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jeudi 14 septembre 2023

Une presse éphémère : l’imprimerie de la collégiale Saint Victor près de Mayence. (1549)

 Il y a une dizaine d’années, la librairie Paul Jammes, à Paris, avait consacré un catalogue entier aux presses privées installées chez un particulier ou dans une institution religieuse [1]. L’exemple le plus connu de ces presses est celui de la Correrie, dans le monastère de la Grande-Chartreuse, qui fonctionna sous l’impulsion de Dom Innocent Le Masson pendant une vingtaine d’années.

Il en existe bien d’autres, le catalogue réunissait 132 lots, comme cette imprimerie du couvent de St François de Cuburien, près de Morlaix, en Bretagne (1575), l’imprimerie Huguenote de Duplessy-Mornay dans son château de la Forest-sur-Sèvres (1624), les impressions du Chasteau de Richelieu réalisé sous l’impulsion de Jean Desmaret de Saint-Sorlin pour le frère du Cardinal (1653), les productions de l’abbé Gerbert issues de son abbaye de Saint Blaise en Forêt Noire (1758), la Strawberry Hill Press de M. Horace Walpole (1772),  la presse privée de Benjamin Franklin à Passy (1781), l’imprimerie de Du Pont, député de Nemours, en son hotel de Bretonvilliers, Isle St Louis (1791), la presse privée de la Duchesse de Luynes à Montmorency (1800), l’imprimerie particulière de M. Thomassin à Besançon, dont Charles Nodier collectionnait les exemplaires,  etc … Le catalogue y associe même les ouvrages composés avec les nouveaux caractères de Pierre Moreau (1640) car ils sont cités dans le catalogue de Lottin. 

La marque au Pélican de François Behem

L’adresse de Saint Victor près de Mayence

Imprimeries Particulières, Catalogue Paul Jammes, Paris

Auguste-Martin Lottin, imprimeur du Roi, avait fait installer en Mai 1765 une petite presse typographique à Versailles pour enseigner au Dauphin, futur Louis XVI, l’art typographique. Il rédigea ensuite un Catalogue chronologique des librairies et libraires-imprimeurs de Paris (1789) dans lequel une douzaine de colonnes sont consacrées aux imprimeries particulières.

Emmanuelle Toulet [2] nous propose une définition de ces ateliers fugitifs qui fonctionnaient souvent sans privilège ni autorisation du pouvoir royal et sans souci de rentabilité. Ils étaient établis par des personnalités qui n’appartenaient pas au milieu de l’imprimerie et n’avaient pas de compétence technique. Ces personnalités choisissaient les textes, assuraient le financement, réunissaient le matériel nécessaire, l’installaient dans un lieu privé, recrutaient les ouvriers qualifiés, organisaient les opérations et décidaient des tirages, généralement peu élevés.

Ces presses étaient tolérées mais n’avaient aucune existence légale. En France, un arrêt de 1630, qui ne fut pas vraiment appliqué, précisait même que « sa Majesté fait défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, à tous chefs et supérieurs des collèges, couvents et communautés d’avoir à tenir dans aucune maison particulière … aucunes presses et imprimeries… ».

Bien qu’assorti, pour certains titres, du privilège impérial, c’est à cette catégorie des presses particulières que nous pouvons rattacher une série d’ouvrages religieux parus entre 1540 et 1552, portant tous l’adresse de la collégiale Saint Victor près de Mayence (Allemagne) et pour lesquels, il semble que l’initiateur en ait été uniquement un certain Johan Dobneck, dit Cochlaeus. 

Page de titre du De Haerici de Conrad Braun


La reliure monastique de l'ouvrage, une demie peau de truie estampée.

La collégiale Saint-Victor avait été fondée à la fin du Xe siècle, à Weisenau près de Mayence. Elle disposait déjà de tours et de fortes murailles qui remontaient à l'époque romaine ou au haut Moyen Âge lorsque L'archevêque Baudouin de Luxembourg (1328–1336) la fit fortifier parce qu’elle se trouvaient à l’extérieur de l’enceinte de la ville.

En pleine controverse religieuse et pour remplir son dessein évangélique, la congrégation s’adjoignit un imprimeur de la ville, François Behem, originaire de Meissen, qui transporta ses presses dans l’enceinte de l’abbaye, en 1539. Behem avait un lien de parenté avec Cochlaeus puisque son épouse était la nièce de celui-ci. [3]

Saint Victor pouvait s’enorgueillir d’un célèbre précédent en matière typographique car parmi la liste des membres des confréries rattachées à son chapitre figure le nom d’un certain Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg. [4]

Cette imprimerie eut une activité soutenue jusqu'au 28 Aout 1552, année où l'abbaye, avec toutes ses dépendances, fut pillée et détruite par le margrave Albert II Alcibiade de Brandebourg-Kulmbach pendant la Seconde guerre des Margraves, ce conflit qui opposa les princes luthériens et catholiques du Saint Empire et qui finit par la paix d’Augsbourg en 1555. La Collégiale ne sera jamais reconstruite, mais le chapitre fut déplacé le 21 octobre 1552 à la collégiale Saint-Jean à l'intérieur des murs de Mayence.

François Behem dut alors transférer son atelier typographique à l'intérieur de la ville, dans la maison au Mûrier. Il ne put reprendre son activité qu'en 1554 et il était encore actif en 1572. De nombreux exemplaires des livres imprimés à l’abbaye brulèrent ou furent dispersés au moment du pillage, d’où la difficulté d’en trouver aujourd’hui.

8ème imprimeur de Mayence dans l’ordre chronologique, après Gutenberg, Il avait obtenu, après le décès d'Yves Schoeffer, le neveu de Johannes Schoeffer, associé de Gutenberg, le privilège impérial exclusif, que ce dernier et ses prédécesseurs avaient eu, avant lui, d'imprimer les ordonnances impériales et les procès-verbaux des diètes de l'Empire.

Il était très habile dans son art et ses productions sont très soignées. Il employa plusieurs marques typographiques, dont celle au Pélican est la plus connue et la plus spectaculaire. Un Pélican qui se sacrifie pour ses petits, symbole du Christ, avec la devise Sic His Qui Diligunt. (Comme pour ceux qui aiment).


Quelques exemples du travail de François Behem

Les années 1545-1550 ont été celles d’une intense production pour l’abbaye sous l’impulsion de Johan Cochleaus qui édita, mis en forme ou commenta pas moins d’une vingtaine de titres au cours de ces années, essentiellement des textes visant à défendre la Saint Eglise catholique contre les hérétiques de tous bords, Luthériens, Hussites, Donatistes, Iconoclastes, dans un contexte de réaction à la Réforme protestante et à l’occasion du Concile de Trente qui avait débuté en 1545.

En voici une petite liste, non exhaustive, tirée de la Chronologie des Anciennes Impressions de Mayence [5] et du catalogue de la BNF :

Johannes Cochlaeus, De Autoritate et Potestate Generalis Concilii Testamonia XXX solida ac merito irrefragabilia, etc… Moguntiae F Behem 1545 ; opuscule de 46 ff. n.ch.

Statuta et Decreta Synodi Dioces. Argentorat. Moguntiae F Behem, 1546 in-Fol. Statuts émanant de l’évèque Erasme de Limbourg.

Johannes Cochlaeus, De Autoritate et Potestate Generalis Concilii Testamonia XXX solida ac merito irrefragabilia, Mogunt. Ad D Vict. Impr. Per Franc Behem, 1546. Seconde edition in-8.

Johannes Chrysotomus Mess auf Teutsch, Meynz F Behem 1546 in-4

Georgius Wicelius Form und Anzeigung Form und Anzeigung, welcher gestalt die heilige, apostolische, und catholische Kyrche Gottes, vor Tausent mehr oder weniger jaren, in der gantzen Christenheit ... Meyntz, Frantz Behem, 1546 in-8.

