Affichage des articles dont le libellé est Bretagne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Bretagne. Afficher tous les articles

mardi 17 juin 2025

Hommage de Noel du Fail à son professeur Eguiner Baron, juriste breton.

Le jour où ce grand in-quarto [1] a croisé ma route, ce n’est pas le sujet du livre qui m’a séduit de prime abord : un austère traité de droit sur le régime des bénéfices féodaux. En revanche, la reliure de vélin cirée, les claies de parchemin enluminées et la mise en page épurée de Sébastien Gryphe méritait bien de débourser quelques livres tournois.

Ensuite, j’ai découvert que l’auteur était un juriste breton, né à Kerlouan dans le Léon, sur la côte sauvage non loin de Lesneven et qu’il était considéré comme un éminent juriste à l’origine de la construction du droit français (Jus Gallica) et de son émancipation - toute relative - du droit romain.

La page de titre des Commentaires sur les Bénéfices d’Eguinaire Baron, juriste léonard,
 édités par Sebastien Gryphe en 1549.

Reliure en vélin ciré… et rapiécé.

La réputation d’Eguiner François Baron (1495-1550) [2] était grande au point que le Parlement de Bretagne lui confia le soin d’écrire l’épitre introductive de la première édition de la Coutume Réformée de Bretagne de 1540 et de rédiger le répertoire qui précède l’ouvrage. Baron exalte avec lyrisme le travail des cinq commissaires royaux qui avaient été chargés de dépoussiérer le vieux texte [3]. Il n'oublie pas, au passage, de louer Philippe Bourguignon, l'imprimeur-libraire qui s'était lancé dans cette aventure éditoriale. La renommée d'Eguiner Baron était telle qu’il avait réussi à attirer dans son auditoire un autre grand réformateur du droit, le futur chancelier Michel de l’Hospital, venu assister aux Grands Jours de Riom en 1546 [4].

Noel du Fail avait suivi les cours d’Eguiner Baron alors qu’il poursuivait sa formation à l’université de Bourges. Peut-être parce qu’il était breton comme son professeur ou bien parce qu’il aimait les facéties et les balivernes, il avait grandement apprécié les cours de ce maitre éminent, à la fois sérieux et blagueur. Ce dernier n’hésitait pas, sans doute pour distraire ses étudiants, à utiliser des formules choc et des images rendant le cours magistral un peu moins ennuyeux. Comparer les docteurs en droit aux chiens qui lèvent la patte avait bien fait rire le jeune du Fail. Avec son sens de l’observation aigu, il avait tout noté : Les exposés limpides, la faconde gravité de cet homme à la barbe grise, les joutes acerbes avec son meilleur ennemi, le professeur Duarenus (Le Douaren, un autre breton).

Noel du Fail avait retenu la leçon. Lorsqu’il écrira son propre traité sur la coutume de Bretagne [5], il ne s’embarrassera pas de gloses et de commentaires mais il donnera avec beaucoup de clarté le résumé des faits et le point de droit de la décision.

Epitre introductive d'Eguiner Baron à la premiere édition
 de la Coutume réformée de Bretagne (1540). Il y est question des cinq réformateurs de la Coutume et de Philippus Burgondus, bibliopola.


Passage des Contes et Discours d’Eutrapel de Noel du Fail sur son professeur.

Mais le mieux est d’écouter simplement le conteur breton nous parler de son professeur :

Eguinaire Baron, grand et notable enseigneur de loix, s'il en fut onc, lisait en l'université de Bourges avec une telle majesté, dignité, et doctrine, que vous l'eussiez jugé proprement un Scevola, tant il estait sententieux, solide, massif, et de grace paisante et faconde gravité. Et l'ay veu avec son compagnon Duarenus, tous deux Bretons, avoir tiré des universitez et nations, tant de deçà que de là les monts, tous ceux qui voulaient apprendre le droit en sa netteté et splendeur. Il se courrouçait asprement contre ceux qui avaient obscurcy la beauté des loix par une infinie multitude et amas de commentaires : et entre autres un jour que Monsieur L'Hospital, lors conseiller au Parlement de Paris et depuis chancelier de France, allant aux Grands-Jours de Riom, le vint escouter et voir si le bruit et réputation qu'il avait répondait à la vérité. Le bonhomme estant dans sa chaire, accoustré d'une robe de taphetas, avec sa barbe grise, longue et espaisse, voyant qu'en son eschole y avoit des auditeurs non accoustumez, commence à plaindre les deffenses que l'empereur Justinien avoit fait de non escrire et faire commentaires sur le droit civil, disant à ce propos, comme il estoit facétieux et riche en tous ses discours, que si un chien a pissé en quelque lieu que ce soit, il n'y aura mastin, levrier, ni briquet, d'une lieue à la ronde, qui là ne vienne lever la jambe, et pisser comme ses compagnons. Ainsi, si Bartole, Balde ou autre prote-notaire du droit, ait en quelque passage, voire tout esloigné et hors bord qu'il soit, traité un point et disputé, toute la tribale et suite des autres docteurs viendront illec compisser l'œuvre et mesme passage, y escrire par conclusions, limitations, notables raisons de douter et decider, ampliations, intellectes repetitions et autres aparats du mestier.[6]

Les claies de parchemin provenant d’un manuscrit du XIV ou XVème siècle.
 Texte non identifié, il y est question d’Epicure.

La Méthode D’allOrto sur les bénéfices féodaux, ouvrage relié après les Commentaires d’Eguiner-François Baron. Gryphe, 1549.

