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lundi 3 mars 2025

Epithalame sur le mariage de Philibert-Emmanuel de Savoie par Joachim du Bellay (1559)

 Au XVème et XVIème siècle, les guerres d’Italie furent une longue suite de conflits menés par Charles VIII et ses successeurs pour faire valoir ce qu'ils estimaient être leurs droits héréditaires sur le royaume de Naples, puis sur le duché de Milan. La Savoie, prise entre les deux territoires, fut alors envahie par les français à maintes reprises, conduisant les souverains de Savoie à se tourner vers les Habsbourg.

Philibert-Emmanuel de Savoie qui avait seize ans en 1544 quand François 1er occupa la Savoie, voulut reconquérir les territoires perdus par son père et se montra un vaillant capitaine au service de Charles Quint. Après des conquêtes et des revers, financièrement épuisée, la France voulait en finir, d’autant qu’elle avait désormais d’autres préoccupations avec la montée du protestantisme. Elle conclue une trêve qui lui était assez favorable, célébrée par Joachim du Bellay, la trêve de Vaucelles [1], rapidement rompue par les intrigues du pape Paul IV Carafa (1555-1559). Henri II se lança donc à nouveau dans la bataille mais la défaite de Saint Quentin mit fin à la onzième et dernière guerre d’Italie. Le 2 avril 1559, la France signait le traité avec l'Angleterre et le 3 avril celui avec l'Espagne et le duché de Savoie : c'est la paix du Cateau-Cambrésis.

Page de titre de l’épithalame

Premiers vers de l'Epithalame 

Comme en France tout se termine par un banquet, il fut décidé de célébrer la paix retrouvée par un double mariage : La fille ainée de Henri II, Elisabeth, fut offerte à Philippe II d’Espagne et la sœur du roi, Marguerite de France, à Philibert-Emmanuel de Savoie. C’était une manière diplomatique de resserrer les liens entre les trois pays. Pour Marguerite, le projet de fiançailles datait de plus de sept ans déjà.

La princesse, qui n’était plus toute jeune, était fort instruite et protectrice des poètes. Joachim du Bellay, tout juste rentré de son exil romain, fut choisi pour écrire un épithalame qui devait être joué par les trois filles de son ami Jean de Morel au cours du banquet de mariage. La docte Camille, l’ainée, vêtue en Amazone, aurait donné la réplique à sa sœur Lucrèce déguisée en dame romaine et à Diane figurant la déesse de la chasse, arc et flèches au poing, tandis que leur frère Isaac jouait le rôle du poète [2].

Joachim du Bellay était un familier du couple formé par Jean de Morel et Antoinette de Loynes [3]. Il fréquentait le salon littéraire que ceux-ci tenaient rue Pavée (actuelle rue Séguier), proche de saint-André-des-Arts. Il y croisait Salmon Macrin, George Buchanan, Michel de L'Hospital, Scévole de Sainte-Marthe, Nicolas Denisot…

Mais tout ne se passa pas comme prévu. Henri II ayant reçu un éclat de lance fatal dans l’œil au cours d’un tournoi organisé pour les festivités, la cérémonie de mariage fut précipitée et les réjouissances annulées. L’épithalame ne fut donc pas représenté. Du Bellay dut en avoir des regrets car Jean de Morel proposa qu’il soit joué dans sa maison au cours d’une représentation privée à laquelle, parait-il, assista Ronsard. Maigre consolation pour celui qui attendait certainement une autre exposition médiatique, voire une récompense de la princesse de Savoie pour laquelle il vouait une admiration qui n’était pas feinte. [5]  

Pièce donnée par Charles Utenhove tout à la gloire du poète angevin

Un épithalame est un poème nuptial destiné à célébrer le couple de mariés. Exercice courant à la Renaissance et souvent très convenu. Joachim du Bellay aurait pu en faire un texte purement politique, comme l’avait été la Trêve de Vaucelles. Mais il choisit de donner à son poème un tour léger et intimiste, voire discrètement érotique, dans lequel les trois filles de Jean de Morel tiennent une place non négligeable, à croire que le poète souhaitait autant flatter son ami que Marguerite de France. En effet, du Bellay se montre très admiratif devant leur beauté autant que devant leur éducation. Il fait différentes allusions à leur aspect physique digne de déesses et, ainsi qu’il l’explique dans l’avis au lecteur, il n’a même pas eu besoin de changer leur prénom puisqu’elles portent déjà des noms de divinités. 

