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jeudi 10 juillet 2025

La Maison de Savoie et ses historiographes (1516-1702)

Une bonne bibliothèque consacrée à la Savoie se doit d’avoir une section historique dédiée à la famille princière qui régna sur ce territoire et s’énorgueillissait d’être une dynastie européenne dont l’ancienneté se perd dans les temps obscurs et les légendes. C’était le cas de la grande bibliothèque savoisienne du docteur Bernard Blanc dispersée en 2010 [1], ou encore celle de Jean Faga [2].

L’Historiographe à sa table de travail, 
gravure tirée des Grandes Chroniques de Champier.

Le premier représentant de la Maison de Savoie serait un prince saxon nommé Bérold ou Bérald, fils d'un certain Hugues, duc de Saxe, petit-fils de l'empereur Othon II et neveu d’Othon III.  Les ouvrages consacrés à la famille de Savoie font tous débuter la lignée des Savoie à ce personnage hypothétique dont ils décrivent dans le détail les aventures en Provence puis en Savoie où il mate la révolte des montagnards.

Une autre légende, sans souci de cohérence, fait du fils de Bérold, Humbert dit aux Blanches Mains (Albimanus), un descendant de Widukind, ennemi de Charlemagne. Dans les deux cas, cette source saxonne était nécessaire à la revendication du droit à ceindre, en tant que princes du Saint-Empire, la couronne impériale.

Les travaux les plus récents, tels ceux de Laurent Ripart [3], permettent d’imaginer qu’Humbert, premier comte de Maurienne, ait pu appartenir à une famille de grands propriétaires de la combe de Savoie pendant la période carolingienne et qu'il ait eu pour frère Odon, évêque de Belley. Tous les actes d’époque où il est mentionné rapportent qu’Humbert et sa famille étaient originaires du comté de Vienne. Lui et ses frères Burchard et Odon possédaient des terres et des droits dans le sud de l'évêché de Belley. Aucun acte ne mentionne le nom de leur père.

Quoiqu’il en soit, il est certain que la famille est d’une grande ancienneté et peut revendiquer une longévité exceptionnelle puisque pendant mille ans se succèdent des princes portant le titre de comte de Savoie (1033) [4], puis de duc de Savoie (1416), prince de Piémont (1418), roi de Sicile (1713), roi de Sardaigne (1720) puis finalement roi d'Italie (1861).

Les puissances voisines avaient intérêt à maintenir ce petit Etat occupant une position stratégique sur les routes alpines qui relient le royaume de France aux principautés italiennes et à forger des alliances par le mariage.  

Au fil des siècles, les historiographes se sont plu à faire l’éloge de la famille humbertienne et à en dresser la généalogie. Voici quelques ouvrages représentatifs de ces travaux.

1/ Symphorien Champier, le précurseur (1516)

Symphorien Champier remet son livre au Prince Charles III.

C’est le duc Amédée VIII qui chargea Jean d’Orville dit Cabaret de rédiger la première chronique de sa famille en 1419, alors que la Savoie venait d’être érigée en duché par l’Empereur Sigismond. Ce picard d’origine travaillait à la demande. Il dut être appelé à la cour de Chambéry parce qu’il avait rédigé des chroniques pour d’autres familles princières. C’est Cabaret qui invente le mythe de Bérald et qui relie la famille aux héros des chansons de geste de son époque.  Ce texte fondateur de l’historiographie savoisienne dont il nous reste une bonne trentaine de manuscrits [5], sera repris et décliné par tous ses successeurs, à commencer par Symphorien Champier.

Moitié traité d’histoire, moitié roman de chevalerie, Les Grans croniques des gestes et vertueux faictz des tresexcellens catholicques et illustres ducz et princes des pays de Savoye et Piemont [6] est le premier livre imprimé traitant de manière approfondie de la Maison de Savoie. Son auteur, Symphorien Champier (1472-1539), est un humaniste lyonnais, né à St Symphorien sur Coise, parent de Pierre Terrail, seigneur de Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche [7].

Il est depuis 1506 le médecin du duc Antoine de Lorraine, cousin du futur François Ier. C’est à ce titre qu’il l’accompagne à la bataille d’Agnadel qui a vu la victoire de Louis XII contre les Vénitiens, puis à celle de Marignan dont François Ier revient vainqueur. Champier a publié son Triumphe du treschrestien Roy de France puis ses Grans croniques de Savoye peu après chacune de ces victoires.

Page de titre des Grandes Chroniques de Savoie

C’est un auteur prolixe qui a laissé des ouvrages touchant à la médecine, aux mathématiques, à l'archéologie, à la poésie, à la morale et à la théologie. Aujourd’hui, nous reconnaissons principalement sa qualité de chroniqueur. Son texte sur l’épopée de la Maison de Savoie s’étend de Bérald jusqu’au Duc Charles le Bon, il est dédié à Louise de Savoie, mère de François 1er, et s’inspire largement de la Chronique de Savoie de Jean d’Orville, sans esprit critique, ni originalité particulière. Samuel Guichenon est sévère avec lui en affirmant que l’ouvrage ressent fort la barbarie du siècle.

"L’ouvrage ressent fort la barbarie du siècle"

S’il n’est pas le plus fiable en matière historique, le livre possède un grand mérite pour le bibliophile actuel, celui d’avoir été abondamment illustré pour Jean de la Garde, par Gillet Cousteau, successeur d’Antoine Vérard, dont les éditions sont très recherchées. Il contient trente-cinq belles figures gravées sur bois - trois grandes, huit à mi-page et vingt-quatre petites dont deux sont répétées - et 5 tableaux généalogiques. L’imprimeur a réemployé des bois provenant du fonds de Vérard et plusieurs illustrations tirées de la Mer des Hystoires [8]. Dans une scène de siège, au feuillet fiii, Gillet Cousteau a composé sa gravure en regroupant habilement trois bois de thèmes différents, dont un visiblement tiré d’un livre d’Heures, donnant l’impression qu’il s’agit d’une scène unique.

L’assaut du château figuré par trois bois différents

Un tel ouvrage ne pouvait être qu’onéreux à l’époque. Est-ce pour cela que le Parlement fixa dans le privilège accordé pour trois ans à Jean de la Garde une clause assez rare de prix maximum ? Ouy le rapport de certain commissaire lequel a visité ledict livre, et tout considéré la cour a permis et permet audit de la Garde de faire imprimer et exposer en vente ledict livre pourveu qu’il ne le pourra vendre plus hault de huict soulz parisis.

