Affichage des articles dont le libellé est Incunables. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Incunables. Afficher tous les articles

lundi 29 août 2022

L’imprimeur de Cologne Bartholomeus de Unckel (1477)

L’imprimerie est arrivée très tôt à Cologne, ville universitaire en plein essor, sans doute peu de temps après le sac de la ville de Mayence (28 Octobre 1462) par l’entremise du typographe Ulrich Zell dont la présence est attestée pour la première fois dans cette ville le 17 Juin 1464 par une mention dans les registres de l’université.  

A partir des années 70, il n’est plus le seul à exercer son art. Plusieurs typographes le rejoignent : Johann Guldenschaft, Arnold Therhoernen, Johann Schilling, Johann Koelhoff l’aîné, Nicolas Goetz…

Parmi eux, le maitre-imprimeur Bartholomeus de Unckel a laissé une empreinte discrète dans l’art typographique. Il n’a utilisé qu’une seule fonte de caractères pendant sa courte carrière mais toutes ses impressions sont d’une esthétique indéniable qui les font rechercher encore aujourd’hui par les bibliophiles avertis. Je n’ai qu’un seul livre issu de ses presses, un commentaire théologique de Pierre Bersuire sur la Bible intitulé Liber Bibliae moralis. (Le livre moralisé de la Bible).

Incipit du liber Bibliae Moralis
Une page de l'ouvrage permettant d'aprécier la netteté des caractères.

C’est un extrait d’une œuvre beaucoup plus vaste intitulée Reductorium morale, une encyclopédie dont l’objectif est d'exposer la leçon morale qui peut être retirée de tous les objets considérés (Dieu, les anges, les démons, l'Homme, les organes du corps, les animaux, les plantes, les minéraux, les éléments physiques, etc...). Le Reductorium était originellement composé de 13 livres, mais comme l’explique la préface, de nouvelles idées conduisirent à la rédaction de 3 livres supplémentaires : Liber de naturae mirabilibus (XIV), Ovidius moralizatus (XV) and Liber bibliae moralis (XVI), chacun avec son propre prologue. Ainsi, le livre XV est un commentaire moral des Métamorphoses d'Ovide (Ovidius moralizatus), et le présent livre XVI un commentaire moral de la Bible.

L’ouvrage eut un grand succès et une large diffusion ; Il en existe une cinquantaine d’exemplaires manuscrits dans les bibliothèques publiques et les quatre premières versions incunables sont celles d’Ulm et de Strasbourg (1474), suivies par deux autres, en 1477, celle de Cologne par Bartholomeus de Unckel [1] et celle de Deventer, par Richard Paffraet.

Nous manquons d’une quelconque information sur les circonstances de la vie de Bartholomeus de Unckel. Son nom permet de déduire qu’il était originaire d'Unkel sur le Rhin, petite bourgade rurale à une vingtaine de kilomètres de Bonn et une cinquantaine au sud de Cologne. Il était alors fréquent que les imprimeurs portassent le nom de leur ville d’origine, ce fut le cas pour Ulrich Zell, Nikolaus Götz von Schlettstadt, Goswin Gops von Euskirchen, Petrus in altis de Olpe, Ludwig von Renchen, etc.

Unkel était une cité en plein développement, qui entamait la construction de ses fortifications et qui entretenait de nombreux liens, tant économiques que religieux, avec Cologne. La majeure partie de la production de vin du Rhin, principale source de revenus d'Unkel, partait pour Cologne. Les seigneurs de Breitbach, originaires d'Unkel, donnèrent des abbés à l'abbaye bénédictine de Cologne et un Arnolt von Unckel, moine de l'ordre franciscain, était Évêque auxiliaire de Cologne.  

Pages de l'ouvrage rubriquées et enluminées à l'époque.

Nous ne savons rien non plus de sa formation universitaire mais il y a tout lieu de penser qu’elle se déroula à Cologne qui était la zone d’attraction intellectuelle naturelle pour les habitants de la région du Churköln. Les recherches les plus récentes n’ont rien donné à ce sujet et pourtant Maria Rissel, pour sa thèse [2], avait épluché le registre universitaire de Cologne au XVe siècle. Aucun étudiant ou aucune obtention de diplôme universitaire n’apparait sous le nom de Bartholomeus de Unckel. Son nom n'apparaît pas non plus dans les registres des autres universités allemandes alentours, ni dans les listes de commémoration des défunts ou même sur les registres des fonctionnaires de Unkel publié par Hans Vogts. 

Il faut donc se contenter de ce que nous apprend la liste de ses éditions. Il exerça le métier d’imprimeur entre la fin de l’année 1475 jusqu’en 1484, voire un peu plus si l’on prend en compte une impression de mars 1486 d’attribution douteuse, puis il disparut complètement de la vie économique ce qui peut vouloir dire qu’il est mort brutalement ou bien qu’il est entré dans un couvent pour se retirer du monde comme cela arrivait parfois pour les intellectuels âgés. Son matériel typographique fut recueilli par Quentell.

 Bartholomeus de Unckel n’utilisait ni numérotation de pages, ni signature et il ne mentionnait que très rarement la date d’achever d’imprimer. Sur la petite quarantaine d’ouvrages [3] sortis de ses presses seulement 9 d’entre eux portent une date. Et la plupart des autres sont mentionnés dans les catalogues des bibliothèques publiques comme étant « autour de 1480 », sans plus de recherche pour établir une chronologie. Quand un imprimeur n’utilise qu’un seul type de caractère il est bien difficile d’utiliser la typographie pour replacer ses travaux dans le temps !

Par chance, l’ouvrage de Pierre Bersuire qu’il a imprimé est bien daté au colophon : Impressum per me Bartholomeus de Unckel sub annis dominis mille quadringentis septuagentaseptem, ipso die sancte ghertrudis. (Année de seigneur 1477 (et le 17 Mars) fête de saint Gertrude). Il s’agit donc d’une des productions de ses premières années d’activité.

