J’aurais pu intituler ce papier Les
Vélins de Varchi puisque c’est dans cette modeste condition que se
présentent deux petits ouvrages illustrant la présence dans ma bibliothèque
d’un poète notable de la Renaissance italienne, Benedetto Varchi, surtout connu
pour ses sonnets, dont voici la première édition collective.
Benedetto Varchi (Florence 1503 –
1565) avait étudié le droit à Pise mais n’exerça pas très longtemps le métier
de notaire préférant les belles lettres aux beaux contrats. Brillant touche à
tout, il produisit aussi bien des ouvrages historiques comme son Histoire de
Florence, une commande du Grand-Duc, que des œuvres philologiques,
philosophiques, des poésies ou des traductions. Ardant défenseur de la langue
toscane, devenue la base de la langue italienne moderne. Il affirmait que ls
toscan devrait être utilisée pour les œuvres littéraires en Italie, plutôt que
le latin, suivant ainsi le mouvement d’autres humanistes de son temps, tel que
Pietro Bembo.
C’est avec cet objectif qu’il
intégra l’Académie Florentine, un groupe d'intellectuels qui se consacraient à
l'étude et à la promotion de la langue et de la littérature italiennes. L’Accademia
fiorentina avait été créée en décembre 1540 sous la tutelle du Duc Cosme
1er. Elle se proclamait Institution d’Etat pour enlever toute ambiguïté sur sa
destination politique et offrait un cadre aux débats des intellectuels. Société
savante, c’était la gardienne du temple de la théorie philosophique, de la
poésie et des grandes œuvres du patrimoine toscan, production des années fastes
de la dynastie médicéenne du siècle précédent.
Dans ce cadre, Varchi fut amené à participer à
la polémique connue sous le nom de Paragone (ou parallèle des arts, en
français ; Qual sia piu Nobile, o la Scultura o la Pittura, paragone
) consistant à chercher à savoir quel art l'emportait sur l'autre, en majesté
et en puissance, entre la peinture ou la sculpture.
Au début de l’année 1547, il entreprend
de consulter les artistes de sa ville. Il s’agit, pour lui, de collecter
quelques avis d’autorité pour préparer un discours annoncé à l’Académie le
troisième dimanche de Carême. L’humaniste reçoit huit réponses d’artistes aussi
célèbres que Pontormo, Cellini, Vasari, Bronzino ou Michel-Ange sous forme de
lettres – ce qui permettra leur publication deux ans plus tard. Chacun fournit
les arguments les plus aptes à promouvoir son art de prédilection, exprimant
originalité, conformisme ou ironie, selon les personnalités.
Cet exercice le conduisit à
rencontrer de nombreux artistes alors présents à Florence. Il entretint par la
suite une abondante correspondance et se lia d’amitié avec plusieurs d’entre
eux. Il leur dédiera des poèmes que l’on retrouve dans le recueil des Sonetti.
Varchi avait notamment des liens
avec le peintre Bronzino [1]
bien avant la disputatio du Paragone. Dès 1528, il lui avait passé commande du
portrait de son amant, le jeune Lorenzo Lenzi [2]
dans lequel Bronzino insère sur les pages du livre ouvert que tient le jeune
homme un sonnet de Pétrarque et un sonnet de Varchi.
Les Sonetti contiennent
535 sonnets. Varchi avait prévu d’en éditer davantage et de diviser l’édition
en deux tomes, d’où la mention prima parte sur le titre. Mais le projet
ne vit pas immédiatement le jour et seul le premier tome fut publié en 1555. Il
faudra attendre 1557 pour voir apparaitre une seconda parte, chez le
même éditeur.
Les pièces sont regroupées selon
une organisation thématique : les pièces amoureuses d’inspiration pétrarquiste
qui sont adressées à Lorenzo Lenzi qu’il appelle Lauro, (Le laurier) comme
Pétrarque avait chanté son amour pour la belle Laura.
Suivent des sonnets pastoraux
puis des sonnets épistolaires, qui constituent le véritable intérêt du recueil
car ils sont adressés à de nombreux lettrés du temps, des professeurs, comme Lodovico
Boccadiferro, des érudits, comme l’emphatique Giorgio Dati, des musiciens tel Giovanni
di Daniello. Il leur adjoint pêle-mêle des hommes politiques et des militaires mais
en prenant toujours le soin de respecter leur hiérarchie sociale, et en
commençant, comme il se doit, par le premier d’entre eux, François de Medicis
(1541-1587), fils de Cosme Ier, grand-duc de Florence. La variété des dédicataires
montrent l’importance du réseau d’intellectuels que le poète avait su tisser
autour de lui.