Espérons que l’imprimeur est rentré dans ses frais …

2/ Guillaume Paradin, historien bourguignon (1552 – 1561 – 1602)

La Chronique de Savoie de Guillaume Paradin, édition de 1552

L’édition des Croniques de Savoye donnée par Guillaume Paradin en 1552, comparée à celle de Symphorien Champier, est plus rigoureuse et se détache davantage de la fable et du merveilleux. Paradin, chanoine de Beaujeu (1510-1590), est un humaniste bourguignon qui se passionne pour l’histoire. Il entame son ouvrage par une description du pays de Savoie et de ses "Glaces prodigieuses", puis recense les sources antiques qui traitent de la peuplade celte des Allobroges, du passage d’Annibal par les Alpes avant de s’attaquer aux origines de la maison de Savoie extraite de Saxonie.

Les aventures mythiques de Berald sont encore complaisamment détaillées sur plusieurs chapitres, puis il décrit dans de courtes sections (ch. 19 à 60) les faits d’armes des Comtes de Savoie avant de passer dans une autre partie, bien plus courte (90 pp. contre 240 pp.) aux Ducs.

Claude Paradin aurait puisé des passages entiers dans Philippe de Commynes et Le Féron.

Suivront deux autres éditions, la seconde de 1561, dont la chronique est continuée jusqu’au duc Emmanuel-Philibert, le vainqueur de la bataille de Saint-Quentin, et l’année 1559. L’ouvrage est divisé en trois livres, ce qui n’était pas le cas de la première édition. Superbe édition, parfaitement imprimée, orné au titre du fameux encadrement à enroulements dit Cadre au Midas de Jean de Tournes.

Page de titre de l'édition de 1561

Premier chapitre de l'édition de 1561 précédé des armes de Savoie

La seconde édition, contrairement à la première, offre un grand nombre de blasons généalogiques de la famille de Savoie, ainsi qu’une planche aux grandes armes de Savoie et 2 planches à double page présentant la descendance du comte Thomas et d’Amé IV, le tout gravé sur bois.

Jean de Tournes écrit : Ceste seconde édition … ayant été encore mieux reçeuë que la première, et ne s’en trouvant plus, j’ay esté sollicité de plusieurs endroits de la remettre sur la presse. Elle sera donc suivie d’une troisième et dernière édition de 1602, toujours de l'imprimerie de Jean de Tournes mais imprimée cette fois sur un mauvais papier. Elle est divisée en trois livres, comme la seconde de 1561, les deux premiers ne sont augmentés que de quelques additions ou corrections à la fin des chapitres, tandis que le troisième livre contient vingt chapitres de plus, renfermant la continuation depuis Emmanuel-Philibert jusqu'à Charles-Emmanuel et la paix de 1601. Ces changements et additions sont dus à Jean de Tournes, comme il l'indique lui-même dans son avis au lecteur. Il a pu puiser dans les ouvrages de Van Derbrucht et Pingon publiés entre temps.

3/ Philibert Pingon, Historiographe ducal (1581)

Le grand tableau généalogique du Pingon

Philibert Pingon (1525-1582) natif de Chambéry est un membre d’une famille de notaires anoblie au XIVème siècle originaire du Bugey. Il fréquenta le milieu littéraire savoisien, comme les frères Piochet ou Louis Milliet qu’il avait côtoyé durant ses études. Il était allié par sa sœur avec la famille de Buttet et Marc-Claude de Buttet le célèbre dans plusieurs de ses poèmes [9]. Après avoir fait son droit à Padoue, il occupa successivement les charges d’avocat au Parlement français de Chambéry (1549), de premier syndic de Chambéry (1551) et de conseiller d'État (1561). Il obtint le titre officiel d’Historiographe du Duc, ce qui l’obligea à se rendre à Turin et à rédiger une généalogie de la Maison de Savoie dans laquelle la partie iconographique de la publication est restée inachevée, sans doute en raison de sa mort prématurée.   

Son traité est publié en 1581 à Turin chez les héritiers de Nicolò Bevilacqua sous le titre Iclytorum Saxoniæ Sabaudiæque principum arbor gentilitia, mettant l’accent sur le fait qu’il s’agit d’une généalogie des maisons princières de Saxe et de Savoie présentées au travers des biographies illustrées de leurs familles.

Le volume contient quarante-trois cartouches gravés sur bois dans le texte, conçus pour recevoir les portraits princiers, ce qui aurait formé une belle galerie d’ancêtres, mais malheureusement seulement quatre ont été imprimés, complétés dans certains exemplaires par des gravures contrecollées. (Nous en comptons neuf dans l’exemplaire Textoriana, les quatre imprimés et cinq contrecollés aux folios 16, 18, 19, 21, 75).

A cette illustration in texto a été ajouté, dans les meilleurs exemplaires, une longue gravure de plus de deux mètres, parfois simplement repliée mais le plus souvent coupées par le relieur en huit gravures doubles montées soigneusement l’une après l’autre. Cet arbre généalogique richement illustré de blasons est d’un style très germanique qui vise à conforter l’idée de l’origine saxonne de la Maison de Savoie.

Malgré sa grande érudition et une recherche dans les chartes, Philibert Pingon n’a pas réussi véritablement à démêler l’origine obscure de la famille de Savoie.

Le tableau généalogique
Les portraits des Princes

4/ Lambert Van Derburcht, historien flamand. (1599)

Page de titre de l'Histoire Généalogique de Van Der Burcht

Les Blasons

L’ouvrage en latin qu’il publia à Leyde chez Plantin en 1599 est intitulé Histoire généalogique des Princes et Ducs de Savoie en deux Livres (Sabaudorum ducum principumq. Historiae gentilitiae libri duo). Son objectif était d’établir les preuves de l’ancienneté et du prestige de la Maison de Savoie, déjà considérée à l'époque comme l'une des plus anciennes d'Europe. Il met l’accent sur les liens généalogiques et sur les blasons de chaque représentant de la famille. C’est le premier à réduire l’importance de Bérald, le sujet est traité en cinq pages et à insérer des preuves sous forme d’extraits d’actes.