Filigrane à la sirène au miroir. (Briquet 13858)
Le papier utilisé par Bartholomeus de Unckel provenait de Troyes en Champagne.

Un autre filigrane avec la lettre P surmontée de fleurs de lys. 

Nous ne savons pas davantage qui lui apprit l’imprimerie mais il parait avoir été en relation avec le premier imprimeur de la ville, Ulrich Zell, lui-même probablement formé dans l’atelier des associés de Gutenberg, Furst et Schoefer. Les caractères forgés par Bartholomeus de Unckel, un type gothique antica, présentent bien des similitudes avec les caractères de Zell mais aussi avec ceux de Terhoernen et de Quentell. Pour ce dernier, c’est sans doute parce qu’ils auraient partagé leur matériel typographique. En effet à partir de 1479, Bartolomeus de Unckel est associé à l’imprimeur de Cologne Heinrich Quentell. Au moins une édition est reconnue comme une œuvre de collaboration, la bible illustrée en langue allemande, mais il est possible qu’il y eût d’autres partages de travail bien que leurs deux noms n’apparaissent jamais ensemble, le plus probable étant que de Unckel travaillait en sous-traitance pour Quentell.

Bartholomeus a produit presque exclusivement des ouvrages en langue latine et essentiellement des livres religieux. Il avait débuté en 1475 par les homélies de saint Grégoire puis il enchaina avec d’autres œuvres des Pères de l'Église (Léon Ier, Augustin, Jérôme), ponctué par des manuels d’instruction pour les curés, comme le Manipulus Curator(um) de Guy de Montrocher de 1476, un classique du genre, continuellement réimprimé jusqu’à ce que le concile de Trente ne le rende obsolète en 1566.

Après la publication de l'édit de censure par le pape Sixte IV, qui soumet à l’autorisation préalable de l’Eglise l’impression des textes religieux, on dit que Bartholomeus de Unckel fut l'un des imprimeurs qui se conformèrent aux règlements qui y sont mentionnés, comprenant notamment l’interdiction des livres hérétiques, bien sûr, mais aussi la diffusion de la Bible en langage vernaculaire. Il peut dès lors paraitre étonnant que de Unckel ait pu participer, en 1479, à l’ambitieuse entreprise d’Heinrich Quentell pour Johann Helmann et Arnold Salmonster à Cologne et Anton Koberger à Nuremberg, consistant à imprimer la magnifique Bible en allemand avec la glose de Nicolaus de Lyra [4], dont les pages sont magnifiquement illustrées de gravures dans les marges et dans le texte.  Une œuvre qui sort du champ de production habituel de Bartholomeus de Unckel et qu’il n’aurait certainement pas pu mener seul pour la simple raison qu’il manquait à l’évidence de soutien financier. Le seul fait qu’il n'ait utilisé qu’un seul type, au cours de sa carrière, est bien la preuve qu’il était désargenté.

La Bible illustrée, exemplaire conservé à la Bibliothèque de Munich.

Certains biographes comme Voullième prétendent que la collaboration avec Quentell se poursuivit après 1479 pour la raison que Bartholomeus de Unckel enchaina l’année suivante avec un autre texte en allemand, un texte juridique dont Quentel se faisait la spécialité. Pourtant seul le nom «Bartholomaeus de Unckel » apparait au colophon. Ce livre juridique est le Sachsenspiegel, le miroir des Saxons, un coutumier qui passe pour l'une des premières œuvres en prose de la littérature allemande. C’est un témoignage important des débuts de l’unification des parlers moyen-allemands. Bien qu'il ne constitue qu'un recueil particulier du droit coutumier saxon, cet ouvrage acquit rapidement une telle influence qu'il s'imposa comme un texte juridique fondamental pour toute l’Allemagne du Nord, au-delà de la Saxe. Quentel en imprimera une nouvelle version en 1492.

Le Miroir des Saxons (Sachsenspiegel) de Eike von Repgow imprimé par Unckel.  [H]Ir begynet dat r[e]gister des eyrsten boukes des Speygels der Sassen ... (Bibliothèque de Cologne)

A la suite de cette incursion hors du domaine religieux, Bartholomeus de Unckel produira entre 1480 et 1484 différentes œuvres de Jean Gerson, Jean Nider, Saint Thomas d’Aquin, Saint Augustin. Son dernier texte connu, datable de 1484 et signé BDV, est une collaboration avec Johann Koelhoff l’ancien. Ce sont les opuscules de saint Bonaventure que ce dernier mènera à terme après l’arrêt probable de l’activité de Bartholomeus de Unckel, suite à son décès ou à un autre évènement.

Colophon de Unckel et ex-dono.

Sous le colophon de notre ouvrage figure une mention manuscrite de donation [5]. A peine 7 ans après la date d’achevé d’imprimer, Adam de Welnis, prêtre, fit contribution de ce livre à la communauté des Bogards de Zepperen, près de Saint Trond dans la province du Limbourg. Cette communauté d’artisans, essentiellement des tisserands, existait au moins depuis 1418. C’est un certain Jean de Gorre, habitant du village qui donna et assigna en l’honneur de saint Jérome un champ d’une contenance de 3 bonniers et demi, situé à Zepperen ( Jacens in parrochia villae de septemburgis alias dicte Seppris) afin d’y placer des frères bogards que le Prince-évêque Jean de Heinsbergh institua en abbaye du Tiers-Ordre de St François en 1425. Cette maison obtint rapidement divers privilèges jusqu’à devenir le chapitre général du Tiers ordre de St François.

