mercredi 3 avril 2024

Qui fut le premier illustrateur des Hieroglyphica d’Horapollon (1543) ?

Une copie manuscrite partielle de l’œuvre du philosophe grec Horapollon, originaire d’Alexandrie, fut découverte par le voyageur florentin Cristoforo Buondelmonti en 1419 dans l’île d’Andros. Ce texte, en deux livres, rassemble une série d'anaglyphes provenant de monuments égyptiens antiques et l’auteur en propose une interprétation en langue copte qui fut ensuite traduit en grec par un certain Philippos.

La copie retrouvée est diffusée à Florence quelques années après, puis finalement publiée pour la première fois par Alde Manuce à Venise en 1505 à partir d’un manuscrit vénitien (ms Marciano greco 391), avec les Fables d'Ésope et divers autres traités.

L’ouvrage eut rapidement une grande popularité, notamment dans sa traduction latine du vénitien Bernardino Trebazio (ou Trebatio), Ori Apollinis Niliaci Hierogliphica, qui parut à Augsburg en 1515, reprise en 1518 à Bâle (chez Joannes Frobenius), en 1519 à Paris, en 1521 à Bâle, et à Paris chez Conrad Resch (avec le texte grec), en 1530 encore à Paris, en 1534 à Bâle, toujours chez des éditeurs différents, puis en 1538 à Venise, et en 1542 à Lyon (chez Sébastien Gryphius).


Une figure caractéristique de la manière du graveur de Kerver
Page de titre de l'édition de Kerver de 1551

L’auteur du texte est bien mystérieux. Le nom même d’Horus Apollon parait être un pseudonyme plus tardif. Il aurait vécu sous le règne de Théodose II (début du Ve siècle), pour certain, sous Zénon (474-491) ou Anastase (491-518) pour d’autres, se serait converti au christianisme avant de fuir l’Egypte lors de la fermeture des lieux d’enseignement par Justinien.

Tout aussi mystérieux est l’auteur du premier cycle de gravures publié en 1543 par Jacques Kerver. Curieusement, il faudra attendre plus de 35 ans pour voir se concrétiser l’idée, qui semble pourtant évidente, d’illustrer le texte par l’image.

Une première tentative n’avait pas abouti. En 1515, Willibald Pirkheimer, donnant la traduction du premier livre des Hieroglyphica en latin, s’adressa à son ami Albrecht Durer mais les dessins préparatoires n’ont pas été utilisés dans une édition imprimée, seul l’empereur Maximilien 1er obtint un exemplaire manuscrit, mais il est probable de ce cycle iconographique ait circulé en Europe.

Jacques Kerver reprit l’idée de Pirkheimer et publia, en 1543, une traduction française attribuée à Jean Martin, illustrée de belles gravures à mi-page. Il s’agit de son premier livre imprimé dont il fera sa spécialité, éditant par exemple une version du Songe de Poliphile de Francesco Colonna.

Pour les humanistes de la Renaissance les hiéroglyphes renferment un savoir fondamental réservé aux seuls initiés, en dehors de toute contingence linguistique. Jacques Kerver transforme une œuvre sensée élucider l’écriture hiéroglyphique en une sorte de livre d’emblèmes où texte et image se répondent. Le genre est apparu au début des années 1530 avec André Alciat et il aura un succès certain pendant tout le XVIème siècle. Chaque emblème consiste en un titre, une image, et un texte en vers ou en prose explicitant le thème. L’interprétation des hiéroglyphes se prêtent bien à ce format mais, en l’occurrence, les représentations figurées sont pour le moins éloignées de la transcription de l’écriture égyptienne. Champollion n’était pas encore né !

L’édition présentée [1] est un second tirage des gravures publiées par Jacques Kerver, parue en 1551, pour une version bilingue gréco-latine et le nombre de bois est légèrement inférieur à celui de l’édition de 1543 (195 pour 197) mais avec moins de répétitions et sept gravures entièrement refaites. Kerver sortira une troisième édition en 1553 avec encore moins de bois.

Animaux et personnages évoluent dans un cadre où la nature est très présente. Si Albrecht Dürer a pu inspirer l’iconographie, il est évident que le style de ces gravures est français. Depuis Ambroise Firmin-Didot, auteur d’une monographie sur le peintre parisien Jean Cousin, il est d’usage de reconnaitre la touche de cet artiste majeur de la Renaissance. C’est d’ailleurs sous cette attribution que le livre me fut vendu.

L’hypothèse n’est pas fantaisiste ; Henri Zerner, dans l’Art de la Renaissance en France n’exclut pas l’intervention de Jean Cousin père dans la préparation de la publication car on sait que l’artiste est proche du cercle de Kerver et qu’il a, par exemple, illustré en 1549, un livret de l’entrée du roi Henri II à Paris, ouvrage rédigé par Jean Martin.

Mais les recherches les plus récentes remettent en cause cette attribution [2]. Anna Baydova distingue au moins deux illustrateurs différents dont l’un est assez maladroit et schématique [3] tandis que l’autre possède une bonne maitrise de son art et reste très attentif au détail de la composition.


Deux scènes illustrant la manière du premier graveur (Geoffroy Tory ?)

Une scène du second graveur, inspiré par Dürer.