La saynète débute curieusement dans la chambre même des jeunes filles, encore couchées dans leur lit, réveillées par leur mère, surprises par le poète, trois vierges haletantes aux tresses blondes. Nous ne connaissons pas l’âge des filles de Jean de Morel mais il apparait que du Bellay ne les considère plus comme des enfants : Trois vierges bien peignees, / Vierges bien enseignees, … Leurs tresses blondoyantes / Voletoient ondoyantes / Sur leur col blanchissant / Leurs yeux, comme planettes, / Sur leur faces brunettes / Alloient resplendissant….Leur poictrine haletante / Pousse une voix tremblante, / Qui doulcement fend l’air / Et semblent les craintives / Trois joncs, que sur leurs rives / Un doulx vent fait branler.

Exemplaire dont Jean-Paul Barbier avait souligné l’exceptionnelle grandeur des marges
 (Hauteur 229 mm)

Puis les jeunes filles quittent leur maisonnée et traversent la Seine pour le palais des rois, lieu de la cérémonie :  Allez trouver la plaine, / Ou le Dieu de la Seine / Recourbe tant de fois, / De son onde écumeuse / Bat ceste Isle fameuse, / Le sejour de noz Roys.

Alors, confrontées au monde de la Cour princière, le style devient plus solennel, chacune tient un rôle distinct : Diane, la plus jeune, traite de la délicatesse de la Duchesse de Savoie, Lucrèce développe le thème de l'amour nuptial et Camille, d’une voix guerrière, appelle le Duc à mettre ses talents militaires au service de la religion, c’est-à-dire la lutte contre les protestants.    

C’est le moment pour du Bellay de placer quelques messages politiques, louer Henri II et Philippe II, leur stratégie d’alliance et de défense de la foi catholique. L’union du couple princier synthétise cette politique au service de la paix retrouvée. Le mot de la fin est laissé au dieu Mercure :

Pour dechasser Bellonne, / Et sa troppe felonne, / Bannie pour jamais, / Des Dieux la prevoyance /  Gardoit ceste alliance, / Instrument de la paix : / Afin qu’avec l’Espaigne / La France s’accompaigne, / Pour, d’un commun accord, / D’Europe, Asie, Afrique, / L’adversaire publique / Repousser dans son fort.

A la suite de l’épithalame proprement dit, l’ouvrage contient deux autres pièces inédites de du Bellay, l’une commençant par Comme un vase ayant etroicte bouche, et l’autre est un dystique latin dont l’incipit est Qualia virtuti, virtus si nuberet ipsaA ces textes, Fédéric Morel a fait ajouter une pièce du poète et humaniste gantois Charles Utenhove, qui avait été le précepteur de Camille, Lucrèce et Diane. Elle est présentée comme étant sur le même sujet mais c’est davantage une louange de du Bellay lui-même que du couple princier !    

 

Reliure en maroquin janséniste grenat signée René Aussourd (1884-1966)

De son coté, Ronsard aurait bien voulu célébrer aussi l’évènement mais il avait été en quelque sort pris de vitesse par Du Bellay, à moins qu’il ait jugé plus décent d’attendre quelques temps avant de publier ses propres poèmes compte tenu du décès tragique d’Henri II. Arrivant après la noce, il lui fallait trouver un angle différent.  Cela donnera le Discours à treshault et trespuissant Prince, Monseigneur le duc de Savoie et le Chant pastoral à Madame Marguerite, Duchesse de Savoie. Deux textes sévères et didactiques qui semblent prendre le contrepied de la pièce composée par du Bellay, Autant le poème de l’angevin était léger et plein d’allégresse, autant ceux de Ronsard sont sombres et convenus. Il se montre même très critique vis-à-vis de la royauté, déçu de n’avoir pas eu le soutien qu’il attendait des princes et peut-être aussi quelque peu jaloux de la belle prestation de du Bellay [4].

