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lundi 20 juin 2022

Les Epitres du Chancelier Michel de l’Hospital, exemplaire Monmerqué. (1585)


 Voici un de mes livres préférés qui allie à la sagesse de la Renaissance la poésie des vers latins, à une reliure aux armes une belle typographie sur un papier bien blanc, et pour couronner le tout plusieurs provenances illustres. Quoi rechercher d’autre ?

Michel de l’Hospital est la figure même de l’humaniste du 16ème siècle.  Poète et homme politique, héritier de la pensée érasmienne, c’est un témoin éclairé de la vie publique française pendant plus de 30 ans. Il fut successivement conseiller au parlement de Paris (1537), ambassadeur au concile de Trente, maître des requêtes, surintendant des Finances (1554), puis finalement chancelier de France (1560). Son nom reste associé aux tentatives royales de pacification civile durant les guerres de religion.

Reliure aux armes de l’ouvrage (18ème siècle)

Page de titre des poèmes latins de Michel de l’Hospital.

En parallèle de son œuvre législative (Ordonnance de Moulins) et des publications politiques (Traité de la réformation de la justice, Harangues, mercuriales et remontrances, Mémoire sur la nécessité de mettre un terme à la guerre civile (1570), Le but de la guerre et de la paix (1570), Discours pour la majorité de Charles IX et trois autres discours, etc.), Michel de l’Hospital a composé des poèmes en latin, les Carmina seu epistolae [1], sous forme d’épitres adressées à ses amis et à ses relations politiques. C’est un recueil en 7 chapitres qui ne fut publié qu’après le décès du chancelier en 1585, par son petit-fils Hurault de l'Hospital avec l’aide de Jacques du Faur de Pibrac, Jacques-Auguste de Thou et Scévole de Sainte-Marthe.  Bien imprimé par Mamert Patisson pour le compte de la veuve de Robert Estienne, il se présente parfois dans des reliures aux armes [2] comme l’exemplaire présenté.

L’ouvrage est intéressant pour la beauté des vers mais aussi pour les nombreuses références autobiographiques qu’il contient ainsi que pour les informations historiques que donne Michel de l’Hospital sur les évènements de son temps.  Les pièces du recueil ont été composées sur une longue période, entre 1543 et 1573, les premières sont rédigées alors que l’auteur est en mission au concile de Trente. Elles ne sont pas sans rappeler certains vers des Poemata de Joachim du Bellay pour leurs thèmes du voyage et de l’exil.

La plupart des poèmes du recueil sont inédits. Quelques épitres seulement avaient déjà paru dans les pièces liminaires d’autres ouvrages, comme les épîtres III, 8-10 [3] dans les Poemata du cardinal du Bellay en 1546 ou l’épitre III, 17 dans un ouvrage juridique d’André Tiraqueau, ou encore dans deux des recueils poétiques de Jean Salmon Macrin (En 1546 et 1549). D’autres poèmes avaient été traduits par Antoine du Baïf ou Joachim du Bellay et enfin L’hospital orchestra lui-même la diffusion d’une dizaine de plaquettes imprimées en 1558 et 1560 par le jeune imprimeur Fédéric Morel qu’il contribua ainsi à lancer [4]. Les pièces poétiques circulaient aussi sous forme manuscrite, savamment diffusées par son auteur, cette diffusion concertée permettant à L’Hospital de créer et puis d’affermir un réseau de relations d’amitié et de clientèle qui ont pu favoriser son ascension sociale.

Les destinataires des poèmes sont très variés, ce sont des prélats (Le cardinal Jean du Bellay, le cardinal de Lorraine, Georges d’Armagnac), des lettrés (Pierre du Chastel, maitre de la librairie du Roi François 1er, Achille Bocchi, humaniste italien, Pontrone, Eusèbe Turnèbe imprimeur reconnu), des poètes (Joachim du Bellay [5], Salmon Macrin), ou des hommes de loi (le chancelier François Olivier, Adrien du Drac).

Parmi tous ces destinataires, le nom de l’un d’eux retient l’attention : pas moins de onze pièces sont dédiées à Marguerite de France, duchesse de Savoie, fille de François 1er et de Claude de France et sœur d’Henri II. La princesse le nommera Chancelier privé du Berry en 1550 et dira de lui Michel est celuy que j’ayme, honore et estime comme mon pere et milieur ami. [6]

De fait, les Carmina recueillent les plus beaux portraits de Marguerite et reflètent leur long entretien amical et politique au fil des années. Ils se font l’écho de leurs lectures communes (Horace, Cicéron, Flaminio, Du Bellay), de leurs sentiments partagés, de conseils de lectures, de vie et de gestion du pouvoir. Dans une des plus belles lettres, l’épitre II-8 Ad Margaritam, Regis Sororem [7], l’auteur lui confie ses doutes sur la recherche de la vérité et sa peur de tomber en disgrâce, dans l’oubli et l’obscurité : Nostra vagatur / In tenebris, nec caeca potest mens cernere verum.[8] La formule plaira à Montaigne qui la fera graver sur une poutre de sa librairie.

 

Une des onze épitres adressées à Marguerite de Savoie

L'épître II-8 à Marguerite de Savoie

Les poètes de la Pléiade goûtaient-ils les vers néo-latins du puissant chancelier ? Les avis semblent contrastés. Joachim du Bellay reconnait du bout des lèvres une certaine grâce qui n’a rien d’Horatienne.