Ce dernier semble avoir été en possession d’un lot de gravures d’Albrecht Dürer et s’en est inspiré à plusieurs reprises car une tête de cheval, par exemple, est nettement copiée sur le cheval monté par la mort dans Le chevalier, la mort et le diable (1513). Le singe du folio L ii r° [4] est la version inversée de la Madone au Singe de Dürer, etc. Ces ressemblances avaient pu laisser penser que l’artiste en question était un élève de Dürer ou tout au moins proche de son cercle [5].

Anna Baydova n’en est pas convaincue et a recherché des candidats de ce côté-ci du Rhin. Après avoir éliminé Jean Cousin en raison de l’absence de similitude entre les décors architecturaux de ce dernier, qui aimait les monuments romains et ceux de notre artiste inconnu qui préférait visiblement les modestes chaumières, il reste Jean Goujon parfois cité comme l’auteur des gravures. Mais cette fois c’est le style des personnages qui diffère.

Par recoupement, en recherchant un fond de décor campagnard, des paysages ou des motifs communs, comme la forme des ruches, le style des arbres ou l’agencement des maisons, un nom s’est imposé, celui de Baptiste Pellerin.

Diverses scènes rurales qui identifieraient Baptiste Pellerin, 
notamment ses arbres à tétards.

Cet artiste, longtemps oublié au point d’être confondu avec le peintre Etienne Delaune, est un dessinateur prolifique qui collabora régulièrement avec Jean Cousin. Il fut redécouvert en 2009 lorsque Valérie Auclair questionna le corpus des pièces attribuées à Delaune [6], ce qui ouvrit la porte à une réattribution. L'année suivante, à l'occasion d'un colloque à l'Institut national d'histoire de l'art, le nom de Baptiste Pellerin fut mis en évidence, et son style personnel formellement identifié [7].

Comme nous savons par ailleurs que Baptiste Pellerin a réalisé dans les années 1550 des illustrations pour Jacques Kerver et que ses productions attribuées avec certitude, comme les Emblèmes d’Alciat imprimés par Jérome de Marnef et Guillaume Cavellat (1574), présentent beaucoup de similitudes avec l’Horapollon, la démonstration est assez convaincante.  Le seul bémol est la date de parution des Hieroglyphica (1543) comparée à celle du début d’activité supposée de Baptiste Pellerin (autour de 1549).  Cet écart relativement important laisse planer un doute et pourrait conduire à la déduction inverse, à savoir que Pellerin aurait pu être inspiré par le graveur inconnu de l’Horapollon de Kerver, comme celui-ci a pu être partiellement inspiré par Jean Cousin et Albrecht Dürer.

Rien ne dit vraiment, pour l’instant, qui de l’œuf ou de la poule est apparu en premier. Il manque une summa probatio, comme, par exemple, une quittance qu’aurait pu signer l’artiste pour un travail exécuté pour Kerver en 1543, pièce qui reste à découvrir….

Bonne journée,

Textor



[1] Horapollon, Hieroglyphika. De sacris notis et sculpturi libri duo..., Paris, Guillaume Morel pour Jacques Kerver, 1551, in-8° (Mortimer 1964, n° 315 ; Brun 1969, p. 223 ; Adams, Rawles & Saunders 1999-2002, F.330 ; Pettegree, Walsby & Wilkinson 2007, n° 74164).

[2] Sur ce sujet, voir l’étude détaillée d’Anna Baydova, L’illustration des Hieroglyphica d’Horapollon au XVIème siècle – BNF École pratique des hautes études, 2021. Ainsi que, du même auteur : Illustrer le livre : peintres et enlumineurs dans l'édition parisienne de la Renaissance, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2023

[3] Claude Françoise Brunon y voit l’œuvre de Geoffroy Tory, in Les sculptures ou graveures sacrées d'Orus Apollo, éd. Critique. Réforme, Humanisme, Renaissance. Année 1977-5  pp. 22-24. 

[4] Quomodo hominem qui sibi inviso filio hereditatem reliquerit. (Comment ilz denotoient le pere lequel contre son gre et volunte laisse son heritage a ses enfans).

[5] Pour cette thèse, voir Claude Françoise Brunon, op. cit.

[6] Valérie Auclair, Étienne Delaune dessinateur? : un réexamen des attributions. 2009

[7] Voir la bibliographie qui lui fut consacrée par Marianne Grivel, Guy-Michel Leproux et Audrey Nassieu-Maupas, Baptiste Pellerin et l'art parisien de la Renaissance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

La reliure de l'Horapollon

jeudi 29 février 2024

Un exemplaire censuré du Courtisan de Baldassare Castiglione (1537)

Le comte Baldassare Castiglione, né à Mantoue en 1478 et décédé à Tolède en 1529, était militaire, diplomate mais aussi poète et écrivain à ses heures ; Il servit plusieurs cours d'Italie du Nord : Milan, Mantoue, Urbino. C'est dans cette dernière ville, en 1504, qu'il fit la connaissance de Raphaël Sanzio et qu’il devint son ami. Envoyé à Rome comme ambassadeur, il y retrouva le peintre qui exécuta son portrait vers 1514-1515. Raphael a donné de son ami l'image de la perfection, celle du plus parfait gentilhomme, considéré par tous comme l'arbitre des élégances.