Bonne Journée,

Textor


[1] Lire ici un précédent article de ce blog sur la Trêve de Vaucelles https://textoriana.blogspot.com/2021/08/la-treve-de-vaucelles-ou-la-conscience.html

[2] Pierre de Nolhac a retrouvé à la Bibliothèque Nationale le synopsis de la représentation (Nolhac 1, 177 n1)

[3] Il était le parrain d’un des enfants issus d’un premier mariage d’Antoinette de Loynes.

[4] Pour une analyse détaillée de l’épithalame, voir Adeline Lionetto. “ Le mariage de Marguerite de France et du duc de Savoie : du triomphe de l’épithalame de Du Bellay au Contre-Hyménée de Ronsard ”. L’Année Ronsardienne, 2021, 3.

[5] Nicolas Ducimetière nous rappelle que plusieurs poèmes des Regrets sont consacrés à Marguerite de France et que le poète éprouvait une réelle tristesse à être séparé de sa protectrice pendant tout son séjour à Rome. Cf. Mignonne, Allons voir… n°92.


jeudi 13 février 2025

La Bibliothèque de Théodore de Bèze (1548)

Avant de devenir l’austère docteur de la foi dont la raide statue se dresse dans un parc de Genève, Théodore de Bèze fut un étudiant facétieux et turbulent dont les premiers poèmes, oeuvre de jeunesse, eurent un grand succès : Ce sont les Poemata [1] publiés en 1548 chez Conrad Bade [2].

Portrait de Théodore de Bèze à 29 ans
 figurant au frontispice du recueil.

Ouvrage composé avec les caractères de Robert Estienne,
typographe pour Conrad Bade.

Dédicace de Théodore de Bèze à son Maitre Melchior Wolmar

A la suite de ses études de droit à Orléans, ce bourguignon de naissance avait rejoint Paris. Admirateur de Clément Marot, il était proche des auteurs néo-latins comme Salmon Macrin et du cercle littéraire de la rue St Jacques qui réunissait Adrien Turnèbe, George Buchanan ou Mellin de Saint Gelais autour de Michel Vascosan. Il croisa aussi Ronsard et Du Bellay sans partager leurs idées nouvelles sur l’usage du français en poésie.

La vie était joyeuse et de Bèze écrivait des vers à son amoureuse qu’il désignait sous le nom de Candida. Parmi ces vers, certaines épigrammes, à la manière de Martial ou de Catulle, étaient particulièrement lestes, comme cette épigramme LXXIV Ad Quandam où il est question de la rimula de la jeune fille. Aurea quanam igitur descendunt parte fluenta? / Languidulus quanam parte quiescit amor ? / Hæreo: si qua tamen tibi rimula, rimula si qua est, / Rimula (dispeream) ni monogramma tua est[3]

Mais comme le dit l’auteur à son dédicataire Melchor Wolmar : Nombre de graves érudits ont l'habitude de proscrire totalement ce genre d'écriture : cependant je n'ai jamais pu me défendre de le cultiver et d'y donner mes soins, poussé par la passion ou parce que j'ai toujours estimé cet exercice de style aussi intelligent qu'utile.

Quand il ne faisait pas la noce avec Candida (qu’il finit par épouser) il étudiait dans sa bibliothèque. Il ne pouvait pas se passer des livres, même pendant six jours, dit-il. Il en fit un poème. C’est une ode à la bibliomanie dans laquelle il inversa les rôles sur le ton de l’humour potache, prétendant que les livres se languissaient de lui. Il en détailla la liste, son Cicéron, ses deux Pline, son Catulle, dans lequel il puisera nombre de ses épigrammes érotiques.

S’il n’est pas très étonnant pour un humaniste de cette époque d’avoir une bibliothèque bien garnie, peu d’entre eux en ont fait une description détaillée. Il y figure de nombreux classiques latins, les auteurs grecs ainsi que d’autres qu’il ne cite pas car il n’est pas parvenu à faire rimer leur nom en rythme phalécien (C'est à dire en hendécasyllabes).