 Lors que je ly & rely mile fois / Tes vers tracez sur la Romaine grâce / Je pense ouïr, non la voix d’un Horace / Mais d’un Platon les tant nombreuses loix [9].

En bref, l’angevin trouve que L’Hospital composait comme un juriste !

Ronsard, qui sera destinataire de plusieurs épîtres, se montre plus charitable envers son protecteur. En 1550, le Vendômois lui dédit une ode pindarique sur les Muses, en guise de remerciement au lendemain de sa querelle avec le vieux poète de Cour Mellin de Saint Gelais.

C’est luy [L’Hospital], dont les graces infuses / Ont ramené dans l’univers / Le Chœur des Pierides Muses / Faictes illustres par ses vers / … Cest luy qui honore, & qui prise / Ceulx qui font l’amour aux neuf Sœurs, / Et qui estime leurs doulceurs, / Et qui anime leur emprise. [10].

Eloge appuyé mais pas nécessairement très sincère. L’hospital avait fait circuler une élégie-plaidoyer « au nom de Ronsard » (Elegia nomine P. Ronsardi adversus eius obtrectatores et invidos ) qui faisait parler Ronsard en distiques élégiaques latins afin de justifier la qualité de ses odes dont le style pindarisant avait été ridiculisé par Saint-Gelais devant le roi. Exercice compliqué pour Ronsard qui devait à la fois agréer cette élégie du pseudo-Ronsard écrivant en latin pour défendre une œuvre critiquée pour être en français….

Une marque de provenance 

Un feuillet contrecollé sur la première page du livre porte l’information suivante : "Par Michel de l'Hospital. Epistolarum ...vol petit in-f° vendu 18 fr à la vente Monmerqué en 1840". Le docteur Jean-Paul Fontaine, alias le Bibliophile Rhémus, a rapidement identifié l’exemplaire sous le numero 628 de la seconde vente Monmerqué, non pas en 1840 comme l’indique par erreur la note manuscrite mais en 1851. L’importante bibliothèque de Louis-Jean-Nicolas Monmerqué fut dispersée lors de 3 ventes : les autographes en 1831, la première vente partielle de livres en 1851 et la seconde à son décès en 1861.

Si l’auteur de la note manuscrite avait pris le soin d’indiquer la provenance et de relever le prix lors de la vente aux enchères, il n’aurait pas commis une telle erreur sur la date de l’évènement. Il faut en déduire qu’il l’a inscrite bien plus tard ou que l’information lui a été (mal) rapportée par un tiers.

Louis-Jean-Nicolas Monmerqué, était magistrat et littérateur. On lui doit des notices biographiques (Brantôme, 1823 ; Madame de Maintenon, 1828 ; Jean Ier, 1844, in-8°) et surtout des éditions de documents anciens comme les Collection de mémoires relatifs à l’histoire de France, depuis Henri IV jusqu’à la paix de Paris (1819-1829, 130 vol. in-8°) ou les Lettres de Mme de Sévigné (1818-1819, 10 vol. in-8°), etc. Ses travaux lui ont valu d’entrer à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1833.


Extrait du catalogue intitulé « Vente d’une partie de la bibliothèque de M. de Monmerqué » Imprimerie de Panckoucke, 1851.

Un journaliste témoin de la seconde vente écrivait à l’époque : « Depuis plus de huit jours, les amateurs de livres sont captivés par la vente d’une partie considérable de la célèbre bibliothèque de M. de Monmerqué, … (les livres) dont M. de Monmerqué vient de publier le catalogue sont généralement recommandables ou par leur rareté, ou par leur importance historique, philologique et littéraire. Chaque soir, on s’en dispute la possession avec l’acharnement le plus louable, et cependant il arrive encore que l'absence ou la distraction des amateurs, le retard apporté dans certaines commandes, laissent à si bas prix des adjudications qu’on eût voulu pousser bien au-delà. Les dix-sept premières vacations sont exclusivement consacrées aux livres imprimés ; le lundi 4 juin verra commencer la série des manuscrits, qui se continuera pendant les cinq vacations suivantes. » Une bonne partie des lots de cette vente aurait été achetée par de la Rochebilière.

Reliure aux armes de Mathias Poncet de la Rivière

Avant Monmerqué, l’ouvrage était dans la bibliothèque de Mathias Poncet de la Rivière (1707-1780) qui avait fait confectionner une nouvelle reliure au XVIIIème siècle et placer ses armes au centre des plats : « qui portent d'azur à une gerbe d'or, supportant à dextre et à senestre deux colombes affrontées et becquetant et surmontée d'une étoile, le tout d'or ».  Celui-ci fut nommé évêque de Troyes en 1642 puis obtint différentes commendes à l’abbaye de Montebourg et à l’abbaye de Sainte Bénigne à Dijon, tout cela sans quitter Paris. Il est connu pour sa résistance au Jansénisme et il s'est fait remarquer par ses prêches et ses oraisons funèbres qui seront publiées en 1804.

La notice des principaux articles de la bibliothèque de feu Monseigneur Poncet de La Rivière. (Paris, Colas, 1780) contenant la description de sa bibliothèque est citée par Guigard [11] et devait faire mention de l’ouvrage que j’ai sous les yeux, mais cette notice semble avoir disparu. Elle n’est portée ni au catalogue de la BNF ni à celui d’une autre bibliothèque publique.