Jo. Cochlei Commentaria de actis et scriptis Mart. Lutheri chronographicè ab anno 1517. ad annum 1546. Apud S. Victorem prope Moguntiam 1549. In-fol.,

Johannes Cochlaeus, Joannis Calvini in acta Synodi Tridentinae Censura et eiusdem brevis confutatio Apud S. Victorem prope Moguntiam, ex officina Francisci Behem Typographi, 1548, opuscule de 40 ff. que Jean Cochlée adresse à Erasme Strenberg, chanoine de Trente.

Catalogus brevis eorum quae contra novas sectas scripsit Joannes Cochlaeus Apud S. Victorem prope Moguntiam : per F. Behem , 1548

De Caeremoniis capitula tria D. Con. Bruni,... e tribus ejus libris I, III, et VI, excerpta. Apud S. Victorem, per F. Behem , 1548

Breve D. Conradi Bruni,... Introductorium de haereticis, e sex libris ejus excerptum... tribus capitulis comprehensum (autore Johanne Cochlaeo) Apud S. Victorem Moguntiae : per F. Behem , 1548

De Legationibus capitula tria D. Conradi Bruni,... excerpta e libro ejus secundo, cap. IX, X et XI (Francisci Behem studio)" Apud S. Victorem, per F. Behem , 1548

Un curieux recueil de 99 ff. Domine aperi oculos istorum ut uidebant, toujours de l’infatigable Cochlée et dédié à Philippe, évêque de Spire.  A la fin on lit : Apud S. Victorem prope Moguntiam excudebat Franciscus Behem, Die 30 martij 1548.

De imaginibus liber D. Conradi Bruni ... aduersus Iconoclastas.. S. Victorem prope Moguntiam, Aout 1548

Speculum antiquae devotionis circa missam et omnem alium cultum Dei, in-fol., Apud S. Victorem extra muros Moguntiae : ex officina F. Behem , 1549

Historiae Hussitarum Libri Dvodecim Cochlaeus, Johannes, Apud S. Victorem prope Moguntiam, 1549

De Interim brevis responsio Joan. Cochlaei, ad prolixum convitiorum et calumniarum librum Joannis Calvini (1549) Apud S. Victorem prope Moguntiam : excudebat F. Behem, 1549

Commentaria Joannis Cochlaei de actis et scriptis Martini Lutheri,... chronographice, ex ordine, ab anno... 1517 usque ad annum 1546... conscripta, adjunctis duobus indicibus et edicto Vuormaciensi...in-fol, Apud S. Victorem prope Moguntiam : ex officina F. Behem , 1549

L’ouvrage qui illustre cet article : D. Conradi Bruni,... libri sex de haereticis in genere. D. Optati Afri episcopi quondam Milevitani libri sex de Donatistis in specie, nominatim in Parmenianum, ex bibliotheca Cusana. Plura D. Bruni opera utpote de seditiosis libri sex, de calumniis libri tres, de universali concilio libri novem... Apud S. Victorem prope Moguntiam, ex oficina Francisci Behem Typographi, 1549.

Martini Cromeri oratio in synodo Cracoviensi nuper habita... (In lucem edidit J. Cochlaeus.) In-8° , 28 ff. Moguntiae : ex off. F. Behem , 1550.

Je mentionne pour l’anecdote un petit opuscule qui se distingue de cette production presque uniquement dédiée à la Contre-Réforme : Bergellanus (Joannes Arnoldus). De Chalcographiae Inventione poema encomiasticum (Moguntiae) cum privilegio Caesareo, 1541. C’est un poème de 11 feuillets à la gloire de la nouvelle invention typographique, dédicacé au Cardinal Albert, Electeur de Mayence, dont la page de titre représente trois imprimeurs au travail [6]. On lit au colophon : Moguntiae, ad divum Victorem, execudebat, Franciscus Behem.

Jean Cochlaeus au Lecteur

La plupart de ces titres, produits à l’abbaye, associe le nom de Cochleaus. Johan Dobneck, (dit Cochlaeus - enroulé en spirale ! - selon le surnom que lui donnèrent ses condisciples humanistes), est né en 1479 à Raubersried près de Nuremberg (Franconie) et il est mort en 1552 à Breslau, actuelle Wroclaw (Pologne). Il fut d'abord un pédagogue, recteur d'une des écoles de Nuremberg et auteur de divers manuels sur la grammaire, la musique, la nature. C'est d'ailleurs à ce dernier titre qu'il se révèle original, introduisant la philosophie de la nature dans le cursus préuniversitaire, avec sa Meteorologia et sa Cosmographia. 

Malgré une certaine sympathie pour les positions luthériennes du départ, notamment la critique de certains abus de l'Église, très vite et avant les autres, Cochlaeus vit dans le Réformateur de Wittenberg une menace pour la paix sociale, l'unité de l'Église et la civilisation des lettres que représentait l'humanisme. Le parti pris favorable envers Luther se maintint jusqu'à la Diète de Worms en 1521 où il lui fut donné de le rencontrer et de se mesurer à lui. A partir de là, Luther devint l'adversaire à abattre, incarnation du mal à éradiquer par tous les moyens que la controverse et la polémique mettait à sa disposition. Le pédagogue, revenu prêtre de son voyage à Rome, et gradué de l'Université, se lança dans le combat de la défense de l'Église catholique à laquelle il se consacra jusqu'à la fin.

Le Traité contre les Hérétiques de Conrad Braun (ou Conrad Bruni, 1491-1563) est un parfait exemple des productions de Saint Victor. Braun est un juriste, il a enseigné le droit public à l'université de Tübingen en 1521 et publié plusieurs ouvrages juridiques consacrés au Schisme, aux coutumes et aux ambassades. Ce traité contre les hérétiques, divisé en six livres, se présente comme une suite de six monographies sur le thème de l'hérésie : quid est de haereticorum moribus, quid est de malis et impietatibus, quid est de remediis, quid est de iudiciis, quid est de poenis haereticorumt.

Les pièces liminaires de Cochlaeus sont une nouvelle occasion de critiquer les sectes maudites (c’est-à-dire les protestants) qui, à son avis, rendent incertain l’avenir de l’Allemagne et oppose à leurs protagonistes (tels que Luther et Melanchthon), que Cochlaeus qualifie d’ennemis de l’Eglise et d’auteurs d’écrits pestilentiels, la saine doctrine de Braun ainsi que sa piété et son honnêteté. Cochlaeus et Braun se connaissaient personnellement ; ils s’étaient rencontrés probablement en 1540-1541, à l’occasion d’un débat sur les questions religieuses à Worms [7].

Le Traité d'Optat de Milève en deux exemplaires reliés ensemble. 

Un des filigranes du papier.

Le second ouvrage, rattaché au traité de Conrad Braun et annoncé au titre, est le traité des 6 livres contre les Donatistes par Saint Optat de Milève. Il est déjà considéré comme très rare au XIXème siècle. Les catalogues anciens notent que cette pièce se trouve très rarement à la suite du Traité des Hérétiques et Clément, dans sa Bibliothèque Curieuse Historique, fait le commentaire suivant : "Monsieur Meermann qui a acquis les ouvrages de Conradi Brunus m’écrit avec raison qu’ils sont fort rares et très estimés des Curieux et qu’on les joint ordinairement aux Ecrits de Jean Colchée. Il remarque en particulier sur ce traité que l’ouvrage d’Optatus Milevitanus ne se trouve pas dans son exemplaire, ni dans les autres qu’il a eu entre les mains, et il conclut que le contenu ne répond pas au titre. J’ai trouvé le même défaut dans notre Bibliothèque Royale ; et je crois que le Traité d’Optatus Milevitanus s’est vendu séparément, parce qu’il a son titre particulier et qu’il a la forme d’un livre singulier, ou que quelques personnes l’auront joint aux ouvrages de Colchée parce que c’est à ce dernier que nous en sommes redevables, comme on le verra dans un moment. Quoiqu’il en soit, il existe à la suite de l’exemplaire de M. Brunemann et porte le titre Optati Milevitani …. " [8].