C’est un traité important pour l'histoire de la Savoie et de la Bresse et relativement peu courant. Il a précédé le livre de Samuel Guichenon qui dit que l’ouvrage n’a pour seul mérite que la beauté du style.

Lambert Van DerBurch (1542-1617) était le doyen de la collégiale Notre Dame d’Utrecht. Un savant humaniste apprécié notamment de Juste Lipse qui lui enverra une lettre dédicace publiée à la fin du livre. Il appartenait à l’illustre famille flamande des comtes de Rethel qui comptait des souverains de Jérusalem, cette illustre lignée peut expliquer qu’il se soit intéressé à la maison de Savoie qui comptait aussi des membres portant le titre de roi de Jérusalem.

Au titre figure la marque typographique gravée sur bois est celle de Christoffel Van Ravelingen (Christophorus Raphelengius), petit-fils de Christophe Plantin. L’auteur dédia le livre au sénateur vénitien et mécène Domenico Molino (1573-1635) chargé des relations commerciales entre Venise et la Hollande. Chaque membre de la dynastie a droit à son profil biographique accompagné par l'illustration de ses armes et blasons. Le travail n’est pas exempt de critiques compte tenu du nombre d’erreurs et d’omissions. Ainsi, par exemple, Amédée II est dit succéder à Amédée Ier alors qu'il y a eu Othon Ier et Pierre Ier avant lui.

Comme souvent dans les éditions des Plantin, l’impression est soignée et la mise en page agrémentée de 37 vignettes héraldiques dans le texte, gravées sur cuivre, dont une grande à pleine page, au verso du titre, représente l’écu armorié des Savoie avec leur devise F.E.R.T. Ce blason regroupe leurs différents titres et possessions :  Armes de Saxe, de Chablais, de Piémont, de Chypre, de Jérusalem, d’Aoste, de Gênes et sur le tout, de Savoie (de gueules à la croix d’argent).

La devise F.E.R.T. a donné lieu à de multiples interprétations mais son sens est resté caché jusqu’à aujourd’hui. Dans l’ouvrage de Champier une main anonyme de la fin du XVIème siècle a tenté une explication qui s’apparente à une pasquinade : FERT pour Foemina erit ruina tua. La Femme sera ta ruine ! 

Un possesseur du livre au XVIème siècle ou au début du XVIIème siècle a inscrit un petit commentaire sur l’assassinat de Henri III par Jacques Clément et sur le sens de la devise FERT

5/ Jean Frisat, le poète de Tarentaise (1628)

Le Domus Sabaudie de 1638

Nous n’avons que peu de détail sur la vie de ce chanoine de Moutiers qui a écrit une histoire versifiée de la Maison de Savoie des plus originales.

Il s’appelle Jean Frisat (ou Jean Frisatto ou Joannes Frisattus). Nous ne connaissons pas sa date de naissance, sans doute avant 1580, ni son lieu de naissance exact qui pourrait être Aime, non loin de Moutiers. Nous savons par les archives de l’Evêché qu’il est nommé chanoine en 1606, doyen en 1617, de nouveau simple chanoine théologique en 1625 et qu’il se qualifie lui-même de Prieur de Tarentaise (Prior Tharentatiensis).

Comme Jean Frisat est reconnu pour être un lettré éminent et un très bon théologien, l’évêque Germonio, un réformateur qui avait substitué le missel romain au missel de Tarentaise, confie au chanoine le soin de donner au clergé deux à trois leçons par semaine sur l’Ecriture Sainte et le rituel romain. En outre, il est féru de poésies latines, admirateur d’Ovide et c’est donc en vers latins qu’il écrit son Histoire de Savoie, divisée en deux parties, l’une pour les Comtes, l’autre pour les Ducs :  Domus Sabaudiae Duobus Membris divisa. Priore Comitum, Posteriore Ducum, Pars Prima - Secunda. Accesserunt variae diversarum rerum & temporum historiae, praecipuè series Archiepiscoporum Tarentasiensium, & domus Borbonicae.

Le Domus Sabaudiae est une suite de chroniques résumant la vie et les faits d’armes des Comtes puis des Ducs de Savoie concomitamment avec les évêques de Tarentaise. Chaque chapitre débute par un résumé biographique succinct (Argumentum) qui est développé pour chacun d’eux à travers des Elégies ou des Odes qui ne manquent pas de style mais qui sont truffées de références mythologiques et de périphrases.

On croise au détour des pages les noms des principales familles inféodées de Tarentaise, les Villaines, sieurs de Laudes et barons du Bois, les Chabod de Saint-Maurice, les Mareschal de Val d’Isère, etc. ainsi que des détails sur la petite histoire locale, comme dans ce poème dédié à Notre Dame de Briançon où Jean Frisat nous dit que l’église avait miraculeusement échappé aux flammes lors de l’invasion du pays par Henri IV et la vaillante défense de la ville par le Sieur de Laudes [10].

L’ouvrage parût en 1628, à Lyon, chez Scipion Jasserme. Le chanoine Grillet nous dit qu’il y aurait une édition parisienne de 1627, mais elle ne se trouve nulle part [11]. Il a peut-être eu confusion de sa part avec la date de l’épitre dédicatoire de l’édition de 1628. En effet, chacune des deux parties du livre est précédé d’une épitre de Jean Frisat, la première adressée à Charles-Emmanuel duc de Savoie, datée de Décembre 1627 tandis que la seconde dédiée au Prince Victor-Amédée porte la date de Décembre 1626.

Cette première édition (1628) est très rare, absente de la BNF et généralement omise des principales bibliographies. Elle n’est citée ni par Marianne Merland, ni par Gaston Saffroy, qui ne connaissaient que l’édition de 1630, pas plus que par Manno qui écrit :  Rossotto cite une édition de 1628. Manno n'a donc pas vu cette première édition et doute même de son existence [12].

Aujourd’hui les catalogues recensent trois exemplaires en institutions publiques (Chambéry, Maryland, Manheim) plus l’exemplaire du docteur Blanc, dont la bibliothèque savoisienne a été dispersée en 2010, qui a rejoint la Bibliotheca Textoriana après un passage par la librairie Gilibert de Turin.