Dans son grand âge, Michel de L’Hospital se retira à la campagne, loin du tumulte public et continua à écrire des vers comme dans sa jeunesse. Condorcet dira de sa poésie qu’on y trouve partout un goût simple et pur, formé par l’étude de l’antiquité, une philosophie élevée et consolante, la haine de l’oppression et du fanatisme, l’amour des lettres et du repos [12]. Voilà bien ce qui dut séduire les générations de bibliophiles qui se sont transmis ce livre.

Bonne Journée

Textor



[1] Pour une traduction du livre 1, voir Petris, L. (Ed.). (2014). Michel de L'Hospital, Carmina, livre I (Vol. 531). Genève: Droz.

[2] Un exemplaire aux armes de Charles de Rohan-Soubise était proposé par une librairie de Los Angeles il y quelques années.

[3] La numérotation actuelle des épitres se fonde sur l’édition la plus complète (Amsterdam, B. Lakeman, 1732) qui n’est pas celle de l’édition de 1585. Un tableau de concordance des principales éditions des Carmina a été publié dans Petris, La Plume et la tribune, p. 549-556.

 [4] Voir Michel Magnien, Le Plomb Et Les Sceaux : Les Publications Poétiques De Michel De L’hospital Chez Fédéric Morel (1558-1560) in Michel De L’hospital Chancelier-Poète, Cahiers Humanisme et Renaissance n. 168 - Droz

[5] Aucun poème n’est destiné à Joachim du Bellay nominativement mais l’épître I, 5 à Pontrone est intitulée Ad Ioachimum dans le manuscrit et contient une comparaison entre Tibulle et Du Bellay, poète latin qui avait inspiré ce dernier. 

[6] Marguerite de Savoie à L’Hospital, [fin novembre 1567] in Michel de L’Hospital, Discours et correspondance, Discours et correspondance : La plume et la tribune II, Librairie Droz 2013, p. 225-226, n. 56.

[7] Epitre II-8 selon le classement actuel mais en 8-2 pp. 83 dans l’édition de 1585.

[8] Notre esprit erre dans les ténèbres et ne peut, aveugle qu’il est, discerner le vrai.

[9] Joachim Du Bellay, Les Regrets et autres œuvres poëtiques, Paris, Fédéric Morel,

1558, s. CLXVII, v. 1-4, fol. 40vo

[10] Ode a Michel de l’Hospital, [Odes 9-11], Livre V des Odes, Paris : Guillaume Cavellart, 1550.

[11] Joannis Guigard, Nouvel Armorial du Bibliophile, Guide de l’Amateur des livres Armoriés, Paris 1890.

[12] Condorcet - Éloge de Michel de l’Hôpital, Œuvres de Condorcet, Didot, 1847 (Tome 3, p. 463-566).

Portrait de Michel de l'Hospital - Musée du Louvre

dimanche 26 décembre 2021

Le Plutarque du bon docteur Garinet (1526)

L’année 2021 s’achève et il est d’usage de se remémorer les évènements qui l’ont marquée, comme l’étrange floraison de mon cerisier le 12 Février, la fin du couvre-feu au Printemps, la réouverture des restaurants et des spectacles, etc. Petits faits sans importance qui pimentent l’écoulement du temps et qu’on aurait oubliés si nous ne les inscrivions pas consciencieusement dans un éphéméride. C’est en pensant à la première phrase d’un livre de raison ( 3 janvier - Ce jour nostre abricotier de céans a esté flori, 1615) que l’idée m’est venue de sortir de la bibliothèque un ouvrage de Plutarque ayant appartenu à un médecin de Besançon qui adorait tenir un journal ou mentionner dans les marges de ses livres les évènements de la vie ou la pensée du jour.

Détail de la reliure estampée du Plutarque

Reliure lyonnaise du Plutarque

C’était assez courant à l’époque de consigner sur les marges de l'œuvre de l’auteur favori, sur les gardes d’un livre d'heures, voire sur celle d’un registre de commerce, les faits importants de la vie de famille, de la collectivité à laquelle on appartenait, les événements intéressant la région comme les phénomènes atmosphériques ou les faits politiques. Nous pouvons ainsi, grâce à ces notes marginales, reconstituer quelques pans de la vie du possesseur du livre, voire celle des membres de sa famille et les malheurs du temps.

Ce médecin s’appelait Jean Garinet [1], il était né à Montfaucon près de Besançon, vers l'an 1575, Il quitta sa région natale en 1596 pour aller en France s'instruire dans l’art de guérir. Il y passa 11 ans [2]. Il reçut à Tournon, le 26 Avril 1600, le grade de Bachelier ès Philosophie [3], puis conquis en Avignon son diplôme de docteur en 1605 [4], avant de rentrer à Besançon pour y épouser en Novembre de la même année Guiyonne Marquis [5], ce qui ne fut pas là le moindre de ses succès car la demoiselle était fille du médecin le plus réputé de la contrée. En 1606, il est reçu citoyen de la ville et obtint l'autorisation d'exercer la médecine. La requête fut d'autant plus facilement admise que le docteur Marquis était alors co-gouverneur de la ville, titre que reprendra plus tard Jean Garinet.