Page de titre de l'édition du Courtisan par Jehan Longis

Le portrait de Baldassare Castiglione par Raphael 
Huile sur toile, 82 x 67 m (Paris, Musée du Louvre)
Cy commence le premier livre...

En 1528, il publia à Venise, chez Alde Manuce, un manuel de savoir-vivre : Le Livre du courtisan (Il Cortegiano) qui connut un grand succès. Il y décrit les qualités nécessaires à la vie de cour. Parmi ses conseils, il préconise de fuir l'affectation, d’user en toute chose d'une certaine désinvolture pour donner l’impression que tout est simple et ne demande aucun effort.

L’ouvrage est conçu sous forme de dialogue ; Il s’agit d’une suite de conversations, étalées sur quatre soirées, échangées entre amis dans le cadre enchanteur du palais ducal d’Urbino, siège de la cour des Montefeltre, l’une des plus raffinées d’Italie. Parmi les interlocuteurs, on rencontre la duchesse Elisabeth d’Urbino, le cardinal Bibbiena, évidemment Pietro Bembo, Julien de Médicis et l’Arétin. Il s’agit de former en paroles un courtisan parfait. Les sujets abordés sont nombreux : vie en société, politique, problème de la langue, musique, arts, femme et amour. Loin d’un simple manuel de savoir-vivre, il s’agit d’un véritable traité philosophique sur l’idéal de la société de cour. 

Le livre premier s’attache à décrire le courtisan au physique tandis que le livre second détaille son comportement. Le tiers livre s’intéresse aux dames de cour et Castiglione observe que l’égalité entre homme et femme est inscrite dans la nature et dans l’histoire. Enfin le quart livre conclue sur le Prince idéal qui est l’apex du courtisan.

François 1er fut séduit par le personnage et l’aurait incité à finir son ouvrage. Si les guerres d’Italie n’avaient pas contrarié les relations entre la France et les principautés italiennes, il aurait pu être le dédicataire du livre [1]. L'auteur lui fit toutefois présenter un exemplaire par l'intermédiaire de Lodovico Canossa, ambassadeur de France à Venise.

Comme la mode était aux traductions en français pour donner à cette langue le statut de langue littéraire, Francois 1er demanda à Jacques Colin d’Auxerre, secrétaire de la chambre du roi, une traduction de l'ouvrage.

Et c’est là que l’histoire éditoriale de cette œuvre est intéressante à démêler car ce n’est pas Jacques Colin qui entama l’entreprise de traduction mais un certain Jehan Chaperon, obscur poète, pour lequel nous n’avons aucun détail biographique. Il a écrit des poésies en langue populaire qui ne manquent pas de charme, notamment des noëls et des cantiques et il a donné quelques traductions. Il se surnommait le "Lassé de Repos" et sa devise était "Tout par soulas". Mais il n’avait certainement pas ses entrées à la Cour et sa langue, proche du parler populaire, n’était pas vraiment adaptée à la traduction de l’œuvre, alors que la langue de Castiglione riche et d'une harmonieuse sobriété est l’une des expressions les plus pures de la Renaissance italienne. 

Pour une raison inconnue, peut-être la lenteur de son travail ou sa difficulté à retranscrire l’élégance de Baldassare Castiglione, Jehan Chaperon ne traduisit que le premier des quatre livres du Courtisan. Jacques Colin prit la suite et le style de l’œuvre s’en ressent nettement [2].

Le début des livres trois et quatre.

Huitain du Lassé de Repos, alias Jehan Chaperon.

L’édition originale partielle [3] de la traduction française parut en avril 1537 chez Jehan Longis, titulaire du privilège, associé à Vincent Sertenas avec les caractères de Nicolas Cousteau (B 96 et B 82). Les deux associés tenaient boutique au Palais, dans la galerie qui mène à la Chancellerie. C’est un recueil in-8 de 228 ff., composé en lettres gothiques, une bâtarde peu élégante qui souleva la juste critique de François Juste, libraire lyonnais qui préparait concomitamment une édition avec Etienne Dolet sur la base d’un autre manuscrit en circulation.

Voyant qu’il avait été pris de vitesse – sa propre édition ne paraitra qu’en 1538 après une révision par Melin de Saint Gelais – et sans doute furieux de voir ses efforts ruinés par un concurrent parisien, il ne put s’empêcher de critiquer vertement l’édition originale qui, selon lui, était remplie de fautes, bâclée et tout simplement affreuse car les lettres gothiques étaient très démodées pour ce genre de littérature :

Cestoit d’une aultre traduction encore quasi inelegante et mal correcte […], procedant non du traducteur, mais par la faulte, comme il est aisé a veoir, de l’impression qui est de lours et gros caracteres, desquels desja a long temps on n’use plus aux bons auteurs imprimer [4]

A l’en croire, la lourdeur de la typographie plus que la lourdeur de la traduction rend nécessaire une autre édition. Pour se démarquer François Juste soigne la présentation, son édition est enrichie d’élégantes bordures à l’italienne gravées sur bois qui offre au lecteur un spécimen du nouvel art du livre.

