevilacqua, 1582.

[17] Gabriel Pérouse, archiviste de Savoie, citant le Bibliophile Jacob in Causeries sur l'histoire littéraire de la Savoie, Chambéry, Dardel 1934, pp. 146.

lundi 3 mars 2025

Epithalame sur le mariage de Philibert-Emmanuel de Savoie par Joachim du Bellay (1559)

 Au XVème et XVIème siècle, les guerres d’Italie furent une longue suite de conflits menés par Charles VIII et ses successeurs pour faire valoir ce qu'ils estimaient être leurs droits héréditaires sur le royaume de Naples, puis sur le duché de Milan. La Savoie, prise entre les deux territoires, fut alors envahie par les français à maintes reprises, conduisant les souverains de Savoie à se tourner vers les Habsbourg.

Philibert-Emmanuel de Savoie qui avait seize ans en 1544 quand François 1er occupa la Savoie, voulut reconquérir les territoires perdus par son père et se montra un vaillant capitaine au service de Charles Quint. Après des conquêtes et des revers, financièrement épuisée, la France voulait en finir, d’autant qu’elle avait désormais d’autres préoccupations avec la montée du protestantisme. Elle conclue une trêve qui lui était assez favorable, célébrée par Joachim du Bellay, la trêve de Vaucelles [1], rapidement rompue par les intrigues du pape Paul IV Carafa (1555-1559). Henri II se lança donc à nouveau dans la bataille mais la défaite de Saint Quentin mit fin à la onzième et dernière guerre d’Italie. Le 2 avril 1559, la France signait le traité avec l'Angleterre et le 3 avril celui avec l'Espagne et le duché de Savoie : c'est la paix du Cateau-Cambrésis.

Page de titre de l’épithalame

Premiers vers de l'Epithalame 

Comme en France tout se termine par un banquet, il fut décidé de célébrer la paix retrouvée par un double mariage : La fille ainée de Henri II, Elisabeth, fut offerte à Philippe II d’Espagne et la sœur du roi, Marguerite de France, à Philibert-Emmanuel de Savoie. C’était une manière diplomatique de resserrer les liens entre les trois pays. Pour Marguerite, le projet de fiançailles datait de plus de sept ans déjà.

La princesse, qui n’était plus toute jeune, était fort instruite et protectrice des poètes. Joachim du Bellay, tout juste rentré de son exil romain, fut choisi pour écrire un épithalame qui devait être joué par les trois filles de son ami Jean de Morel au cours du banquet de mariage. La docte Camille, l’ainée, vêtue en Amazone, aurait donné la réplique à sa sœur Lucrèce déguisée en dame romaine et à Diane figurant la déesse de la chasse, arc et flèches au poing, tandis que leur frère Isaac jouait le rôle du poète [2].

Joachim du Bellay était un familier du couple formé par Jean de Morel et Antoinette de Loynes [3]. Il fréquentait le salon littéraire que ceux-ci tenaient rue Pavée (actuelle rue Séguier), proche de saint-André-des-Arts. Il y croisait Salmon Macrin, George Buchanan, Michel de L'Hospital, Scévole de Sainte-Marthe, Nicolas Denisot…

Mais tout ne se passa pas comme prévu. Henri II ayant reçu un éclat de lance fatal dans l’œil au cours d’un tournoi organisé pour les festivités, la cérémonie de mariage fut précipitée et les réjouissances annulées. L’épithalame ne fut donc pas représenté. Du Bellay dut en avoir des regrets car Jean de Morel proposa qu’il soit joué dans sa maison au cours d’une représentation privée à laquelle, parait-il, assista Ronsard. Maigre consolation pour celui qui attendait certainement une autre exposition médiatique, voire une récompense de la princesse de Savoie pour laquelle il vouait une admiration qui n’était pas feinte. [5]  