Le Livre Premier précédé d’une épitre d’Eguiner Baron 
datée à Bourges du 1er Janvier 1548.

L’imprimeur a tenté d’aérer la mise en page de ce texte indigeste.

Eguiner Baron n’aimait donc pas les commentaires et les gloses, pourtant l’ouvrage que j’ai entre les mains contient 154 pages de commentaires sur les Coutumes Féodales d’Oberto Dall’Orto. Le premier livre, relié en seconde position dans mon ouvrage est le traité des bénéfices divisé en quatre livres selon la méthode d’Oberto Dall Orto (Methodus ad Obertum Ortensium de beneficiis, in libros quattuor divisa) précédé du long commentaire d’Eguiner-François Baron sur le même sujet.

Le droit féodal, de formation essentiellement coutumière, fut recueilli à travers des décisions et des opinions exprimées dans les juridictions et formait, vers le XIIe siècle, un ensemble de règles et de principes qu'Oberto Dall'Orto, juge et plusieurs fois consul de Milan, transcrivit dans un texte unique, qu'il envoya dans deux lettres à son fils Anselmo, juriste à Bologne : les consuetudines feudorum (ou coutumes féodales).

Les deux lettres d’Oberto Dall’Orto auront beaucoup de succès chez les juristes jusqu’au XVIème siècle. Il était devenu nécessaire d’accorder ces règles féodales qui régissaient les rapports entre le vassal et son suzerain, règles venues des invasions germaniques du Vème siècle, avec le droit romain qui fonctionnait avec d’autres concepts. Les glosateurs s’en sont donnés à cœur joie pour tenter de concilier les deux systèmes [7].

A n’en pas douter Noel du Fail a dû passer quelques heures palpitantes à écouter Eguiner Baron gloser sur ces vieilles coutumes qui laissaient tant de place à toutes les interprétations.

Bonne Journée,

Textor




[1] 165x240 mm

[2] Orthographié souvent Eguinaire. Pour une raison inconnue les sites anglo-saxons sur internet, dont Wikipédia en anglais, le dénomment Eguinaire François, baron de Kerlouan. Cette erreur est reprise un peu partout. La BNF rejette la forme Eguinaire ou Eguinarius pour Eguiner-François Baron. Le prénom François n'est pas rappelé dans les éditions présentées.

[3] Noel du Fail n’en cite que quatre, dont un seul breton : François Crespin du Pays d’Anjou, Nicole Quelain, manceau, Martin Rusé de Tours et Pierre Marec, gentilhomme de Basse Bretagne. Voir l'article sur la Coutume de Bretagne in Bibliotheca Textoriana Juin 2023.

[4] Les Grands Jours étaient des sessions extraordinaires du Parlement organisées dans des villes de Province pour rendre la justice plus accessible. Elles étaient présidées par des Commissaires du Roi. Une seule eut lieu à Riom, en 1546.

[5] Voir ses Mémoires recueillis et extraicts des plus notables et solennels Arrests du Parlement de Bretagne, divisez en trois livres et l’article qui lui est consacré in Bibliotheca Textoriana du 11 juin 2025

[6] Noël du Fail, Contes et Discours d'Eutrapel, Ch. 4, f°24v de l’édition de 1597.

[7] Difficultés résolues parfois à l’aide du recours à des théories compliquées, comme celle du domaine divisé : en référence au bénéfice et sur la base du principe déjà exprimé du fief comme droit réel, cette théorie utilisait les instruments romains pour concrétiser la protection des droits autonomes du vassal à son propre bénéfice.

mercredi 11 juin 2025

Noël du Fail ou lorsqu’un conteur breton compile les arrêts notables du Parlement de Bretagne (1579)

Noël du Fail, seigneur de la Hérissaye, est un truculant conteur breton, souvent comparé à Rabelais qui l’avait certainement inspiré.  Il n’a pas son pareil pour décrire la vie du petit peuple des campagnes, les fêtes villageoises, les jalousies entre hameaux voisins, quand ceux de Vindelles s’en prennent aux archers de Flameaux.

Au mois de Mai que les ébats amoureux commencent à se remettre aux champs, ceux de Flameaux firent une archerie, où toutes les fêtes s’exerçaient fort, tellement qu’on ne parlait que d’eux dans tout le pays, et à leur grand avantage.

Ceux de Vindelles (comme vous savez prochains voisins), conspirèrent une haine couverte et viennent leur chercher querelle. Ils sont reçus avec des moqueries par ceux de Flameaux : « Allez, allez ; vous êtes ivres de lait caillé » [1] Tout cela ne pouvait finir qu’en bagarre générale, dont le vacarme attira les femmes qui ne furent pas les dernières à rentrer dans la mêlée.

A la nuit tombée, toutes égratignées, les robes défaites et les cheveux Dieu sait comment accoutrés, le conflit se poursuivit à coups de jurons : Par le moyen de la nuit survenue, commencèrent à belles injures, comme putains, vesses, ribaudes, paillardes, prêtresses, bordelières, tripières, lorpidons, vieilles édentées, méchantes, larronesses…. Et tellement criaient et braillaient ces déesses, que tout le bois de la Touche en retentissait.

Page de titre des Mémoires recueillis et extraicts des plus notables 
et solennels Arrests du Parlement de Bretagne

La gravure de la page de titre n’est pas la marque typographique de Julien du Clos
 mais représente sans doute le manoir de Château Létard à Saint Erblon dans la campagne rennaise. Le hérisson entre les chiens est une allusion au domaine de la Hérissaye.