La deuxième édition de 1630, chez le même éditeur mais partagée avec Claude Cayne, de format in-12, est bien plus facile à trouver. Elle a été augmentée de la vie du Duc Emmanuel-Philibert (pp.417-430) et de plusieurs odes insérées à la fin des chapitres. Enfin une dernière édition est parue en 1650 (in-12 de 462 et (20) pp.) ; elle est identique à celle de 1630 avec une date modifiée.

Les épitres dédicatoires de Jean Frisat qui débutent le volume sont reprises sans changement dans les deux éditions de 1628 et 1630, seule les dates ont été modifiées. Elles sont écrites par l’auteur depuis Monsterii ad forum Claudii, soit de Moûtiers, au forum de Claude. Nous n’avons trouvé aucun forum Claudii à Moûtiers. Ce lieu apparait dans quelques textes pour la ville voisine d’Aime, une petite ville à 14 Km de Moûtiers. (Aujourd’hui Aime-La Plagne). Il y est question d’un Forum Claudii Ceutronum Axima (le forum de Claude des Ceutrons d’Aime) comme il y a un Forum Claudii Vallensium, le forum de Claude du Valais, pour la ville de Martigny en Suisse. Chaque ville de fondation romaine semble avoir eu son Forum de Claude, mais rien n’est dit pour Moûtiers à ce sujet alors que Jean Frisat aurait dû logiquement dater son œuvre de la Collégiale St Pierre.

A la suite des poèmes sur la maison de Savoie figurent différents textes qui constituent la quasi-totalité de l’œuvre que nous a laissé Jean Frisat [13] : (i) une Périégèse en vers de la ville de Genève, [14] qui n’était pas une possession de la maison de Savoie, dans laquelle les pouvoirs temporels et spirituels de la ville sont décrit depuis sa fondation, (ii) l’hymne à la Vierge Marie de Briançon, déjà cité, (iii) Une liste des évêques de Turin, (iv) Une liste des princes de Bourbon mentionnés dans l'ouvrage.    

Jean Frisat meurt de la peste le 10 septembre 1630, comme treize des vingt chanoines de St Pierre de Moutiers, six mois seulement après la parution de la deuxième édition de son Domus Sabaudiae.

6/ Samuel Guichenon (1660)  

L’Histoire Généalogique de la Royale Maison de Savoie est un classique, indispensable à toutes les bibliothèques savoisiennes.

Guichenon, page de titre de l'édition de 1778

Samuel Guichenon, né le 18 août 1607, est le fils cadet de Grégoire Guichenon et de Claudine Chaussat, une famille calviniste originaire des Dombes. Son père était chirurgien à Bourg-en-Bresse et sa mère était fille d'un riche marchand de Bourg-en-Bresse. Il fit ses études de droit à Annonay en Ardèche puis passe son doctorat à Lyon pour devenir avocat à Bourg-en-Bresse, mais sa vraie passion est la recherche historique et généalogique.

En 1650, il est nommé historiographe dynastique de la maison de Savoie sous la régence de la duchesse de Savoie, Christine de France et pour entreprendre l'histoire des États de Savoie, il se rend à Turin et se plonge dans les archives. Il retrouve un grand nombre de manuscrits qu’il énumère dans sa préface et il lit tous les textes de ses prédécesseurs : Champier, Pingon, Van Derburcht, etc. comparant ainsi les différentes versions et relevant les erreurs et les contradictions. 

Ainsi, son ouvrage généalogique sur la Maison de Savoie est rigoureux et détaillé, trop peut-être pour son époque. Il s’affranchit des fables de ses prédécesseurs et il expose avec impartialité les droits héréditaires des Princes de Savoie sur plusieurs territoires passés en d'autres possessions, comme Genève et Chypre, ce qui n’est pas du gout de ses commanditaires.   Finalement sous leur pression, il reconnaît le bien-fondé de l'origine saxonne de la maison de Savoie et entérine la politique d'expansion des Ducs vers l'Italie.

La publication de cet ouvrage lui valut la croix de Saint-Maurice et un titre d’Historiographe de France.

La seconde édition, publiée chez Michel Briolo à Turin en 1778 est la plus complète puisqu’augmentée de suppléments depuis 1660 (date de la première édition) jusqu’à 1778. Elle est abondamment illustrée dans le texte de gravures sur cuivre représentant des portraits et des sépultures gravés par Pitarelli, Valperga et autres, et de gravures sur bois par Cagnoni et Mercorus (sceaux, monnaies, écussons armoriés...).

A la suite de l’ouvrage a été relié, comme dans d’autres exemplaires de cette édition, à la fin du tome lV, du même auteur : la Bibliotheca Sebusiana. Editio nova, Ibid., 1780, en 147 pp.



Quelques pages du Guichenon


7/ Thomas Blanc, l’abbréviateur. (1668) 

Après la somme de Samuel Guichenon, il devenait difficile pour les historiographes de rivaliser en matière de recherche ou d’exposé. Thomas Blanc eut une idée pour remplir sa charge : Faire très court, là où Guichenon avait fait très long.

Cet historiographe officiel du duc Charles-Emmanuel II est né aux Allues [15], en Tarentaise, le 2 août 1637. Son père Nicolas, fils de Claude Blanc, avait été nommé notaire aux Allues par lettre-patentes de Victor-Amédée, duc de Savoie, datées de Turin, le 12 Novembre 1634. L’un de ses frères, Gaspard Blanc, fut aussi fait notaire, dans la même localité, le 30 octobre 1665.

L'Abbrégé de Thomas Blanc (1668)

En publiant l’Abbrégé de l'Histoire de la Royalle Maison de Savoye contenant tout ce qui s'est passé de plus remarquable depuis son origine jusques à Amé VIII, premier Duc de Savoie, l’auteur a puisé dans les chroniques précédentes et il soutient que son ouvrage manquait à la gloire des Princes de Savoie en ce qu’il constitue un résumé qui ne se perd pas dans les détails inutiles, travail difficile à remplir, dit-il, quand on sait le nombre de faits glorieux réalisés par les ancêtres du présent duc.

