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samedi 23 août 2025

Luca di Domenico, imprimeur à Venise au XVème siècle.

Un bel in-folio imprimé à Venise en 1482 a rejoint la bibliothèque des incunables. L'ouvrage rassemble les Sermons du pape Léon 1er dit le Grand (Toscane, vers 390 – Rome, 461),  père de l’église et grand orateur, canonisé à la fois par l'Église catholique et l'Église orthodoxe, connu pour être l’auteur de nombreux sermons et lettres dogmatiques et pour avoir participé au concile de Chalcédoine en 451. L'histoire a retenu sa rencontre avec Attila, roi des Huns, afin de l'empêcher qu’il ne marche sur Rome.

Les Sermons de Léon le Grand, Venise 1482. 

La typographie de Luca di Domenico

La lettre introductive de Giovanni Andrea Bussi au pape Paul II.

Il s’agit de la 6ème édition incunable après celle publiée à Rome par Sweynheim et Pannartz en 1470 ; Elle n’est pas particulièrement rare, il en est conservé 126 exemplaires dans les institutions publiques, principalement en Italie.

L’ouvrage de 128 feuillets à 38 lignes, chiffrés a-c10 d-o8 p10, est à grande marge (295x204 mm) avec des espaces de 2 à 8 lignes laissés libres pour les initiales peintes. Certains ont été remplis récemment par un calligraphe maladroit, heureusement limités à quelques feuillets.

Le premier feuillet est blanc, sans titre, suivi au feuillet chiffré a1 de l'épître dédicatoire de l’éditeur scientifique Giovanni Andrea Bussi au pape Paul II. Elle figurait déjà dans l'édition romaine de 1470. Ce lombard d’origine se fait remarquer par le cardinal Bessarion et devient Evêque d’Accia puis d’Aléria en Corse, sans jamais accoster dans l’Ile de Beauté. Il est connu pour avoir été proche des imprimeurs Arnold Pannartz et Conrad Sweynheim et avoir recherché les manuscrits de l’Antiquité pour les corriger et les faire imprimer, ce qui lui valut le poste de bibliothécaire de la Bibliothèque Vaticane créée par le pape Nicolas V et agrandie par ses successeurs.

Au feuillet p2v, après les sermons de Léon 1er et quelques lettres, figure le Symbole de Nicée (Symbolum Nicenum) autrement dit le crédo chrétien, accompagné d’un commentaire sur ce texte.

Au feuillet p10r, l’imprimeur a laissé au colophon la mention suivante : Divi leonis papae viri Eloquentissimi ac sanctissimi sermones Lucas Venetus Dominici filius Librariae artis pitissimus solita diligentia impraessit. Venetiis Anno Salutis MCCCLXXXII Septimo idus Augusti.

Colophon

Beaucoup d'éditions imprimées par Luca di Domenico
 ont un registre final présenté sous cette forme. 

Cette édition est l'œuvre de Luca di Domenico (Lucas Venetus), imprimeur issu d’une vieille famille vénitienne qui fut très actif à Venise à partir de l’année 1480 pendant une période assez courte. Il s'est distingué par la production de romans de chevalerie en vers (En ottava rima) de textes de dévotion ou théologiques et de quelques œuvres de classiques latins ou grecs.

L’utilisation de l’expression artiste pitoyable a de quoi surprend et pourrait laisser penser qu’il y a une coquille pour piissimus, artiste très pieux, ce qui serait plus en rapport avec le thème de l’ouvrage. Toutefois, dans les Commentaires de Pierre Lombard par Aegidius Romanus imprimé en gothique textura quelques mois auparavant, en Mai 1482, Luca di Domenico reprend ce qualificatif de pitoyable (Lucas Venetus Dominici filius librarie artis pitissimus) tout en ajoutant qu’il l’a imprimé avec grand soin et diligence (summa cura et diligentia). Il ne s’agit donc pas d’une coquille mais d’une marque d’humilité, sans doute, pour un artisan qui, par ailleurs, n’hésite pas à louer l’art magnifique des imprimeurs.

Luca di Domenico n’a, semble-t-il, pas beaucoup intéressé les biographes jusqu’à présent et il est bien difficile de trouver des informations à son sujet. La seule chose certaine est qu’il est né dans la cité des Doges, d’un père lui-même vénitien appartenant sans doute à la meilleure société de la ville. Ce n’est pas si courant dans ces premières décennies de l’imprimerie où les imprimeurs exerçant à Venise sont pour la plupart d’origine extérieure à l7a ville. La majorité d’entre eux sont germaniques, à l’image du premier imprimeur vénitien, Johann de Spire, mais d’autres communautés étrangères ont également contribué au développement de l’imprimerie, les milanais, les florentins, ceux de Montferrat ou encore le français Nicolas Jenson.

Même son nom n’est pas fixé de manière uniforme dans les grandes bibliothèques mondiales. Il faut dire que ses impressions sont rares, moins d’u7ne vingtaine de titres sont recensés par l’ISTC [1] sur une très courte période allant de 1480 à 1485. 

Les anciennes bibliographies d’incunables (Goff L134; HC 10012, etc) lui donnent différents noms :  Lucas Dominici - Lucas Dominici filius, Venetus - Lucas Venetus - Luca di Domenico ou encore Maestro Luca.