Noël du Fail eut une vie tout aussi agitée. Il naquit vers 1520 dans le manoir familial de Château Létard, à Saint-Erblon (Aujourd'hui en Ille et Vilaine) au sud de Rennes. Il était issu de la petite noblesse de Haute Bretagne. Vers 1540, il quitta sa famille pour entreprendre des études juridiques, la coutume de Bretagne sous un bras et le mousqueton sous l’autre. On le retrouve dans les universités de Poitiers, d'Angers, de Bourges, de Toulouse [2]. Son humeur joyeuse ne parait pas avoir été affectée par ses embarras financiers qui l’obligèrent à entrer dans l’armée. Il participa en 1544 à la bataille de Cerisoles durant les guerres d’Italie. 

Rentré de la guerre, il termina sa formation universitaire à Lyon où il y publia, en 1547, chez Jean de Tournes, ses Propos rustiques de maistre Léon Ladulfi, champenois [3].

Le livre eut un succès certain qui l’incita à lui donner deux suites. Il fit paraitre successivement :

- Les Baliverneries d'Eutrapel (Imprimé à Paris pour Pierre Trepperel. 1548. Trepperel était alors libraire à Orléans)

- Les Contes et Discours d’Eutrapel (Rennes, Noël Glamet de Quinpercorentin [4],1585, in-8°)

Les Propos Rustiques de Léon Ladulfi, Orléans, Eloy Gibier, 1582. 
Rare édition qui contient encore le texte d’origine avant les remaniements de l’édition de 1732.

L’ensemble constitue un témoignage unique sur la société rurale du XVIe siècle. C’est sans doute parce qu’il avait vu tant d’autres régions qu’il sut si bien observer et décrire les petites habitudes des campagnes du pays de Rennes. Ce n’est pas une description de la vie rustique en général, faite d'imagination et ornée de souvenirs classiques, comme on en rencontre souvent au XVIème siècle, mais une suite d’anecdotes d'après nature qui sentent le vécu.

Que racontent les vieux ? Ils regrettent le temps passé et se souviennent des vieilles coutumes du village, quand c’était mieux avant. Au temps ancien, il estoit mal ajsé voir passer une simple feste que quelqu’un du village n’eust invité tout le reste à disner, à manger sa poulie, son oyson, son jambon. Les invités ne venaient point les mains vides, ils apportaient chez leur hôte toutes leurs bribes et les mettaient en commun pour faire le festin plus beau.

Ses pérégrinations universitaires avaient dû le conduire aussi à Paris car il cite les noms de plusieurs libraires chez qui ses maîtres l’envoyaient chercher des ouvrages. Déjà à l’époque, il était difficile de discuter le prix du livre :  Eutrapel dit que, lorsque maistre Jehan Ricaut, Jean Boucher, Jean Reffait, Gaillard, dom Bertrand Touschais, dom Jacques Mellet, tous savans pédagogues, l'envoyaient, et ses compagnons aussi, quérir quelques livres chez Collinet [5], Robert Estienne son gendre, Vascosan, Wechel, libraires de Paris, il ne fallait aucunement disputer ni contester du prix, car autant en avait bon marché l'enfant comme le plus crotté et advisé maistre aux arts de l'Université. Et estre le vray moyen de s'enrichir, gagner petit mais souvent.[6].

Devenu licencié en droit, Noël du Fail rentra en Bretagne et fit un beau mariage, ce qui lui permit de financer l’achat d’une charge au Présidial de Rennes (en 1552) puis au Parlement de Bretagne (en 1572). Parallèlement à ses éditions de Contes et Baliverneries, il publia un recueil de jurisprudence intitulé Mémoires recueillis et extraicts des plus notables et solennels Arrests du Parlement de Bretagne, divisez en trois livres : le premier contient les arrests donnez en l'Audience, le second ceux des Chambres, le tiers les Meslanges, A Rennes, de l'imprimerie de Julien du Clos, imprimeur du Roy. Ce genre de littérature est généralement austère et réservé à un public de juristes avertis. Mais sous la plume de notre conteur, les arrêts du Parlement de Bretagne deviennent des épisodes de la guerre Picrocholine. …

Livre Premier des Mémoires sur les arrêts notables.

Introduction du Livre Second des Mémoires.

Il ne recopie pas les arrêts du Parlement, il en expose les faits dans un résumé à sa manière, souvent très concis en quelques lignes puis il donne le point de droit à trancher, analyse les prétentions et les moyens des parties et finalement la solution retenue. Le tout ne tient souvent qu’en quelques lignes. Il se souvient certainement des cours de son professeur Eguiner-François Baron, à Bourges, qui se plaignait des commentaires sans fin des glossateurs [7].

Parfois, lorsque l’affaire le mérite, il en détaille les circonstances et cela devient un petit tableau qui aurait trouvé toute sa place dans les Baliverneries d’Eutrapel. Par exemple, cette audience du 19 octobre 1566 entre Jean Le Moine et Nicole Tilon. Le mari catholique, la femme huguenote ou quand les dissentions religieuses troublent la paix du ménage :  Le mаrу ne voulait que sa femme allast à l'exhortation mais à la messe. Elle, au contraire. Y a plusieurs débats. II dit qu'elle l’а injurié, qu'elle luy faict mille maux. Elle estoit pauvre, se voyant avec luy homme riche, elle est devenue insolente. Elle va en des lieux qui ne luy sont agréables…  Elle dit que c'est luy qui faict tout le mal. Il l'a battue revenant de la presche, il luy a fermé la porte. Elle luy porte honneur et révérence. Si elle s'est courroucée, il faut qu'il sache formicoe esse suam iram; qu'il excuse l'infirmité du sexe; qu'il se montre le plus parfaict. Ce sont maladies communes des femmes, quarum mores nosse oportet, non odisse. La Court, corrigeant le jugement, ordonne que l'intimée retournera à son Mаrу, auquel ladicte Court enjoinct la bien traicter : et à elle aussi de se comporter avec son mаrу comme une bonne et honneste femme doit faire. Et leur a permis et permet, suyvant l'édict du Roy, de vivre, pour le regard de la religion, chacun d'eux en la liberté de leurs consciences.[8]

Une brouille conjugale, sur fond de guerre de religion, 
tranchée en faveur du mari, l’affaire Jean le Moyne contre Nicole Tilon.