En 1485, lors d’un chapitre tenu à Hoegarden, il fut arrêté que tous les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux couvents de la Province qui avaient été obtenus ou acquis en faveur du Tiers-Ordre seraient transférés au chapitre général de Zepperen afin qu’ils ne fussent pas transférés à un autre Ordre ou appliqués à une autre fin. La décision fut consignée par le notaire dans un acte du 16 Octobre 1486.

La mention sur l’origine de la donation rappelle donc que celle-ci est antérieure d’un an à l’affectation générale des biens appartenant à la communauté et cette précision pourrait avoir eu son importance en rapport avec la décision du chapitre et confirmer ainsi l’affectation du livre à la communauté de Zepperen. L’utilisation du mot ‘contulit’ (contribue) plutôt que ‘donner’ semble être un indice allant dans ce sens.

Mentions sur la première garde.

Quoiqu’il en soit le livre est resté longtemps en possession des Bogards car il était encore dans leur bibliothèque 120 ans plus tard, en 1604, lorsqu’un autre bibliothécaire précisa sur le premier feuillet blanc le titre de l’ouvrage, le nom de l’auteur  et l’appartenance au Campus Sancti Hieronymi de Zepperen. Il y était encore certainement en 1744 lorsque de Saumery décrit les lieux dans ses Délices du pays de Liège ...

Bonne Journée

Textor

 

Annexe : Liste des impressions de Bartholomeo de Unckel

 présentes dans les Bibliothèques Publiques selon l’ISTC

 

1475     - Gregorius I, Pont. Max : Homiliae super Evangeliis. Add: Origenes: Homiliae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel], 9 Dec. 1475. – f°. – ISTC ig00419000

1475     - Leo I, Pont. Max : Sermones. Add: Johannes Andreas, bishop of Aleria, Letter. Symbolum Nicaenum. Testimonia quod Jesus semper verus sit deus et verus homo [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 1475]. – f°. – ISTC il00133000

1476     - Guido de Monte Rochen : Manipulus curatorum. Add: Jacobus de Fusignano: De arte praedicandi. Simon Alcock: De modo diuidendi thema pro materia sermonis dilatanda. Ars moriendi Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 6 Apr. 1476. – 4°. – ISTC ig00572000

1477     Berchorius, Petrus : Liber Bibliae moralis [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, 17 Mar. 1477. – f°. – ISTC ib00339000


1477     - Keyerslach, Petrus : Passio Christi ex quattuor evangelistis [Cologne : Bartholomaeus de Unkel], 20 Dec. 1477. – 4°. – ISTC ik00019000

1479     - Biblia [Low German]. With glosses according to Nicolaus de Lyra's postils Cologne : [Bartholomaeus de Unkel and Heinrich Quentell, for Johann Helmann and Arnold Salmonster in Cologne and Anton Koberger in Nuremberg, about 1478-79]. – f°. – ISTC ib00637000

1480     - Flores poetarum de virtutibus et vitiis ac donis spiritus sancti [Cologne: Bartholomäus von Unckel, vers 1480]

1480     - Eike von Repgow : Sachsenspiegel: Landrecht - Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 1480. – f°. – ISTC ie00021000

1480     - Flores poetarum de virtutibus et vitiis, sive Sententiae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC if00221000

1480     - Garlandia, Johannes de : Composita verborum (Comm: Johannes Synthen). With Low German gloss [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC ig00074850

1480     - Gerson, Johannes : Conclusiones de diversis materiis moralibus, sive De regulis mandatorum. Add: Opus tripartitum de praeceptis Decalogi, de confessione et de arte moriendi [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC ig00208000

1480     - Gerson, Johannes : Conclusiones de diversis materiis moralibus, sive De regulis mandatorum (I). Add: Opus tripartitum de praeceptis Decalogi, de confessione et de arte moriendi (II) [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC ig00208300

1480     - Hieronymus : Vitae sanctorum patrum, sive Vitas patrum. [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – f°. – ISTC ih00202000

1480     - Johannes de Verdena : Sermones "Dormi secure" de tempore [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – f°. – ISTC ij00447000

1480     - Maximilianus : Vita ac legenda sancti Maximiliani [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC im00382500

1480     - Nider, Johannes : De morali lepra [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC in00192000

1480     - Tabula in omnes Sacrae Scripturae libros. Vocabula difficilium verborum bibliae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – f°. – ISTC it00005000

1480     - Traversanus, Laurentius Gulielmus, de Saona : Modus conficiendi epistolas [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC it00427810

1480     - Cordiale quattuor novissimorum [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, [about 1480]. – 4°. – ISTC ic00886000

1481     - Hieronymus : De viris illustribus. Add: Opuscula Gennadii, Isidori et aliorum de scriptoribus ecclesiasticis [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1481]. – 4°. – ISTC ih00193000

1481     - Johannes de Hildesheim : Liber de gestis et translatione trium regum [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, 1481. – 4°. – ISTC ij00338000

1481     - Nider, Johannes : Manuale confessorum [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1481]. – 4°. – ISTC in00186000

1481     - Rolewinck, Werner : De regimine rusticorum [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, not before 1481]. – 4°. – ISTC ir00294000

1481     - Thomas Aquinas : De eucharistia ad modum decem praedicamentorum, sive De corpore Christi (Pseudo-). Expositio orationis dominicae [possibly no. 7 of his Opuscula?]. Add: Nicolaus de Lyra: Dicta de sacramento [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1481]. – 4°. – ISTC it00293000

1482     - Augustinus, Aurelius [Cologne : Bartholomaeus de Unkel], 9 Aug. 1482. – 4°. – ISTC ia01252000

1482     - Augustinus, Aurelius : De disciplina christiana [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01261000

1482     - Augustinus, Aurelius : De doctrina christiana [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01262000

1482     - Augustinus, Aurelius : De moribus ecclesiae catholicae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01296000