Ad Bibliothecam

A Ma Bibliothèque

Portez-vous bien, mes livres, mes chers livres,

Mes délices, mon salut.

Bonjour mon Cicéron, mon Catulle, bonjour.

Bonjour, mon Virgile, mes deux Plines ;

Bonjour aussi, mon Plaute, et toi Térence ;

Et vous, bonjour, Ovide, Fabius, Properce.

Bonjour, ô Grecs plus éloquents

Encore, que je devrais placer

Au premier rang, Sophocle, Isocrate.

Et toi qui dus ton nom à la faveur Populaire ;

Et toi grand Homère, salut !

Salut Aristote, Platon, Timée.

Et vous autres, dont je n’ai pu enfermer

Les noms dans la mesure des vers phaléciens.

Vous tous enfin, mes chers petits livres,

Je vous salue, et vous salue, et vous salue encore.

Écoutez ma prière : Je vous en supplie, ô mes chers petits livres ;

Que cette longue absence… de six jours

Où je suis resté loin de vous,

Ne vous empêche pas de me conserver

A l’avenir ces dispositions favorables,

Où vous étiez jusqu’à mon départ,

De facile et sincère sympathie.

Si vous exaucez ma prière,

Mes livres, mes chers petits livres,

C’est moi qui vous le promets

Il ne m’arrivera plus de passer loin de vous

Une semaine : que dis-je ? Un seul jour. Un jour ?

Pas même une petite heure ; pas même

Un instant, si court qu’on l’imagine [4]

Il n'abandonna pas ses livres en quittant Paris pour Genève, en 1548, mais il opéra alors un changement de conduite radicale. Le réformateur vézélien se repentait d’avoir composé des poésies aussi légères et il exprima ses regrets « d’avoir employé ce peu de grâces que Dieu (lui) a donné en ceste endroict en choses desquelles la seule souvenance (le) fait maintenant rougir.  … Alors me détestant moi-même avec larmes, je demande pardon, je renouvelle le vœu d‘embrasser ouvertement le vrai culte, et enfin je me consacre tout entier au Seigneur. ». Il fit néanmoins paraitre en 1569 une nouvelle édition de ses poèmes en les expurgeant des passages les plus scabreux.

L’épigramme Ad Bibliothecam fut bien entendu épargnée dans la seconde édition de 1569 (p.134). Théodore de Bèze continua d’enrichir cette bibliothèque, y intégrant en 1562 un manuscrit bilingue gréco-latin, connu aujourd’hui sous le nom de Codex Bezae, qui date du milieu du IVème ou du début du Vème siècle. Calligraphié en écriture onciale sur vélin, il constitue le principal témoin d’une transcription occidentale grecque du Nouveau Testament et des Actes des Apôtres. C’est aussi le seul à posséder l’évangile selon Saint Luc au complet. Le texte latin sur la page de droite est la traduction juxtalinéaire de la version grecque. Ce manuscrit est aujourd’hui à la Bibliothèque de Cambridge.

Bonne Journée,

Textor



[1] Les Poemata sont parfois désignés sous le nom de Juvenilia, terme qui ne figure pas au titre. Je n’utilise pas cette désignation pour ne pas confondre ce recueil avec celui qui est relié à la suite dans mon exemplaire et qui porte justement le titre de Juvenilia par Marc-Antoine Muret. L’intention de celui qui a réuni ces deux recueils au XVIIème siècle, sans doute le jurisconsulte François Graverol dont l’ex-libris figure au titre, était certainement de mettre en regard les œuvres de jeunesse de ces deux humanistes. On voit parfois passer en vente des exemplaires plus tardifs qui réunissent les poésies de jeunesse de Th. De Bèze, J. Second et M.-A. Muret en un seul volume factice, dans une édition elzévirienne de Leyde 1757.