Il dédit chacun des trois tomes de son abrégé à un membre de la famille régnante : Le duc Charles-Emmanuel, la Duchesse Marie-Jeanne- Baptiste et le jeune prince de Piémont. Ces trois épitres sont particulièrement obséquieuses mais cette excessive flatterie devait être une précaution nécessaire pour ne pas finir en prison. Un autre ouvrage de Thomas Blanc sur l’histoire de Bavière sera sévèrement censuré par le duc de Savoie [16]. Au XVIIème siècle, il ne suffit pas de rapporter des faits historiques, il faut être rompu à la politique.

L’édition originale lyonnaise en trois volumes [17], parue à Lyon chez Jean Girin et Barthélémy Rivière, est difficile à trouver. Elle a été réimprimée en 1677. Ornée d’un titre frontispice et de trois portraits gravés par Audran d’après Lamonce représentant le Prince, son épouse et l’héritier de la dynastie.

A la fin du dernier volume se trouve le précieux Catalogue des chevaliers de l’ordre du Collier de Savoye, dit de l’Annonciade.

8/ Francesco FERRERO DI LAURIANO (1703)

Pour clôturer cet ensemble, voici l’Augustae regiaeque Sabaudae domus arbor gentilitia, publié à Turin chez Jean-Baptiste Zappata en 1703, seule édition de ce rare recueil de portraits des ducs de Savoie.

L’édition est bilingue latin-français. Chaque biographie des princes est présentée en lettre ronde pour le latin puis en lettre italique pour le français.

La Grande Généalogie de l'Auguste Maison de Savoie

Un livre d'apparat

A la manière de ce qu’avait réalisé Philibert Pingon cent vingt ans plus tôt, l’auteur présente un portrait de chacun des membres de la dynastie, dans des encadrements ovales et des contours ornementaux élaborés, sous-titré d’un résumé biographique gravé en latin.

L’impressionnant frontispice a été dessiné par J. C. Granpinus et gravé par G. Tasnière, il est daté de 1703. Tasnière (c. 1632-1704), élève de Claude Mellan, est un illustrateur prolixe de cette période et ses œuvres se retrouvent dans de nombreux livres illustrés publiés à Turin.

Il s’agit d’un ouvrage d’apparat dans un imposant format in-folio (24 x 38 mm) consacré à l'iconographie savoyarde, depuis ses origines antiques jusqu'au règne de Victor-Amédée II. Il comprend dans sa version originale 32 portraits dessinés par J. D. Lange d’Annecy, gravés par Giffart et Bouchet. Les lettrines sont exécutées dans un style typique du baroque turinois.

Par la suite, dans certains exemplaires, le portrait de Charles-Emmanuel III, monté sur le trône en 1730 a été ajouté. (signé par Ph. Allet et daté de 1732), suivis, à l’image du Pingon, de médaillons "muets" pour accueillir les portraits des futurs souverains successifs. L’exemplaire Textoriana contient donc en tout 34 portraits et un médaillon muet.

Portrait gravé

L’ensemble des livres présentés illustre assez bien l’évolution de l’historiographie savoisienne. Il m'en reste néanmoins encore quelques-uns à trouver pour compléter la collection. Guichenon qui les a tous lu cite - outre ceux décrit ici - la Généalogie de Julien Taboué (1560), moitié en prose, moitié en vers, l’Histoire de Charles le Bon d’un auteur anonyme, l’Histoire de Savoie en italien de Dominique Machanée, milanais, Louis de la Chiesa et son Histoire du Piémont, et encore Antoine Delbene, Pierre Monod, jésuite, Pierre-Paul Orengiano, etc…

Bonne journée,

Textor



[1] Alde 17 et 18 Décembre 2010. (782 lots)

[2] Dispersée à l’hôtel des ventes de Lyon du 10 au 18 Mai 1897 en huit vacations (1232 lots)

[3] Laurent Ripart, Les fondements idéologiques du pouvoir des comtes de la maison de Savoie (de la fin du Xe au début du XIIIe siècle), université de Nice, 1999, tome II, p. 496-695.

[4] Amédée III serait le premier à signer par la formule comte de Savoie en 1125. Auparavant ses prédécesseurs se disaient comtes de Maurienne. Ce changement de titre entérine l’extension du territoire qui englobe dès lors la Savoie Propre, la Maurienne et les autres possessions des Humbertiens dans le Royaume de Bourgogne.

[5] Samuel Guichenon en possédait deux manuscrits et il nous dit à la préface de son livre : Le plus ancien M.S. que nous ayons est l’ancienne Chronique de Savoie composée en vieux gaulois en forme de roman, par un auteur incertain qui vivait du temps du Comte Verd (Amédée VI). Jean de Tournes au supplément de l’Histoire de Savoie de Guillaume Paradin l’appelle la Chronique de Monsieur de Langes parce que le Président de Langes de Lyon en avait une. Elle est dans les archives de S.A.R. à Turin et dans plusieurs cabinets. J’en ai deux exemplaires. Cette chronique commence à Bérold et finit au Comte Rouge (Amédée VII) inclusivement.

[6] Paris, Jean de La Garde, 27 mars 1516. In-folio. Bechtel, C-149. - Moreau, 1300. - Brun, p. 152

[7] Sur la vie et les œuvres de Champier, voir P. Allut, Étude biographique et bibliographique sur Symphorien Champier, Lyon, 1859.

[8] Voir John Macfarlane, Antoine Vérard, Londres, Bibliographical society at the Chiswick Press, 1900. Le bois du f. xlviii est reproduit fig. XVI, celui du f. lxxi, reproduit fig. XI.

[9] Voir l’article sur le Premier livre de Vers de Marc-Claude de Buttet in Textoriana Mai 2025.

[10] Ad beatissinam virginem mariam Briansonis, cujus imago inter flammas illoesa remansit….

[11] Grillet, Dictionnaire historique, littéraire et statistique des départemens du Mont Blanc et du Léman, Chambéry, Puthod, 1807, Tome III, p. 142.

[12] Merland, XXV, p. 239. Saffroy, III, 4999. Manno-Promis, I, 19 (Pour l’édition de Lyon, Scipion Lasserme, 1630). Rossotto, p. 329 (Edition de 1628, pour laquelle il écrit : Rare édition originale dont nous connaissons qu’un seul exemplaire conservé à l’Université du Maryland).