Pièce donnée par Charles Utenhove tout à la gloire du poète angevin

Un épithalame est un poème nuptial destiné à célébrer le couple de mariés. Exercice courant à la Renaissance et souvent très convenu. Joachim du Bellay aurait pu en faire un texte purement politique, comme l’avait été la Trêve de Vaucelles. Mais il choisit de donner à son poème un tour léger et intimiste, voire discrètement érotique, dans lequel les trois filles de Jean de Morel tiennent une place non négligeable, à croire que le poète souhaitait autant flatter son ami que Marguerite de France. En effet, du Bellay se montre très admiratif devant leur beauté autant que devant leur éducation. Il fait différentes allusions à leur aspect physique digne de déesses et, ainsi qu’il l’explique dans l’avis au lecteur, il n’a même pas eu besoin de changer leur prénom puisqu’elles portent déjà des noms de divinités. 

La saynète débute curieusement dans la chambre même des jeunes filles, encore couchées dans leur lit, réveillées par leur mère, surprises par le poète, trois vierges haletantes aux tresses blondes. Nous ne connaissons pas l’âge des filles de Jean de Morel mais il apparait que du Bellay ne les considère plus comme des enfants : Trois vierges bien peignees, / Vierges bien enseignees, … Leurs tresses blondoyantes / Voletoient ondoyantes / Sur leur col blanchissant / Leurs yeux, comme planettes, / Sur leur faces brunettes / Alloient resplendissant….Leur poictrine haletante / Pousse une voix tremblante, / Qui doulcement fend l’air / Et semblent les craintives / Trois joncs, que sur leurs rives / Un doulx vent fait branler.

Exemplaire dont Jean-Paul Barbier avait souligné l’exceptionnelle grandeur des marges
 (Hauteur 229 mm)

Puis les jeunes filles quittent leur maisonnée et traversent la Seine pour le palais des rois, lieu de la cérémonie :  Allez trouver la plaine, / Ou le Dieu de la Seine / Recourbe tant de fois, / De son onde écumeuse / Bat ceste Isle fameuse, / Le sejour de noz Roys.

Alors, confrontées au monde de la Cour princière, le style devient plus solennel, chacune tient un rôle distinct : Diane, la plus jeune, traite de la délicatesse de la Duchesse de Savoie, Lucrèce développe le thème de l'amour nuptial et Camille, d’une voix guerrière, appelle le Duc à mettre ses talents militaires au service de la religion, c’est-à-dire la lutte contre les protestants.    

C’est le moment pour du Bellay de placer quelques messages politiques, louer Henri II et Philippe II, leur stratégie d’alliance et de défense de la foi catholique. L’union du couple princier synthétise cette politique au service de la paix retrouvée. Le mot de la fin est laissé au dieu Mercure :

Pour dechasser Bellonne, / Et sa troppe felonne, / Bannie pour jamais, / Des Dieux la prevoyance /  Gardoit ceste alliance, / Instrument de la paix : / Afin qu’avec l’Espaigne / La France s’accompaigne, / Pour, d’un commun accord, / D’Europe, Asie, Afrique, / L’adversaire publique / Repousser dans son fort.

A la suite de l’épithalame proprement dit, l’ouvrage contient deux autres pièces inédites de du Bellay, l’une commençant par Comme un vase ayant etroicte bouche, et l’autre est un dystique latin dont l’incipit est Qualia virtuti, virtus si nuberet ipsaA ces textes, Fédéric Morel a fait ajouter une pièce du poète et humaniste gantois Charles Utenhove, qui avait été le précepteur de Camille, Lucrèce et Diane. Elle est présentée comme étant sur le même sujet mais c’est davantage une louange de du Bellay lui-même que du couple princier !    