Du Fail s’amuse aussi à relever des décisions qui ne paraissent pas très importantes mais qui en disent long sur les habitudes et comportements des gens de justice : Du 18 Aoust 1572. Defend la Court aux advocats d'icelle d'estre longs, prolixes et superflus en leurs plaidoyez : mais leur enjoinct de les abréger sans user de répétitions et redites, ou dire chose qui ne serve à la cause [9]. L'ouvrage débute sur une affaire tout aussi insignifiante d'un litige du 20 Septembre 1554 entre l'un des quatre notaires de la ville du Grand-Fougeray avec ceux de Nantes. 

Le recueil des arrêts est complété de différentes pièces liminaires et de poèmes de ses amis [10].

Notons, en passant, que, les trois distiques latins placés en tête du volume pourraient donner quelques présomptions sur le lieu de naissance de Noel Du Fail, sur lequel tous les biographes ne s’accordent pas. Ce poème commence ainsi : Natalis Rhedonae decus altum, ingensque Senatus, Et magna Armorici gloria lausque soli, etc. [11]

Chacun des trois livres possède sa préface, la première, dédiée à Louis de Rohan, Prince de Guemené, est datée du 1er février 1576, l’occasion de rappeler que l’idée de rassembler ces décisions judiciaires est née de la réforme de la coutume annoncée pour le 2 Mars de cette même année. Cette préface est très étendue (22 pages) et constitue en elle-même un petit exposé de sa philosophie sociale, que nous pourrions qualifier de très conservatrice. Du Fail fait l’éloge de la Bretagne, la province aussi entière et moins meslée et bigarrée de sang et familles estrangères qu'autre qui soit aux environs d'elle : ayant depuis onze cens ans en çà subsisté et soy tenue debout, sans estre courue ni pillée de ces peuples septentrionaux et Allemans, qui sont venuz habiter et occuper les Gaulles, Hespagnes et Italie, juxtement après la rupture et dissolution de l'Empire Romain.

La préface du second livre est dédiée aux Etats de Bretagne en 1578.

Discours sur la Corruption de notre temps.

Le troisième livre est introduit par un long poème intitulé Discours sur la corruption de notre temps qui porte in fine pour signature Le Fol N'a Dieu, anagramme de Noel Du Fail. Il met en rimes une conversation tenue en sa présence par les deux premiers avocats de Rennes, Maitre Nicolas Bernard et Maitre Pépin de la Barbaie :

Quoy donc, dira quelqu'un, que servira ton livre, / Ton recueil des Arrests, qu'il ne faudra plus suivre / Quand ce beau temps viendra qu'on gardera la foy / Et le noble sera de son subject la loy? / Ce sera un tableau où l'on verra portraitte, / Tandis que nous vivrons, la faulte qu'on a faicte. / Cependant, si ton age à le voir ne suffit, / Pren ce livre tousjours et en fay ton profit.

Il y exprime une certaine critique de la société de son temps, ses principaux défauts et ses aspects les meilleurs. Il s’en dégage une certaine nostalgie du passé, un respect pour les jugements anciens et une fierté de l’œuvre accomplie par les bretons, vertueux et doués de savoir et sagesse

L’ouvrage aura un certain succès et sera réédité à Rennes chez Vatar en 1653, puis encore en 1737 avec une révision de Michel Sauvageau, preuve que son recueil d’arrêts est resté une référence du droit coutumier breton pendant cent cinquante ans.

Bonne Journée,

Textor

 

Filigrane du papier, une main au pouce écarté, avec ligne de vie et un cœur horizontal au centre, surmontée d’une fleur. Non retrouvé à l’identique dans le Briquet.

Concert par une belle soirée d’été au Château Létard.




[1] Le lait ribot est un lait caillé qui est encore bu aujourd’hui dans les campagnes mais qui monte assez peu à la tête…

[2] Ses œuvres citent le nom des professeurs dont il avait suivi les cours et d’autres évènements qui démontrent son séjour dans ces villes.

[3] Une seconde édition fut faite la même année à Paris, par Estienne Groulleau demeurant en la rue neuve Notre Dame, à l’enseigne de Saint Jean Baptiste.

[4] Arthur De la Borderie avait effectué des recherches approfondies sur cet imprimeur tout entier dévoué à la seule impression des 9 éditions des Contes d’Eutrapel. Au final le matériel typographique parait être celui de Jean Richer, imprimeur à Paris, comme l’avait démontré Louis Loviot dans son article l’imprimeur des "Contes d'Eutrapel, 1585 in Revue des livres anciens, T. II, fasc. 3, 1916, p. 313.

[5] Il s’agit de Simon Collines qui mourut en 1546.

[6] Les Contes et Discours d’Eutrapel, f° 177 de l’édition de Quimpercorentin 1597.

[7] Voir l’article à paraitre sur Eguinaire Baron in Bibliotheca Textoriana.