[13] La bibliothèque savoisienne de feu Jean Faga de Chambéry contenait une autre publication de Jean Frisat, citée par Grillet, le poème sur l’Isère Isarae fluminis convivium seu vallis Tarentasiae descriptio, Chambéry, 1600.

[14] Periegesis Rerum Genevae, in qua urbis status temporalis & spiritualis à fundamentis exegetice describitur

[15] Grillet nous dit qu’il était de Chambéry mais il s’agit d’une erreur.

[16] Sept lettres adressées à Thomas Blanc, Historiographe de Savoie de l’Abbé Million in Recueil des mémoires et documents de l'Académie de La Val d'Isère. Vol 2 1868 pp. 477 et s.

[17] 3 volumes in-12 de [24]-558-[18] ; [12]-432-[34] ; [12]-372-[100] pp,

samedi 31 mai 2025

Le Premier Livre des Vers de Marc Claude de Buttet, savoisien (1561)

 Il y a un an jour pour jour, la Bibliotheca Textoriana présentait la première édition séparée du poème Amalthée de Marc Claude de Buttet, parue à Lyon, chez Benoit Rigaud, en 1575. Ce fut l’occasion de rappeler la vie et l’œuvre de ce poète, largement méconnu aujourd’hui, ami de plusieurs membres de la Pléiade et certainement le meilleur poète savoyard de son temps.

Page de titre du Premier Livre des Vers (1561)

Autour de 1546, Marc Claude de Buttet, né à Chambéry, vient étudier à Paris, au collège de Coqueret, sous la férule de Jean Dorat, éminent helléniste. Il y croise de jeunes étudiants qui rêvent de gloire et de poésie tels que Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay ou Guillaume des Autels. Marc Antoine de Buttet se fait remarquer à la cour par le cardinal Odet de Châtillon, frère de l'amiral Gaspard II de Coligny, qui le fait entrer dans le cercle de la princesse Marguerite de France, Duchesse de Berry. Alors qu’il commençait à se faire une petite réputation de poète dans les cercles parisiens, il choisit de suivre sa protectrice à Chambéry lorsqu’elle s’installa sur ses terres savoyardes après son mariage avec le Prince Emmanuel Philibert de Savoie, le 10 Juillet 1559. Le mariage, endeuillé par la mort du roi Henri II, fut l’occasion pour de Buttet d’écrire un épithalame, comme l’avaient fait de leur côté Ronsard et Du Bellay. [1]

Epithalame à la Duchesse de Savoie, première de toute une série d’œuvres que Buttet dédie à sa protectrice jusqu’à sa mort en 1574. Réédité ici en annexe du Premier Livre des Vers.

Le poète savoisien aurait beaucoup écrit selon son ami Louis de Richevaux [2] mais assez peu publié. Le poète ne recherchait pas la gloire mais se contentait de la compagnie de ses compatriotes, réunis dans le château des Buttet, près du lac du Bourget, qui se firent appeler le Cercle de Tresserve. Nous savons, parce qu’il en parle dans son ode VI adressée à Madame de Saint Vallier (Claudine de Miolans) qu’il avait écrit un poème épique sur Bérold, l’ancêtre mythique des ducs de Savoie, mais cette pièce s’est perdue.

Sarah Alyn Stacey, grande spécialiste du poète, a dénombré moins d’une dizaine de courtes publications (Apologie pour la Savoie contre les injures de Barthélémy Anneau, Ode à la Paix pour célébrer le traité de Cateau-Cambraisis, Epithalame pour le mariage de la Duchesse de Savoie, Ode Funèbre sur la mort du Roi, etc). Elle a même retrouvé deux pièces inédites aux archives de Turin l’une intitulée Chant de Liesse (1563) [3] après la convalescence du Duc, l’autre Sur La Venue de Tresillustre Anne d’Este (1566), pour l’entrée de Jacques de Savoie et d’Anne d’Este à Annecy, pièce reprise dans l’Amalthée de 1575 [4].

Buttet écrit principalement des pièces de circonstance pour ses amis ou ses protecteurs. Comme souvent à cette époque les textes circulent sous forme manuscrite avant qu’il ne se décide tardivement à les rassembler pour une édition. Il nous dit d’ailleurs qu’il lui a fallu retrouver tous ces poèmes éparpillés chez ceux à qui il les avait envoyés.

Et maintenant, lecteur, afin que je ne me montre ingrat de ce peu qu'elles (les Muses) m'ont donné, je t'ai assemblé tout ce que j'ai pu recouvrer de mes vers, lesquels, pour les avoirs nonchalamment délaissés étaient perdus quant à moi. Sans quelques-uns de mes amis et ceux à qui je les avais adressés, qui, plus curieux que je n’en étais à cette heure, m’en ont fait part ; espérant faire encore un volume ayant recouvré le reste [5].

L’essentiel de la production conservée du poète savoyard tient dans son recueil intitulé Le Premier Livre des Vers dédié à tresillustre princesse Marguerite de France, Duchesse de Savoie et de Berri auquel a esté ajouté le Second ensemble L’Amalthée. Comprenez, au premier livre a été ajouté le second livre des vers, puis le poème l’Amalthée. Sous le titre figure l’une des marques de Michel Fézandat accompagnée de son adresse à Paris, au Mont St Hilaire, à l’Hôtel d’Albret. [6]

Cet ouvrage a été publié en 1560-1561. Quelques exemplaires sont à la date de 1560 et la plupart des autres sont datés de 1561, dont le nôtre. La comparaison des pages de titre et du texte montre que les exemplaires de 1561 ne sont pas une seconde édition mais bien la première avec une date modifiée. Michel Fezandat avait sans doute anticipé qu’il n’écoulerait pas tous les exemplaires la première année et il avait prudemment choisi d’en rajeunir le tirage dès l’origine car la page de titre des deux versions est strictement identique en dehors de la date [7].

Peu de bibliophiles ont eu ce volume en main et tous s’accordaient pour dire que l’édition était introuvable. Il existerait même quelques exemplaires portant la date de 1560, disait-on, sans jamais n’en avoir vu aucun.  Mon article de 2024 reprend donc ce commentaire mais il ne faut jamais dire Fontaine, je ne boirais plus de ton eau, car moins d’un an après voilà qu’un exemplaire de cette édition mythique rejoint la bibliothèque [8] !