 

Reliure en maroquin janséniste grenat signée René Aussourd (1884-1966)

De son coté, Ronsard aurait bien voulu célébrer aussi l’évènement mais il avait été en quelque sort pris de vitesse par Du Bellay, à moins qu’il ait jugé plus décent d’attendre quelques temps avant de publier ses propres poèmes compte tenu du décès tragique d’Henri II. Arrivant après la noce, il lui fallait trouver un angle différent.  Cela donnera le Discours à treshault et trespuissant Prince, Monseigneur le duc de Savoie et le Chant pastoral à Madame Marguerite, Duchesse de Savoie. Deux textes sévères et didactiques qui semblent prendre le contrepied de la pièce composée par du Bellay, Autant le poème de l’angevin était léger et plein d’allégresse, autant ceux de Ronsard sont sombres et convenus. Il se montre même très critique vis-à-vis de la royauté, déçu de n’avoir pas eu le soutien qu’il attendait des princes et peut-être aussi quelque peu jaloux de la belle prestation de du Bellay [4].

Bonne Journée,

Textor


[1] Lire ici un précédent article de ce blog sur la Trêve de Vaucelles https://textoriana.blogspot.com/2021/08/la-treve-de-vaucelles-ou-la-conscience.html

[2] Pierre de Nolhac a retrouvé à la Bibliothèque Nationale le synopsis de la représentation (Nolhac 1, 177 n1)

[3] Il était le parrain d’un des enfants issus d’un premier mariage d’Antoinette de Loynes.

[4] Pour une analyse détaillée de l’épithalame, voir Adeline Lionetto. “ Le mariage de Marguerite de France et du duc de Savoie : du triomphe de l’épithalame de Du Bellay au Contre-Hyménée de Ronsard ”. L’Année Ronsardienne, 2021, 3.

[5] Nicolas Ducimetière nous rappelle que plusieurs poèmes des Regrets sont consacrés à Marguerite de France et que le poète éprouvait une réelle tristesse à être séparé de sa protectrice pendant tout son séjour à Rome. Cf. Mignonne, Allons voir… n°92.


jeudi 19 décembre 2024

Guillaume des Autels : Repos de plus grand travail (1550)

Que diriez-vous, pour finir l’année, d’un poète de la Pléiade ?

Voici l’édition originale du premier recueil poétique de Guillaume des Autels, typique de la production de celui qui fut en relation avec Ronsard et ses condisciples, et qui, comme eux, souhaitait réformer la langue française et la rapprocher des modèles de la littérature antique. 

Né en 1529 en Bourgogne, peut-être à Charolles puisqu’il signait parfois Des Autels, gentilhomme charolois, ou au château familial de Vernoble, il passa une partie de sa jeunesse à Romans-sur-Isère et fit ses études de littérature et de droit à Valence pour venir ensuite exercer comme avocat à Lyon. Pour se délasser de ces ennuyeux travaux judiciaires, il écrivait des vers inspirés par Horace et Pétrarque.

Page de titre du recueil à la marque de Jean de Tournes

Pontus de Tyard, son parent, introduira Guillaume des Autels dans les milieux littéraires lyonnais. Le brillant bourguignon s'intéressait aux réformes orthographiques, sujet à la mode qui agitait le monde intellectuel de l’époque.  Il s'opposa ainsi à Louis Meigret et publia en 1549 un traité intitulé Réplique aux furieuses attaques de Louis Meigret. Ce dernier, grammairien lyonnais, réformateur de la langue française avait proposé une simplification du français écrit en introduisant notamment des symboles nouveaux et en favorisant une orthographe phonétique. Il sera, à ce titre, violemment attaqué par Guillaume des Autels qui préférait l’ancien style. 

Il se rapprocha néanmoins du groupe des jeunes poètes réformateurs qui évoluait autour de Ronsard. Il aura l’occasion de rencontrer Joachim du Bellay qui s’arrêta à Lyon lors de son voyage à Rome et Etienne Jodelle qui séjourna dans la ville en 1551. C’est pourquoi, les biographes le rattachent au mouvement de la Pléiade bien que son passage soit fugitif, entre 1553 (Élégie à Jean de La Péruse) et 1555 (Hymne de Henri II) date à laquelle son nom disparaissait de la liste, La Péruse étant décédé et Des Autels, effacé, tandis que Peletier du Mans et Rémi Belleau firent leur apparition. 