La Bibliothèque Nationale de France a choisi de le dénommer Luca di Domenico, faisant ainsi du prénom de son père un patronyme. La British Library l’a enregistré plus prudemment sous la dénomination qui figure sur la plupart des éditions en latin : Lucas Venetus Dominici filius. (Lucas de Venise, fils de Domenico). Dans plusieurs colophons filius est abrégé en un simple f.  Son nom est presque toujours associé à celui de son père dont il parle au passé et qui avait dû mourir quelques temps avant qu’il ne s’installe.

Dans les ouvrages imprimés en italien, il se fait appeler Luca Veneziano, Luc de Venise, ce qui semble démontrer que le nom Domenico n’était pas un patronyme, mais il est vrai que l’on trouve dans la Vita della Vergine Maria (Vie de la Vierge Marie) d’Antonio Cornazzano du 17 Février 1481 : Maestro Luca di dominico Venetiano in Venetia.

L’examen des colophons est intéressant car ils diffèrent sensiblement d’un livre à l’autre, l’imprimeur adaptant son texte à chaque ouvrage, nous donne ainsi quelques brides d’information sur son travail ou sur lui-même.

Dans le poème narratif il Filostrato de Boccace publié vers 1481, la fin du texte suit la forme de l’œuvre c’est-à-dire l’ottava rima pour glorifier le nom de l’imprimeur :

Mirabil cosa e cierto la pictura / & quella che subantiquo era in gran pregio / larchitectura dico in ciascun canto / ma cui l'efecto de l'arte prochura / meritan gli impressori un nobil segio / tra quali maestro Luca porta il vanto.

Que nous pourrions traduire approximativement par : La peinture est une chose vraiment admirable / et celle qui, dans l'Antiquité, était très appréciée / l'architecture, je le dis dans chaque chant / mais l'effet de leur art procure aux imprimeurs une place noble / parmi lesquels le maître Luca porte la gloire.

Nous retrouvons cette même intégration de son nom au poème dans une autre œuvre en ottava rima : Oger le Danois. Une épopée chevaleresque du cycle de Charlemagne. Là encore la dernière strophe est une sorte de colophon donnant le nom de l’imprimeur : Luca l’imprima de sa propre main / subtile d’esprit et encore plus d’inventivité / Domenico était son père vénitien / et si vous voulez savoir l’année, / en l'an mil quatre cent quatre-vingt, le troisième jour d'octobre, on le chante.[2]

La production de Luca di Domenico touche trois domaines distincts, de nature très variée pour ne pas dire contradictoire : D’un côté les épopées en vers italiens (Ottava rima), sorte de romans de chevalerie versifiés, très en vogue à la fin du XVème siècle, de l’autre des classiques latins destinés aux universitaires. Enfin, des textes religieux et des livres de dévotion.

Qu’y a-t-il de plus éloigné de l’humanisme que la chevalerie ? Le renouveau des lettres antiques, et l’éloge des armes médiévales ne font pas bon ménage, et d’ailleurs les humanistes ne se sont pas privés de condamner la culture chevaleresque, produit grossier de l’âge « gothique » qui fait suite à la chute de Rome aux mains des barbares.

Quoiqu’il en soit, dès les débuts de son activité Luca di Domenico parait se spécialiser dans ce genre de l’épopée en vers. Les ouvrages que nous pouvons inclure sous ce thème représentent la moitié de sa production (10 titres). Nous y trouvons l’Histoire de Merlin (1480), et les aventures d’Ogier le Danois (1480). Tous deux au format in-folio, format qu’il abandonnera pour cette catégorie de textes. Suivrons le Philostrate de Boccace (1481) en ottava rima, et du même auteur la Nymphe de Fiesole (1482), le Libro chiamato Dama Rovenza (1482) du cycle de Charlemagne et Renaud de Montauban, toujours en vers italiens, dont il ne reste plus qu’un seul exemplaire dans la Bibliothèque du Vatican. Il poursuit sur sa lancée en 1483 et 1484 en publiant l’Histoire de Troie et un ouvrage aujourd’hui perdu dont le titre était peut-être Libro chiamato Persiano quall tratta de Carlo Magno et de tutti li paladini, ou bien simplement Persiano figliuolo di Altobello (Le Persan, fils d’Altobello) de Francesco Cieco Da Firenze.

Cette édition, citée par Brunet [3], aurait été imprimée pour la première fois par Luca di Domenico en 1483 mais aucun exemplaire n’existe dans aucune bibliothèque du Monde. La seule référence à l’ouvrage est la stance ajoutée par l’imprimeur Christophorus de Pensis de Mandello, dix ans plus tard en 1493, puis reprise dans les éditions successives :

Sachez, Bonnes gens, que Maitre Luca fils de Domenico l’a vraiment imprimé pour que s’accordent à tort la Rose (de Venise) et le Lys (Rouge de Florence - il Giglio) et il était aussi compétent et prudent dans cet art / (qu'il) abordait tout avec sagesse, gentillesse et humanité / (car) il était Vénitien de sang ancien. Et cette belle histoire fut transcrite en l’an mille quatre cents quatre-vingt-trois.[4]

Page finale du Persiano figliuolo di Altobello imprimé par Christophorus de Pensis en 1493, citant l’édition antérieure de Luca di Domenico. (Image numérisée par la BEIC)

Après les Romans de Chevalerie, ce sont les livres religieux qui représentent le plus grand nombre d’éditions (7 titres). Des livres de dévotion, au format in-quarto comme la vie de la Vierge Marie (1481) ou un confessionnal, des textes des pères de l’Eglise incluant les œuvres de Saint Cyprien ou les Commentaires des Sentences de Pierre Lombard (1482). Sans oublier les Sermons du Pape Léon le Grand, publiés cette même année 1482, année de sa plus grande production avec pas moins de 6 impressions.