1482     Augustinus, Aurelius : De vita christiana. De dogmatibus ecclesiasticis [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01358000

1482     - Gregorius I, Pont. Max : Dialogorum libri quattuor [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, [not after 1482]. – 4°. – ISTC ig00404000

1482     - Jacobus de Voragine : Tractatus super libros sancti Augustini [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 1482?]. – 4°. – ISTC ij00203000

1483     - Cordiale quattuor novissimorum [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, 1483. – 4°. – ISTC ic00891000

1484     -Epistolae et Evangelia [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1484]. – 4°. – ISTC ie00064230

1484     - Psalterium [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, between 1475-1484]. – 8°. – ISTC ip01044500

1484     - Bonaventura, S : Opuscula [Cologne] : B.D.V. (Bartholomaeus de Unkel) [and Johann Koelhoff, the Elder], 1484[-85]. – f°. – ISTC ib00924000

1486     - Coelde van Munster, Dirk : Kerstenspiegel [Low German] Christenspiegel (Hantbochelgin oder Spegel des Kirstenmynschen) [Cologne : Bartholomaeus de Unkel?], 7 Mar. 1486. – 8°. – ISTC ic00747700




[1] Il existe plusieurs transcriptions de son nom. L’imprimeur lui-même écrit invariablement Bartholomeus de Unckel dans chacun des colophons qu’il a laissés (Bersuire, Montrocher, Grégoire, Jean de Hildesheim, etc.). Nous opterons pour cette version. La forme internationale retenue par la BNF est Bartholomäus von Unckel mais on le trouve à l’entrée Bartholomaus de Unkel dans l’ISTC.

[2] Voir Maria Rissel Späte Ehren für den Frühdrucker Bartholomäus von Unckel - Heimersheim : M. Rissel, 1999.

[3] 36 entrées selon l’ISTC, voir la liste en annexe.

[4] Biblia, Übers. aus dem Lat. Mit Glossen nach der Postilla litteralis des Nicolaus de Lyra, Vorrede und Register, Köln, [ca. 1478/79] BSB-Ink B-494 - GW 4308]

[5] Dns (Dominus) Adamus de Walonis pbr (presbyter) contulit campo gloriosi Jheromini -  ?? - conventui 3ij (tertii) ord (inis) almi ? - Pres(byter) - francisce  in zeppere hunc librum a° (anno) xiiij c lxxxiiij°, amore ihu (Ihesu) Xri (Christi) pro eo orate, ce qui peut être transcrit approximativement par Maitre Adam de Welnis (ou Walonis), prêtre, a donné au Champ saint Jérome .. couvent du tiers ordre de Saint François de Zepperen ce livre en l’année 14 cent 84, priez pour lui et l’amour de Jésus Christ.

vendredi 4 mars 2022

Le supplément à la somme du Pisanelle par Nicolas d’Osimo (1483).

La Préface du Supplementum


En prenant un livre au hasard dans la bibliothèque et en cherchant à savoir quels renseignements les érudits des siècles passés et, plus récemment, les historiens du livre ont pu rassembler, il n’est pas rare que mon investigation se résume à quelques maigres paragraphes.  Il y a décidément encore beaucoup de travail à venir pour les étudiants en histoire du livre. Ce fut le cas pendant longtemps pour cette impression de Cologne, dénichée il y a près d’une décennie et sur laquelle je ne savais que ce que me donnaient les 10 lignes du catalogue du libraire.

L’ouvrage s’intitule Supplementum Summae Pisanellae et Canones poenitentiales fratris Astensis. C’est-à-dire le supplément à la somme du Pisanelle et les règles de pénitence de Frère Astensis.

Ce livre fut en son temps un des plus grands best-sellers de l’occident et quand Ulrich Zell, proto-imprimeur de Cologne décida de l’imprimer à son tour en 1483, il y avait eu déjà 15 éditions précédentes. La première avait été publiée 10 ans auparavant par l’imprimeur de Venise Vindelinus de Spira. La plupart des autres à Venise également (Bartholome de Crémone, Renner de Heilbronn) mais aussi à Gênes (Mathias Moranus 1474) et à Milan (Léonard Pachel, 1479). Puis l’Allemagne se mis à son tour à en donner des éditions, à Nuremberg (1478) et à Cologne (Conrad Winters de Homborch, 1479) et enfin celle d’Ulrich Zell.

Ulrich Zell avait participé à l’aventure de l’imprimerie depuis ses débuts, probablement en travaillant dans l’atelier de Gutenberg. C’est lui qui racontera à l’auteur de la Chronique de Cologne comment la technique s’était développée et qui en avait été le génial inventeur [1].

On dit qu’Ulrich Zell avait formé dans son atelier Conrad de Homborch. Quoiqu’il en soit, les deux hommes étaient certainement restés en relation d’affaires et J-C. Brunet note que leurs fontes respectives étaient très similaires, à moins qu’ils ne se prêtassent tout simplement leur matériel. Il est arrivé que les bibliographes attribuent à Zell des impressions de Homborch, comme l’avait fait Hain pour un De Arte Amandi libri tres d’Ovide, sans lieu ni date.  Toujours est-il que c’est seulement après la mort de Conrad Homborch en 1482 qu’Ulrich Zell fit imprimer le Supplément à la Somme de Pisanella pour la seconde fois à Cologne.

Cette impression de Cologne est restée relativement confidentielle. Il n’en existe qu’un seul exemplaire dans une bibliothèque publique en France (BNF) et encore est-il incomplet. Et l’ISTC en dénombre 37 exemplaires de par le monde.

Le Supplément à la Somme du Pisanelle est un ouvrage de casuistique, organisé de façon très pratique, par ordre alphabétique.