Assez rapidement notre praticien acquit une belle situation. Parmi ses clients, il mentionne nombre de nobles de la province, riches bourgeois, présidents et conseillers des chambres de justice ou encore des chanoines, des abbés, des supérieurs de couvents. Il ne ménageait pas ses efforts pour tenter de les guérir à une époque où la peste sévissait encore, ou, à défaut, il leur tirait les cartes pour qu’ils prennent connaissance de leur avenir, quand il ne lisait pas dans les astres : « 18 Novembre 1615 - Ce jour et plusieurs autres suivants a paru une comète, lequel a été suivi de plusieurs malheurs, de la mort de l'empereur Mathias et de Maximilian son frère comme aussi de l'impératrice, et de grandes guerres par toute l'Alemagne. ». (Besançon, vieille ville espagnole, comme disait Victor Hugo, dépendait du Saint-Empire des Habsbourg.)

En 1618, on nomme Jean Garinet prieur de la confrérie médicale de Saint-Côme et Saint-Damien. A la sollicitation du docteur Nardin, Garinet accepte la charge de médecin du duc de Bavière, à gage de mille écus, train de cour et laquais entretenus. En 1633, il est appelé à donner ses soins à la duchesse de Lorraine, pendant son séjour à Besançon. Il la guérit d'une fièvre catarrhale (C’était la Covid de l’époque) et en reçoit une magnifique bague ornée de diamants. Car notre médecin-philosophe ne manquait jamais de consigner ce que lui rapportait ses services.

Mention du Promptuaire de 1579 : Dans un livre appelé le Promptuaire de tout ce qui est, in-12, l’on trouvera en escrit plusieurs presents que j’ay reçu pendant mon premier mariage tant de vaisselle d’argent, bagues, choses curieuses qu’estoffes pour habits. (BM de Besançon)

Son livre de raison est rempli de listes de donations et pourrait le faire passer pour un livre de compte. L’usage était de donner des présents au mariage des enfants ou à la naissance des petits-enfants et Jean Garinet en gestionnaire rigoureux de sa maisonnée qui comptait douze bouches à nourrir notait tout. Nous trouvons donc dans ses notes des inventaires détaillés de ces libéralités, majoritairement les bijoux, les montres, les pièces d'orfèvrerie, la vaisselle d'argenterie, les surtouts de table, les reliquaires, des œuvres d'art, une hororloge, un globe terrestre, une tasse de bézoard à l'épreuve des poisons, puis les étoffes pour ses costumes, ceux de sa femme, de ses enfants ; une robe à la façon de Paris pour sa fille, un chapeau de demi-castor pour son fils, des bas de soie, enfin des confitures, des flambeaux de cire, des vins, des viandes de mesnagerie

Bon nombre de ces dons sont soumis, quand cela est possible, à l'estimation de l'orfèvre et souvent convertis en bonnes pistoles espagnoles ou en sequins d’or. Il est vrai qu’il fallait beaucoup d’argent pour se faire réélire chaque année co-gouverneur du quartier. (Une fonction municipale à mi-chemin entre celle de juge et de maire). Il était loin le temps de sa première désignation, le 6 juin 1606, où il fut reçu citoyen de la ville en offrant seulement deux mousquets. Parfois un de ses concitoyens laisse par testament un domaine entier, une vigne, ou un bénéfice ecclésiastique. Et Garinet y ajoute souvent un petit commentaire, comme à propos d’un grand tableau que lui offrait un ami : Il l'estime par son testament plus qu'il ne vaut, je ne laisse de lui être obligé, c'est un témoignage de l'amitié qui a été entre nous par l'espace de 38 ans.

Mais ne croyez pas que seul l’appât du gain le motivait. Il était consciencieux et s'attachait à ses malades. Parfois, il refusait leurs présents. Si par malheur l’un d’eux venait à succomber en dépit des ressources de son art, il notait mélancoliquement « j'en ai éprouvé un desplaisir incomparable. Dieu l'ait en sa haute grâce. »

En l'année 1638, la mortalité fut terrible à Besançon : « La mort m'a ravi la plupart de mes amis, tant du pays, que de la ville ». La peste atteint deux de ses servantes qui succombent et l’obligent à placer la maison en quarantaine, ce qui lui fait perdre une somme considérable. « Et me serait encore facile de supporter cette perte patiemment, n'était celle que j'ai fait de mon second fils, qui, par sa mort contagieuse, m'a laissé un regret qui ne se peut terminer que par la mienne propre ».

De livre, il n’en est point mentionné parmi les donations. Pourtant sa bibliothèque, signe de notabilité, devait sans doute être importante et Jean Garinet était de tous les co-gouverneurs le plus lettré, au point que le conseil municipal l’avait délégué pour recevoir un émissaire des Jésuites qui ne parlait que latin. Nous ne connaissons que 3 ouvrages lui ayant appartenu [6] : Un petit Promptuaire [7] qui ne le quittait jamais et dont les marges étaient couvertes de son écriture très lisible. Un livre de raison constitué d’une cinquantaine de feuillets et tenus par plusieurs générations [8] et ce Plutarque qui avait appartenu à son père [9], comme l’indique l’ex-libris qu’il y laissa.

Plutarque, Préface de Josse Bade

Plutarque, Premier opuscule, des lettres du Philosophe.

Plutarque, traité De curiositate traduit par Erasme.