Enfin, la dernière catégorie, en nombre très limité (4 titres) est représentée par les deux éditions successives des Declamationes de Quintilien, par le Traité d’Hermétique du pseudo Hermès Trismégiste édité pour la première fois par Marcile Ficin en 1471 et par un ouvrage d’un juriste contemporain, Laelianus Justus.

Visiblement Luca di Domenico ne travaillait pas pour l’Université mais trouvait sa clientèle chez les familles patriciennes de Venise friandes de romans courtois.

Il avait à cœur de soigner son travail et de rechercher le meilleur support pour l’impression de ses textes. Les Sermons de Léon 1er en attestent. L’imprimeur a utilisé un papier fort, à vergeures serrées, caractéristique du papier italien. Ces feuillets proviennent de sources diverses. Nous avons identifié au moins trois filigranes distincts indiquant qu’il se fournissait localement soit à Venise même, soit dans le pourtour de la lagune.

Ainsi une lettre L apparait à plusieurs reprises sur le premier tiers de l’ouvrage et sur le premier feuillet blanc. Presque tous les papiers portant ce logo sont d’origine italienne nous dit Briquet.  On le retrouve dans des documents datés de 1477 et 1479 et plus spécifiquement à Venise.[5]

Un autre filigrane en croissant de lune pourrait avoir été fabriqué dans la ville voisine de Trévise. Trévise est un centre typographique de faible importance, 113 éditions ont été recensées entre 1471 et 1500 compte tenu de la concurrence de la cité des Doges. En revanche, ce fut un centre de production de papier important dès le XIVème siècle, stimulé par le développement de l’industrie typographique de sa voisine.  Ce croissant de lune fortement bombé n’est pas dans le Briquet, il est proche du n°5208.


Filigranes des papiers utilisés par Luca di Domenico

Enfin une dernière marque dans le papier apparait vers la fin de l’ouvrage. C’est un volatile aux pattes palmées qui est très proche de Briquet n° 12133. Là encore, ce filigrane se retrouve dans des documents de Trévise de 1481. Donc, un papier de fabrication récente, aussitôt utilisé par l’imprimeur.

L’activité de Luca di Domenico s’interrompt brusquement en 1485, avec, il est vrai, une nette diminution des parutions dans les deux années précédentes.

A-t-il rencontré des difficultés financières ? Une concurrence de confrères plus efficaces ? La guerre commerciale semble rude dans la cité des Doges. Dès la mort de Johann de Spire en 1470, de très nombreux ateliers s’installent dans la lagune. Dans les années 1480 plus d’une cinquantaine d’officines sont actives simultanément, réalisant une centaine d’éditions annuelles, parfois plus.

Quand Luca di Domenico publie Uberto et Filomena, un autre imprimeur de Venise, Antonio de Strata, venait de sortir le même titre moins d’un an auparavant. L’activité de ces ateliers est extrêmement instable et précaire, comme le montre le grand nombre d’imprimeurs qui ne poursuivent par leur activité dans la ville au-delà d’un an [6].

Peut-être, simplement, Luca di Domenico est-il mort de la peste qui sévissait dans la cité cette année-là et qui emporta le Doge Giovanni Mocenigo ? Nous n’en savons rien. Il ne nous reste que son travail soigné, ces belles pages aux caractères typographiques parfaitement alignées.

Bonne Journée,

Textor



[1] Incunabula Short Title Catalogue de la British Library à l’entrée Lucas Venetus

[2] Luca limpresse con sua propria mano / Domenico fu il padre venitiano / et se voi saver lano/  del mille quattro cento con otanta / el zorno terzo de octubre si canta.

[3] Brunet cite l’édition de 1493 tout en donnant une mention qui n’y figure pas et qu’il a dû prendre dans une édition postérieure : Luca di Domenico figlio lo stampo in prima nel mille quattrocento ottante trene. Voir Brunet Manuel du Libraire pp. 322, à l’entrée Francesco da Fiorenza.

[4] Perché voi sapiate o bona gente / maistro luca de dominico fiolo / Si la fatto in stampa veramente / perché s’acorda a torto la rosa [i.e. Venise] e ‘l ziglio [i.e. Florence] ed era in questa arte saputo e prudente / ad ogni cosa darebbe di piglio / sapiente, piacevole e umano / del sangue antico egli è veneziano.  / i stralata fu la bella storia / Nel mile quatrocento ottenta trene….

[5] La lettre L est répertoriée par Briquet au numéro 8282.

[6] Voir la thèse de Catherine Rideau Kikuchi, La Venise des livres, 1469-1530, Champ Vallon, 2018.


Annexe : Liste des éditions de Luca di Domenico 


mardi 1 avril 2025

Les débuts de l’imprimerie à Rumilly – Savoie. (1674)

Conter l'histoire de l'imprimerie à Rumilly convient bien au format d'un article de ce blog dans la mesure où il n’a jamais été identifié qu’un seul livre sorti de l’atelier du premier imprimeur de cette petite ville de l’Albanais.

En 1670 [1], Jean-François Rubellin, alors âgé de 28 ans, installe une presse à Rumilly, bourgade prospère située entre les villes d’Aix-les-Bains et d’Annecy, fier de son passé qui remonterait à l’époque romaine [2]. L’existence de cette imprimerie est constatée par un unique et beau livre dans lequel l’imprimeur prend le titre de Typographe du diocèse de Genève.