Jehan Longis avait-il eu connaissance de cette critique ? C’est possible dans la mesure où il était en relation avec le milieu lyonnais, notamment avec Denis de Harsy à qui il céda son privilège dès 1537. Toujours est-il qu’il fit paraitre, très peu de temps après l’édition gothique, une seconde édition, en lettres rondes, complétée d’un prologue de l’auteur de 11 pages (adressé, ce qui n’est pas mentionné, à Michel de Silva évêque de Visée [5]), d’une petite poésie de Jehan Chaperon et de substantiels ajouts dans le livre 2, ce qui fait de cette édition en lettres rondes la première à présenter une version intégrale du texte [6].

Le feuillet final (p2) porte la marque de libraire de Longis au verso. Deux saintes bergères tiennent la Sainte Lance de Longinus, le soldat romain qui transperça le flan droit du Christ.  la marque semble manquer aux quelques exemplaires répertoriés (parfois marqués comme feuillet blanc manquant).

Cette édition parisienne est différente de l’édition lyonnaise en lettres rondes de Denis de Harsy parue cette même année 1537 par cession du privilège de Jehan Longis. L’édition à la marque d’Icare, de Denis de Harsy, possède un titre distinct (Les Quatre Livres du Courtisan) et utilise des lettrines et des caractères propres. Par ailleurs l’édition lyonnaise corrige de nombreuses fautes, comme par exemple, au début du prologue, le nom du duc François Marie de la Duchesne Roncere (?) en François Marie de la Rovere. Ce qui permet de déduire que l’édition parisienne en lettres rondes est antérieure à l’édition lyonnaise.

Cession du privilège de Jehan Longis à Denis de Harsy
 (exemplaire de la Bibliothèque de l'Etat de Bavière - Google Books 2009)

La Bibliothèque nationale ne possède que l'édition imprimée en caractères gothiques et Guy Bechtel ne signale pas celle en caractères ronds, qui n'est décrite par les exégètes qu'à partir d'un seul exemplaire, conservé à la Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel (cote 123.6 Pol.) et identifié par Klesczewski [7]. Un autre exemplaire, vendu il y a quelques années, est décrit dans les archives de la Librairie Larchandet [8]. Il pourrait en exister 7 exemplaires en tout, en comptant celui de la Bibliotheca Textoriana.

L’ouvrage est en 2 parties en un voume in-12 de 146 feuillets signés a-s8 et t2 (t2 blanc) et 114 feuillets signés a-o8 et p2 (p2 signalé parfois comme blanc mais contenant au verso la marque de l’imprimeur Jehan Longis). L’œil aiguisé de Benoit Galland (Librairie Trois Plumes, Angers) a permis de découvrir qu’il manquait à notre exemplaire le feuillet 88 dans le cahier L mais que ce manque ne résultait pas d’un feuillet en déficit, puisque le texte se suit parfaitement, mais d’une recomposition du cahier au cours de l’impression.

En comparant le texte de notre édition avec celui qui a été numérisé à la bibliothèque Casanata de Rome, il apparait que le texte du feuillet 85 a entièrement disparu. Il contenait un commentaire acerbe sur les pratiques à la cour de France :

Et si vous prenez garde à la court de France (laquelle est aujourd’hui une des plus nobles de chrétieneté) vous trouverez que tous ceulx qui y ont grace, universellement tiennent du presumptueux, & non seulement lung avecques laultre : mais encores avecques le Roy mesmes. Ne dictes poinct cela dict messire Federic….

Mais le protagoniste réplique et étaye son raisonnement avec une comparaison entre les cours de France et d’Espagne.

Pour supprimer ce passage sur la Cour de France il a fallu supprimer tout le feuillet 85 recto-verso, tout en maintenant la continuité du texte, ce qui a conduit à retoucher le début du feuillet suivant (f°86). Ainsi, sur l’exemplaire numérisé, le f°85 recto commence par : … [mo]dération, quant à moy ie nen congnois pas ung… etc, et le f°86 recto commence par |sa]donner a chercher grace ou faueur par voyes indeues ou vicieuſes, etc . Sur notre exemplaire, le f°84 se termine de la même manière : …mo [dération] et le f.85 commence par : [mo]deratiõ a chercher grace ou faueur par voyes indeues ou vicieuſes, etc.

Ainsi le feuillet 86 (gratté d’un i pour devenir le 85) a été modifié pour raccorder le texte du feuillet 84 sur le mot modération. Il a juste fallu transformer le premier mot du feuillet 86 [sa] donner en [mo ] dératiõ.

Comme le texte entier du feuillet 85 avait été supprimé, la pagination ne se suivait plus. Les folios 86, 87 et 88 anciens ont donc été grattés d’un i et il bien fallu sauter un numéro pour ne pas à avoir à refaire toute la numérotation jusqu’à la fin du livre ; c’est donc le numéro du folio 88 nouveau qui a disparu. Ainsi, il n’y a pas de saut de numérotation dans le cahier mais uniquement au changement de cahier, probablement pour que le cahier soit plus facile à classer pour le relieur.

Quelques images rendent les choses plus faciles à comprendre qu’une longue explication :

Feuillet 85 ancien de l'exemplaire de Rome. (Google Books)

Feuillet 85 nouveau de l'exemplaire de la bibliotheca Textoriana

Il semble clair que le passage a été censuré non par un lecteur mais dans l’atelier même de l’imprimeur, ce qui en fait une seconde émission par rapport à l’état premier de l’édition en lettres rondes.