Les sonnets adressés au Bronzino prolongent
le débat du Paragone et forment une série rhétoriquement cohérente. Dans ces
textes, Varchi rénove le modèle pétrarquéen. A l’issue d’une belle pirouette
dialectique (néoplatonicienne !), Varchi conclue qu’entre peinture et
sculpture, l’art majeur reste …la poésie [3].
Les vers de Varchi sont appréciés
diversement par la critique. Certains affirment qu’ils sont célèbres pour leur
grande élégance et leur musicalité quand d’autres les trouvent médiocres et
sans intérêt ! Le mieux est sans doute de se faire une opinion par
soi-même en les lisant :
Pastor,
che leggi in questa scorza e ’n quella / Filli scritto, e Damon, che Filli
honora, / Sappi, che tanto fu pietosa allora / Filli a Damon, quant’hor gl’è
cruda, e fella [4]
Etc…
Parmi ses nombreux talents Varchi avait aussi celui de produire de belles traductions. Il a traduit des œuvres de Platon, Aristote et Érasme en italien. Parmi ces traductions, j’ai en rayon la Consolation de la Philosophie de Boèce [5].
Le De consolatione philosophiæ
de Sévère Boèce est un dialogue entremêlé d’hymnes que l’auteur, emprisonné par
le roi des Goth Théodoric, avait écrit dans sa geôle, en attendant d’être exécuté.
Cette œuvre majeure de la pensée antique tardive, réunissant Platon et
Aristote, n’avait cessé d’être lue et admirée pendant tout le Moyen-âge et à la
Renaissance. Pétrarque l’avait paraphrasé dans le De remediis utriusque
fortunæ et Dante le plaça au Paradis. Elle fut traduite en italien par Anselmo
Tanza (Milan, 1520).
Afin de répondre à un souhait
formulé par Charles-Quint, Cosme de Médicis (1519-1574) lança une sorte de
concours pour obtenir une nouvelle traduction. Benedetto Varchi releva le défi
et en moins de 10 jours, dès le 20 avril 1549, le poète présentait un premier
essai de sa version, limité au premier livre du dialogue. Il acheva son travail
le 9 janvier 1550 et le fit publier en 1551 chez Torrentino. D’autres artistes
s’essayèrent à l’exercice tels que Luigi Domenichi ou Cosimo Bartoli. Leurs versions
du texte furent publiées par le même Torrentino, en 1550 et en 1551. Benedetto
Varchi fait allusion à ce concours dans son hommage au grand-duc, en préface de
son livre. Varchi sut rendre le distique élégiaque des vers latins par une
gamme très variée de solutions métriques italiennes. Il fut loué pour la pureté
de son style tandis que Bartoli le fut pour la précision de sa traduction…
Réimprimée en 1562, cette
traduction fut à nouveau éditée par Benedetto Titti, de San Sepolcro, en 1572,
après la mort de Varchi, augmentée d’annotations transmises par l’auteur.
En bon lettré, Varchi avait une bibliothèque richement pourvue et il n’hésitait pas à laisser son nom dans les ouvrages en guise d’ex-libris. Quatre-vingt-cinq ouvrages annotés par lui ont survécus jusqu’à nos jours, ce qui permet de se faire une idée de ses gouts et de ses lectures. A l’occasion, il offrait ses livres à ses amis. L’un d’eux, un ouvrage scientifique, s’est ainsi retrouvé entre les mains de Lelio Bonsi, membre de l’Accademia fiorentina, dont il fut procureur en 1552. Varchi l’avait mis en lumière dans son dialogue l’Ercolano. A sa mort la bibliothèque de Varchi fut léguée à Lorenzo Lenzi.
Bonne Journée,
Textor
[3] Voir
Selene Maria Vatteroni : Painting, poetry, and immortality in Benedetto
Varchi’s sonnets Pages 426-436 | Published online: 03 Dec 2019 et V. Mérieux :
La contribution d’Agnolo Bronzino à l’enquête de Benedetto Varchi ou
l’insoluble oxymore entre cadrage académique et intime conviction.
[4] Sonnet
12 à Ruberto de Rossi – p. 185 de cette édition de 1555.
[5] In-12
[124] feuillets signés *12 A4 B-K12 paginés [XXX-II bl.] 214 [II bl.]. Caractères
italiques pour les pièces en vers, romains pour le dialogue.