Page de titre du Rituel Romain à l'usage de Genève


Quelques pages du Rituel

L’ouvrage est intitulé, en latin, Rituel romain de Paul V, publié par ordre du souverain Pontife à l'usage du diocèse de Genève, imprimé aux frais du clergé. Il se présente sous la forme d’un in-quarto de 4 feuillets non chiffrés et 440 pages, auquel fait suite en complément un autre in-quarto de 250 pages suivi de 5 feuillets d’index portant au titre : Annexe aux Préludes du Rituel Romain comprenant le manuel du diocèse de Genève. Il est rédigé pour partie en latin et en français.

Un rituel est un livre liturgique qui rassemble les rubriques et formules d'administration des sacrements (baptême, onction des malades, mariage) et des rites connexes (funérailles, bénédictions, exorcismes), dont le prêtre est le ministre. Il se distingue du Pontifical, lequel contient en plus, ou exclusivement, les rites sacramentels et bénédictions réservés aux évêques. Il se distingue aussi du Missel qui renferme les formulaires des messes pour les différentes fêtes de l'année liturgique [3].

On trouve ainsi dans notre Rituel à l’usage de Genève les principales cérémonies qui rythment le temps de l’église avec des sections très variées : formules sacramentelle, bénédictions, exorcismes, conseils pratiques, prières de tous ordre, qui en fait un document usuel pour les ecclésiastiques. Certains propriétaires l’ont complété des informations qui leur manquaient. L’un d’eux a poursuivi la liste des évêques du diocèse, un autre a ajouté des prières dans la marge et même contrecollé entre deux page un formulaire de prière en cas de décès inopinée.  Il résulte de tout cet intérêt pour l’ouvrage une manipulation soutenue au fil des siècles. Notre exemplaire mériterait une nouvelle restauration.

Parmi les originalités du livre, il convient de noter que Jean d’Arenthon d’Alex, évêque de Genève-Annecy, a fait insérer une Liste des livres les plus nécessaires aux Ecclésiastiques de ce Diocèse. C’est une sorte de bibliothèque idéale qui a été analysée par Michel Colombat dans une thèse récente [4]. Les livres de théologie dogmatique et scolastique sont seulement au nombre de deux : La Somme théologique de saint Thomas d‟Aquin et le Commentaire sur les sentences de Pierre Lombard par Estius, théologien hollandais. C’est la rubrique consacrée à la théologie morale qui est la plus fournie. Le Cours de théologie morale de Raymond Bonal est cité en premier lieu, ce qui reste logique puisque son auteur est un disciple de saint François de Sales.

Hymnes avec la musique notée

Le Rituel Romain a été édité aux frais du diocèse de Genève qui était alors un vaste territoire couvrant le Genevois, le Faucigny, une partie du Bugey et du pays de Gex. À partir des années 1540, Genève devient calviniste et les évêques de Genève décident de déplacer, en 1569, leur siège épiscopal dans la ville d'Annecy, donnant naissance à l'évêché de Genève-Annecy.

Mais alors pourquoi faire imprimer cet ouvrage à Rumilly plutôt qu’à Annecy ?  L’histoire ne le dit pas. D’autant que Jean d’Arenthon d’Alex, évêque en exercice entre 1661 et 1695, faisait régulièrement publier ses ouvrages, non pas chez Jean-François Rubellin mais chez Jacques Le Cler, imprimeur du clergé, à Annecy. Ce fut le cas notamment pour les Constitutions et instructions synodales de St François de Sales... mises en ordre et augmentées par Mgr Jean d’Aranton d’Alex son successeur (1663 et 1668) ou encore Additions aux constitutions de Jean d’Arenthon d’Alex (1683).

La première garde contient une marque d’appartenance dont le nom de l’auteur a malheureusement été gratté :

J'ai acheté ce livre du Révérend Père Anthoine Decret, curé de Thones, qui, s'en étant procuré un neuf à ses frais, pouvait fort bien se passer de celuy cy qui étant tout délabré m'a plus coûté pour le faire raccommoder qu'il ne vaut maintenant qu'il est réparé. Chesne, le 8 Juillet 1752.

Marque d’appartenance

La question soulevée par ce bibliophile anonyme du XVIIIème siècle taraude beaucoup d’amateurs de vieux livres. Le cout d’une restauration en vaut-il la peine ? Faut-il laisser l’ouvrage « dans son jus » avec tous ses défauts ou lui procurer une nouvelle jeunesse ? Une restauration donnera-t-elle plus de valeur à un exemplaire ou non ? dénature-t-elle l’objet ancien ? Questions très subjectives, tout autant que la valeur du livre. Le cas de cette impression de Rumilly est un bon exemple. Aujourd’hui, les raccommodages du XVIIIème siècle se voient toujours bien, plusieurs cahiers sont renforcés en gouttière, des pages sont salies et les mors sont faibles : Il ne parait pas moins délabré qu'il y a 273 ans.

La plupart d’entre vous n’y verront qu’un banal livre de religion comme on en trouve à foison. Et le fait qu’il soit l’unique édition de Rumilly jusqu’à l’époque moderne ne risque pas d’émouvoir un nantais ou une périgourdine qui ignorait jusqu’alors qu’il existait un village du nom de Rumilly.  Dans ce cas, la réponse est négative. Pas de restauration. Mais si la lecture des commentaires des bibliophiles du XIXème siècle qui ne tarissent pas d’éloge sur l’ouvrage nous donne l’impression de posséder un chef d’œuvre, alors il faut le protéger en l’envoyant à nouveau chez le restaurateur.