[8] Du Fail, Mémoires… p. 78. Les féministes n'apprécieront sans doute pas les termes 'infirmité du sexe', mais il faut rappeler que nous sommes 450 ans avant le mouvement MeToo.

[9] Du Fail, Mémoires… p. 292.

[10] Dont une épitre de P. Mahé et une ode signée J.D.G.

[11] Ce qui pourrait être traduit librement par : L'honneur de Noel, de Rennes, était grand, et le Sénat était vaste, et la gloire et les louanges de toute l'Armorique étaient grandes.


jeudi 15 juin 2023

Où il est question de quelques imprimeurs et libraires rennais de la coutume de Bretagne et des ordonnances royales (1535-1539).

Dans les années 1540, un certain Jean Rouault, certainement homme de loi et peut-être avocat au Parlement de Bretagne, a trouvé pratique de regrouper dans un seul volume plusieurs textes juridiques qui lui étaient nécessaires pour dire le droit et instruire les procès. Il fit donc l’acquisition chez différents libraires rennais de quatre ouvrages tout juste parus :

-   Les Coustumes generalles des pays et duché de Bretaigne, nouvellement réformees et publiees en la ville de Nantes (1540),

-    Les Ordonnances et Constitutions faictes en la Court de Parlement de ce Pays et Duché de Bretaigne (1535),

-     Les Ordonnances Royaulx sur le Faict de la Justice (1539),

-     Les Instructions et Articles pour l’Abréviation des Procès (1540).

En tout quatre livres ou opuscules réunis dans un recueil factice.

Reliure décorée de la fleur de lys et de l’hermine de Bretagne.
Je suis à noble Homme Jean Rouault

Que ce soit Jean Rouault qui eut le premier l’idée de réunir ces textes, l’un de ses confrères ou bien même les libraires dont nous allons parler, toujours est-il que l’idée eut un certain succès car nous trouvons à la bibliothèque municipale de Rennes un autre exemplaire de cette édition de la coutume de 1540 contenant à la suite les mêmes ordonnances et instructions, à ceci près que les ordonnances de 1535 sont en seconde édition (Rennes, Jehan Georget pour Jehan Lermangier, 1540). Cet exemplaire, lavé et relié à la fin du XIX siècle porte l’ex-libris d’Arthur de la Borderie qui décrit soigneusement chaque volume dans le Bulletin du Bibliophile Breton. 

Exemplaire A. de la Borderie des Coutumes de Bretagne, Rennes et Nantes 1540 (Bibliothèque Municipale de Rennes)

Ces livres, encore imprimés en lettres gothiques et qui auraient semblés d’un style démodé dans le reste du royaume de France, nous donnent l’occasion d’évoquer le renouveau des presses rennaises qui connurent, grâce au transfert du parlement de Nantes à Rennes, un développement tardif mais certain dans ces années 1540-1550.

1/ La coutume réformée de Bretagne promulguée en 1539.

Pays de droit coutumier, le duché de Bretagne s’était doté de règles juridiques tirées des pratiques locales dès le plus haut moyen-âge. Un premier exercice de mise par écrit de ces usages remonte à l’an 1320. C’est la Très Ancienne Coutume de Bretagne. Selon la tradition, reprise par Noël du Fail dans ses Mémoires [1], elle serait l’œuvre de trois légistes de l’entourage du Duc Jean III : Copu le sage, Tréal le fier et Mahé le Loyal. Ce texte emprunte au droit romain, aux coutumes du Maine et de l’Anjou. Il n’est pas structuré par une loi du souverain comme avaient pu l’être les Statuts de Savoie, par exemple, mais un corpus de règles tenant au droit civil (famille, succession, droit rural) comme à la procédure civile et criminelle devant les juges.



Premier folio du texte de la Coutume (cahier B)
 suivis des pages des articles puis des Procès-verbaux.

Quand en 1532, le Duché de Bretagne rejoint définitivement le royaume de France, il devient urgent de rafraichir le texte qui était en vieux langage, de le restructurer et d’en faire une publication officielle comme le veut l’ordonnance royale de Montils-lèz-Tours (1453) pour toutes les coutumes de France.

En effet, pour fixer quelques peu les usages et exclure certaines pratiques donnant trop de pouvoirs aux seigneurs locaux, Charles VII avait prescrit leur rédaction officielle, ce qui prit beaucoup de temps (Entre 1505 et 1540). La rédaction est effectuée, dans le cadre des bailliages, par des praticiens du ressort et examinée par une assemblée des trois ordres, sous l’autorité de commissaires royaux. Avantage d’une rédaction : les cours de justice s’appuient dès lors sur l’écrit pour appliquer la coutume, les coutumes rédigées et décrétées ayant force de loi. Inconvénient : la coutume, ainsi figée, risque de se scléroser. Une réformation des coutumes dut être opérée dès la seconde moitié du XVIe siècle dans toutes les provinces [2].

Extrait de l'épitre de Noel du Fail 
citant les auteurs de la Très Vieille Coutume de Bretagne et ceux de la réforme de 1539

Pour la Bretagne, le roi François 1er confie la rédaction à quatre magistrats, dont curieusement un seul est breton, Pierre Marec, gentilhomme de Basse Bretagne, les autres étant d’Anjou et du Maine [3]. Leur texte, divisé en 24 chapitres thématiques et 632 articles, reste assez proche de la Très Ancienne Coutume. Il est approuvé par l’assemblée des États de Bretagne et promulgué en octobre 1539. La rédaction, bien que modernisée n’est pas toujours très limpide et il faudra le retoucher à nouveau en 1580.