[2] Théodore de Bèze, Poemata , Paris, Conrad Bade, 1548, pet. in-8 de 100 pp. signés a-f8 et g2. Reliure plein basane fauve, double filet doré, dos orné (Reliure du XVIIe siècle). Pour les exemplaires de la collection Barbier-Mueller, voir Jean-Paul Barbier Mueller, Ma bibliothèque poétique ou le récent Dictionnaire des poètes français de la seconde moitié du XVIe siècle (1549-1615), Droz 2024 et N. Ducimetière, « Mignonne, allons voir… » n°101.

[3] De quelle partie donc descend le flot des eaux dorées ? En quelle partie se repose l’Amour alangui ?   J’hésite : cependant si tu as une fente, une petite fente, Que je meure si elle est (ta petite fente) plus qu’un simple trait.

[4] Théodore de Bèze - Les Juvenilia : texte latin complet, avec la traduction des Épigrammes et des Épitaphes et des Recherches sur la querelle des «Juvenilia»; par Alexandre Machard – Slatkine, Genève. 



lundi 27 janvier 2025

Les dragons de la bibliothèque (1501)

Mise à jour le 04 Février 2025

En déambulant dans les galeries de la Bibliotheca Textoriana, il m’arrive de tomber, par je ne sais quel passage dérobé, sur la section où ont été rassemblés tous les livres portant une figure de dragon.

Reliure anglaise, Oxford vers 1519

Le dragon est l’animal fantastique qui a suscité la plus grande fascination à l’époque médiévale et les manuscrits sont ornés d’un bestiaire fantastique dans lequel le dragon tient une bonne place. Il n’est pas toujours qualifié de dragon qui vient du latin Draco, draconis, le serpent, il est aussi appelé Python, Gryphon ou Vuivre. 

Au moyen-âge, le dragon est partout dans les sagas et les épopées. Les premiers possesseurs des livres de ma bibliothèque croyaient à l’existence réelle des dragons et les apercevaient parfois dans les brumes des forêts d’Armorique ou sortant des lacs d’Ecosse.

Sa signification symbolique est très complexe et variable selon les lieux. Créature chtonienne, associée aux profondeurs de la terre, il maîtrise le feu qu’il crache, l’air où il prend son vol, et les étendues aquatiques qui lui servent de refuge. [1] Généralement considéré comme féroce, voire diabolique. Il se confond alors avec la bête de l’Apocalypse dans la tradition chrétienne. Il devient le symbole du mal absolu, le mal qu’il faut affronter.

 C’est le rôle du preux chevalier qui se donne pour mission de le combattre et qui délivre la ville qu’il terrorisait. Le dragon et le chevalier figure alors la lutte entre le bien et le mal, mais comme l’a remarqué le médiéviste Jacques le Goff, le dragon est l’un des monstres porteurs de la charge symbolique la plus complexe de l’histoire des cultures.

Le dragon n’a pas de forme bien définie, les artistes s’inspirent de la description de Pline et d’Isidore de Séville. Aux XVème et XVIème siècle, les codes graphiques se sont quelque peu standardisés. Le dragon se reconnait à son bec acéré crachant du feu, son corps de reptile dotées d’ailes semblables à celles des chauves-souris ou des ptérodactyles, ses griffes d’oiseau de proie et sa queue fourchue.  Enfin, c’est un des rares animaux de la Création à porter simultanément une peau recouverte d’écailles, de poils et de plumes.

En y prêtant attention, les imprimeurs et les relieurs sont nombreux à avoir choisi ce symbole pour leurs livres. Les dragons figurent dans les lettrines, dans les marques typographiques et même dans les motifs estampés des reliures.


Denys Roce, 1501

A titre d’exemple, chez l’imprimeur parisien Denis Roce, nous trouvons une série de lettrines dont chaque lettre est formée d’un dragon. Il a utilisé ces lettres dans différents opuscules de Philippe Béroalde publiés en 1501. Dans le Libellus De Optime Statu le dragon en forme de P majuscule dévore une chèvre. Dans le Declamatio philosophi medici & oratoris de excellentia disceptantium [2], deux dragons menaçants sont enlacés et paraissent se combattre violemment, figurant un M.  