L’histoire n’a pas retenu la raison pour laquelle, dans mon exemplaire, le texte d’Optat de Milève, dont il est dit partout qu’il est rarement relié à la suite du texte de Bruni, a été relié ici en deux exemplaires identiques, à la suite l’un de l’autre….

Il est possible que la reliure de cet ouvrage ait été aussi fabriquée dans le Monastère par les moines de St Victor car c’est un exemple typique des productions monastiques du Saint Empire : Une demie peau de truie estampée à froid avec réutilisation pour les plats d’un manuscrit du XIVe ou XVème siècle. Les moines devaient avoir à disposition un stock important de manuscrits sur place et chacun des cartons est donc constitué d’une quinzaine de feuillets d’un manuscrit collé les uns aux autres. Cette opération, sacrilège pour un bibliophile d’aujourd’hui, a eu pour avantage de sauver un important fragment de ce livre (pas moins de 64 pages !) alors qu’on ne sait pas ce qu’il est advenu des autres manuscrits, sans doute brulés avec la bibliothèque de l’abbaye.

Bonne Journée,

Textor


Le Petit-Séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet (disparu vers 1900) photographié par Atget, d’où provient l’exemplaire présenté, remplacé aujourd'hui par la Maison de la Mutualité.



[1] Catalogue intitulé Presses privées. Imprimeries particulières et secrètes.

[2] Emmanuelle Toulet, Imprimeries privées françaises (XVe – XIXe siècles), choix d’ouvrages tirés de la collection du duc d’Aumale. Exposition présentée dans le Cabinet des livres du Château de Chantilly en 2002.

[3] Dans l’une de ses lettres, datée du 28 avril 1548, Cochlaeus dit au sujet de ce typographe : cui uxor est neptis mea, cf. Buschbell 1909, p. 815.

[4] cf Bruderschaftsbusch St. Viktor, Hessisches Staatsarchiv, Darmstadt Abt. C1 D, Nr. 35, fol. 7’, fol. 12’, cité par Karin Emmrich, St. Viktor bei Mainz, der römische Pfründenmarkt und der frühe Buchdruck – Klerikerkarrieren im Umfeld Johannes Gutenbergs qui précise que la signature autographe de Gutenberg a été prélevée pour être gardée dans des archives spécifiques.

[5] In le Messager des sciences historiques de Belgique ..., Gand, 1842, Volume 4 p. 124 ;

[6] Cité par Prosper Marchand (p 11-17) dans son Histoire de la Typographie.

[7] Voir Braun, Guido. « Les cinq livres sur les ambassades » de Conrad Braun In : De l’ambassadeur : Les écrits relatifs à l’ambassadeur et à l’art de négocier du Moyen Âge au début du xixe siècle [en ligne]. Rome : Publications de l’École française de Rome, 2015 pp.

[8] Encore aujourd’hui la Bibl. de l’Université de Berkeley note : The additional works by K. Braun called for on t.p. do not appear in this and most other copies, except BM. Leur collation en [28], 358, [18], 69, [3] pages parait erronée car la marque d'imprimeur est à rattacher au premier ouvrage (Signatures : a*⁶, b*⁸, A-2G⁶, *⁸, [2d]A-F⁶.) Tandis que le nôtre se présente comme suit :  [28], 358, [2] - [16], 69, [2], [16], 69, [1]   pages ; - Signatures : a*⁶, b*⁸, A-2G⁶, *⁸, A-E⁶ F5.


 

vendredi 25 août 2023

Erasme et la censure (1542)

Un nom d’auteur biffé sur la page de titre d’une édition ancienne d’Erasme nous rappelle combien fut grande et dérangeante l’influence de l’humaniste de Rotterdam. Ce sont les mots Des.(iderii) Erasmi Rot.(erdami) qui ont été caviardés sur ce titre. L’acidité de l’encre ayant terminé l’œuvre du censeur.

Page de titre censurée du De Conscribendi epistolis opus publié chez Gryphe en 1542.

Un énorme malentendu a longtemps plané sur le catholicisme érasmien. Il n’y a plus débat aujourd’hui sur le fait qu’il était bien du côté de l’Eglise catholique et non pas du côté de la réforme mais la liberté qu’il s’était donné à juger les pratiques sclérosées du clergé, pratiques entachés de formalisme, voire même de superstition, les jugements sévères qu’il portait sur les débats théologique futiles des scholastiques et son désir de moderniser l’humanisme chrétien dans le cadre d’une pensée complexe et nuancée, ont conduit à une certaine incompréhension de ses pairs tout au long de sa vie puis à la censure pure et simple de ses œuvres, même longtemps après sa mort (1536).

La reliure de l’ouvrage présente quelques similitudes avec celles qui ornaient les ouvrages du bibliophile Marcus Fugger : Double filets encadrant les plats avec une dextrochère comme motif central et quatre fleurons d’angle. Toutefois sa signature n’apparait pas ou n’a pas été conservée car les gardes ont été renouvelées. Marcus Fugger faisait fabriquer ses reliures dans un atelier parisien.

Frère Erasme a choisi de vivre en marge des Augustins, obtenant la permission du Pape en 1517 de ne pas porter l’habit de son ordre et de vivre hors du couvent, en prêtre séculier. Un pas de côté qui lui permet de juger librement les pratiques religieuses qu’il considère comme datées. Son texte de 1522 sur l’interdiction de manger de la viande pendant le Carême ( Epistolae Apologetica de interdictio esu carnium) dans lequel il condamne le jeûne, estimant qu’il faut adapter ces anciennes prescriptions aux habitudes du temps, ne fait qu’augmenter le malentendu avec l’Eglise. Il estime encore qu’il y a trop de fêtes religieuses et de jours chômés néfastes à l’économie, que la loi sur le célibat ne faisait qu’entrainer nombre de prêtres vers la religion réformée et que par ailleurs le système des indulgences, permettant de racheter ses fautes, ne profite qu’aux riches tout en corrompant le clergé !

La critique des indulgences aurait pu laisser penser qu’il y avait une communauté de vue entre Erasme et Luther mais leurs échanges épistolaires, d’abord via Spalatin, chapelain de Frederic de Saxe, puis directement à l’initiative de Melanchthon, révèle rapidement des divergences philosophiques qui seront définitivement consommées en 1524 après la réponse aux diatribes d’Ulrich von Hutte, militant luthérien. (Spongia adversus aspergines Hutteni).  Luther échoue à rallier Erasme à sa cause évangélique. Dans ses Propos de Table il mentionne même qu’il interdira par testament à ses enfants de lire les Colloques, qui, sous un masque de piété, bafoue le christianisme.

Il est pour le moins paradoxal qu’Erasme ait été à la fois protégé par le Pape Paul III qui va jusqu’à lui proposer la pourpre cardinalice et dans le même temps soumis aux attaques incessantes des censeurs de la Sorbonne et de Louvain.

La faculté de théologie de Paris a été la première à entamer dès 1523 des procédures contre lui. Cette année-là vit la publication d’une partie des Colloques (Colloquia) dans lesquels le dialogue intitulé le Naufrage [1] (Naufragium), basé sur une histoire vraie, constitue un bel exemple des raisons qui entrainèrent la désapprobation de l’Eglise.