Jehan Longis acceptait toutes les critiques du livre de Baldassare Castiglione tant qu’il s’agissait des cours d’Italie mais il aurait sans doute été dangereux de laisser passer une critique qui touchait directement la cour de France et notamment le roi lui-même. L’affaire des placards (1534) et sa terrible répression était encore dans tous les esprits. L’imprimeur Augereau, étranglé et brûlé place Maubert, en avait fait les frais. Etienne Dolet, éditeur de la traduction lyonnaise du Courtisan, n’allait pas tarder à subir le même sort, non pour avoir publié le Courtisan mais pour des motifs religieux. Dans tous les cas, il valait mieux rester prudent.

La censure peut se comprendre, en revanche nous voyons mal pourquoi Jehan Longis aurait attendu d’imprimer une première version en caractères ronds avant d’effectuer cette modification du texte. Ce passage lui avait-il initialement échappé ? Avait-il eu des remords tardifs ? Y avait-il eu plainte ? Fut-il obligé de se plier à un jugement du Chatelet ? Ou bien, s’agissait-il d’un exemplaire unique spécialement destiné à un haut personnage particulièrement susceptible ?  Voilà du travail pour de futurs chercheurs. Pour répondre à ces questions, il conviendrait de collationner tous les exemplaires de l’édition en lettres rondes, afin de savoir combien d’exemplaires de cette édition, déjà très rare, sont en version expurgée du feuillet 85. L’entreprise est possible mais couteuse en frais de déplacement car les exemplaires identifiables comme étant en lettres rondes sont à Madrid, Munich, New York, Rome, Wolfenbüttel et peut-être un 6ème exemplaire à Grenoble.

Mais c’est tout le charme de la bibliophilie que de nous faire voyager dans le temps et dans l’espace.

Bonne Journée,

Textor



[1] Voir Defaux (G.), "De la traduction du Courtisan à celle de l'Hecatomphile : François Ier, Jacques Colin, Mellin de Saint-Gelais et le Ms. BnF Fr. 2335", BHR, LXIV, (2002), p. 513-548.

[2] Mais les spécialistes s’accordent à dire que c’est la 4ème traduction, celle de Gabriel Chappuy, qui est à la plus fidèle au style du Castiglione.

[3] Cette édition ne comprend ni le « Prologue au lecteur », ni une partie du Livre II. (Mazarine, Rés. 28 212 ; BNF, rés. *E 592).

[4] Épître de François Juste à Jean du Peirat, dans Castiglione, Le Courtisan, Lyon, François Juste, 1538, f. 59v° (numérisation et transcription disponible sur le site des BVH) rapporté par Remi Jimenès in Défense et illustration de la typographie française : le romain, l’italique et le maniérisme sous les presses parisiennes à la fin du règne de François Ier. Poco a Poco. L’apport de l’édition italienne dans la culture francophone, Brepols, pp.223-261, 2020, 978-2-503-59028-8. Hal-02955969.

[5] Don Miguel Da Sylva (Evora vers 1480 - Rome 1556), conseiller de João III, 'Escrivão da puridade', évêque de Visée en 1526, futur cardinal ; sans doute devenu ami de Castiglione en fréquentant la Curie de Clément VII. Pourtant, hors du prologue initial, Castiglione n'en parle plus, les 4 livres étant dédiés 'in texto' au défunt « carissimo » Alfonso Ariosto (1475-1525), cousin de l'Arioste. Voir à ce sujet Cortegiano et cortes ão. Baldassarre Castiglione e D. Miguel da Silva de Rita Marnoto, CIEP Genève

[6] Provenances de notre exemplaire : « E.C. », XIXe, qui a laissé une note en garde ; H Fonteneau, bibliophile parisien (quatrième vente, 15-18 mars 1906, n°111) ; André Lebey (1877-1938), écrivain, avec la note autographe « acheté trop cher - 28f ! Vente Fonteneau 15/03/05 ALebey ».

[7] R. Klesczewski, Die französischen Übersetzungen des « Cortegiano » von Baldassare Castiglione, Heidelberg, 1966, 177,n°2.

[8] Voir la notice dans les archives de la librairie : https://www.lardanchet.fr/castiglione-b..-fr.html


lundi 29 janvier 2024

Antoine Favre, Président du Sénat de Savoie

Les œuvres du jurisconsulte Antoine Favre (1557-1624) font partie de ces livres qui ne sont plus très recherchés aujourd’hui mais qui constituaient pourtant un must dans les bibliothèques du Duché de Savoie sous l’Ancien Régime. Elles ont été rééditées à de nombreuses reprises et je me devais d’en placer quelques échantillons dans ma bibliothèque savoyarde.  

Cet austère magistrat, infatigable travailleur, acquit une réputation qui dépassa largement les frontières du petit Etat de Savoie. On le surnommait le Prince des Jurisconsultes et il parait qu’à l’occasion d’une rentrée du Parlement de Paris, l’Avocat Général qui portait la parole demanda à ses confrères de ne jamais citer une opinion de Favre sans mettre la main au bonnet.

L’édition originale des Conjectures d’Antoine Favre (1581)

Les Conjectures, Début du Livre Premier

Dédicace à René de Lyobard du Chatelard

Il est vrai que sa pensée était claire et synthétique et qu’il eut le mérite de trouver des chemins nouveaux dans cette matière du droit romain qu’on étudiait depuis mille ans et où il paraissait que tout avait déjà été dit. Parmi les nouveautés figure la codification de la pratique, autrement dit la mise forme des recueils de jurisprudence, notamment celle du Sénat de Savoie dont il allait devenir le Premier Président.