L’ouvrage contient respectivement vingt-cinq et trente et une odes introduites à chaque livre par des pièces liminaires : Un poème de Buttet entame le premier livre : Muses affin qu’avant ma mort s’arrache/ Mon nom de l’avare tombeau…. Il est en quatorze vers et ressemble à un sonnet sans en avoir exactement la structure. Une ode latine de Jean Dorat, son ancien professeur, précède le Second Livre (F° 36v) De Illustriss. Allobrogium ducis … : à laquelle Buttet répond par une pièce en ver mesuré, à la fin de ce second livre, qui a la particularité d’avoir été typographiée en caractère de civilité (F° 75r). Enfin, Jean Gaspard de Lambert donne une autre pièce latine en exergue de l’Amalthée Io Gasparis Lamberti Camberiani ad M. Clau .Buttetum, suivi d’un texte de Jean Dorat en grec qu’il a lui-même traduit en latin. A la suite de l’Amalthée figure encore une ode en latin de Guillaume des Autels, (F° 109) puis l’Epithalame aux nosses de tresmagnanime Prince Em. Philibert de Savoie…, seul texte qui ne soit pas en édition originale puisque déjà parue en 1559.

Ode de Guillaume des Autels à Buttet.

La version de 1560 de l’Amalthée est composée de 127 sonnets alors que la première édition séparée de 1575 contiendra 320 sonnets et un dizain, Soit 193 morceaux inédits supplémentaires. Nous aurons l’occasion dans un prochain article de revenir sur la comparaison des deux versions de cette œuvre majeure.

La date de composition des Odes n’est pas connue. Elles sont distribuées dans un ordre qui semble aléatoire, en dehors des premières pièces dédiées à Henri II et aux souverains de Savoie. Sarah Stacey a tenté une reconstitution chronologique en fonction du thème et des évènements rapportés. Ainsi les plus anciennes sont antérieur à 1544 comme l’ode XVI adressée à Louis de Buttet car il y est évoqué le Comte de Varas, mort à cette date. Le poète n’avait alors que 14 ans environ. Celle dédiée à la mort de Marguerite de Navarre (Ode VII) se situe entre 1549 et 1550. Les suivantes s’échelonnent entre 1553 et 1559. Le savoyard a donc toujours écrit depuis son plus jeune âge.

Premier Livre des Vers, Ode I

L’imprimeur auquel fait appel Marc Claude de Buttet est Michel Fézandat, actif entre 1538 et 1566. C’est un habile typographe qui imprime pour Jehan Petit, François Regnault et Maurice de La Porte. Il a pour marque la vipère qui mord le doigt de Saint-Paul, ainsi qu’on la voit le Tombeau de Marguerite de Valois.

Page de titre du Tombeau de Marguerite de Valois de 1551, 
époque de l’association entre Michel Fézandat et Robert Granjon.

Poème introductif de Buttet en quatorze vers

Installé au Mont-Saint-Hilaire, en l'hôtel d'Albret, il s'associe en 1542 avec deux autres marchands Bernard Vernet et Guillaume Duboys, chacun apportant dans la communauté cent livres tournois ; pendant cinq ans, ils sont à la fois libraires, imprimeurs et marchands de vin et se partagent tous les frais, notamment la nourriture et les gages de leurs serviteurs

A court d’argent, Fézandat se fait prêter en 1543 quatre cents livres tournois par le marchand libraire Pierre Regnault et doit, pour rembourser sa dette, mettre ses presses au service du libraire.

En 1550 on le retrouve, concluant une association de dix ans avec Robert Granjon, connu pour ses polices de caractères de civilité : à laquelle association ils ont promis et seront tenus apporter et mettre en commung toute la marchandise qu'ils ont de présent de leurd. estat, ensemble les presses, fontes de lettres, poinssons taillez [9]... Leur collaboration ne dura guère plus d’un an puis sa situation s’améliore lorsqu’en 1552 François Rabelais, délaissant l'atelier de Chrétien Wechel, fait appel à lui pour imprimer l'édition définitive du Tiers livre et la première édition complète du Quart livre.

Poème à Jean Dorat, limousin, en vers mesurés. (F°75r)

Les caractères de civilité utilisés par Fézandat au folio 75 du Second Livre des Vers ne sont pas, semble-t-il, ceux de Granjon. Il avait dû forger sa propre police de caractère [10]. Toujours est-il que ce poème retranscrit dans une police de caractères qui n’apparait nulle part ailleurs dans le livre marque la première tentative de Buttet de composer des vers mesurés sans rime à l’imitation des anciens [11]. Il pensait que le français était une langue qui se prêtait à cette métrique et Jean Dorat l’encouragea pour qu’il poursuive dans cette voie. Le poète nous dit dans ce morceau que l’idée d’imiter Sappho l’enthousiasme.  Lorsque je vien à soner d’un luth doux-chantre ma Sapphon, / Et que je pleure l’amour, Ô que ce nombre me plait !

Les vers mesurés sont certes innovants mais pas toujours très agréable à l’oreille. Cette recherche de modernité a conduit à ce que son style soit souvent décrié. Son cousin Jean de Piochet disait même que ses vers clochaient du pied ! Tandis que Jean Pasquier reconnait que Buttet avait été pionnier dans ce domaine mais avec un assez malheureux succès.

Marc Claude de Buttet avait anticipé ces critiques et répondu par avance à ses détracteurs dans la postface de son livre : Je ne doute point que quelque Monsieur le repreneur des œuvres d’autrui ne se veuille formaliser contre moi de ce que je recherche une nouvelle poésie bien différente de l’accoutumée estimant du tout la langue française (qui suivant le naturel de ceux de sa nation a toujours été libre) ne pouvait endurer un frein si rude que de l'asservir aux mesures des anciennes langues. A celui-ci je dirais ce petit mot en passant, que si les latins eussent eu cette opinion de la leur, nous ne la verrions aujourd’hui si excellente, ni tant de divins poèmes qu’ils ont. [12]

Redécouvert au XIXème siècle, les critiques seront moins sévères avec le poète. Paul Lacroix écrivait de lui : M. Cl. de Buttet est incontestablement un des poètes les plus remarquables de son temps. Il se distingue par la pensée, par l’expression et par le rythme…Il a du sentiment, de la passion ; il sait peindre la nature ; il parle souvent le langage du cœur …Il atteint parfois le plus haut degré de la forme [13]