Il s’agit de la dernière édition donnée par Josse Bade des Opuscula de Plutarque[10] qui rassemble les dix-sept opuscules des Moralia imprimés en latin jusque-là. C’est la plus complète de toutes, puisqu’augmentée de deux nouveaux traités traduits et préfacés par Érasme lui-même.  (ff. 182-188 de cohibenda iracundia et De curiositate, De la répression de la colère et De la curiosité). Les préfaces des autres opuscules sont signées Guillaume Budé, Philippe Melanchthon, Ange Politien, Raphael Regius, Étienne Niger, Ange Barbarus, Bilibald Pirckheymer, etc…

L’illustre imprimeur-libraire avait déjà donné sept éditions des Opuscula avant d’en clore la série avec cette édition de 1526 qui suit celle de 1521 et 1514. Toutes sont au format in-folio, celle-ci est décorée au titre du fameux cadre aux dauphins et de la grande marque typographique à la presse de l’Officina Ascensiana datée de 1520.

Page de titre

Signature de Jean II Garinet dans le Plutarque

Deux Garinet ont laissé leurs marques dans le livre. Sur la première Garde, Jean I Garinet a noté en forme d’ex-libris la date de son acquisition : Joannes Garinetus emit die vigesima tertia mensis julii anno a salute mortalibus restituta 1595. (Jean Garinet l'a acheté le vingt-troisième jour de juillet de l'année du salut rendu aux mortels 1595). Il a encore ajouté sa signature sur la page de titre et sa devise : En la fin mon repos. Tandis que Jean II Garinet, le médecin, a ajouté sa signature caractéristique, Garinet D(octor) M(edicinus), identique à celle que nous retrouvons dans le livre de raison de la bibliothèque de Besançon. C’est lui aussi, semble-t-il, qui a esquissé des armoiries dans l’écusson gravé de la page de titre en y portant les initiales IG. Armoiries constituées de bandes latérales qui ne correspondent pas à celles qui ont été peintes dans le livre de raison. Les Garinet portent de gueules au jar d'argent le cou ceint d'une couronne de laurier.

Si le premier ex-libris n’était pas daté, nous pourrions penser qu’il appartenait à un descendant de Jean Garinet plutôt qu’à son père car la graphie parait plus moderne alors que Jean II Garinet écrivait dans un style archaïque plus typique du XVIème que du XVIIème siècle. Nous ne savons rien du métier du père qui n’est jamais cité dans le journal de son fils à la différence de beaucoup d’autres membres de sa famille. Nous ne saurions même pas qu’il se prénommait Jean car les registres d’état-civil départementaux n’ont débuté qu’en 1793 [11].

Ex-libris de Jean I Garinet

Un extrait du livre de raison de Jean II Garinet avec sa signature. (BM de Besançon)

Jean Garinet dut trouver dans ce livre de Plutarque des sujets pour ses méditations philosophiques. Plutarque fut la grande découverte du XVIème siècle. Montaigne écrivait : Nous autres, ignorants, étions perdus si ce livre ne nous eût relevés du bourbier. C'est notre bréviaire.  Et notre médecin bisontin ne devait pas détester, lui qui aimait l’apparat, la belle reliure estampée ; une reliure lyonnaise dont la large roulette est identique à celle reproduite par Denise Gid dans son catalogue des reliures françaises estampées. [12]

Le journal de Jean Garinet, qui porte au premier feuillet des armoiries enluminées et une devise de circonstance (Nihil conscrire sibi – N’écris rien pour toi-même) s'arrête en 1657, date à laquelle il trépassa le 2 Novembre, Veille de la Toussaint (?). Quelques années auparavant, il avait eu la satisfaction de consigner dans son livre de raison : Le 19 Mars 1650 mon filz Thomas Garinet a prins son degré de doctorat des médecins à Avignon avec approbation unanime de tous les docteurs et mesmes M. l’archevêque lui feit l’honneur d’argumenter contre lui.  La roue tournait et Thomas poursuivit l’œuvre de son père, mais c’est son petit-fils qui reprit le flambeau des inscriptions familiales en portant au-dessous de la dernière signature de Jean Garinet :  Depuis ce temps est mort mon grand-père Jean Garinet qui est celui qui a escrit le contenu cy dessus et depuis ais augmentés ce qui suit. Le précieux Plutarque fut certainement transmis aussi à son fils et à son petit-fils afin qu’ils s’imprègnent des pensées du moraliste platonicien. Une des dernières mentions de Jean Garinet à la naissance d’un petit-fils avait été : Dieu lui fasse la grâce de bien vivre et de bien mourir.

Bonnes Fêtes !

Textor



[1] Voir Éphémérides de Jean Garinet, médecin bisontin (1603-1657) Inclus dans Notes sur quelques livres de raison franc-comtois, in Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, 1886, p.142- 143 & p. 153-157, publié par Jules Gauthier. Voir aussi Bruchon H. Un médecin co-gouverneur de Besançon au XVIIe siècle, étude sur Jean Garinet. Notice de la Société d’Emulation du Doubs. Besançon 1902.

[2] « 29 d'avril. — Ce jour année 1596. je sorti de Besançon pour aller en France, où jay demeuré 11 ans ! »

[3] « Le 26 apvril 1600 je receu a Tournon en Vivarès le degré de bachelier es philosophie et dédia mes thèses a Monsieur de St-Marcel d'Urfé. »

[4] « 22 de mars. — Ce jour, année 1605, je prins le degré de doctorat en médecine à Avignon »

[5] « 12 de novembre. — Ce jour, année 1605, j'espousa Guyenne Marquis en l'église Saint Vincent. »

[6] En attendant que les chercheurs nous en fassent découvrir d’autres.