Le résultat de ce classement méthodique se voit du premier coup d’œil, dès l’ouverture du livre, puisque toutes les lettrines peintes sont les mêmes pour une page depuis A pour Abbas (in suo monasteio…) jusqu’à Z. Lorsque l’auteur passe à une autre lettre, la première de la série est distinguée par une enluminure bicolore. Dans une série de lettres, pour une raison inconnue, l’enlumineur a voulu orner sa lettrine par une couleur qui n’était ni le rouge vermillon, ni le bleu de cobalt mais sans doute un jaune ou un vert qui n’a pas tenu au fil du temps et qui apparait aujourd’hui en grisé.

Une lettrine T grisée dont la couleur n'a pas tenu et qui, par ailleurs, ne correspond pas à la première lettre de la série des entrées de mots commençant par T. 

L’ouvrage n’a pas de titre, le feuillet a1 est blanc au recto et contient une table des abréviations au verso. Voilà une nouveauté éminemment pratique. Je ne sais pas si cette table aidait le lecteur du XVème siècle mais elle facilite la vie du lecteur d’aujourd’hui. Sachant qu’un mot sur deux est abrégé et que cette liste d’abréviations est très succincte, je ne sais pas quel critère a été retenu, sans doute les abréviations non courantes ou sujettes à interprétation. Nous y retrouvons principalement des noms propres, comme Ac pour Acursius ou Goff pour Goffredus ou Lau pour Laurentius mais pas seulement. Des choix curieux ont été opérés : F pour facit mais aussi F pour digestis (un bon latiniste doit pourvoir résoudre cela). Le nom de Guillaume (William) a posé quelques problèmes linguistiques car il est défini par deux entrées, à Guil et à VVil pour Gvvilhelmus, VVilhelmus ou Guillermus ou Guilielmus.

Le volume se termine par une table de toutes les rubriques (incipit tabula omnia rubrica…). Comme les thèmes sont dans l’ordre alphabétique les numéros des folios se suivent dans la table.  Le Supplementum est traditionnellement suivi, après la table, des Règles de pénitence de Frère Astensis, court extrait du livre V de cette somme appelée l’Astesana.

La table des rubriques

A l’origine, c’est un dominicain de Pise, Bartholomé de Saint Concord (Bartolomeo da San Concordio - 1260 - 1347), qui se faisait appeler le Pisan ou le Pisanelle ou encore le Maitre (Magistruccia), qui eut l’idée de composer vers 1288, une sorte de manuel des confesseurs (Summa de casibus conscientiae) destiné à guider les ecclésiastiques dans les méandres de la contrition, car la religion catholique est basée sur la recherche et la rémission des péchés et il n’est pas toujours évident de faire la part du bien et du mal.  Son idée fut d’imaginer une grille d’examen (on dirait aujourd’hui un maping) de tous les cas possibles classés par grands thèmes et numérotés par sous thèmes. Il y a, par exemple, 17 entrées pour le thème Impedimentum, c’est-à-dire les empêchements au mariage.

La plupart de ces thèmes sont tirés du Manuel du Confesseur de Jean de Fribourg et du droit canon, quelques fois d’une vertu ou d’un vice, ce qui donne alors lieu à un développement d’ordre moral. Cette organisation alphabétique a renvoyé aux oubliettes des bibliothèques monastiques tous les recueils qui avaient précédé. Par ailleurs, l’ouvrage était réputé synthétique (350 folios tout de même !) car le Pisanelle ne cherche pas à entrer dans les vives polémiques qui agitaient le monde intellectuel de son temps autour de la doctrine thomiste. Il cite peu ses références, à l’exception de Saint Thomas qui constitue sa source essentielle. En réalité, il laisse de côté le raisonnement et la controverse, qu’adoraient pourtant les lecteurs de l’époque, pour donner sa solution sans nuance, et le public aima cela[2].

Une double page du Supplément. Passage de l'entrée D à E

Le chapitre des entrées de la lettre A


La composition du livre par thèmes facilitait les annotations et les compléments. D’où l’intervention de frère Nicolas d’Osimo (Nicolaus de Ausimo). Ce franciscain qui vécut une centaine d’années après le Pisanelle était originaire d’Osimo près d’Ancone. Il avait fait des études de droit à Bologne, obtint le titre de docteur puis, changeant de voie, au lieu de pratiquer le droit, rejoignit les Observants franciscains pour se tourner vers l'étude de la théologie. Il fit alors la connaissance de St Bernardin de Sienne et devint l'un de ses fidèles. Il l'assista dans la réforme de l'Ordre ainsi que dans la lutte contre la corruption. Il mourut au couvent Santa Maria d'Aracoeli à Rome, peu après le milieu du XVe siècle.

Dans cet ouvrage, Nicolas d’Osimo n’a pas cherché à faire une œuvre novatrice mais à enrichir et compléter le travail de son prédécesseur. Et d’ailleurs, il intitule son ouvrage : le Supplément, tout simplement.

Dans la préface du Supplementum, Nicolas d’Osimo présente son projet et explique qu’il a cherché à corriger 2 défauts du Pisanelle, le premier serait d’avoir mal numéroté ses références et le second, plus grave car touchant le fond de l’œuvre, d’avoir proposé des solutions peu sures (valde dubia) qui nécessiteraient des rectifications et des compléments. Il reprend donc systématiquement tous les thèmes du Pisanelle et y ajoute ses propres réflexions. Par ailleurs dans cette même courte préface, il explique sa méthode graphique qui permet de bien distinguer ce qui résulte de son cru et ce qui appartient à l’original : il commence son propre texte par une lettre A et le finit par un B.