La Savoie avait ceci de particulier que d’avoir un Sénat souverain, c’est-à-dire une sorte de Cour Suprême qui édictait les lois et les appliquait tout en même temps.

Ce privilège avait été obtenu du duc - et les Chambériens n’en étaient pas peu fiers - à l’issue de la longue occupation française du duché de Savoie (1536-1559) sur la souche d’un parlement établi sur le modèle capétien du Conseil Résident, remontant au XIIIe siècle. Le Sénat de Savoie représentait l’aînée des quatre autres cours souveraines de justice de Turin, de Nice, de Casal et de Gènes établies à sa suite par la Maison de Savoie dans les possessions continentales de ses Etats.

Ce qui était décidé par le Sénat un jour pouvait être modifié le lendemain. Rien ne pouvait le lier, pas même sa propre jurisprudence et il n’avait pas l’obligation de motiver ses arrêts qui constituaient la loi. Il va sans dire que toutes ses décisions étaient scrutées et abondamment commentées dans de volumineux grimoires que l’imprimeur Geoffroy Dufour, tenant boutique dans une rue proche du Senat, couchait sur du beau papier avec vignettes et frontispices. Les publications juridiques avaient généralement au titre la qualification de Bref recueil ou d’Abrégé pour faire oublier qu’elles ne contenaient jamais moins de 600 pages.

Brief recueil des Edicts (1642)

Antoine Favre, grâce à son autorité et ses compétences, parvint à la tête de ce Sénat de Savoie après une carrière fulgurante. Il était né dans la Bresse, alors en territoire savoyard, d’une famille de haut magistrat et il avait fait ses études au collège de Clermont à Paris puis à l’université de Turin.

À 22 ans, en 1579, il est avocat et docteur en droit. Il publie sa première œuvre deux ans plus tard, en 1581, chez Jean II de Tournes à Lyon. Ce sont les trois premiers livres des Conjectures du droit civil. Il aurait pu faire imprimer l’ouvrage à Chambéry mais pour une raison que nous ne connaissons pas – peut-être parce que le seul imprimeur de la ville ne parvenait pas à satisfaire cet homme pressé - il choisit de se rendre à Lyon, où les imprimeurs abondaient et où la qualité de leur travail n’était plus à démontrer.

Jean II de Tournes rendit une copie parfaite. Le titre Conjecturarum juris Civiis Libri III figure dans un encadrement architectural classique, typique des pages de titre de cette période. Ce que la lecture des Conjectures peut avoir de rébarbative pour le bibliophile d’aujourd’hui est largement compensée par la belle typographie et les subtiles mises en page de l’imprimeur.   

Le privilège accordé à Jean de Tournes pour dix ans, 
rédigé en caractères de civilité. 

La dédicace du Livre Second à Claude Guichard

Conjectures, Livre III

Le livre débute par une longue préface de 12 pages adressée à René de Lyobard, seigneur du Chastelard, conseiller d’Etat de Son Altesse et président du Souverain Sénat de Savoie, en date du 1er février 1581. La teneur du texte et l’identité de son destinataire nous renseigne sur les ambitions du jeune juriste dont tout porte à croire qu’il a préparé son livre dès l’époque de ses études toutes récentes. Dès l’entame, Antoine Favre tape fort ; Il n’hésite pas à écrire qu’il regrette qu’on ne puisse remettre en cause l’opinion des éminents prédécesseurs qui ne sont exempts ni de lacunes ni d’erreurs. A quoi servirait l’édition de nouveaux livres si on doit répéter ce qui a déjà été écrit, juste à gonfler le profit des imprimeurs ? [1]

Une préface qui donne une idée du caractère et de l’autorité de l’auteur !

 Elle est suivie par un extrait du privilège d'imprimer, rédigé en caractère de civilité, consenti à Jean de Tournes, libraire et imprimeur de sa Majesté, pour dix ans. La date indiquée sur ce privilège est 1574, ce qui n’est guère possible car Antoine Favre ne pouvait pas avoir écrit ce livre avant d’avoir terminé ses études de droit, aussi doué soit-il. L’achevé d’imprimé est du 21 Juillet 1581.

Chacun des trois livres de ce volume est adressé à un dédicataire différent : le Livre Premier au professeur de droit Jean-Antoine Manuce de l’université de Turin qui enseigna probablement le droit à Antoine Favre ; Le Livre Second, à Claude Guichard, Maitre des Requêtes puis Grand Référendaire et Historiographe de Savoie, plus connu aujourd’hui pour son célèbre ouvrage sur les Funérailles et diverses manières d'ensevelir des Romains, grecs et autres nations, paru cette même année 1581 chez Jean II de Tournes, lequel va utiliser le même encadrement au titre, en forme de portique romain. Claude Guichard, né à Saint Rambert-en-Bugey, était un compatriote de Favre qui le considère comme son ami au-delà des joutes verbales et des controverses doctrinales qui semblent les avoir opposés, d’après ce qu’il en dit dans sa dédicace.