 La lettre dédicace introductive 
qui se termine par la devise de des Autels « Travail en repos ».

Ses gouts ne le portaient pas vers trop de modernité. Admirateur de Marot, il aurait souhaité que le groupe garde une position mesurée et qu’il existe des rapprochements entre les nouveaux poètes et ceux de la génération précédente. Ains je n’ay poinct rejetté les bonnes inventions de noz anciens français. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Ronsard l’exclut du groupe ? Pour autant, Des Autels admirait Ronsard et leurs positions vis-à-vis des dangers de la Réforme les rapprochaient. Ronsard lui dédia une pièce politique, publiée en 1560, dans laquelle il s’adressa à Des Autels en tant que partisan des Guise, engagé dans le conflit à l’encontre des protestants. 

De son côté, en homme de compromis, Des Autels serait intervenu en faveur de la réconciliation de Ronsard et de Mellin de Saint-Gelais et il fit paraitre De l’accord de messieurs de Saingelais, et de Ronsart [1]. Un rapprochement, tout relatif, qui sera principalement l’œuvre de Michel de L’Hospital et Jean Morel… Pour l'heure, dans le Repos, Guillaume des Autels adresse à Mellin de Saint Gelais un dizain élogieux.

Dizain à Saint Gelais

Quoiqu’il en soit des rapports assez ambigus entre Ronsard et Des Autels, le bourguignon participa pleinement à cette décennie exceptionnelle dans l’histoire de la poésie comme dans celle de la langue en faisant paraitre à Lyon, chez Jean de Tournes, entre 1549 et 1552, trois volumes de poésie amoureuse. Il publia successivement Le Repos de Plus Grand Travail (1550), puis La Suite du Repos (Lyon, Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, 1551) et L'Amoureux Repos de Guillaume des Autelz, Gentilhomme Charrolois (Lyon, Jean Temporal, 1553). C’est dans ce dernier recueil qu’on trouve le seul portrait connu de l’auteur, accompagné du portait de sa Sainte, la jeune fille idéale.

En effet, Guillaume des Autels se choisit une maitresse poétique en imitant ainsi l’Hélène de Ronsard ou l’Olive de Du Bellay. Il l’appelait Sa Sainte. Son modèle est sans doute cette Denise Mahé, une jeune fille qu’il avait connue à Romans dans sa jeunesse et dont il était tombé follement amoureux. Plusieurs poèmes du recueil évoquent son prénom : Trois femmes sont, par l’heur des Destinées, / (Femmes non pas, mais bien Déesses) nées, / Jeanne je dis, Marguerite, et Denise

Une autre pièce est adressée à Dame Denyse l’hoste (p.20) ce qui fit dire aux experts que le jeune Guillaume avait peut-être été hébergé dans la famille de la jeune fille à Romans sur Isère. Ce qualificatif un peu curieux de Sainte est expliqué par Des Autels lui-même dans son introduction : La contemplation de la femme aimée est une voie directe vers la connaissance du Créateur admirable de l’univers. Contemplation qui ne l’empêche pas de s’intéresser aussi à sa cousine Jeanne à la blonde chevelure…. 

Epigrammes à la Sainte

Le Repos est une œuvre de jeunesse qu’il présenta lui-même dans la lettre dédicace introductive au recueil comme la collection de petites compositions de ma première jeunesse, entre quinze et vingt ans. Il avait conscience qu’elles n’étaient pas dépourvues de puérilité, et il anticipait déjà les critiques de l’audacieux raillard et mesdisant qui en jasera mais il justifia ses vers en ce que c’est à sa dame que sont dus les labeurs du temps passé et à venir. 