Il met en scène des voyageurs à bord d’un bateau pendant une tempête, dont certains seront sauvés et d’autres noyés. Le dialogue est prétexte à présenter différentes réactions et attitudes humaines face au danger, notamment les comportements religieux jugés hypocrites voire intéressés : les prières véhémentes aux saints ou à la Vierge plutôt qu’au Christ, les promesses d’ex-voto qui seront oubliées sinon moquées une fois le danger passé, l’égoïsme des religieux qui ne montrent pas beaucoup de sérénité ni de confiance en Dieu et qui, au lieu de prendre en charge les passagers, laissent une jeune mère secourir ses semblables, etc.

La protection de François 1er et de Marguerite de Navarre retarde l’exécution de la condamnation des écrits d’Erasme jusqu’en 1526 mais le zèle combatif du syndic de la faculté, Noël Breda, un normand fanatique et sans doute jaloux, finit par porter ses fruits. Les Colloques et les Paraphrases sont les premières œuvres condamnées, malgré les tentatives d’Erasme de justifier ses propos dans une lettre adressée aux censeurs de la Sorbonne [2] . Mais c’est plus fort que lui, quand il essaie d’entourer ses commentaires de mille précautions, il ne peut s’empêcher de lancer une pique ironique.  Dans son Du libre arbitre, Erasme écrit :  Je me rangerais sans peine à l’avis des sceptiques partout où cela est permis par l’autorité des Saintes Écritures et les décrets de l’Église auxquels je me plie en tout, que je comprenne ou non ce qu’elle ordonne. Il n’en fallait pas plus pour que Breda voit rouge [3].

La liste des livres interdits ne fait qu’augmenter après l’affaire des Placards (1534) jusqu’à contenir 500 condamnations dans lesquelles figuraient la plupart des titres d’Erasme, du Manuel du Soldat Chrétien (Enchiridion Militis Christiani) jusqu’à l’Eloge de la Folie (Enconium Moriae) sans oublier le sulfureux De interdictu esu carnium.

Les Pays-Bas ne furent pas en reste mais de manière plus nuancée. L’université de Louvain, sous la houlette de l’Inquisiteur de la Foi Nicolas Baechem, éplucha la première édition collective de Froben (Erasmi Opera Omnia, Bale, 1540) et finit par condamner 2 traductions de De Amabili Concordia montrant ainsi une certaine clémence à l’égard des idées du grand homme.

De son côté, le premier index romain (1559), à l’initiative du nouveau Pape Cafara (Paul IV) place Erasme parmi les auteurs hérétiques de première classe. Plus tard, l’index qui suit le Concile de Trente est pour le moins ambigu. A l’entrée ‘’Erasmus’’ l’intégralité de l’œuvre est prohibée alors qu’à l’entrée ‘’Desiderius‘’ il est considéré comme un auteur de seconde classe dont sept titres seulement sont interdits de vente et de lecture !

Lettre d'Erasme à Nicolas Béroalde.

Une lettrine de l'ouvrage.

Quand parait à Lyon chez Sébastien Gryphe, en 1542, une nouvelle édition du De Conscribendi Epistolis Opus qui avait été édité pour la première fois en 1522, les condamnations pour hérésie sont déjà prononcées et il peut paraitre étonnant que l’imprimeur lyonnais n’en tienne pas compte. Il s’est même donné pour rôle de rééditer la plupart des œuvres de l’humaniste de Rotterdam, sous forme de petits ouvrages portatifs qui tranchent sur les grands in-folio Frobien. Pas moins de 5 à 15 titres d’Erasme sortent annuellement de ses presses entre 1528 et 1558 [4].

Le De Conscribendi Epistolis Opus, ou Traité sur l’Art d’Ecrire des Lettres n’est certes pas le plus satyrique des écrits du Maitre de Rotterdam. C’est un ouvrage important dans la mesure où pour la première fois à la Renaissance un auteur se penche sur le sujet et théorise sur l’art d’écrire des lettres, mais il n’y a rien dans ces pages qui pourrait déclencher une polémique.

Pétrarque le premier, en découvrant fortuitement un manuscrit des lettres de Cicéron à Lucilius commence à classer et corriger les siennes en vue d’une publication. La lettre sort ainsi de la sphère privée pour devenir un genre littéraire à part entière. Erasme utilise le format de la lettre pour diffuser sa pensée. Il donne la permission qu'elles soient recopiées et distribuées quand il n’en planifie pas lui-même soigneusement la publication en différents recueils.

Puis il s’interroge dans le De Conscribendi Epistolis sur la valeur de ces recueils car il convient au préalable de convenir de ce qu’est une lettre, tant celle-ci peut prendre des formes multiples, d’un billet griffonné à un mémoire plus ample et structuré. C’est une chose si diverse, dira Erasme dans son livre, qu’elle varie presque à l’infini (Res tam multiplex propeque ad infinitum varia). Il estime qu’il existe autant de style de lettres que de destinataires. En introduisant dans la lettre ce principe d'infini, Il en fait un style d’écriture à part entière, d’une grande liberté et prétend même bousculer le cercle où des pédants barbares voulaient enfermer le genre épistolaire.

L’ouvrage est conséquent ; Pas moins de 360 pages dans cette édition, au fil desquelles sont passées en revue tous les types de missives : lettres de louanges, lettres de remerciements aux louanges, lettres d’exhortation, même les lettres d’amour, qu’illustre de nombreux exemples imaginés par l’auteur ou tirés des écrits des anciens telles que les lettres de Cicéron ou les lettres de Pline. L’introduction de cet ensemble sur l’art d’écrire est bien évidemment… une lettre adressée par Erasme à Nicolas Béroalde datée de Bâle, du 8 Juin 1522.

Erasme se pose des questions qui ne nous serait même pas venu à l’idée, comme la correcte latinisation des noms propres. Comment s’adresser correctement dans une lettre à Pic de la Mirandole ? Picus de Mirandula, Picus Mirandolanus, Picus à Mirandula ? (page 67). Il donne sa préférence comme le fait aujourd’hui le catalogue de la Bibliothèque Nationale sur les formes retenues et rejetées des noms d’auteurs.

L’épineux problème de la latinisation des noms propres français.

Qu’aurait eu à redire l’Eglise sur ce sujet ? Probablement rien. Mais le premier possesseur de l’exemplaire que j’ai en mains, ou plus tard un quelconque bibliothécaire qui le conserva, s’est imaginé qu’il était plus prudent de rayer le nom de l’auteur hérétique. D’autres exemplaires de ce titre ont subi le même sort.[5] Dans le nôtre seule la page de titre a subi la rage du censeur alors que le nom d’Erasme a été conservé sur les pages liminaires. Mise en conformité à la censure très symbolique, donc.

Bonne Journée,

Textor

Dextrochère 



[1] Voir Jean-Claude Margolin, Les éléments satyriques dans le Naufragium in La Satyre au temps de la Renaissance, Paris, Touzot 1986, p 153-185.

[2] Dans une lettre intitulée Declarationes Des. Erasmi Roterodami ad Censuras Lutetiae vulgatas sub nomine Facultatis Parisiensis (Froben, Fév. 1532)

[3] Voir Jean-Pierre Vanden Branden : Érasme fut-il un contestataire ? in Cahiers Bruxellois – Brusselse Cahiers 2018/1 (L), pages 119 à 141.

[4] Voir Étude de la production éditoriale de Sébastien Gryphe sur deux années caractéristiques : 1538 et 1550. Mémoire de recherche de Raphaëlle Bats, Coralie Miachon, Marie-Laure Monthaluc, Roseline Schmauch-Bleny sous la direction de Raphaële Mouren, ENSSIB Juin 2006.