Le matériel typographique de Denys Roce provient de l’imprimeur André Bocard de Lyon selon André Perrousseaux [3]. La Bibliothèque Virtuelle Humaniste de Tours a numérisé la serie entière de ces lettres aux dragons.

Comme cet imprimeur-libraire semble très attaché à l’emblème du dragon, nous le retrouvons dans sa marque typographique, où deux dragons encadrent son blason.

Marque de Denys Roce, 1505

cité par Dryocolaptès dans le commentaire sous cet article 
(Bibliotheca Textoriana)

D’autres imprimeurs s’en sont inspirés comme François Behem, imprimeur de Mayence et Sébastien Gryphe. Sa marque parlante présente à la fin de la plupart des livres diffusés par cet imprimeur lyonnais est sans doute la plus connue des représentations du dragon.

Marque de Gryphe

Reliure parisienne vers 1517

Du côté des reliures, même profusion de dragons dans les roulettes des encadrements à froid. Plusieurs encadrements de reliures estampées de ma bibliothèque reprennent cette symbolique du dragon, que ce soit dans une reliure parisienne protégeant une autre édition de Philippe Beroalde (François Regnault, 1517) ou une reliure anglaise fabriquée en 1519, vraisemblablement à Oxford, sur un Horace ayant appartenu au célèbre Thomas Percy.

Ce que je n’ai pas réussi à élucider ce sont les raisons de cette profusion de représentations. En quoi le dragon symbole du mal pouvait-il servir la cause du livre dans lequel il figurait ? Dryocolaptès va peut-être pouvoir nous éclairer....

Bonne Journée,

Textor

__________________

[1] Corinne Pierreville. Le dragon dans la littérature et les arts médiévaux. Le dragon dans la littérature  et les arts médiévaux [Séminaire des médiévistes du CIHAM], Histoire, Archéologie, Littératures des mondes chrétiens et musulmans médiévaux (CIHAM UMR 5648), Mar 2011, Lyon, France

[2] Denys Roce est connu surtout comme libraire mais il fait mentionner dans le colophon des opuscules de Beroalde qu’il en est l’imprimeur.

[3] Yves Perrousseaux, Histoire de l’écriture typographique. T.1 Fig. 271.

jeudi 19 décembre 2024

Guillaume des Autels : Repos de plus grand travail (1550)

Que diriez-vous, pour finir l’année, d’un poète de la Pléiade ?

Voici l’édition originale du premier recueil poétique de Guillaume des Autels, typique de la production de celui qui fut en relation avec Ronsard et ses condisciples, et qui, comme eux, souhaitait réformer la langue française et la rapprocher des modèles de la littérature antique. 

Né en 1529 en Bourgogne, peut-être à Charolles puisqu’il signait parfois Des Autels, gentilhomme charolois, ou au château familial de Vernoble, il passa une partie de sa jeunesse à Romans-sur-Isère et fit ses études de littérature et de droit à Valence pour venir ensuite exercer comme avocat à Lyon. Pour se délasser de ces ennuyeux travaux judiciaires, il écrivait des vers inspirés par Horace et Pétrarque.

Page de titre du recueil à la marque de Jean de Tournes

Pontus de Tyard, son parent, introduira Guillaume des Autels dans les milieux littéraires lyonnais. Le brillant bourguignon s'intéressait aux réformes orthographiques, sujet à la mode qui agitait le monde intellectuel de l’époque.  Il s'opposa ainsi à Louis Meigret et publia en 1549 un traité intitulé Réplique aux furieuses attaques de Louis Meigret. Ce dernier, grammairien lyonnais, réformateur de la langue française avait proposé une simplification du français écrit en introduisant notamment des symboles nouveaux et en favorisant une orthographe phonétique. Il sera, à ce titre, violemment attaqué par Guillaume des Autels qui préférait l’ancien style. 