La composition du recueil comprend, après la lettre dédicace de l’auteur à sa Sainte (pp.3-5) un poème de Charles Fontaine à la sainte de l’autheur (p.6) suivi des pièces de l’œuvre proprement dit (pp.7-61), des épigrammes, des sonnets, un dizain, des odes adressés à la Sainte mais aussi à différentes personnes de son entourage (Frère, tuteur, précepteur) et aux poètes du cercle lyonnais Maurice Sceve, Pontus de Tyard, Charles Fontaine….

L’ouvrage se clôt sur deux dialogues moraux, pièces de circonstance pour un évènement théâtral religieux : Dialogue moral entre Vouloir Divin, Ignorance, Temps et Vérité sur le point de savoir qui a fait naitre tant d’hérétiques et qui illuminera les infidèles. (pp. 62-96) et Autre Dialogue Moral sus la devise de Monsieur le Révérendissime Cardinal de Tournon, Non quae super terram, joué à Valence, devant luy, le dimanche de my Careme 1549. Dialogue entre le Ciel, l’Esprit, la Terre, la Chair et l’Homme. (pp. 97- 141)

Le style poétique de Guillaume des Autels n’a pas la légèreté brillante et rythmée du Prince des Poètes mais lui-même est assez satisfait de ce qu’il produit : 

Vous m'avez dit madamoiselle / Des fois je ne scay pas combien, / Que ma façon n'est pas fort belle, /  Que du tout je ne danse rien. / Je respons, qu'il y ha un bien / (Ne vous desplaise) à faire ainsi : / Car si je ne danse pas bien, / Je ne danse pas mal aussi.


Reliure janséniste en maroquin signée Godillot [2]

C’est une caractéristique des jeunes poètes de la Pléiade de se considérer comme élus par les Muses et à ce titre au-dessus du commun des mortels. Le poète charolais affiche d’emblée son ambition de conquérir la gloire littéraire par ses écrits. Y est-il parvenu ? Il mériterait sans doute plus d’audience aujourd'hui, sa poésie n’étant pas dénuée de jolis passages :  

Toutes les fois qu’au travail de l’étude, / Me reposant tout endormi je veille : / Et que de loin sa voix doucement rude, / Ou le tintin des clés qu’elle appareille, / Transmet un air sonnant à mon oreille, / Tant me ravit sa recordation, / Que mon esprit de l’étude s’éveille, / Pour s’endormir en contemplation. 

Mais le chemin de la gloire est parfois pavé d’embûches et les Muses font des jalouses. Visiblement Jeanne La Bruyère, son épouse, n’appréciait guère la métaphore poétique.  Après avoir conclue l’Amoureux Repos sur une sorte de promesse de ne plus écrire de pièces amoureuses à sa Sainte pour préserver sa vie conjugale, Guillaume des Autels est coupé de son inspiratrice. Il faudra attendre six années avant qu’il ne trouve une nouvelle raison d’écrire des vers. Il publiera à partir de 1559 des œuvres plus engagées politiquement, Harengue au peuple français après la rébellion (la conjuration d’Amboise) ou Epitre au Tigre de la France (Le Cardinal de Guise).  

C’est ce poète plus engagé que Ronsard célébrera dans son Elégie à Guillaume des Autels poète Charolais. Au terme d’un développement sur l’ingratitude de la France à l’égard de ses propres enfants, Ronsard écrit :  Pour exemple te soit ce docte des Autels qui a ton los a faict des livres immortels. 

Bonnes Fêtes,

Textor

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 [1] Voir à ce sujet Claire Sicard in Commentaire du titre de l’élégie sur les troubles d’Amboise, adressée à Guillaume Des Autels charolois. Site Hypothèses. Ainsi que Claire Sicard in D’une prétendue réconciliation de Ronsard et Saint-Gelais en 1553. Olivier Halévy; Jean Vignes. Audaces et innovations poétiques, Honoré Champion, pp. 315-334, 2021. hal-02279606

[2] Exemplaire Barbier-Mueller avec son ex-libris. Voir Ducimetière, Mignonne…, 38

Reliure signée M(arcel) Godillot