A vrai dire ses ajouts n’ont rien de très originaux. Il s’agit pour lui de mettre à jour les écrits de son collègue de Pise à partir des dernières évolutions du droit canon, mais comme il n’y a pas eu de bouleversements jurisprudentiels durant la période, ses développements sont plutôt restreints. En revanche, il s’attacha à citer toutes les références omises par le Pisanelle et à rendre à Jean de Fribourg les passages que le Pisanelle lui avait empruntés. Il le fît de façon subtile, en utilisant l’ouvrage de Jean de Fribourg comme d’une justification des thèses du Pisanelle, alors que ces dernières n’étaient qu’un copié-collé de l’œuvre amont…

Donc, vous l’avez compris, quitte à rechercher un ouvrage de casuistique imprimé au XVème siècle, il vaut mieux acheter le Supplément à la Somme de Pisanelle que tout autre manuel des confesseurs, bien moins complet. Le Supplementum finit par détrôner la Somme de Pisanelle elle-même. Il suffit de compter le nombre important de manuscrits de la Somme au XIVème siècle alors qu’il n’en sera imprimé qu’un nombre très réduit d’exemplaires au siècle suivant, pendant que le Supplément voit ses éditions incunables se multiplier.

Une page du Supplément ouverte au folio 193 dans laquelle on distingue sur la première colonne, par trois fois, les lettres A et B qui enferment les commentaires de Nicolas d’Osimo. Le rubricateur surligne de rouge le B, donc la fin du commentaire, mais non le A. J’aurais plutôt fait le contraire, mais bon …

La fin de la table des rubriques suivi des Canons Pénitentiels d’Astesanus d’Asti.

Enfin, la dernière partie du livre est un extrait de l'Astesana, ou Summa de casibus conscientiae, qui avait été rédigé en 1317 par un frère des ordres mineurs connu sous le nom tautologique d’Astesanus d’Asti, mais pour lequel on ne sait rien, sinon qu’il est sans doute originaire d’Asti dans le Piémont. Cette somme a connu aussi un certain succès ; elle est représentée dans de nombreux manuscrits médiévaux et dans une quinzaine d'éditions imprimées, ce qui témoigne de sa popularité et de son influence tout au long du XIVème et XVème siècle.  Elle était composée de huit livres, dont le livre V, sur la pénitence, pourrait être considéré à lui seul comme un véritable et bref confessionnal. Il explique les étapes du processus pénitentiel, offre quelques conseils pratiques pour le confesseur et inclut une liste de canons pénitentiels. C’est cette liste de canons qui est reprise à la suite du Supplementum.

Crosse d’évêque à laquelle pend un huchet. (Briquet n° 5803) Cette marque de papetier serait d’origine baroise (Bar-le-Duc) selon Briquet et connut une durée d’existence très courte, moins d’une douzaine d’années. On la retrouve dans des impressions champenoises, d’Utrecht et de Cologne.  

Pour revenir au travail d’Ulrich Zell, cet ouvrage permet aussi d’étudier la méthode avec laquelle le typographe assurait ses fournitures de papier. Les 350 folios ne contiennent pas moins d’une quinzaine de filigranes différents qui indiquent que celui-ci s’approvisionnait auprès de moulins à papier d’origine très variée. On trouve une coquille à la croix de Malte, une crosse d’évêque surmontée d’un huchet, un blason aux armes de France et du Dauphiné, un chien errant, une tête de bœuf surmontée d’une croix, diverses mains avec croix, etc …. En prenant l’ouvrage de référence pour cette période, celui de C-M. Briquet et en croisant les données, il apparait que c’est sans doute lors d’un passage par une foire de Champagne qu’Ulrich Zell a constitué ses stocks de papier.

Coquille à la croix de Malte (Briquet 4510). Les coquilles indiquent souvent une origine champenoise, fréquentes au XIVème siècle, elles donnèrent leur nom à un format de papier.

Filigrane aux Armes de France et du Dauphiné.


Bonne Journée !

Textor

 


[1] Chronique de Cologne : «  les débuts et les progrès de cet art m'ont été racontés de vive voix par l'honorable homme et maître Ulrich Zell de Hanau, toujours imprimeur de livres à Cologne à notre époque » (1499)

[2] Voir les Sommes casuistiques et Manuels de confession - Michaud-Quantin, 1962

samedi 1 janvier 2022

Voeux 2022

 

Bonne et heureuse année 2022 à Tous !



Premier folio du supplément à la somme de Pisanelle (Supplementum summae Pisanellae) rédigé par le franciscain Nicolas d’Osimo (Ancône), vicaire de Terre-Sainte vers 1427 et mort à Rome vers 1454. L’édition princeps fut donnée à Venise, par Wendelin de Spira, avant le 28 juillet 1473 ; Celle-ci est la première édition imprimée à Cologne par Ulrich Zell en 1483.




dimanche 25 juillet 2021

Janus Pannonius, poète humaniste et bibliophile hungaro-croate. (1498)

Le poète Janus Pannonius, ou Jean de Pannonie, nom de plume de János Csezmicei (Francisé autrefois en Jean Césinge) n’est pas très connu ailleurs qu’autour du Danube, il est pourtant considéré comme la première grande figure de la littérature hungaro-croate de la Renaissance, grâce aux élégies et aux épopées écrites en latin qu’il nous a laissées.

Janus Pannonius est né en Slavonie, vers 1434, dans un village nommé Csezmice. Il est le neveu de János Vitéz, grand humaniste qui fonda dans ses sièges épiscopaux successifs (Nagyvárad, en Transylvanie, à partir de 1445, puis Esztergom en 1465) une académie et une bibliothèque. Ce dernier l’envoie étudier en Italie, à Ferrare, où il passe 11 ans dans la maison du Maitre Guarino Guarini dont il est le meilleur disciple. C’est là qu’il se lie d'amitié avec Galeotto Marzio, né vers 1425, à Narni en Ombrie, étudiant dans la même école.  La plupart des poèmes de Janus Panonnius sont dédiés ou adressés à Marzio. À l'automne 1454, son ami s'installe à Montagnana, sur le territoire de la République de Venise, et Janus vient le rejoindre en 1556 pour fuir la peste qui sévit dans la Sérénissime. Le jeune peintre Andrea Mantegna fait aussi partie de ce cercle d’intellectuels et le hongrois lui dédie un poème en 1458. En retour, Mantegna aurait peint un portrait des deux amis, perdu depuis lors.