Il est vrai que Marc Claude de Buttet maitrise parfaitement la versification et qu’il sait faire varier le ton de ses odes en fonction du sujet. Le style est solennel pour les grands personnages auxquels il s’adresse : Marguerite de Savoie, Odet de Coligny, Catherine de Médicis, le duc Charles III, Claude de Miolans, François de Seyssel, ou encore lorsqu’il s’adresse aux Muses. Il est lyrique quand il s’agit de célébrer un évènement historique comme la Prise de Calais, funèbre pour commémorer la mort de la Reine de Navarre ou celle du roi Henri II, plus léger quand il s’agit de poèmes amoureux et visiblement joyeux lorsqu’il évoque sa Savoie natale comme dans cette pièce adressée à son ami Philibert de Pingon (Ode VI) : Or que l’hyver s’approche / Pingon, Pingon, vois-tu / La Nivolette roche [14] / Haussant son chef pointu / Toutte de nege blanche : / et les arbres pressés / de glaçons sur la branche, / Se courbans tous lassés ? Et relisez enfin cette description d’un matin d’Octobre tout frais, pâle encore, dans les champs pleins de rosée : Jà, se levait la belle aubette / partant de son nuiteux séjour / Et jà redisait l’alouette / au laboureur qu’il était jour.

Ode VI du livre II

En dédiant ses odes à son cercle d’amis, Marc Claude de Buttet rend hommage au milieu culturel savoyard et met en lumière des personnages qui ne devaient pas être très connus du milieu intellectuel parisien de son époque, pas plus qui ne le sont aujourd’hui. Nous y trouvons Antoine Baptendier, avocat au Sénat de Savoie et poète à ses heures que Jean de Boyssonné, son professeur, considérait comme le meilleur poète de Chambéry. Peletier du Mans, dans son poème La Savoye, fait son éloge : Batendier, de suffisance égale / En poésie et science légale….[15] Et Buttet conseille à Baptendier de délaisser le droit pour la poésie de la nature. Laisse, laisse ces loix rongeardes / Et te per aux champs avec moi / pour voir caroler les Dryades.

La Savoye de Peletier du Mans, Second Livre, 
hommage à Antoine Baptendier.

Parmi les autres membres de la Trouppe fidelle, il y a Jean de Balme, sieur de Ramasse, poète ami de Marot qui n’a, semble-il, laissé aucune œuvre, Louis Milliet, baron de Faverges, syndic de Chambéry et vice-président du Senat de Savoie, Jean de Piochet (1542-1624) cousin maternel de Buttet, dont le livre de raison donne des détails précieux sur la vie de son cousin. Jean de Piochet a participé à la rédaction d’un corpus de notes et de commentaires qui auraient dû accompagner la troisième édition de l’Amalthée, édition qui n’a jamais vu le jour. Enfin Phillibert de Pingon (1525-1582), sans doute le plus connu des proches de Buttet, est successivement vice-recteur de l’université de Padoue, docteur en droit, avocat au Parlement, Premier Syndic de Chambéry et historiographe du Duc, dont l’ouvrage sur la Maison de Savoie est toujours recherché des bibliophiles [16].

Ainsi, grâce à Marc Claude de Buttet et son Premier Livre des Vers, l’activité littéraire de la Savoie à la Renaissance nous est mieux connue et il a fait écrire à Gabriel Pérouse : il comprend la nature et parle souvent le langage du cœur. [17]

Bonne Journée,

Textor

Trois ouvrages de poésies en Savoie au XVIème siècle : 
La Savoye de Peletier du Mans (1572), Le Premier Livre des Vers de Buttet (1561), l’Amalthée de Buttet (1575).



[1] Voir Bibliotheca Textoriana Epithalame sur le mariage de Philibert-Emmanuel de Savoie par Joachim du Bellay du 3 Mars 2025. 

[2] Personnage non identifié, peut-être un pseudonyme de Jean de Piochet, qui a préfacé l’édition de 1575, mais il est curieux que dans le même ouvrage Jean de Piochet ait signé simultanément de son nom et sous un pseudonyme. 

[3] Exemplaire portant un envoi de M.C. de Buttet à Ph. De Pingon.

[4] L’Amathée, Ed de Rigaud, 1575, pp. 104-105.

[5] De l’Auteur au Lecteur, postface du Premier Livre des Vers, folio 121v (1560)

[6] Pour une édition critique récente de ce recueil, voir Sarah Alyn Stacey in Œuvres Poétiques. Le Premier Livre Des Vers. Le Second Livre Des Vers. Les Vers De Circonstance. (3 Volumes). Paris, Honoré Champion, 2022. Édition critique, avec introduction, commentaires et glossaire

[7] C’est l’hypothèse émise par S.A.Stacey

[8] Exemplaire des Bibliothèques de Hyacinthe Théodore Baron et Jean Bourdel, avec leur ex-libris.

[9] Histoire de l'édition française, tome I, p. 251.

[10] Pour en savoir plus sur l’origine de cette police, il faudra attendre que la base BaTyR s’intéresse aux caractères de civilité….

[11] Les vers mesurés (ou strophe saphique) sont composés de 3 vers de onze syllabes (hendécasyllabiques) et d’un vers de cinq syllabes (adonique). Leurs auteurs cherchent à imiter la psalmodie antique.

[12] Le Premier Livre de vers folio 121v.

[13] P. Lacroix in Œuvres Poétiques de M.-C. de Buttet, édit. Jouaust, 1880, I, 36.

[14] La montagne du Nivolet surplombe la ville de Chambéry.

[15] Jacques Peletier du Mans, La Savoye, Annecy, Jacques Bertrand 1572, pp.42. Voir Bibliotheca Textoriana 29 Déc. 2022.

[16] Emmanuel-Philibert de Pingon, Inclytorum Saxoniæ Sabaudiæque principum arbor gentilitia, Turin, héritiers de Nicolò Bevilacqua, 1582.

[17] Gabriel Pérouse, archiviste de Savoie, citant le Bibliophile Jacob in Causeries sur l'histoire littéraire de la Savoie, Chambéry, Dardel 1934, pp. 146.