Il se rapprocha néanmoins du groupe des jeunes poètes réformateurs qui évoluait autour de Ronsard. Il aura l’occasion de rencontrer Joachim du Bellay qui s’arrêta à Lyon lors de son voyage à Rome et Etienne Jodelle qui séjourna dans la ville en 1551. C’est pourquoi, les biographes le rattachent au mouvement de la Pléiade bien que son passage soit fugitif, entre 1553 (Élégie à Jean de La Péruse) et 1555 (Hymne de Henri II) date à laquelle son nom disparaissait de la liste, La Péruse étant décédé et Des Autels, effacé, tandis que Peletier du Mans et Rémi Belleau firent leur apparition. 


 La lettre dédicace introductive 
qui se termine par la devise de des Autels « Travail en repos ».

Ses gouts ne le portaient pas vers trop de modernité. Admirateur de Marot, il aurait souhaité que le groupe garde une position mesurée et qu’il existe des rapprochements entre les nouveaux poètes et ceux de la génération précédente. Ains je n’ay poinct rejetté les bonnes inventions de noz anciens français. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Ronsard l’exclut du groupe ? Pour autant, Des Autels admirait Ronsard et leurs positions vis-à-vis des dangers de la Réforme les rapprochaient. Ronsard lui dédia une pièce politique, publiée en 1560, dans laquelle il s’adressa à Des Autels en tant que partisan des Guise, engagé dans le conflit à l’encontre des protestants. 

De son côté, en homme de compromis, Des Autels serait intervenu en faveur de la réconciliation de Ronsard et de Mellin de Saint-Gelais et il fit paraitre De l’accord de messieurs de Saingelais, et de Ronsart [1]. Un rapprochement, tout relatif, qui sera principalement l’œuvre de Michel de L’Hospital et Jean Morel… Pour l'heure, dans le Repos, Guillaume des Autels adresse à Mellin de Saint Gelais un dizain élogieux.

Dizain à Saint Gelais

Quoiqu’il en soit des rapports assez ambigus entre Ronsard et Des Autels, le bourguignon participa pleinement à cette décennie exceptionnelle dans l’histoire de la poésie comme dans celle de la langue en faisant paraitre à Lyon, chez Jean de Tournes, entre 1549 et 1552, trois volumes de poésie amoureuse. Il publia successivement Le Repos de Plus Grand Travail (1550), puis La Suite du Repos (Lyon, Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, 1551) et L'Amoureux Repos de Guillaume des Autelz, Gentilhomme Charrolois (Lyon, Jean Temporal, 1553). C’est dans ce dernier recueil qu’on trouve le seul portrait connu de l’auteur, accompagné du portait de sa Sainte, la jeune fille idéale.

En effet, Guillaume des Autels se choisit une maitresse poétique en imitant ainsi l’Hélène de Ronsard ou l’Olive de Du Bellay. Il l’appelait Sa Sainte. Son modèle est sans doute cette Denise Mahé, une jeune fille qu’il avait connue à Romans dans sa jeunesse et dont il était tombé follement amoureux. Plusieurs poèmes du recueil évoquent son prénom : Trois femmes sont, par l’heur des Destinées, / (Femmes non pas, mais bien Déesses) nées, / Jeanne je dis, Marguerite, et Denise

Une autre pièce est adressée à Dame Denyse l’hoste (p.20) ce qui fit dire aux experts que le jeune Guillaume avait peut-être été hébergé dans la famille de la jeune fille à Romans sur Isère. Ce qualificatif un peu curieux de Sainte est expliqué par Des Autels lui-même dans son introduction : La contemplation de la femme aimée est une voie directe vers la connaissance du Créateur admirable de l’univers. Contemplation qui ne l’empêche pas de s’intéresser aussi à sa cousine Jeanne à la blonde chevelure…. 

Epigrammes à la Sainte

Le Repos est une œuvre de jeunesse qu’il présenta lui-même dans la lettre dédicace introductive au recueil comme la collection de petites compositions de ma première jeunesse, entre quinze et vingt ans. Il avait conscience qu’elles n’étaient pas dépourvues de puérilité, et il anticipait déjà les critiques de l’audacieux raillard et mesdisant qui en jasera mais il justifia ses vers en ce que c’est à sa dame que sont dus les labeurs du temps passé et à venir. 