La publication est à l’adresse de Philippe Bourguignon, libraire-imprimeur juré de l’université d’Angers mais il n’a pas été imprimé en Bretagne.

Colophon au nom de Philippe Bourguignon

 A cette époque, beaucoup de livres vendus en Bretagne étaient imprimés en dehors du Duché, pour le compte et sous le nom du libraire local. C’est une habitude qui avait été prise par les membres du clergé breton de faire imprimer leurs missels à Paris, ou même encore en Normandie, et cela depuis le XVème siècle.

Après un début de l’imprimerie prometteur en Bretagne à la période des incunables avec les ateliers de Bréhant-Loudeac, Rennes, Tréguier, Lantenac et Nantes, il y eut une grande éclipse entre 1500 et 1523 où pratiquement aucun livre ne fut imprimés sur place.

C’était encore en partie le cas à la période suivante, durant les années 1530-1540, mais petit à petit des ateliers locaux vont se monter, comme celui de Jacques Berthelot qui prit la suite de Jean Baudoyn, ou bien des libraires, comme Thomas Mestrard, vont finir par imprimer eux-mêmes les ouvrages qu’ils distribuent. Nous voyons ainsi apparaitre le retour des presses en Bretagne. Jacques Berthelot, Thomas Mestrard et Jehan Georget sont tous illustrés par les recueils réunis dans cet ouvrage. 

Première énigme : L'édition de la coutume de 1540 à l’adresse de Philippe Bourguignon aurait été fabriquée à Paris dans l’atelier de Jean Loys d’après le matériel typographique des lettrines. Mais le problème est que Jean Loys n’utilisait pas de caractères gothiques ! Nous ne savons donc pas au juste de quel atelier parisien est sorti ce titre.

Seconde énigme : L’exemplaire que nous présentons ici pose un problème d’identification car sa collation est différente des deux versions décrites par Malcolm Walsby à partir des exemplaires du Musée Dobrée. Il existe une édition A in-4° avec la signature A4 a-c4 d2 B-Z4 &6 ; a-p4 q6 (18 ff.) xciiii lxvi. Cette version semble correspondre à la nôtre puisque le texte de la coutume commence au cahier B gothique précédé d’une table qui dans notre exemplaire est signé A-C4 en majuscule et non en minuscule. Le reste des cahiers est identique à cette édition A. Il existe par ailleurs une édition B (partie à la numérisation et que nous n’avons pas pu consulter pour le moment) qui serait une impression complètement différente nous dit le catalogue de la BMR, dont la signature est A-Z4 &6 a-p4 q6 A-C4 soit (4) xciiii lxvi ff. Si A-C4 correspond à la table, les cahiers ont été placés à la fin de l’ouvrage mais le corps de la coutume ne peut pas être le nôtre puisqu’il commencerait en A4.

Bref, notre exemplaire s’apparente donc à l’édition A pour le texte de la coutume mais la table pourrait être celle de l’édition B bien que tous les renvois de cette table collent parfaitement avec la pagination de la Coutume. Il manquerait alors le premier cahier A4 de cette version ou alors c’est encore une troisième version non décrite de l’édition de 1540.

Philippe Bourguignon (ou Bourgoignon) était établi à Angers, à la paroisse Saint Pierre depuis les années 1520 ; il a joué un rôle important sur la diffusion du livre en Bretagne. Son lieu de naissance est inconnu mais il pourrait avoir été breton, bien que son patronyme ne le suggère pas. Les contrats et les actes successoraux retrouvés dans les archives montrent qu’il avait acquis une certaine aisance financière et développé un réseau commercial qui s’étendait Jusqu’à Nantes et Rennes. Les ouvrages portant l’adresse Nantes et Rennes, comme cette Coutume de 1540, finirent par dominer ceux distribués à Angers.

C’est un cas unique, à notre connaissance, pour le 16ème siècle, d’un libraire établi à Angers, sous-traitant la fabrication des livres à Paris pour les distribuer ensuite à Rennes ou à Nantes.[4]

2/ Les Ordonnances et Constitutions faites en la Cour de Parlement (1535)

Cet in-quarto gothique de 16 feuillets divisés en 4 cahiers signés A-D4, avec 32 lignes à la page pour une hauteur de texte de 120 mm et une largeur de 78 mm est mon préféré de la série. Son titre complet est : Ordonnances / et constitutions / faictes en la court de Parlement de ce // pays et Duche de Bretaigne tenu a // Nantes ou moys de Septembre mil // cinq cens trente cinq / sur le faict // ordre / et stille de pledoyer par // escript et abbreviation des // proces tant en matieres // civilles que criminelles // publiees et enregistrees audict parlement. // Et a la Court de Rennes / par // devant Saige et pourveu // missire Pierres dargen= // tre chevalier seigneur // de la Guichardiere // Senechal d'icelle // court de Rennes // le. xii. jour Do // ctobre lan susd // M.D.xxxv.



la formule de publication des ordonnances agrémentée des armes du Duc François.

Arthur de la Borderie tenait cet ouvrage en grande estime. Il avait réussi à en trouver un exemplaire, court de marge dit-il, et il n’en connaissait qu’un seul autre exemplaire, celui de la bibliothèque de Paul Vatar. De fait, le livre n’est pas courant, Malcom Walsby en a localisé seulement 7 exemplaires dans les bibliothèque publiques [5].

Enthousiasmé par ce texte qui n’est rien moins que le plus ancien acte de juridiction du Parlement de Bretagne en matière typographique, Arthur de La Borderie prend le soin de le décrire de manière détaillée. Il nous dit que le titre occupe tout le verso du premier feuillet et figure par la disposition de ses lignes une sorte de verre à patte qu’il regrette de ne pouvoir reproduire.