Je suis de ce second parti. L’importance du Rituel pour l'histoire de l’imprimerie en Savoie et sa relative rareté (il n'en existerait que 7 exemplaires dans les bibliothèques publiques de par le monde [5]) en fait un ouvrage très précieux. Sa rareté le rendait presque mythique. Pierre Deschamps, dans son Dictionnaire de Géographie (1870) [6] nous dit que Monsieur Ternaux prétend que l’imprimerie existait dans la jolie ville de Rumilly en Savoie au XVIIe et cite, à l’appui, un missel de Genève imprimé en 1674, ce livre nous est inconnu.

Un possesseur a complété la liste des evêques 
jusqu'à son époque après 1743.

Messieurs Auguste Dufour et François Rabut, eux, avaient réussi à en voir un exemplaire. Ils étaient membres de la Société Savoisienne d’Histoire et d‘Archéologie et auteurs d'un ouvrage intitulé L'imprimerie, les imprimeurs et les libraires en Savoie du XVe au XIXe siècle [7] qui fait encore autorité de nos jours. Ils tenaient le Rituel Romain imprimé à Rumilly en grande estime. Selon Auguste Dufour, qui avait eu entre les mains à peu près tout ce que l’imprimerie savoisienne avait pu produire, qualifiait cet ouvrage d’une des plus belles productions typographiques de la Savoie. Nous en avons vu un exemplaire entre les mains de M. Croisollet, notaire à Rumilli.

D’autres amateurs en ont fait l’éloge. On lit dans un numero du journal L’Allobroge de 1840 : Nous avons entre les mains un Rituel magnifique, imprimé à Rumilly, en 1674, chez Jean-François Rubellin. Les caractères en sont d’une richesse et d’une netteté qui, à cette époque, n’étaient surpassées que par les éditions de la Haye, en Hollande.

Pour un premier livre, le résultat est effectivement assez réussi, pour ne pas dire parfait. De la mise en page au choix des fleurons, des culs-de-lampe et des bandeaux, l’ensemble est très esthétique. La partie concernant les hymnes est agrémentée de la psalmodie annotée, soit plus de 150 pages musicales. Nous n’avons pas pu retrouver d’où et de qui Rubellin tenait son matériel, apparemment pas de Chambéry, peut-être Genève ou Turin, à moins qu’il ne l’ait fabriqué lui-même.  

Il y aurait une étude à faire pour approfondir cette question car depuis Dufour et Rabut, il semble que personne ne se soit intéressé à la production de l’imprimeur. En effet, et c’est assez curieux pour le noter, ce titre serait le seul témoignage de son travail alors que Jean François Rubellin aurait pourtant exercé jusqu’en 1690, soit pendant près de vingt ans sans quitter Rumilly.

M. Croisollet, le notaire de Rumilly féru d’histoire, qui pouvait puiser ses renseignements directement dans ses archives, a donné à Dufour et Rabut toutes les informations qu’il avait pu retrouver sur ce proto-imprimeur.[8] Nous avons corrigé ces renseignements par des recherches aux archives départementales.

L’histoire de Rumilly par F. Crosollet

Extrait du registre des Naissances de Rumilly 
pour l’année 1641  (Source AD73)

Bravoure des Rumiliens - Journal L'Allobroge, 1840 (source Gallica)

Jean François est le fils d'Anthoine-Amé Rubellin, natif de Faramaz et bourgeois de Rumilly, et de Gonine Bouvard. Il est né le 1er Septembre 1641 à Marcellaz-Albanais, un petit village à 7 km de Rumilly. Il se marie à l’église St Léger de Chambéry, le 15 Mai 1684, avec Charlotte Chapellu, une jeune fille de la paroisse St Blaise de Seyssel. L’acte ne précise pas sa qualité de Maitre-imprimeur mais il est dit honorable bourgeois de Rumilly. Les témoins, Aymé Rubellin et Pierre Bouvard, sont tous deux Maitre-Chirurgiens et Bourgeois de Rumilly. 

Le registre des décès de la ville précise qu’il a été inhumé le 17 août 1690, à l'âge d'environ 48 ans, étant mort de ses blessures reçues le 15 dudit mois à la prise de Rumilly.

En effet, Rumilly était une ville stratégique entre les rivières du Chéran et de la Néphaz et, à ce titre, fut convoitée par la France. Louis XIII d’abord puis Louis XIV l’assiégèrent. En 1690, lors de la troisième occupation française de la Savoie, Rumilly oppose une résistance farouche aux troupes de Louis XIV, dirigées par le général Saint-Ruth. Le général demande à ce que la place se rende, annonçant que Chambéry et Annecy étaient déjà tombées, mais les habitants ne veulent rien entendre et lui crient E capoë ! E Capoé ! [9]. Une quinzaine d'habitants trouvent la mort dans les combats du 15 août 1690 dont Jean-François Rubellin, l’unique imprimeur de Rumilly.

Le 30 Juillet précédent, les syndics de la ville avaient décidé de nommer deux conseillers suppléants avec voix délibératives au conseil de la ville en cas d’absence des titulaires. Il s’agissait de Jean-Francois Rubellin et François Billiet. Est-ce parce qu’il venait d’être nommé à cette fonction honorifique que l’imprimeur prit très à cœur la défense de sa ville qui lui couta la vie ?