[5] Notamment une impression de S. Gryphe, Lyon 1536, intitulée Conscribendarum epistolarum ratio, passée en vente chez la SVV Arenberg en Belgique, en mars 2021 et dont le nom de l’auteur avait été rayé par trois fois. On trouvera deux autres exemples pour une traduction d’Euripide dans le Catalogue "Alde Manuce (1450 - 1515) Une collection" de la Vente Pierre Bergé. Genève, 2004. (Lot 66 et 67) 

jeudi 13 juillet 2023

Benedetto Varchi, l’ami des peintres et des sculpteurs (1555)

J’aurais pu intituler ce papier Les Vélins de Varchi puisque c’est dans cette modeste condition que se présentent deux petits ouvrages illustrant la présence dans ma bibliothèque d’un poète notable de la Renaissance italienne, Benedetto Varchi, surtout connu pour ses sonnets, dont voici la première édition collective. 

Reliures des deux oeuvres de Varchi. 

Page de titre des Sonetti 

Benedetto Varchi (Florence 1503 – 1565) avait étudié le droit à Pise mais n’exerça pas très longtemps le métier de notaire préférant les belles lettres aux beaux contrats. Brillant touche à tout, il produisit aussi bien des ouvrages historiques comme son Histoire de Florence, une commande du Grand-Duc, que des œuvres philologiques, philosophiques, des poésies ou des traductions. Ardant défenseur de la langue toscane, devenue la base de la langue italienne moderne. Il affirmait que ls toscan devrait être utilisée pour les œuvres littéraires en Italie, plutôt que le latin, suivant ainsi le mouvement d’autres humanistes de son temps, tel que Pietro Bembo.

C’est avec cet objectif qu’il intégra l’Académie Florentine, un groupe d'intellectuels qui se consacraient à l'étude et à la promotion de la langue et de la littérature italiennes. L’Accademia fiorentina avait été créée en décembre 1540 sous la tutelle du Duc Cosme 1er. Elle se proclamait Institution d’Etat pour enlever toute ambiguïté sur sa destination politique et offrait un cadre aux débats des intellectuels. Société savante, c’était la gardienne du temple de la théorie philosophique, de la poésie et des grandes œuvres du patrimoine toscan, production des années fastes de la dynastie médicéenne du siècle précédent.

 Dans ce cadre, Varchi fut amené à participer à la polémique connue sous le nom de Paragone (ou parallèle des arts, en français ; Qual sia piu Nobile, o la Scultura o la Pittura, paragone ) consistant à chercher à savoir quel art l'emportait sur l'autre, en majesté et en puissance, entre la peinture ou la sculpture.

Au début de l’année 1547, il entreprend de consulter les artistes de sa ville. Il s’agit, pour lui, de collecter quelques avis d’autorité pour préparer un discours annoncé à l’Académie le troisième dimanche de Carême. L’humaniste reçoit huit réponses d’artistes aussi célèbres que Pontormo, Cellini, Vasari, Bronzino ou Michel-Ange sous forme de lettres – ce qui permettra leur publication deux ans plus tard. Chacun fournit les arguments les plus aptes à promouvoir son art de prédilection, exprimant originalité, conformisme ou ironie, selon les personnalités.

Cet exercice le conduisit à rencontrer de nombreux artistes alors présents à Florence. Il entretint par la suite une abondante correspondance et se lia d’amitié avec plusieurs d’entre eux. Il leur dédiera des poèmes que l’on retrouve dans le recueil des Sonetti.

Varchi avait notamment des liens avec le peintre Bronzino [1] bien avant la disputatio du Paragone. Dès 1528, il lui avait passé commande du portrait de son amant, le jeune Lorenzo Lenzi [2] dans lequel Bronzino insère sur les pages du livre ouvert que tient le jeune homme un sonnet de Pétrarque et un sonnet de Varchi.

Les Sonetti contiennent 535 sonnets. Varchi avait prévu d’en éditer davantage et de diviser l’édition en deux tomes, d’où la mention prima parte sur le titre. Mais le projet ne vit pas immédiatement le jour et seul le premier tome fut publié en 1555. Il faudra attendre 1557 pour voir apparaitre une seconda parte, chez le même éditeur.

Les pièces sont regroupées selon une organisation thématique : les pièces amoureuses d’inspiration pétrarquiste qui sont adressées à Lorenzo Lenzi qu’il appelle Lauro, (Le laurier) comme Pétrarque avait chanté son amour pour la belle Laura.


Sonnet à Lorenzo Lenzi. Caro Lenzi mio…

Suivent des sonnets pastoraux puis des sonnets épistolaires, qui constituent le véritable intérêt du recueil car ils sont adressés à de nombreux lettrés du temps, des professeurs, comme Lodovico Boccadiferro, des érudits, comme l’emphatique Giorgio Dati, des musiciens tel Giovanni di Daniello. Il leur adjoint pêle-mêle des hommes politiques et des militaires mais en prenant toujours le soin de respecter leur hiérarchie sociale, et en commençant, comme il se doit, par le premier d’entre eux, François de Medicis (1541-1587), fils de Cosme Ier, grand-duc de Florence. La variété des dédicataires montrent l’importance du réseau d’intellectuels que le poète avait su tisser autour de lui.

Les sonnets adressés au Bronzino prolongent le débat du Paragone et forment une série rhétoriquement cohérente. Dans ces textes, Varchi rénove le modèle pétrarquéen. A l’issue d’une belle pirouette dialectique (néoplatonicienne !), Varchi conclue qu’entre peinture et sculpture, l’art majeur reste …la poésie [3].

Poème à Bronzino

Les vers de Varchi sont appréciés diversement par la critique. Certains affirment qu’ils sont célèbres pour leur grande élégance et leur musicalité quand d’autres les trouvent médiocres et sans intérêt ! Le mieux est sans doute de se faire une opinion par soi-même en les lisant :  

Pastor, che leggi in questa scorza e ’n quella / Filli scritto, e Damon, che Filli honora, / Sappi, che tanto fu pietosa allora / Filli a Damon, quant’hor gl’è cruda, e fella [4]

Etc…

Sonnet Pastor che leggi

Parmi ses nombreux talents Varchi avait aussi celui de produire de belles traductions. Il a traduit des œuvres de Platon, Aristote et Érasme en italien. Parmi ces traductions, j’ai en rayon la Consolation de la Philosophie de Boèce [5].

Page de titre du De consolatione de Boèce traduit par Benedetto Varchi
 dans sa seconde édition de 1562. 


Le De consolatione philosophiæ de Sévère Boèce est un dialogue entremêlé d’hymnes que l’auteur, emprisonné par le roi des Goth Théodoric, avait écrit dans sa geôle, en attendant d’être exécuté. Cette œuvre majeure de la pensée antique tardive, réunissant Platon et Aristote, n’avait cessé d’être lue et admirée pendant tout le Moyen-âge et à la Renaissance. Pétrarque l’avait paraphrasé dans le De remediis utriusque fortunæ et Dante le plaça au Paradis.  Elle fut traduite en italien par Anselmo Tanza (Milan, 1520).

Afin de répondre à un souhait formulé par Charles-Quint, Cosme de Médicis (1519-1574) lança une sorte de concours pour obtenir une nouvelle traduction. Benedetto Varchi releva le défi et en moins de 10 jours, dès le 20 avril 1549, le poète présentait un premier essai de sa version, limité au premier livre du dialogue. Il acheva son travail le 9 janvier 1550 et le fit publier en 1551 chez Torrentino. D’autres artistes s’essayèrent à l’exercice tels que Luigi Domenichi ou Cosimo Bartoli. Leurs versions du texte furent publiées par le même Torrentino, en 1550 et en 1551. Benedetto Varchi fait allusion à ce concours dans son hommage au grand-duc, en préface de son livre. Varchi sut rendre le distique élégiaque des vers latins par une gamme très variée de solutions métriques italiennes. Il fut loué pour la pureté de son style tandis que Bartoli le fut pour la précision de sa traduction…

Réimprimée en 1562, cette traduction fut à nouveau éditée par Benedetto Titti, de San Sepolcro, en 1572, après la mort de Varchi, augmentée d’annotations transmises par l’auteur.