Il se donne la peine de retranscrire le texte intégral du privilège octroyé à Thomas Mestrard pour 2 ans, la requête du libraire suivie de la décision de la Cour donnée en parlement à Nantes le 7 septembre 1535. A cette date, le Parlement siégeait à Nantes et ne s’était pas encore transporté à Rennes. Celui-ci a pris des précautions particulières dans sa décision pour que le texte des ordonnances soit une bonne et exacte impression. La Borderie constate que l’imprimeur a suivi cette recommandation car « ce livre est imprimé avec beaucoup de soin, on peut même dire avec luxe car chacun des articles a pour initiale une lettre ornée ».

Ces ordonnances, ou Règlement des Grands-Jours, se composent de deux parties, l’une sur la matière civile en 47 articles, l’autre sur la matière criminelle en 41 articles. Elle se termine par la formule de publication devant Pierre d’Argentré, seigneur de la Guichardière et un écusson aux armes de France et de Bretagne qui sont celles du Duc François III (1518-1536), fils de Claude de France devenu duc de Bretagne à la mort de sa mère en 1524. Dauphin et héritier du royaume de France, il disparut prématurément l’année suivant la publication de ces ordonnances dans des circonstances restées mystérieuses. 

La page de titre donne l’adresse du libraire qui distribue l’ouvrage : On les vend à Rennes à la porte Sainct Michel en la boutique Thomas Mestrard près la Court de Rennes. C’est effectivement dans ce quartier que se vendaient les livres et où Jean Macé avait tenu boutique avec un certain succès durant la décennie précédente. C’était proche du Présidial qui se tenait à l’emplacement du Champ Jacquet où circulaient les gens de loi, principale source de clientèle.

En revanche, rien n’est dit sur la page de titre au sujet de l’imprimeur. Nous aurions été tenté  d'y voir une impression parisienne compte tenu du style des lettrines, assez proches de celles de la Coutume de 1540. Mais la présence au verso du dernier feuillet d’une marque d’imprimeur composé de Saint Jacques et d’un cheval en vis-à-vis avec les initiales JB dans un lacs nous renseigne sur le nom de l’imprimeur. C’est la marque de Jacques Berthelot qui signe ainsi son travail d’impression [6]. Pour être précis, il s’agit d’une marque commune à Jacques Berthelot et Guillaume Chevau qui furent brièvement associés, comme on le verra plus loin.

L'ouvrage se termine par la marque de Jacques Berthelot

Jacques Berthelot avait entamé sa carrière à Caen en 1527 avant de transporter ses presses à Rennes en 1534. Il utilisait le matériel typographique acquis de Jean Baudouyn éphémère imprimeur de Rennes, apparu en 1516, qui n’imprima que quelques titres en deux périodes coupées d’une longue interruption. Berthelot travaillait pour les libraires Thomas Mestrard et Jean Macé. Il sera même jusqu’en 1539 le seul imprimeur de la ville de Rennes. Il meurt avant 1542 date à laquelle sa veuve, Marie Robin, dirige pendant quelques temps l’atelier jusqu’à ce que Thomas Mestrard ne lui rachète son matériel pour devenir imprimeur lui-même.

Cet ouvrage est séduisant à plusieurs titres, d’une part en raison du fait qu’il est le premier texte imprimé du Parlement de Bretagne, d’autre part en raison de la recherche d’esthétisme qui a présidé à sa composition. Enfin c’est le premier ouvrage à nommer Thomas Mestrard et il constituait une première, un « saut dans l’inconnu », comme le dit M. Walsby, à la fois pour le libraire et pour l’imprimeur tout deux établis à Rennes.

3/ les Ordonnances Royaulx sur le fait de justice (1539)

Le troisième ouvrage du recueil est contemporain de la coutume générale et touche la procédure et l’abréviation des procès. Son titre complet est : Ordonnances royaulx // sur le faict de la Justice, & abreuiation // des proces en ce pays & Duche de // Bretaigne faictes par le Roy // nostre sire, & publiees en la // court de parlement, te//nu a nantes, le der//nier Jour de // septembre lan // m.d.xxxix.

Page de titre des Ordonnances Royaulx sur laquelle Jean Rouault au XVIème siècle et Vignault des Ferrières, avocat au parlement de Bretagne, au XVIIIème siècle, ont laissé leur signature.


Il permet d’illustrer le travail d’un autre imprimeur, tout juste installé à Rennes cette année-là, Jehan Georget, associé à un jeune libraire lui aussi tout juste installé, Guillaume Chevau.

Jehan Georget, imprimeur plus prolifique que Berthelot, travaillait pour plusieurs libraires simultanément. Il marquera l’imprimerie rennaise en introduisant deux nouveautés : il est le premier à avoir imprimé un livre au format in-folio et il est le premier à avoir utilisé des lettres rondes. Pour le format, cela peut sembler curieux mais en réalité comme la plupart des livres bretons étaient produit ailleurs, les petits formats étaient privilégiés pour le transport.

Les besoins des gens de loi en ouvrages juridiques lui assureront sa principale production mais toujours en second derrière Thomas Metrard qui, lui, bénéficiait du privilège du Parlement.

Pour ces Ordonnances Royaulx, ce sont bien Thomas Mestrard et Philippe Bourgoignon qui apparaissent au privilège mais Il existe des impressions de cette édition à l’adresse de plusieurs libraires, avec des variantes dans la composition du texte : Celles à l’adresse de Guillaume Chevau, en 32 ff. ; celles à l’adresse de Thomas Metrard en 40 ff. ; celles à l’adresse de Cleray en 32 ff. 