Portrait supposé de Janus Pannonius peint par Andrea Mantegna sur une fresque de la Cathédrale de Padoue. (Il s’agirait du personnage central qui tourne la tête à droite)

En 1459, Janus Pannonius est rappelé en Hongrie par le nouveau roi Matthias Corvin, dont son oncle János Vitéz a été le précepteur puis le chancelier. Le roi Matthias, ayant Pannonius en grande estime, le reçoit dans son cercle de conseillers, tandis que le Pape Pie II le nomme évêque de Pécs. Il invite alors son ami Galeotto à le rejoindre, fin 1461. L'ancien disciple de Guarino Guarini est alors chargé par le Roi de couronner son ami Janus Pannonius, prince des poètes de la cour.

Mais, le destin de Janus Pannonius tourne court lorsqu’il veut suivre le parti de son oncle János Vitéz, favorable aux partisans du Prince polonais Kázmér, prétendant au trône de Hongrie, et qu’ils affrontent ensemble le roi Matthias Corvin. Il s'arme contre les troupes royales mais la rébellion échoue et lorsqu’il apprend que János Vitéz a été arrêté, il s'enfuit en Italie. C’est pendant ce voyage, en s’arrêtant dans le château de Medvedgrad, propriété de l'évêché de Pécs, qu’il décède le 27 mars 1472 à l'âge de 38 ans. Son tombeau, disparu des mémoires, est retrouvé en 1991 sous le maitre autel de la cathédrale de Pécs.

La première impression contenant exclusivement des œuvres de Janus Pannonius, découvertes dans la bibliothèque Saint Marc de Venise, a été publiée à Vienne en 1512, puis neuf éditions s’échelonnent entre 1512 et 1523 et la première édition d’une traduction en hongrois remonte 1565.

Mais c’est bien avant cette date qu’est édité un poème en cinquante vers à la gloire de la nymphe Féronia, imprimé à la suite des cinq livres des Histoires de Polybe (Edition de Venise, Bernardino de Vitali, 1498, dont il était question dans mon billet précédent). Il s’agit de la toute première impression de ce chant élégiaque, l’un des plus connus de Pannonius, en même temps que la première œuvre qui fut imprimée de lui.

Feuillet 101v et 102r contenant le poème de Pannonius

Au Printemps 1458, Janus Pannonius rentre de Rome et fait halte à Narni, ville natale de son ami Marzio. Non loin de la forteresse qui surplombe la ville, se trouve la Fontaine de Feronia, devant une oliveraie et le parfum des pins maritimes. La chaleur de l’été et la fraicheur de cette fontaine aux eaux limpides lui inspire cette ode à la nature, l’un de ses plus beaux poèmes. 

Elle est intitulée Naiadum Italicarum Principi divae Feroniae devotus hospes, lanus Pannonius, cecinit in reditu ex Urbe, nonis luniis, MCCCCLVIII (A la déesse Feronia, la plus importante des nymphes d’Italie, chantée par Janus Pannonius, hôte dévoué revenant de Rome, le 5 juin 1458.) et commence ainsi : Sacri fontes, ave, mater Feronia, cujus Félix Paeonias Narnia potat aquas. - Je te salue, ô déesse Feronia, mère de la fontaine sacrée, dont les heureux habitants de Narni boivent à la source salubre.

Détail du F°101v avec le titre du poème

La Fontaine Féronia à Narni

Feronia était une divinité rurale de l’Antiquité, objet d’un culte important en Italie centrale, principalement sur le territoire sabin et latin. Elle présidait aux travaux de l'agriculture et elle était principalement associée à la fertilité, à l'abondance, à la bonne santé des troupeaux et des bêtes sauvages. D’anciens temples lui était dédiés, comme celui du Champ de Mars à Rome, dans l'actuel aire archéologique du Largo di Torre Argentina. Les cérémonies annuelles en son honneur étaient appelées les Feroniae et se tenaient tous les 13 novembre au cours des Jeux plébéiens, en même temps que les fêtes dédiées à la Fortune de Préneste. Lors de ces cérémonies, ses prêtres, au dire de Strabon, marchaient nu-pieds sur les charbons ardents sans se brûler. Thèmes opposés du feu et de la fraicheur que Pannonius reprend dans son poème.

Le Hongrois se plait à imaginer qu’il sacrifie aux rites antiques et appelle la déesse à recevoir ses offrandes, après avoir retrouvé ses forces en se désaltérant dans l’onde pure : - Une fois, deux fois, la gorge sèche avale tes eaux régénérantes… Oh dans mes membres quelle force revient ! Oh combien ton feu divin dans mes entrailles a aimé s'éteindre !  Ma soif est étanchée…. Maintenant je me réjouis de contempler l'ancienne forteresse avec ses belles tours qui s'élève près de la fontaine sacrée ; Maintenant je suis heureux d'entendre le sombre grondement que la vague blanche du soufre, noir, fait en bas dans la gorge profonde, et d'écumer de vagues tout le ciel salubre [1]….. Ici, un petit chevreau est bientôt le plus gras du troupeau, et pour son sang, éparpillé, l'étang cristallin devient rouge. Ici, des fleurs viennent, et dans l'une d'elles la liqueur si précieuse de Bacchus, et un chant fend mes lèvres à la louange divine. : … Salve iterum et Latiis longe celeberrima Nymphis, Hospitis et grati suggipe dona libens !  - A nouveau salut, toi qui est de loin la plus célèbre des nymphes du Latium, accueille avec plaisir l’hôte reconnaissant qui t'offre de tels sacrifices. Acceptez-les de bon gré.