C'était donc un des braves défenseurs de cette ville contre les armées de Louis XIV, un de ceux qui prononcèrent le sublime Et capouè! [10] Il laissa des enfants, dont l'un, Pierre-Joseph, est mort en 1746 mais aucun ne repris l’atelier d’imprimerie.

Le notaire Croisollet avait trouvé une autre mention de l’imprimeur dans les comptes du trésorier général Nicolas Brun, en 1679, pour une somme de 36 livres qu'il reçut pour restant de huictante-quatre florins qui lui avoyent esté promis pour les 500 exemplaires qu'il a imprimé de l'edict de sa Me Re concernant les officiers locaux. Le registre du contrôle nous apprend qu'il fut obligé d'imputer sur cette somme celle de vingt-quatre florins, valeur de quatre rames de papier qui lui était restées de celles que la Chambre des Comptes lui avait fait envoyer par le papetier Antoine Caprony pour cette impression.  Il y a tout lieu de penser que le beau papier du Rituel Romain provient aussi de ce moulin à papier réputé qui était installé à la Serraz, hameau proche du Bourget-du-Lac.

Ce document de la Chambre des Comptes est la preuve que Jean-François Rubellin avait imprimé d’autres pièces au fil des années, ce qui n’a rien d’étonnant s’il a exercé son métier d’imprimeur pendant vingt ans. Il est juste curieux qu’aucun autre exemple de son travail ne nous ait été conservé.

Avec la mort de Jean-François Rubellin, les évêques de Genève feront imprimer leurs titres à Annecy. A partir de 1693, Humbert Fontaine se dit imprimeur ordinaire du diocèse. Il n’y aura plus de presse à Rumilly jusqu’en 1870, date à laquelle la maison Ducret et Folliet installera une imprimerie industrielle employant trois ouvriers.

Bonne Journée,

Textor



[1] Selon le notaire François Croisollet, historien de Rumilly, mais il n’y a pas de trace de publication à cette date.

[2] Le nom de Rumilly viendrait du nom de la gente Romilia, propriétaire des lieux au IIème siècle av. JC.

[3] Répertoire des rituels et processionnaux imprimés et conservés en France par Jean-Baptiste Molin et Annik Aussedat-Minvielle in Documents, études et répertoires de l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, Année 1984 - 32

[4] Michel Collombat. Les bibliothèques des clercs séculiers du duché de Savoie du XVIIIe siècle à 1860. Histoire. Université de Lyon, 2016

[5] BnF (2), BM Chambéry, BM Amiens, BM Grenoble, BM Valais et Cambridge. Le docteur Blanc en avait aussi un exemplaire défraichi qui a été adjugé 3270 EUR à la vente de sa bibliothèque, en Décembre 2010 (Cat. Alde, lot n° 292).

[6] Pierre Deschamps, Dictionnaire de Géographie Ancienne et Moderne à l’usage du Libraire et de l'Amateur de Livres contenant …. les recherches les plus étendues et les plus consciencieuses sur les origines de la typographie dans toutes les villes, bourgs, abbayes d'Europe, jusqu'au XIXème  siècle exclusivement. Par un Bibliophile. Paris, 1870.

[7] Chambéry, Bottero 1877.

[8] François Croisollet, Histoire de Rumilly, Chambéry Puthod 1869, page 116.

[9] Formule de patois qui peut se traduire par Et Après Et alors ! Dufour parait s’être trompé quand il met dans la bouche de Rubellin cette invective car elle a été prononcée lors du siège de 1630. Mais comme elle était devenue la devise de la ville, il est possible qu’elle ait été reprise en 1690.

[10] Dufour et Rabut op. cit.



mardi 4 février 2025

L’histoire d’Orose contre les païens (1483)

Tu aimes la guerre, le tumulte, les massacres et les défaites ? Alors lis-moi. Le bandeau d’annonce de l’ouvrage avait de quoi attirer le chaland dans les foires de Champagne. Je ne sais pas si Orose aurait apprécié cette manière radicale de présenter son livre dont le fond est bien plus complexe que la simple description d’une suite de batailles.  L'ouvrage traite de l'histoire du monde comme une preuve concrète des visions apocalyptiques de la Bible. Son importance réside dans le fait qu’il a été le premier auteur chrétien à écrire non pas une histoire de l'Église, mais plutôt une histoire du monde séculier interprétée d'un point de vue chrétien. Son ouvrage est devenu une sorte de manuel d'histoire universelle dont le succès ne se démentira pas pendant tout le Moyen-Age si bien que nous en avons conservé de multiples versions manuscrites. 

Incipit de l’édition d’Orose par Octaviano Scotto. 
L’ouvrage débute par une dédicace d’Orose à son commanditaire Augustin d’Hippone. 

Colophon et registre de l’édition de 1483 
précédés d’un petit texte repris de l’édition d’Hermannus Liechtenstein de 1475.

C’est le proto-imprimeur d’Augsbourg Johann Schüssler qui en fit la première version imprimée, autour de Juin 1471. Cette édition princeps débute par une table de 9 folios que nous ne retrouvons pas dans les éditions postérieures. Elle est suivie par une autre transcription, plus fidèle du texte d’Orose établie par le prieur de Sainte Croix de Vicence, Aenae Vulpus, sortie des presses d’Hermannus Liechtenstein en 1475. L’impression contient un petit texte valant colophon dans lequel les deux noms de l’éditeur scientifique et de l’imprimeur sont cités à côté de celui d’Orose. 