La composition du recueil comprend, après la lettre dédicace de l’auteur à sa Sainte (pp.3-5) un poème de Charles Fontaine à la sainte de l’autheur (p.6) suivi des pièces de l’œuvre proprement dit (pp.7-61), des épigrammes, des sonnets, un dizain, des odes adressés à la Sainte mais aussi à différentes personnes de son entourage (Frère, tuteur, précepteur) et aux poètes du cercle lyonnais Maurice Sceve, Pontus de Tyard, Charles Fontaine….

L’ouvrage se clôt sur deux dialogues moraux, pièces de circonstance pour un évènement théâtral religieux : Dialogue moral entre Vouloir Divin, Ignorance, Temps et Vérité sur le point de savoir qui a fait naitre tant d’hérétiques et qui illuminera les infidèles. (pp. 62-96) et Autre Dialogue Moral sus la devise de Monsieur le Révérendissime Cardinal de Tournon, Non quae super terram, joué à Valence, devant luy, le dimanche de my Careme 1549. Dialogue entre le Ciel, l’Esprit, la Terre, la Chair et l’Homme. (pp. 97- 141)

Le style poétique de Guillaume des Autels n’a pas la légèreté brillante et rythmée du Prince des Poètes mais lui-même est assez satisfait de ce qu’il produit : 

Vous m'avez dit madamoiselle / Des fois je ne scay pas combien, / Que ma façon n'est pas fort belle, /  Que du tout je ne danse rien. / Je respons, qu'il y ha un bien / (Ne vous desplaise) à faire ainsi : / Car si je ne danse pas bien, / Je ne danse pas mal aussi.


Reliure janséniste en maroquin signée Godillot [2]

C’est une caractéristique des jeunes poètes de la Pléiade de se considérer comme élus par les Muses et à ce titre au-dessus du commun des mortels. Le poète charolais affiche d’emblée son ambition de conquérir la gloire littéraire par ses écrits. Y est-il parvenu ? Il mériterait sans doute plus d’audience aujourd'hui, sa poésie n’étant pas dénuée de jolis passages :  

Toutes les fois qu’au travail de l’étude, / Me reposant tout endormi je veille : / Et que de loin sa voix doucement rude, / Ou le tintin des clés qu’elle appareille, / Transmet un air sonnant à mon oreille, / Tant me ravit sa recordation, / Que mon esprit de l’étude s’éveille, / Pour s’endormir en contemplation. 

Mais le chemin de la gloire est parfois pavé d’embûches et les Muses font des jalouses. Visiblement Jeanne La Bruyère, son épouse, n’appréciait guère la métaphore poétique.  Après avoir conclue l’Amoureux Repos sur une sorte de promesse de ne plus écrire de pièces amoureuses à sa Sainte pour préserver sa vie conjugale, Guillaume des Autels est coupé de son inspiratrice. Il faudra attendre six années avant qu’il ne trouve une nouvelle raison d’écrire des vers. Il publiera à partir de 1559 des œuvres plus engagées politiquement, Harengue au peuple français après la rébellion (la conjuration d’Amboise) ou Epitre au Tigre de la France (Le Cardinal de Guise).  

C’est ce poète plus engagé que Ronsard célébrera dans son Elégie à Guillaume des Autels poète Charolais. Au terme d’un développement sur l’ingratitude de la France à l’égard de ses propres enfants, Ronsard écrit :  Pour exemple te soit ce docte des Autels qui a ton los a faict des livres immortels. 

Bonnes Fêtes,

Textor

___________________

 [1] Voir à ce sujet Claire Sicard in Commentaire du titre de l’élégie sur les troubles d’Amboise, adressée à Guillaume Des Autels charolois. Site Hypothèses. Ainsi que Claire Sicard in D’une prétendue réconciliation de Ronsard et Saint-Gelais en 1553. Olivier Halévy; Jean Vignes. Audaces et innovations poétiques, Honoré Champion, pp. 315-334, 2021. hal-02279606

[2] Exemplaire Barbier-Mueller avec son ex-libris. Voir Ducimetière, Mignonne…, 38

Reliure signée M(arcel) Godillot