Fol°102r

Les textes de Pannonius sont d’une grande beauté formelle. Il a su adapter l’humanisme italien de la Renaissance aux thèmes et à l’âme de son pays. Son sens profond de l’observation donne des images charmantes comme dans le poème de l’amandier planté en Hongrie et qui se couvre de fleurs sans attendre la venue du Printemps, adaptation personnelle et sans doute inspirée par une chose vue du thème épigrammatique de la fleur éclose hors saison chez Martial.  

Pourquoi et par quelles circonstances un texte du poète hongrois figure-t-il à la suite de la seconde impression des Histoires de Polybe ? Il n’y a aucun lien apparent entre la déesse étrusco-romaine, protectrice des sources et de la nature et l’ouvrage de Polybe axé sur la stratégie militaire des romains et leurs institutions politiques. C’est un mystère qui ne semble pas encore résolu. On peut penser que c’est l’imprimeur Bernardino de Vitali lui-même qui aurait pu décider, en 1498, de faire figurer le poème à la suite de la seconde édition imprimée des Histoires.

Ce n’est pas la première fois que le poème apparait joint à un autre texte à la fin d’un ouvrage. Ainsi, Géza Szentmártoni Szabó, lors de ses recherches en 2009 sur trois chants panégyriques de Janus Pannonius au Roi René d’Anjou [2], a découvert dans un manuscrit conservé à Naples [3], outre les textes qui avaient déjà été identifiés au XIXème siècle par Pélissier [4], à la fin du manuscrit, après une page blanche, le texte d’un autre poème, sans indication d’auteur ou de titre, que Pélissier ne mentionnait pas dans son article. Il s’agit de l’élégie écrite par Janus Pannonius à Narni, le 5 juin 1458, à la gloire de la nymphe Feronia. Mais dans ce cas précis, si l’élégie est ajoutée à la fin du livre, le texte principal reste un panégyrique de Pannonius et non pas un texte sans aucun rapport, comme l’œuvre de Polybe.

Reliure en vélin des Histoires de Polybe contenant le poème de Pannonius

Détail de la reliure

En plus d’être poète, Janus Pannonius avait une des bibliothèques les plus importantes de Hongrie après la Bibliotheca Corviniana de son oncle János Vitéz, dont avait hérité le roi Matthias Corvin, en 1572, après l’arrestation de Vitez. Le roi enrichit lui-même considérablement la collection, surtout à partir de 1476, quand fut placé à la tête de la bibliothèque l'Italien Taddeo Ugoleto et particulièrement entre 1485 et 1490, quand le roi Matthias se fut emparé de Vienne. À sa mort en 1490, la bibliothèque comprenait plus de 2000 codex - appelés corvina - contenant 4000 à 5000 œuvres, dont beaucoup de classiques grecs et latins (mais aussi Dante ou Pétrarque), généralement rapportés d'Italie.

Les livres de la Bibliotheca Corviniana ont été dispersés pendant la période ottomane, comme le furent ceux du poète Pannonius.  Si les livres royaux ont pu être partiellement conservés et identifiés grâce à leur armoiries, il est plus difficile de reconstituer la bibliothèque humaniste de Janus Pannonius.  C’est la tâche à laquelle s’est attelé Csapodi Csaba [5] au moins pour les manuscrits copiés ou annotés par Pannonius lui-même, grâce à la graphologie ou grâce à de minces indices comme des marques de provenance, des dédicaces ou le style de la reliure d’origine, ou bien encore les allusions qui sont faites à tel ou tel auteur dans le corpus poétique du hongrois.

Ainsi ont pu être retrouvés un manuscrit du Commentaire de Ficin sur le Banquet de Platon dont la dédicace datée de 1569 est faite à Pannonius et qui aurait pu lui appartenir [6], un manuscrit de Xenophon, un Vocabularium de la Bibliothèque de Leipzig [7], etc. D’autres livres seront plus difficiles à retrouver mais nous savons par Vespasiano qu’à son retour d’Italie, Pannonius fit un arrêt à Florence pour rencontrer Cosme de Médicis et les intellectuels de la Villa de Careggi et qu’il fit à cette occasion l’acquisition de quelques livres humanistes. Il est aussi fort possible que les livres grecs de la Corviniana proviennent de la bibliothèque personnelle de Pannonius qui possédait parfaitement les deux langues.

Quoiqu’il en soit son influence a été grande dans l'ancienne Autriche-Hongrie, lui qui a amené en premier les muses de l’Italie humaniste aux rives froides du Danube.

Bonne Journée

Textor



[1] Traduction libre et non contractuelle, seul le texte latin fait foi !

[2] Du péril de Parthénope : la découverte de la version intégrale du panégyrique de René d'Anjou par Janus Pannonius. Géza Szentmártoni Szabó. Presses universitaires de Rennes, 2011 - p. 287-312.

[3] Bibliothèque nationale de Naples ( ms X, B, 63)

[4] Pélissier L.-G., « Notes autographes de la reine Christine sur un volume de la bibliothèque de Naples », Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 15 juillet 1898, p. 380-385.

[5] Csapodi Csaba, Les livres de Janus Pannonius et sa bibliothèque à Pécs in Scriptorium, Tome 28, n°1, pp.32-50.

[6] Vienne, ONB Cod.Lat. 2472 - Marsilius Ficinus : Commentarius in Platonis convivium de amore. Ianus Pannonius : Epigramma in Marsilium Ficinum.

[7] Coté Rep I-98