[7] Promptuaire de tout ce qui est arrivé de plus digne de mémoire depuis la création du monde jusqu’à présent, par Jean d'Ongoys Paris, Jean de Bordeaux, 1579, seconde édition format in-16, relié en parchemin, doré sur tranches, avec fers et filets or Il passa ensuite entre les mains de divers propriétaires. Localisation actuelle inconnue. Il faisait partie de la bibliothèque de M. l'avocat Dunod de Charnage, qui le communiqua au docteur Henri Bruchon, membre de la Société d’Emulation du Doubs en 1902.

[8] Bibliothèque de Besançon, Ms 1045. Commencé par Jean II Garinet et poursuivi par son petit-fils. Consultable en ligne.

[9] Les archives ne permettent pas de remonter la généalogie de Jean Garinet et l’état civil de son père pas plus que son métier ne semblent connus. Sans doute appartenait-il déjà à la bonne société de Besançon. Un ouvrage d’astronomie publié par Ehrard Ratdolt en 1491 et détenu par la bibliothèque de Besançon contient l’ex-libris d’Antoine Garinet, un autre fils de Jean Ier, qui était prêtre et qui occupa de 1602 à 1623 la fonction de précepteur du Petit Collège de Besançon fondé par Nicolas Perrenot de Granvelle près de l’église de Saint Maurice. (Voir Castan, Catalogue des Incunables de la Bibliothèque de Besançon.)

[10] Opuscula Plutarchi Cheronei sedulo undequaqz collecta, & dilige(n)ter recognita. In-folio ; sign. a8 e6 a-z8 A8

[11] Pour l’heure, le fait que l’ex-libris appartient à son père n’est qu’une conjecture.

[12] Denise Gid. Catalogue des reliures françaises estampées à froid, XVe-XVIe siècle, de la Bibliothèque Mazarine, Paris, 1984, pl. 94, n° 127 et 311.


jeudi 10 septembre 2020

Mariangelo Accursio, le passeur de textes. (1533)

J’imagine, certains jours, que ma bibliothèque est un labyrinthe. Elle n’est pourtant pas composée d’un nombre infini de galeries hexagonales mais il y a "des lettres sur le dos de chaque livre ; ces lettres n’indiquent ni ne préfigurent ce que diront les pages : incohérence qui, je le sais, a parfois paru mystérieuse." (Borgès)

                            

                                            L'ex-libris de Jean Boyer, archdiacre de Conques

Les plats des deux in-folio

Toujours est-il que je viens seulement hier de faire le lien entre deux livres situés sur deux étagères différentes que je n’avais jamais pensé rapprocher. Pourtant, ils avaient de nombreux points communs : Tous deux de format in-folio, tous deux imprimés à Augsbourg en 1533, agrémentés chacun d’initiales historiées et tous deux contenant le témoignage de leur premier possesseur.  C’est d’ailleurs cette appartenance qui avait surtout attiré mon attention alors que ces ouvrages avaient un dernier point commun : ils étaient l’œuvre d’un seul éditeur technique : Mariangelo Accursio, célèbre épigraphiste italien.

Le premier livre est l’édition princeps des annales d’Ammien Marcellin. Il porte au titre : "Rerum gestarum. A. Mariangelo Accursio mendis quinque millibus purgatus, & Libris quinque auctus ultimis, nunc primum abeodem inventis". [1]

Le second livre est l’édition princeps de Lettres de Cassiodore intitulé : "Magni Aureli Cassodiori Variarum libri XII, item de anima liber unus, recens inventi, & in lucem dati a Mariangelo Accursio" [2]

 

Les titres des ouvrages

Ammien Marcellin (Antioche 330 - Rome 395) est l'un des derniers historiens de l'Antiquité romaine tardive avec Procope de Césarée. Il servit dans l’armée comme officier sous Julien en Gaule contre les Alamans, et ensuite contre les Perses. II se fixa à Rome vers 376 et y composa son grand ouvrage dont le titre signifie "Les choses accomplies" (Titre qui n'est pas authentique, il a été appliqué par Priscien de Césarée). Nous ne possédons que les dix-huit derniers livres, où sont racontés les événements de 352 à 378. Continuant Tacite, il avait commencé son histoire au principat de Nerva, et il est dommage que les treize premiers livres ait été perdus, néanmoins la valeur des livres conservés est inestimable, elle renferme le récit fidèle des événements auxquels l'auteur a assisté, des descriptions intéressantes concernant la géographie et les mœurs de différents pays, particulièrement de la Gaule et de la Germanie.



Quelques pages de l'Ammien Marcellin.


Parler d’édition princeps pour l’édition d’Accursio, comme le font la plupart des biographes, est un peu exagéré car l’Ammien a été imprimé pour la première fois à Rome en 1474 par les presses de Georgius Sachsel et Bartholomaeus Golsch, sous la direction éditoriale d’Angélus Sabinus avec une dédicace à l'humaniste Niccolò Perotti. Mais l'édition était incomplète car elle ne contenait que les livres 13 à 18. Tout ce qui a pu être retrouvé ensuite, donc les 12 livres restants, a bien été publié en 1533, en deux éditions distinctes, l'une à Augsbourg, celle éditée par Mariangelus Accursius et imprimé par Silvain Otmar, l'autre à Bâle éditée par Sigismond Gelenius et imprimée par Hieronymus Froben. Celle d’Augsbourg, du mois de Mai, semble donc être légèrement antérieure.