Dans la version de 1483 [1], quatrième édition incunable après celle de Leonardus Achates de Basilea, toujours à Vicence vers 1481, Octaviano Scotto a conservé ce petit texte en le plaçant au-dessus du colophon [2], après avoir gommé les quatre lignes relatives au travail d’Hermannus Liechtenstein.

La mention complète peut-être traduite à peu près de la manière suivante : 

Comme le titre dans la marge l’enseigne lui-même en premier : / Mon nom est Orose. / Peu importe qu’elles aient été les erreurs des bibliothécaires : / Enée a libéré mon œuvre. / Voilà la place du monde : et celle de notre temps / Depuis l'origine même du monde. / Celui qui veut du tumulte, de la guerre et des massacres. / Et des défaites : qu’il me lise !

Cette édition vénitienne est bien imprimée en lettres rondes et relativement peu courante en France puisque l’ISTC n’en recense que trois exemplaires dans les institutions publiques [3]. L’ouvrage n’a pas de page de titre et débute en a2 par un incipit de Paul Orose à son dédicataire : Pauli Orosii viri doctissimi historiarum initium ad Aurelium Augustinum. Une autre impression de l’œuvre d’Orose sortira de l’atelier d’Octaviano Scotto en 1499 sous la presse de Christoforum de Pensis de Mandello. [4]

Nous n’avons pas beaucoup de détail sur la vie et l’origine de Paul Orose [5], en dehors de ce qu’a bien voulu en dire saint Augustin.

Il est venu d’Espagne en Afrique en 414 pour rencontrer l’évêque d’Hippone et débattre de questions théologiques, notamment du développement des thèses hérétiques de Priscillien dans la péninsule hispanique [6]. Dans le chapitre III de son livre, l’auteur fait allusion à une attaque de son bateau par des barbares ce qui a conduit certains biographes à lui donner une origine plus nordique, la Bretagne ou l’Irlande mais les éléments de preuve sont faibles. [7]

Nous n’avons pas davantage de certitude sur sa date de naissance. Quand il arrive en Afrique en 414, il est, dit saint Augustin, un jeune prêtre, son fils par l'âge. [8] S’il avait alors une trentaine d’années, il serait né vers 375/380.

Saint Augustin l’envoie en mission en Palestine vers 415, pour seconder saint Jérôme dans son combat contre le pélagianisme. Orose participa au synode de Jérusalem (juillet 415) avant de revenir auprès de saint Augustin avec les reliques de saint Etienne. 

L’Histoire contre les Païens (Historiae adversus Paganos) est une œuvre de commande de saint Augustin à son disciple. Au lendemain de la prise de Rome et du sac de la ville par les troupes d'Alaric (août 410), une vive réaction s'est manifestée dans le monde romain. Cette catastrophe, disait-on, serait liée au développement du christianisme. Le culte des dieux traditionnels a été délaissé et ceux-ci punissent Rome. 

Saint Augustin souhaite démontrer que cette rumeur n’est pas fondée et demande alors à Orose de dresser un catalogue sommaire de tous les malheurs qui ont frappé autrefois l'humanité, histoire de démontrer que les Chrétiens ne sont pas à l’origine de toutes les misères du monde.

Orose prend cette commande très au sérieux et ne se contente pas de dresser un catalogue mais il compose sept livres sur l’histoire du Monde depuis l’origine des temps jusqu’à son époque (le livre s'achève en 416). Il n’oublie ni les horreurs de la guerre de Troie, ni les massacres de la première guerre punique, ni les différents incendies de Rome, ni les conquêtes sanglantes de la guerre des Gaules par César. 

Fusionnant l’histoire romaine avec le développement du christianisme, il apporte une vision originale sur les évènements relatés, ajoutant des parallèles avec l’histoire des peuples orientaux. Il sera une source importante pour les compilateurs après lui, de Cassiodore à Paul Diacre en passant par Isidore de Séville et Bède le Vénérable.

Bien que destinataire de la dédicace, saint Augustin n’approuva pas l'œuvre d'Orose pour des raisons théologiques et cela le conduisit à écrire, en 425, dans le livre XVIII de la Cité de Dieu, une réfutation de ses idées sur le déroulement de l’Histoire. 

Pages du Livre 1 sur le rapt d’Hélène 
et le tyran d’Agrigente Phalaris qui faisait rôtir ses victimes dans un taureau d’airain. 

Une page du livre 7. 
L’exemplaire possède des marges correctes (283x210 mm) mais celui de la Boston Library fait 296 x 220 mm.

L’œuvre d’Orose est divisée en trois parties d’importance inégale, le livre I s’étend sur deux feuillets avec la création du Monde et la guerre de Troie. Le livre II en sept feuillets évoque Babylone, Darius le roi des Perse, Cyrius et le livre III en neuf feuillets, les conquêtes d’Alexandre. Dans les livres IV à VI, Orose traite de l'histoire de Rome depuis la guerre de Tarente jusqu'à l'établissement du pouvoir d'Auguste, garant de la paix universelle voulue par Dieu pour la naissance du Christ. Le livre VII correspond à la troisième partie du plan d'Orose : de la Nativité jusqu'au moment où il écrit (416-417), époque qui voit l’émergence de l'Église dans l'Empire romain et son triomphe final.