Reliure au Phoenix (armes non identifiées)

En bon lettré, Varchi avait une bibliothèque richement pourvue et il n’hésitait pas à laisser son nom dans les ouvrages en guise d’ex-libris.  Quatre-vingt-cinq ouvrages annotés par lui ont survécus jusqu’à nos jours, ce qui permet de se faire une idée de ses gouts et de ses lectures. A l’occasion, il offrait ses livres à ses amis. L’un d’eux, un ouvrage scientifique, s’est ainsi retrouvé entre les mains de Lelio Bonsi, membre de l’Accademia fiorentina, dont il fut procureur en 1552. Varchi l’avait mis en lumière dans son dialogue l’Ercolano. A sa mort la bibliothèque de Varchi fut léguée à Lorenzo Lenzi.

Bonne Journée,

Textor



[1] Agnolo Bronzino (Florence 1503-1572)

[2] Aujourd’hui à Milan, Château Sforza.

[3] Voir Selene Maria Vatteroni : Painting, poetry, and immortality in Benedetto Varchi’s sonnets Pages 426-436 | Published online: 03 Dec 2019 et V. Mérieux : La contribution d’Agnolo Bronzino à l’enquête de Benedetto Varchi ou l’insoluble oxymore entre cadrage académique et intime conviction.

[4] Sonnet 12 à Ruberto de Rossi – p. 185 de cette édition de 1555.

[5] In-12 [124] feuillets signés *12 A4 B-K12 paginés [XXX-II bl.] 214 [II bl.]. Caractères italiques pour les pièces en vers, romains pour le dialogue.Mention d’appartenance : collegii lugdun(ien-sis) soc(ietatis) Jesu catal(ogo). Inscript(is). 1615 n° 3118. La bibliothèque des jésuites qui dirigeaient le collège de la Trinité de Lyon a constitué le fonds de la bibliothèque municipale de Lyon après les saisies révolutionnaires.

jeudi 15 juin 2023

Où il est question de quelques imprimeurs et libraires rennais de la coutume de Bretagne et des ordonnances royales (1535-1539).

Dans les années 1540, un certain Jean Rouault, certainement homme de loi et peut-être avocat au Parlement de Bretagne, a trouvé pratique de regrouper dans un seul volume plusieurs textes juridiques qui lui étaient nécessaires pour dire le droit et instruire les procès. Il fit donc l’acquisition chez différents libraires rennais de quatre ouvrages tout juste parus :

-   Les Coustumes generalles des pays et duché de Bretaigne, nouvellement réformees et publiees en la ville de Nantes (1540),

-    Les Ordonnances et Constitutions faictes en la Court de Parlement de ce Pays et Duché de Bretaigne (1535),

-     Les Ordonnances Royaulx sur le Faict de la Justice (1539),

-     Les Instructions et Articles pour l’Abréviation des Procès (1540).

En tout quatre livres ou opuscules réunis dans un recueil factice.

Reliure décorée de la fleur de lys et de l’hermine de Bretagne.
Je suis à noble Homme Jean Rouault


Que ce soit Jean Rouault qui eut le premier l’idée de réunir ces textes, l’un de ses confrères ou bien même les libraires dont nous allons parler, toujours est-il que l’idée eut un certain succès car nous trouvons à la bibliothèque municipale de Rennes un autre exemplaire de cette édition de la coutume de 1540 contenant à la suite les mêmes ordonnances et instructions, à ceci près que les ordonnances de 1535 sont en seconde édition (Rennes, Jehan Georget pour Jehan Lermangier, 1540). Cet exemplaire, lavé et relié à la fin du XIX siècle porte l’ex-libris d’Arthur de la Borderie qui décrit soigneusement chaque volume dans le Bulletin du Bibliophile Breton. 

Exemplaire A. de la Borderie des Coutumes de Bretagne, Rennes et Nantes 1540 (Bibliothèque Municipale de Rennes)

Ces livres, encore imprimés en lettres gothiques et qui auraient semblés d’un style démodé dans le reste du royaume de France, nous donnent l’occasion d’évoquer le renouveau des presses rennaises qui connurent, grâce au transfert du parlement de Nantes à Rennes, un développement tardif mais certain dans ces années 1540-1550.

1/ La coutume réformée de Bretagne promulguée en 1539.

Pays de droit coutumier, le duché de Bretagne s’était doté de règles juridiques tirées des pratiques locales dès le plus haut moyen-âge. Un premier exercice de mise par écrit de ces usages remonte à l’an 1320. C’est la Très Ancienne Coutume de Bretagne. Selon la tradition, reprise par Noël du Fail dans ses Mémoires [1], elle serait l’œuvre de trois légistes de l’entourage du Duc Jean III : Copu le sage, Tréal le fier et Mahé le Loyal. Ce texte emprunte au droit romain, aux coutumes du Maine et de l’Anjou. Il n’est pas structuré par une loi du souverain comme avait pu l’être les Statuts de Savoie, par exemple, mais un corpus de règles tenant au droit civil (famille, succession, droit rural) comme à la procédure civile et criminelle devant les juges.



Premier folio du texte de la Coutume (cahier B)
 suivis des pages des articles puis des Procès-verbaux.

Quand en 1532, le Duché de Bretagne rejoint définitivement le royaume de France, il devient urgent de rafraichir le texte qui était en vieux langage, de le restructurer et d’en faire une publication officielle comme le veut l’ordonnance royale de Montils-lèz-Tours (1453) pour toutes les coutumes de France.

En effet, pour fixer quelques peu les usages et exclure certaines pratiques donnant trop de pouvoirs aux seigneurs locaux, Charles VII avait prescrit leur rédaction officielle, ce qui prit beaucoup de temps (Entre 1505 et 1540). La rédaction est effectuée, dans le cadre des bailliages, par des praticiens du ressort et examinée par une assemblée des trois ordres, sous l’autorité de commissaires royaux. Avantage d’une rédaction : les cours de justice s’appuient dès lors sur l’écrit pour appliquer la coutume, les coutumes rédigées et décrétées ayant force de loi. Inconvénient : la coutume, ainsi figée, risque de se scléroser. Une réformation des coutumes dut être opérée dès la seconde moitié du XVIe siècle dans toutes les provinces [2].

Extrait de l'épitre de Noel du Fail 
citant les auteurs de la Très Vieille Coutume de Bretagne et ceux de la réforme de 1539

Pour la Bretagne, le roi François 1er confie la rédaction à quatre magistrats, dont curieusement un seul est breton, Pierre Marec, gentilhomme de Basse Bretagne, les autres étant d’Anjou et du Maine [3]. Leur texte, divisé en 24 chapitres thématiques et 632 articles, reste assez proche de la Très Ancienne Coutume. Il est approuvé par l’assemblée des États de Bretagne et promulgué en octobre 1539. La rédaction, bien que modernisée n’est pas toujours très limpide et il faudra le retoucher à nouveau en 1580.

La publication est à l’adresse de Philippe Bourguignon, libraire-imprimeur juré de l’université d’Angers mais il n’a pas été imprimé en Bretagne.

Colophon au nom de Philippe Bourguignon

 A cette époque, beaucoup de livres vendus en Bretagne étaient imprimés en dehors du Duché, pour le compte et sous le nom du libraire local. C’est une habitude qui avait été prise par les membres du clergé breton de faire imprimer leurs missels à Paris, ou même encore en Normandie, et cela depuis le XVème siècle.

Après un début de l’imprimerie prometteur en Bretagne à la période des incunables avec les ateliers de Bréhant-Loudeac, Rennes, Tréguier, Lantenac et Nantes, il y eut une grande éclipse entre 1500 et 1523 où pratiquement aucun livre ne fut imprimés sur place.