Ammien, livre 29


Quant au Cassiodore, il s’agit d’un recueil de 468 lettres et formules officielles (Variae), en douze livres, rédigées par cet écrivain chrétien du 6ème siècle, à l’occasion de ses différentes fonctions de questeur et de préfet, auxquelles sont joint le Liber de anima, traité de dévotion sur l'âme et ses vertus, réflexion anthropologique, psychologique et morale, qui s'appuie sur des écrits philosophiques, notamment l'œuvre de saint Augustin. Ce livre a été publié avec les Variæ, il en constitue le treizième livre. Là encore, quelques extraits avaient paru précédemment, en 1529, sous la presse de Joannes Cochlaeus.


Quelques pages des Variae de Cassodiore

Cassiodore, livre 13 : le traité de l'Ame (De Anima)


Une des belles initiales historiées du Cassiodore

Mariangelo Accursio (ou Marie-Ange Accurse 1489-1546) s’employa donc à donner de ces textes importants de bonnes éditions expurgées des multiples fautes contenues dans les manuscrits antérieurs. Il s’en vante d’ailleurs dans le titre de l’Ammien et prétend avoir corrigé cinq mille erreurs. (mendis quinque millibus purgatus).

On sait peu de choses sur la jeunesse et les premières études de Mariangelo Accursio. Son père, Giovan Francesco Accursio, probablement originaire de Norcia, était chancelier de la municipalité de L'Aquila. Mariangelo rejoint Rome en 1513 et se consacre aux études philologiques et aux recherches épigraphiques. Il fait probablement partie de l’équipe de savants qui ont révisé en 1524 les Epigrammata antiquae Urbis publiées en 1521 par Jacopo Mazzocchi, la plus remarquable collection d'inscriptions romaines antiques compilée jusqu'alors.

Lorsque les jeunes princes Gumpert et Johann Albrecht von Brandenburg de la maison des Hohenzollern viennent à Rome vers 1520 pour parfaire leur éducation, Accursio entre à leur service et obtient le titre de majordomus.  Ceux-ci faisant partie de la suite de Charles Quint, il les suit à travers l’Europe et leur dédie son œuvre philologique la plus importante, les Diatribae, consistant en de nombreuses "castigationes" (c'est-à-dire des corrections raisonnées dans des passages corrompus) de textes classiques grecs et latins. En 1533, il passe au service du riche banquier et mécène Anton Fugger à Augsbourg, frère du Marcus Fugger bien connu des bibliophiles ; Et c’est pourquoi c’est dans cette ville que sont publiés en 1533, les deux éditions des histoires d'Ammien Marcellin, dédiées à Fugger, et les Variae de Cassiodore, dédiées au cardinal Alberto di Hohenzollern.

 Ammien, la dédicace à Anton Fugger.

Nous aimerions bien savoir pour quelle raison Mariangelo Accursio s’adressa, la même année, à deux imprimeurs différents pour éditer ses textes. La typographie comme la mise en page et l’usage de belles initiales historiées présente des similitudes, qui laisse penser qu’Accursio a eu son mot à dire dans les choix éditoriaux mais toutefois nous n’avons pas pu retrouver de liens de collaboration entre Heinrich Steiner (ou Henrici Silicei en latin) imprimeur renommé et prolixe d’Augsburg et le discret Sylvan Otmar (ou Sylvanus Ottmar), fils et successeur du proto-imprimeur Johann Otmar.

Si Otman n’a laissé qu’un sobre colophon, Steiner avait apposé sa marque représentant une allégorie de la Fortune, montée sur une outre stylisée en dauphin, et qui va ou le vent la pousse.

Il y aurait encore de travail de recherche à faire à propos de cette marque, qui apparaît pour la première fois en 1531, si nous considérons que le graveur du colophon est "le maître H.S à la croix". Il pourrait s'agir de Heinrich Steiner lui-même car il avait été graveur avant de créer son imprimerie en 1522 et serait donc le maître HS à la croix.  Cependant Frank Müller [3] lance un débat sur Steiner sous le titre « le problème du monogrammiste H.S à la croix ». Il explique que la marque de Steiner a sans doute été dessinée par Heinrich Vogtherr. Il faut savoir que la latinisation du nom Heinrich de Vogtherr est Heinricus Satrapitanus (H.S). Il s’appuie en cela sur les travaux de l’historien d’art allemand Max Geisberg. Peu convaincu, Geisberg demanda alors comment il était possible que d’autres gravures au monogramme HS, s'il s’agissait de Steiner, soient publiées par d'autres officines après 1523 et comment il se faisait que cette production si abondante se tarisse presqu'entièrement dès 1525 - 1526. Il lui paraissait peu vraisemblable que le patron d’un atelier aussi important que celui de Steiner ait encore trouvé le temps de produire autant de gravures. Si cela avait été le cas, il aurait sans doute signé au moins une fois de son nom complet. Remarquons en passant qu'aucune source ne nous indique que Steiner ait jamais été dessinateur. Bref, ce n'est pas encore réglé !

 

La belle marque de Steiner 
pourrait faire penser à un artiste de l’entourage de A. Dürer.


Le colophon de Sylvan Otmar

Ces deux livres présentent une autre particularité, ils ont tous les deux appartenu à des possesseurs célèbres qui ont choisi de laisser dans l’ouvrage une trace de leur passage. Pour l’Histoire d’Ammien, c’est Jean Boyer, un passionné de livres qui lisait un pinceau à la main. Quant au Cassiodore, c’est Philippe Despond, célèbre prêtre parisien.