Le troisième et dernier livre est dédié au sage et docte Pierre II de Boissat (1556-1613) érudit du Dauphiné, vice-bailli de Vienne, qui étudia son droit à Valence sous Cujas. Féru de grec, il est souvent confondu  avec son fils Pierre III de Boissat (1603-1662), l’un des premiers académiciens, bien oublié aujourd’hui au point de devenir la cible de railleries dans le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostang.[2]

Quant au corps de l’ouvrage, il est divisé en chapitres, chaque chapitre correspondant à une conjecture. Chacune débute par l’idée que veut développer l’auteur ; l’argumentaire suit, puis la conclusion. Les conjectures relève les dissentions, les lieux communs (Generaliae sententiae) avec pour but de proposer de nouvelles interprétations, de découvrir des principes généraux, de résoudre des contradictions, de défendre ou de nier des opinions, et surtout de traquer les interpolations afin de corriger le Corpus Juris Civilis.


L'édition de 1581 est recouverte d'un curieux vélin marron 
sur lequel on devine par transparence qu'il s'agit d'un vélin de réemploi manuscrit.  

En 1584, à tout juste 27 ans - soit avant l'âge requis – Favre est nommé juge-mage de la Bresse et du Bugey, puis il entre au service du duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie. Il fixe alors sa résidence à Chambéry. Trois ans plus tard, il rejoint le souverain Sénat de Savoie, juste après avoir fait publier la suite des Conjectures juridiques, soient les livres 4, 5 et 6.

Le second volume des Conjectures chez B. Honorat (1586)
 La page de titre contient un ex-dono de l’auteur (Ab Auctore donatus) qui pourrait bien être de la main d’Antoine Favre lui-même.

L’ouvrage parait encore à Lyon, comme les trois premiers livres, mais cette fois-ci chez Barthélémy Honorat car, dans l’intervalle, Jean II de Tournes avait quitté la ville pour fuir les persécutions que subissaient les Protestants.

Bathélémy Honorat suit le format in-quarto et la présentation du premier ouvrage. Chaque livre, dédié à un nouveau personnage éminent, débute sur une grande lettrine historiée. L’une d’elle provient de la série aux oiseaux, gravée par Pierre Eskrich [3] ; Cette fois-ci les dédicataires sont Louis Milliet, Premier Président du Sénat, Chancelier de Savoie, Baron de Faverges et seigneur de Challes, Charles Velliet, Premier Président du Sénat et enfin René de Lucinge, seigneur des Allymes dans le Bugey qui avait fait son droit à Turin dans les mêmes années que Favre et qui était, par son mariage, seigneur de Montrosat dans les Dombes.

Début du Quart Livre adressé à Louis Millet

Dans une ville, capitale de la Savoie, à l’étroit dans ses murailles, le Sénat était hébergé dans les locaux du couvent des Dominicains, près du Marché Couvert. Le lieu possédait deux cloitres, le premier réservé aux ecclésiastiques et le second aux gens de robe. Antoine Favre s’installe dans une maison de la rue Saint Antoine, quartier un peu à l’écart, presqu’un faubourg à l’époque, mais à deux encablures du Sénat.  

Gabriel Pérouse archiviste de la Savoie, se plait à imaginer Antoine Favre à sa table, travaillant inlassablement sur son œuvre principale, qu’on appellera le Codex Fabriani : « Le jour, il y a sous ses fenêtres une certaine animation : ce sont les voyageurs, marchands, maraîchers et plaideurs qui viennent du côté d'Aix et par la route de Genève. Mais, au soleil couché, c'est le silence et la solitude... Les amis de Favre, les solliciteurs, les collègues sont partis. La Présidente, et les enfants, encore présents, se sont retirés. Tout près, de l'autre côté de la rue Macornet, chez les Jésuites, tout dort. La porte du Reclus s'est fermée et ne s'ouvrira qu'à l'aube. La ville est close. Dans le cabinet du Président, on n'entend que le bruit de sa plume, plume d'oie qui grince sur le beau papier du temps[4]»

Le dernier ouvrage de ma bibliothèque illustrant l’œuvre du grand juriste est un petit opuscule posthume, en français, le seul texte qu’Antoine Favre aurait écrit dans cette langue et qui a fait douter à certains qu’il en soit l’auteur. Pourtant on retrouve dans cet écrit qui parut pour la première fois à Genève, en 1627, chez Jacques Chouët, l’esprit de l’auteur renvoyant sans cesse les praticiens aux maximes et principes.  L’édition de 1627 contient une préface anonyme : "Tu y apprendras une science entiere de la practique, là où plusieurs autrement ci-devant ne sçavoyent que c’estoit de la Practique que par la practique mesme  & comme  on  dit,  par  routine." Il est probable qu’il s’agisse d’extraits d’écrits inédits à la mort de l’auteur.

Toujours est-il que ce livre eut beaucoup de succès, pas moins de 6 éditions différentes entre 1627 et 1699 [5].  

Le livre s’intitule dans la première édition : Abrégé De La Practique Judiciaire Et Civile, De Mre Antoine Favre, Conseiller d'Estat, & premier Président au Souverain Senat de Savoye, utile et nécessaire, non seulement à tous ceux qui estudient en droict: mais aussi à tous Magistrats, juges, Aduocats… etc. Le titre de la seconde édition est transformé en Thresor de la Practique etc….