C’était encore en partie le cas à la période suivante, durant les années 1530-1540, mais petit à petit des ateliers locaux vont se monter, comme celui de Jacques Berthelot qui prit la suite de Jean Baudoyn, ou bien des libraires, comme Thomas Mestrard, vont finir par imprimer eux-mêmes les ouvrages qu’ils distribuent. Nous voyons ainsi apparaitre le retour des presses en Bretagne. Jacques Berthelot, Thomas Mestrard et Jehan Georget sont tous illustrés par les recueils réunis dans cet ouvrage. 

Première énigme : L'édition de la coutume de 1540 à l’adresse de Philippe Bourguignon aurait été fabriquée à Paris dans l’atelier de Jean Loys d’après le matériel typographique des lettrines. Mais le problème est que Jean Loys n’utilisait pas de caractères gothiques ! Nous ne savons donc pas au juste dans quel atelier parisien est sorti ce titre.

Seconde énigme : L’exemplaire que nous présentons ici pose un problème d’identification car sa collation est différente des deux versions décrites par Malcolm Walsby à partir des exemplaires du Musée Dobrée. Il existe une édition A in-4° avec la signature A4 a-c4 d2 B-Z4 &6 ; a-p4 q6 (18 ff.) xciiii lxvi. Cette version semble correspondre à la nôtre puisque le texte de la coutume commence au cahier B gothique précédé d’une table qui dans notre exemplaire est signé A-C4 en majuscule et non en minuscule. Le reste des cahiers est identique à cette édition A. Il existe par ailleurs une édition B (partie à la numérisation et que nous n’avons pas pu consulter pour le moment) qui serait une impression complètement différente nous dit le catalogue de la BMR, dont la signature est A-Z4 &6 a-p4 q6 A-C4 soit (4) xciiii lxvi ff. Si A-C4 correspond à la table, les cahiers ont été placés à la fin de l’ouvrage mais le corps de la coutume ne peut pas être le nôtre puisqu’il commencerait en A4.

Bref, notre exemplaire s’apparente donc à l’édition A pour le texte de la coutume mais la table pourrait être celle de l’édition B bien que tous les renvois de cette table collent parfaitement avec la pagination de la Coutume. Il manquerait alors le premier cahier A4 de cette version ou alors c’est encore une troisième version non décrite de l’édition de 1540.

Philippe Bourguignon (ou Bourgoignon) était établi à Angers, à la paroisse Saint Pierre depuis les années 1520 ; il a joué un rôle important sur la diffusion du livre en Bretagne. Son lieu de naissance est inconnu mais il pourrait avoir été breton, bien que son patronyme ne le suggère pas. Les contrats et les actes successoraux retrouvés dans les archives montrent qu’il avait acquis une certaine aisance financière et développé un réseau commercial qui s’étendait Jusqu’à Nantes et Rennes. Les ouvrages portant l’adresse Nantes et Rennes, comme cette Coutume de 1540, finirent par dominer ceux distribués à Angers.

C’est un cas unique, à notre connaissance, pour le 16ème siècle, d’un libraire établi à Angers, sous-traitant la fabrication des livres à Paris pour les distribuer ensuite à Rennes ou à Nantes.[4]

2/ Les Ordonnances et Constitutions faites en la Cour de Parlement (1535)

Cet in-quarto gothique de 16 feuillets divisés en 4 cahiers signés A-D4, avec 32 lignes à la page pour une hauteur de texte de 120 mm et une largeur de 78 mm est mon préféré de la série. Son titre complet est : Ordonnances / et constitutions / faictes en la court de Parlement de ce // pays et Duche de Bretaigne tenu a // Nantes ou moys de Septembre mil // cinq cens trente cinq / sur le faict // ordre / et stille de pledoyer par // escript et abbreviation des // proces tant en matieres // civilles que criminelles // publiees et enregistrees audict parlement. // Et a la Court de Rennes / par // devant Saige et pourveu // missire Pierres dargen= // tre chevalier seigneur // de la Guichardiere // Senechal d'icelle // court de Rennes // le. xii. jour Do // ctobre lan susd // M.D.xxxv.



la formule de publication des ordonnances agrémentée des armes du Duc François.

Arthur de la Borderie tenait cet ouvrage en grande estime. Il avait réussi à en trouver un exemplaire, court de marge dit-il, et il n’en connaissait qu’un seul autre exemplaire, celui de la bibliothèque de Paul Vatar. De fait, le livre n’est pas courant, Malcom Walsby en a localisé seulement 7 exemplaires dans les bibliothèque publiques [5].

Enthousiasmé par ce texte qui n’est rien moins que le plus ancien acte de juridiction du Parlement de Bretagne en matière typographique, Arthur de La Borderie prend le soin de le décrire de manière détaillée. Il nous dit que le titre occupe tout le verso du premier feuillet et figure par la disposition de ses lignes une sorte de verre à patte qu’il regrette de ne pouvoir reproduire.

Il se donne la peine de retranscrire le texte intégral du privilège octroyé à Thomas Mestrard pour 2 ans, la requête du libraire suivie de la décision de la Cour donnée en parlement à Nantes le 7 septembre 1535. A cette date, le Parlement siégeait à Nantes et ne s’était pas encore transporté à Rennes. Celui-ci a pris des précautions particulières dans sa décision pour que le texte des ordonnances soit une bonne et exacte impression. La Borderie constate que l’imprimeur a suivi cette recommandation car « ce livre est imprimé avec beaucoup de soin, on peut même dire avec luxe car chacun des articles a pour initiale une lettre ornée ».

Ces ordonnances, ou Règlement des Grands-Jours, se composent de deux parties, l’une sur la matière civile en 47 articles, l’autre sur la matière criminelle en 41 articles. Elle se termine par la formule de publication devant Pierre d’Argentré, seigneur de la Guichardière et un écusson aux armes de France et de Bretagne qui sont celles du Duc François III (1518-1536), fils de Claude de France devenu duc de Bretagne à la mort de sa mère en 1524. Dauphin et héritier du royaume de France, il disparut prématurément l’année suivant la publication de ces ordonnances dans des circonstances restées mystérieuses. 

La page de titre donne l’adresse du libraire qui distribue l’ouvrage : On les vend à Rennes à la porte Sainct Michel en la boutique Thomas Mestrard près la Court de Rennes. C’est effectivement dans ce quartier que se vendaient les livres et où Jean Macé avait tenu boutique avec un certain succès durant la décennie précédente. C’était proche du Présidial qui se tenait à l’emplacement du Champ Jacquet où circulaient les gens de loi, principale source de clientèle.

En revanche, rien n’est dit sur la page de titre au sujet de l’imprimeur. Nous aurions été tenté  d'y voir une impression parisienne compte tenu du style des lettrines, assez proches de celles de la Coutume de 1540. Mais la présence au verso du dernier feuillet d’une marque d’imprimeur composé de Saint Jacques et d’un cheval en vis-à-vis avec les initiales JB dans un lacs nous renseigne sur le nom de l’imprimeur. C’est la marque de Jacques Berthelot qui signe ainsi son travail d’impression [6]. Pour être précis, il s’agit d’une marque commune à Jacques Berthelot et Guillaume Chevau qui furent brièvement associés, comme on le verra plus loin.

L'ouvrage se termine par la marque de Jacques Berthelot

Jacques Berthelot avait entamé sa carrière à Caen en 1527 avant de transporter ses presses à Rennes en 1534. Il utilisait le matériel typographique acquis de Jean Baudouyn éphémère imprimeur de Rennes, apparu en 1516, qui n’imprima que quelques titres en deux périodes coupées d’une longue interruption. Berthelot travaillait pour les libraires Thomas Mestrard et Jean Macé. Il sera même jusqu’en 1539 le seul imprimeur de la ville de Rennes. Il meurt avant 1542 date à laquelle sa veuve, Marie Robin, dirige pendant quelques temps l’atelier jusqu’à ce que Thomas Mestrard ne lui rachète son matériel pour devenir imprimeur lui-même.