 

Privilège des Ordonnances Royault de 1539 
donné à Philippe Bourguignon et Thomas Mestrard.

Ici, nous avons la version avec Guillaume Chevau mentionné au titre. D’abord libraire à partir de 1539, associé à Berthelot, puis imprimeur à partir de 1546, il utilisait 2 marques d’imprimeur. Une marque « fort belle » nous dit le Bulletin du Bibliophile Breton qui la décrit comme suit : A gauche l’apôtre saint Jacques, à droite un cheval puissant, fièrement campé sur son train de derrière, et qui de ses pieds de devant soutient, de concert avec l’apôtre, un écusson appendu à un arbre et portant les initiales I B. Au bas sont inscrits les noms de J. Berthelot et G. Chevau. »

Cette marque est véritablement commune aux deux artisans puisqu’elle illustre le prénom de l’un (St Jacques) et le patronyme de l’autre (Chevau) ce qui signifie que les deux hommes devaient être un peu plus qu’en simple relation d’affaires, sans doute associés à partir de 1539 et même peut-être avant puisqu’elle apparait à la fin du recueil des Ordonnances et Constitutions de 1535 avec une variante, c’est-à-dire sans les noms de Berthellot et Chevau en pied.

Guillaume Chevau utilisait une autre marque pour lui seul qui était la reproduction exacte de la marque au cheval ailé des Wechsel [7]. Elle figure au titre de l’ouvrage présenté.

4/ Les instructions pour l’abréviation des procès (1540)

Ce petit opuscule de quatre feuillets est le complément du texte précédent et porte sur le même sujet : Instructions et arti= // cles pour l'abbreviation des proces que la  // Court entend et ordonne par provision estre // gardées jusques à ce que le Duc en ayt este // aultrement ordonné. Faict a Vennes le parlement y tenant le v. jour doctobre mil cinq cens quarante.

Page de titre des Instructions et Articles (1540)

Il n’existerait que deux exemplaires de cet opuscule dans les bibliothèques publiques selon Walsby, celui d’Arthur de la Borderie conservé à la Bibliothèque de Rennes (89858-4) et un autre à la British Library.

Le titre est orné de la marque de Thomas Mestrard, un médaillon ovale de 60 mm gravé sur bois, représentant l’Apôtre Saint Thomas mettant sa main dans la plaie du Christ en présence des autres Apôtres.  L’opuscule est aussi illustré d’une autre marque de Thomas Mestrard, occupant tout le verso du dernier feuillet. C’est une gravure sur bois à fond criblé d’une facture un peu étrange. On y voit Saint Thomas d’Aquin nimbé, en costume de dominicain, tenant un livre de la main gauche, tandis que la main droite est levée, l’index pointant vers le ciel. Il semble vouloir démontrer sa doctrine nous dit de La Borderie. Autour de lui, des arbres, des fleurs et un ciel semé d’étoiles dans lequel Dieu le Père est assis, les bras étendus, ayant pour trône l’arc-en-ciel et pour escabeau le globe terrestre. Cette belle gravure est bien imprimée dans mon exemplaire alors qu’elle est très pâle, quasi effacée, dans l’exemplaire lavé d’Arthur de La Borderie.

La marque de Thomas Mestrard

Berthelot-Mestrard, Georget-Mestrard, Berthelot-Chevau, Georget-Chevau, autant d’asso-ciations libraires-imprimeurs illustrées par ces livres de droit qui suggèrent que les alliances n’étaient pas exclusives et que les professionnels du livre cherchaient à répartir le risque sur ce marché breton naissant.

Bonne Journée,

Textor



[1] Noel du Fail, Epitre à Hault et puissant seigneur Messire Loys de Rohan in Mémoires recueillies et extraictes des plus notables arrests du Parlement de Bretagne, Rennes, Julien du Clos, 1579,

[2] Voir Stéphanie Tonnerre-Seychelles : La coutume, petite histoire d’une source de droit in Hypothèses - Carnets BNF 2018. L’article renvoie notamment à la page de Gallica consacrée à la coutume de Bretagne mais les ouvrages numérisés sont essentiellement constitués d’éditions du XVII et XVIIIème siècle et de quelques manuscrits. Rien sur les différentes éditions de Thomas Mestrard.

[3] Eguiner-François Baron dans son épitre introductive à l'édition de 1540 évoque le travail de cinq commissaires royaux mais Noel du Fail seulement quatre : François Crespin du Pays d’Anjou, Nicole Quelain, manceau, Martin Rusé de Tours et Pierre Marec, gentilhomme de Basse Bretagne.

[4] Voir Malcolm Walsby, The Printed Book in Brittany, 1484-1600 - BRILL, 2011 - pp. 57 et s. “the Angers connection”.

[5] Dont 3 au Musée Dobrée de Nantes et un à la BNF mais la référence que donne M. Walsby pour l’exemplaire de la BNF est fausse. Il faut lire RES 8-Z DON-594 (87,2). Par ailleurs la notice de la BNF pour cet exemplaire mentionne dans l’adresse T. Mestrardi car le conservateur a pris le tiret / pour un i.

[6] Malcom Walsby op.cit. nous dit que cette marque a été mal attribuée dans le catalogue du Musée Dobrée à Philippe Bourguignon (qui n’était que libraire) et qu’en conséquence Lepreux avait attribué l’impression à Jehan Georget.

[7] Silvestre 924.