Jean Boyer (Johanni Boerii, 14.. -1546) était archidacre de Conques et il aimait les livres. Il savait qu’avec son Ammien Marcellin il détenait une précieuse édition princeps et il y apporta une attention particulière en coloriant d’un beau jaune d’or chaque majuscule, parfois en doublant la lettre d’un trait de couleur rouge comme le faisait les rubricateurs, cent ou deux cents ans plus tôt. Pour les titres des chapitres, il utilisa de l’encre rouge, verte et jaune, pour chaque lettre, alternativement. 

Les titres du dos.

 Au départ c’est le conservateur de la bibliothèque de Rodez [4], M. Desachy qui remarqua dans les réserves de sa bibliothèque un ex-libris sobre d’un personnage totalement anonyme sur une quarantaine de livres qui avaient tous la particularité d’être abondamment coloriés : Boerii, archidyaconus Conchensis. Sans cette trace écrite, l’homme serait tombé dans l’oubli.

Notre archidiacre avait le gout moderne d’un humaniste de son époque. Sa bibliothèque était constituée d’ouvrages d’Erasme, de Willibald Pirckheimer, de Lefèvre d’Etaples, Marsile Ficin, Thomas More, Conrad Gessner, etc. En majorité, des commentateurs de textes patristiques ou philosophiques. Particulièrement imprégné de culture biblique comme le révèlent ses nombreuses annotations, Jean Boyer est aussi très bien informé de la production éditoriale de son temps. Il possédait la célèbre Bibliotheca universalis de Conrad Gessner, dont il se servait comme d’un catalogue qu’il mettait lui-même constamment à jour. En face du titre : « Abbas uspergensis volumen chronicorum, Augustae Vindelicorum, 1515 », il note qu’une nouvelle édition, datée de 1537, existe à Strasbourg : « Nunc Argentorati, 1537 » (fol. 1). En regard du titre d’un livre de Burchard de Worms, il précise le lieu d’édition et le nom de l’imprimeur dans la marge : « Opus impresse Coloniae ex officina Melchiori Novellane, 1545 » (fol. 150) [5]. Il est possible que Jean Boyer ait été le bibliothécaire du cardinal Georges d’Armagnac. En effet, l'érudit Nicolas-Claude Fabri de Peiresc rapporte que les livres liturgiques du défunt cardinal auraient été recueillis par un certain Jean, archidiacre de Conques et aumônier de Georges d'Armagnac de son vivant. Ce qui expliquerait son attachement pour les livres.

Le père Despond laissa dans le Cassiodore des annotations plus discrètes que celles de Jean Boyer. En revanche son ex-libris (ou plus exactement son ex-legato) était bien visible puisqu’il couvre les deux tiers du contre plat de l’in-folio.

On peut y lire, au-dessous de son portrait, entouré par des figures d'une religieuse et d'une mère avec des enfants, le texte suivant : "Ex libris quos testamento suo largitus est huic domui M. Philippus Despont presbyter Parisiensis et doctor theologus. Orate pro eo. Et discite in terris quorum Scientia vobis perseueret in coelis. Hieronimus Epist. 103".

 

L’ex-dono du Père Despond.


Un commentaire du Père Despond.

 

Philippe Despond était en effet le chapelain et bienfaiteur de l'hospice des Incurables à Paris. Il légua à cette institution l’intégralité de sa bibliothèque [6].  Docteur de la Sorbonne, il dirigea la collection intitulée "Maxima bibliotheca veterum patrum", une somme de 27 volumes publiée en 1677.

Lui aussi, plume à la main, il nota dans son livre les réflexions qui lui venaient et notamment les recherches complémentaires qu’il avait faites. Ainsi on peut lire sur une garde : « Scavoir si Cassodiore a esté bénédictin. Voyez la cronique de S. Benoît to 1 p 338.". Effectivement la question faisait débat à l’époque dans la mesure où Cassiodore, né la même année que saint Benoit, avait fondé un monastère dont les moines suivaient une règle proche de celle de saint Benoit.

 

Un des filigranes du papier du Cassodiore qui indique, selon Briquet (n°4248) une provenance de Sion ou de Genève. 

Je remercie tous les jours le soin avec lequel ces deux amoureux des livres ont permis de préserver leurs précieux ouvrages pour qu’ils aient pu arriver presqu’intacts jusqu’à nous.

 Bonne Journée

Textor



[1] In-folio de [4]-306 [2] pp. Impression de Sylvan Otmar, Augbourg, 1533. Reliure en vélin rigide du XVIème siècle.

[2] In-folio de [2] , 327 , [6] , [4] pp. Impression de Heinrich Steiner, Augustae Vindelicorum (Augsburg) 1533 – Reliure de daim, tranches rouges (Reliure du XVIIe siècle) ou bien Pleine peau de truie retournée du XVIème  

[3] Frank Müller in "Heinrich Vogtherr l'ancien, Un artiste entre Renaissance et Réforme ", Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1997.

[4] Matthieu Desachy, « Je scrivoys si durement que fasoys les muches rire…. Portrait de lecteurs : étude des exemplaires annotés de J. Boyer et J. Vedel », in Bulletin du bibliophile, 2001-2, p. 270-314 ». in Bulletin du bibliophile, fasc. 2, Paris, 2001, p. 270-314.

[5] Matthieu Desachy « L’entourage de l’évêque de Rodez François d’Estaing (1504-1529) » in La cour d’honneur de l’humanisme toulousain. Colloque international de Toulouse, Mai 2004, Toulouse. pp.123-143. ffhal-00845923f.

[6] Source BNF.