Cet ouvrage est séduisant à plusieurs titres, d’une part en raison du fait qu’il est le premier texte imprimé du Parlement de Bretagne, d’autre part en raison de la recherche d’esthétisme qui a présidé à sa composition. Enfin c’est le premier ouvrage à nommer Thomas Mestrard et il constituait une première, un « saut dans l’inconnu », comme le dit M. Walsby, à la fois pour le libraire et pour l’imprimeur tout deux établis à Rennes.

3/ les Ordonnances Royaulx sur le fait de justice (1539)

Le troisième ouvrage du recueil est contemporain de la coutume générale et touche la procédure et l’abréviation des procès. Son titre complet est : Ordonnances royaulx // sur le faict de la Justice, & abreuiation // des proces en ce pays & Duche de // Bretaigne faictes par le Roy // nostre sire, & publiees en la // court de parlement, te//nu a nantes, le der//nier Jour de // septembre lan // m.d.xxxix.

Page de titre des Ordonnances Royaulx sur laquelle Jean Rouault au XVIème siècle et Vignault des Ferrières, avocat au parlement de Bretagne, au XVIIIème siècle, ont laissé leur signature.


Il permet d’illustrer le travail d’un autre imprimeur, tout juste installé à Rennes cette année-là, Jehan Georget, associé à un jeune libraire lui aussi tout juste installé, Guillaume Chevau.

Jehan Georget, imprimeur plus prolifique que Berthelot, travaillait pour plusieurs libraires simultanément. Il marquera l’imprimerie rennaise en introduisant deux nouveautés : il est le premier à avoir imprimé un livre au format in-folio et il est le premier à avoir utilisé des lettres rondes. Pour le format, cela peut sembler curieux mais en réalité comme la plupart des livres bretons étaient produit ailleurs, les petits formats étaient privilégiés pour le transport.

Les besoins des gens de loi en ouvrages juridiques lui assureront sa principale production mais toujours en second derrière Thomas Metrard qui, lui, bénéficiait du privilège du Parlement.

Pour ces Ordonnances Royaulx, ce sont bien Thomas Mestrard et Philippe Bourgoignon qui apparaissent au privilège mais Il existe des impressions de cette édition à l’adresse de plusieurs libraires, avec des variantes dans la composition du texte : Celles à l’adresse de Guillaume Chevau, en 32 ff. ; celles à l’adresse de Thomas Metrard en 40 ff. ; celles à l’adresse de Cleray en 32 ff. 

 

Privilège des Ordonnances Royault de 1539 
donné à Philippe Bourguignon et Thomas Mestrard.

Ici, nous avons la version avec Guillaume Chevau mentionné au titre. D’abord libraire à partir de 1539, associé à Berthelot, puis imprimeur à partir de 1546, il utilisait 2 marques d’imprimeur. Une marque « fort belle » nous dit le Bulletin du Bibliophile Breton qui la décrit comme suit : A gauche l’apôtre saint Jacques, à droite un cheval puissant, fièrement campé sur son train de derrière, et qui de ses pieds de devant soutient, de concert avec l’apôtre, un écusson appendu à un arbre et portant les initiales I B. Au bas sont inscrits les noms de J. Berthelot et G. Chevau. »

Cette marque est véritablement commune aux deux artisans puisqu’elle illustre le prénom de l’un (St Jacques) et le patronyme de l’autre (Chevau) ce qui signifie que les deux hommes devaient être un peu plus qu’en simple relation d’affaires, sans doute associés à partir de 1539 et même peut-être avant puisqu’elle apparait à la fin du recueil des Ordonnances et Constitutions de 1535 avec une variante, c’est-à-dire sans les noms de Berthellot et Chevau en pied.

Guillaume Chevau utilisait une autre marque pour lui seul qui était la reproduction exacte de la marque au cheval ailé des Wechsel [7]. Elle figure au titre de l’ouvrage présenté.

4/ Les instructions pour l’abréviation des procès (1540)

Ce petit opuscule de quatre feuillets est le complément du texte précédent et porte sur le même sujet : Instructions et arti= // cles pour l'abbreviation des proces que la  // Court entend et ordonne par provision estre // gardées jusques à ce que le Duc en ayt este // aultrement ordonné. Faict a Vennes le parlement y tenant le v. jour doctobre mil cinq cens quarante.

Page de titre des Instructions et Articles (1540)

Il n’existerait que deux exemplaires de cet opuscule dans les bibliothèques publiques selon Walsby, celui d’Arthur de la Borderie conservé à la Bibliothèque de Rennes (89858-4) et un autre à la British Library.

Le titre est orné de la marque de Thomas Mestrard, un médaillon ovale de 60 mm gravé sur bois, représentant l’Apôtre Saint Thomas mettant sa main dans la plaie du Christ en présence des autres Apôtres.  L’opuscule est aussi illustré d’une autre marque de Thomas Mestrard, occupant tout le verso du dernier feuillet. C’est une gravure sur bois à fond criblé d’une facture un peu étrange. On y voit Saint Thomas d’Aquin nimbé, en costume de dominicain, tenant un livre de la main gauche, tandis que la main droite est levée, l’index pointant vers le ciel. Il semble vouloir démontrer sa doctrine nous dit de La Borderie. Autour de lui, des arbres, des fleurs et un ciel semé d’étoiles dans lequel Dieu le Père est assis, les bras étendus, ayant pour trône l’arc-en-ciel et pour escabeau le globe terrestre. Cette belle gravure est bien imprimée dans mon exemplaire alors qu’elle est très pâle, quasi effacée, dans l’exemplaire lavé d’Arthur de La Borderie.

La marque de Thomas Mestrard

Berthelot-Mestrard, Georget-Mestrard, Berthelot-Chevau, Georget-Chevau, autant d’asso-ciations libraires-imprimeurs illustrées par ces livres de droit qui suggèrent que les alliances n’étaient pas exclusives et que les professionnels du livre cherchaient à répartir le risque sur ce marché breton naissant.

Bonne Journée,

Textor



[1] Noel du Fail, Epitre à Hault et puissant seigneur Messire Loys de Rohan in Mémoires recueillies et extraictes des plus notables arrests du Parlement de Bretagne, Rennes, Julien du Clos, 1579,

[2] Voir Stéphanie Tonnerre-Seychelles : La coutume, petite histoire d’une source de droit in Hypothèses - Carnets BNF 2018. L’article renvoie notamment à la page de Gallica consacrée à la coutume de Bretagne mais les ouvrages numérisés sont essentiellement constitués d’éditions du XVII et XVIIIème siècle et de quelques manuscrits. Rien sur les différentes éditions de Thomas Mestrard.

[3] Certaines sources en citent cinq mais Noel du Fail seulement quatre : François Crespin du Pays d’Anjou, Nicole Quelain, manceau, Martin Rusé de Tours et Pierre Marec, gentilhomme de Basse Bretagne.

[4] Voir Malcolm Walsby, The Printed Book in Brittany, 1484-1600 - BRILL, 2011 - pp. 57 et s. “the Angers connection”.

[5] Dont 3 au Musée Dobrée de Nantes et un à la BNF mais la référence que donne M. Walsby pour l’exemplaire de la BNF est fausse. Il faut lire RES 8-Z DON-594 (87,2). Par ailleurs la notice de la BNF pour cet exemplaire mentionne dans l’adresse T. Mestrardi car le conservateur a pris le tiret / pour un i.

[6] Malcom Walsby op.cit. nous dit que cette marque a été mal attribuée dans le catalogue du Musée Dobrée à Philippe Bourguignon (qui n’était que libraire) et qu’en conséquence Lepreux avait attribué l’impression à Jehan Georget.

[7] Silvestre 924.