C’est un livre qui visiblement devait être dans toutes les poches des avocats de Chambéry compte tenu de son caractère pratique et synthétique. Les exemplaires conservés ont mal supporté ce passage de poche en poche.

Je possède un exemplaire des deux premières éditions avec un doute pour l’exemplaire paru chez Jacques Chouët car la page de titre est tronquée [6]. On n’aperçoit qu’un petit tiers de la marque de l’imprimeur. Il pourrait donc s’agir de l’édition originale de 1627. Seulement voilà, l’exemplaire consulté à la BNF présente le même nombre de feuillets mais avec de menues variantes dans la mise en page et quelques fautes qui démontre qu’il s’agit d’une autre émission. Par exemple au titre du premier chapitre, le mot Abrégé est avec un seul B alors qu’il a 2 B sur mon exemplaire, et le bandeau est différent. Le problème est qu’il n’y a pas d’autre édition répertoriée à l’adresse de Jacques Chouet [7]. L’édition suivante, de 1634, n’est pas imprimée chez Jacques Chouët mais à Chambéry par Louys du Four. Il reste donc quelques recherches à faire pour savoir si l’édition de Chouët est une seconde émission de 1627, inconnue des bibliographes, ou bien une édition postérieure qui reste à identifier.

L'abrégé de la Practique à la page de titre tronquée, édition de 1627 ?
 (Bibliotheca Textoriana) 

L'abrégé de la Practique, édition de 1627
 (Exemplaire BNF)


La comparaison de la page 1 de l'Abrégé de la Practique montre des différences entre l'exemplaire Textoriana et celui de la BNF. 

L’exemplaire imprimé par Louys Du Four en 1634 [8] a ceci de particulier qu’un de ses premiers possesseurs a relié à ce texte imprimé, sous le même vélin, vers 1672, quatre-vingt-seize feuillets blancs portant une table des matières très développée et complétée de commentaires variés, des tarifs pour les diligences des auxiliaires de justice, une petite étude sur les arrêts de Monsieur de Gerpene (?), des textes de lois et des extraits de formulaires manuscrits. Certains actes font référence à la ville et aux édiles de Thonon et un modèle de formulaire est prérempli au nom de Louys Matthieu, docteur ès-droict, avocat au Sénat de Savoie et juge ordinaire dudict lieu, qui pourrait bien être l’auteur des notes.

Il serait possible de faire une étude exhaustive des revenus des gens de justice car chaque émolument est soigneusement détaillé. On apprend que les huissiers du Senat vacquant ès ville touchent 5 ff. contre 70 ff. s’ils vaquent hors la ville à cheval, oultre leurs dépens pour le louage du cheval. La vacation du seigneur président est tout simplement hors de prix, étant donné qu’il vaque à quatre chevaux.

A nous mandé par devant nous Louys Matthieu, 
docteur es droict, et juge ordinaire dudit lieu un tel pour etc….

Arrêt sur les écorces, Thonon 1672.

C’est un témoignage émouvant et inédit de la pratique d’un juriste à Thonon. Parmi les arrêts qui faisaient l’actualité cette année-là, on lit ceci : Le 30 Mars 1672, Le Senat a inhibé à toutes sortes de personnes d’enlever ou faire enlever des escorses de toutes sortes d’arbres et icelles vendre tant dans les Estats que dehors, à peine de cinq cents livres et du fouet et plus grande (peine) s’il estait (nécessaire) a requeste de Messieurs de Thonon.

Gageons que les arbres ont dû conserver leur écorce….

Bonne Journée,

Textor


[1] « Illorum certe pusillanimitas, & inhonesta verecundia excusari non potest, qui rumores, ut dici solet, ante salutem ponũt: Sed horum præcipue diligentia reprehenda est, publicis Iurisprudentiæ studýs longe magis perniciosa, quibus tot librorum millia nocent potius, nec nisi ornandis, aut verius onerandus Typographorũ officinis proficiunt ».

[2] « L’Académie est là ? Mais j’en vois plus d’un membre, / Voici Boudu, Boissat et Cureau de la Chambre, / Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud. / Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau. » (E.Rostand, in Cyrano de Bergerac)

[3] Voir l’article Pierre Eskrich, maitre brodeur et tailleur d’histoires. (1520-1590) du 08 Décembre 2020 sur ce site.

[4] Gabriel Pérouse, Causerie sur l'Histoire littéraire de la Savoie T1, Chambéry Dardel, 1934.

[5] Jacques Chouët, Genève 1627, puis Du Four, Chambéry 1634. D'autres éditions paraitront en 1650 (Genève, Pierre Chouët) 1660 et 1680 (Chambéry, Riondet) et 1699 (Annecy, Fontaine).

[6] In-12 de (8) 165 pp. (1) pp.bl sign. a-k8, l3.

[7] Une édition de 1650 est à l’adresse de Pierre Chouet (et non Jacques) mais la collation des exemplaires n’est pas disponible. Je ne sais pas si la même marque est utilisée au titre. (BM Amiens et BM de Bourg en Bresse).

[8] Petit in-8 (de taille in-12) comprenant un blason de la Savoie en page de titre, 3 ff.n.c. 166 pp. et environ 150 pages en feuilles blanches avec remarques et commentaires d'une écriture du temps.

Les Oeuvres de Favre