Orose est avant tout un compilateur d’historiens latins (Tite-Live, Tacite...) pour lesquels il a eu accès à des sources pour nous perdues aujourd’hui. Il a également donné un abrégé de la Guerre des Gaules, croyant emprunter à Suetone, en décrivant de manière assez vivante les conquêtes de César, comme par exemple, dans cette description du siège d'Uxellodunum (Le Puy d’Issolud en Dordogne) au livre VI : 

Cet oppidum était accroché au sommet très élevé d'une montagne, il était entouré aux deux-tiers par un fleuve non négligeable le long de parois abruptes ; assuré, de plus, d'une très abondante source au milieu de la pente et appuyé sur une grande abondance de blé à l'intérieur de la place, il regardait de haut les vaines allées et venues des ennemis dans le lointain.

…. Comme César voyait qu'en raison de ces machines ardentes, le combat était difficile et dangereux pour les siens, il donne l'ordre aux cohortes de se porter rapidement, en se dissimulant, vers l'enceinte de l'oppidum et de pousser soudain de toute part une grande clameur. Cela fait, dans le même temps que ceux de l'oppidum, épouvantés, voulaient revenir en courant pour le défendre, ils se retirèrent de l'attaque de la tour et de la démolition du remblai.

Cependant, les Romains qui perçaient des galeries pour interrompre les alimentations de la source, en sécurité sous la protection du remblai, firent en sorte que les cours d'eau trouvés en profondeur, s'amenuisent en se divisant en multiples fractions et s'y tarissent sur place. Saisis d'un extrême désespoir devant leur source épuisée, les défenseurs de l'oppidum font leur reddition, mais César fit couper les mains à tous ceux qui avaient porté les armes et leur laissa la vie pour que là fût bien attestée aussi pour la postérité la peine encourue par les rebelles . [9]

Hoc oppidum in editissima montis arce pendebat… La prise d’Uxellodunum dont le nom a été tronqué dans cette édition mais que nous retrouvons dans les manuscrits.

Préface du Livre V 

Nous pouvons compter sur les doigts des deux mains, les livres réellement imprimés par Octaviano Scotto alors même que son nom apparait souvent sur les éditions vénitiennes des XVème et XVIème siècle.

Originaire de Monza, près de Milan, il vint établir une presse à Venise en 1480 mais il n’exerça le métier d’imprimeur que jusqu’en 1484, soit pendant à peine quatre ans, avant de sous-traiter cette activité pour se concentrer sur la tâche d’éditeur scientifique en même temps que de marchand-libraire, laissant à Bonetus Locatellus et à d’autres artisans le soin de réaliser les travaux d’impression. A partir de 1498, ses héritiers poursuivent l’activité éditoriale sous la raison sociale : "Heredes Octaviani Scoti Modoetiensis" et cela pendant une bonne partie du XVIème siècle. 

Pour l’édition d’Orose de 1483, année où régnait le doge Giovanni Mocenico (1478-1485), Octaviano Scotto indique encore qu’il est l’auteur de l’impression et qu’il a édité l’ouvrage à ses frais. (Opera et expensis Octaviani Scoti Mondoetiensis).

Marque d’Octaviano Scotto dans une édition de Thomas d’Aquin de 1516

Photo de la tombe d’Octaviano Scotto
sur laquelle figure sa marque d'imprimeur

Il meurt en 1498 et se fait enterrer dans le cloitre de l’abbaye San Francesco della Vinea. Sur sa tombe qui a subsisté, il a fait sculpter sa marque d’imprimeur à côté de ses armoiries, en y ajoutant ces mots : (Ci-git) Noble Octaviano Scotto de Monza, marchand-libraire et imprimeur pour lui-même et sa famille défunte 24 Décembre 1498. [10]

Bonne Journée,
Textor

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 [1] Historiae adversus paganos. Ed: Aeneas Vulpes – Venise, Octavianus Scotus, 30 Juillet 1483. Goff O98 ; HC 12102*; Pell Ms 8788 (8653). In folio de 76/78 ff. – Signature : a⁸ b-m⁶ n⁴ (Folio a1 (blanc) et a8 en deficit). 41 lignes par page plus le faux-titre du types 106R(a), 106R(b) de 217 (224) x 149 mm.  Provenance : Vente de la Bibliothèque de Guy Bechtel, 2015, avec son ex-libris.

 [2] Ce colophon indique : Pauli Orosii viri clarissimi Ad Aurelium Augustinum episcopum & doctorem eximiu[m] libri septimi ac ultimi Finis. Impressi Venetiis: opera & expensis Octaviani scoti Modoetiensis. Anno ab incarnatione domini .M.cccc.lxxxiii. Tertio Kalends sextilis. Ioanne Mocenico inclito Venetiarum duce.

 [3] BNF (2 exempl.) et BM Nice. Mais l’ouvrage n’est pas rare, il en existe encore 115 exemplaires dispersés dans les bibliothèques publiques du monde, selon l’ISTC de la British Library.

 [4] In-folio de 72 ff., sig. a-m6. 

 [5] Paul Orose ne se prénommait pas Paul, c’est une mauvaise interprétation du P. qui précède son nom dans les plus anciens manuscrits et qui veut dire Presbyter (Prêtre).

 [6] Saint Augustin précise : ab ultima Hispania, id est ab Oceani litore

 [7] Histoires (III, 20, 6-7)

 [8] juvenis presbyter, filius aetate.

 [9] Traduction de Marie-Pierre Arnaud-Lindet in Orose, Histoires contre les Païens. 3 Tomes. Paris, Les Belles Lettres 1991.  Texte établi et traduit par M.-P.A.-L.

 [10] Nobilis Octavianus Scotus de/ Modoetia mercator librorum impressor/ sibi et successoribus qui obiit/ XXIV. Decembris. MCCCCLXXXXVIII