Alors
que Louis de Richevaux [1], par une belle soirée
d’été, était en Avignon, écoutant sous la treille des jeunes filles chanter des
vers, accompagnées de la harpe et du luth, il leur demanda si leurs chansons
étaient de Ronsard ou de Du Bellay et elles répondirent : Vous êtes
comme ceux qui mangent des fruits étrangers et ne reconnaissent pas ceux qui
leur sont plus familiers, encore qu’ils soient bons. Ces sont des vers de
l’Amalthée ! Il s’empressa de prendre leur manuscrit et fit éditer les
poèmes de son ami Marc-Claude de Buttet.
Marc-Claude
de Buttet est issu d’une ancienne famille de Savoie. Au XIVème siècle, Jean de
Buttet, (Buctet), originaire d'Ugine, rejoint le château du Bourget pour
exercer la fonction de secrétaire des comtes de Savoie. Marc-Claude nait vers 1530 à Chambéry dans une
maison près de Saint François (Dans la rue Métropole actuelle) à moins que ce
ne soit dans la propriété familiale de Tresserve sur le lac du Bourget. Alors
qu’il est encore très jeune, la Savoie est occupée par François 1eret
devient donc territoire français pendant 25 ans [2].
Nous
savons peu de chose de ses années de jeunesse. Ses parents veulent en faire un
magistrat mais il préfère les lettres et rejoint Paris pour y poursuivre ses
études auprès de Jean Dorat, érudit professeur de Ronsard et de Du Bellay qui
lui enseigne le grec et le latin. Il passe pour fort savant. Ronsard le qualifie
de « docte » dans un des poèmes du livre II des Amours : Docte
Buttet, qui as montré la voye / Aux tiens de suivre Apollon et son Chœur, / Qui
le premier t’espoinçonnant le cœur, / Te fist chanter sur les mons de Savoye….
Ronsard
ne s’est pas trompé, Buttet a montré la voie à ses compatriotes. C’est lui, le
premier, qui forge le mot « Savoisien » placé à la suite de son nom et sa
carrière littéraire débute par un ouvrage polémique de soutien à la Savoie. Il
publie en 1554, à Lyon, chez Angelin Benoist, l’Apologie pour la Savoie qui
est une défense virulente du Duché et de ses mœurs contre les attaques de Barthélémy
Aneau, principal du Collège de la Trinité, à Lyon. Ce dernier avait traité les
Savoisiens de sauvages et de barbares et il finit assassiné en 1565 comme
protestant et sacrilège.
Il
était également proche de la Pléiade par les thèmes abordés dans ses vers et
les recherches sur la langue française, comme ces tentatives d’appliquer la
rythmique latine des syllabes courtes et longues à la versification française.
Les vers mesurés, innovation initiée par Dorat, reprise par Baïf, ne sont pas
ce que Buttet a produit de plus heureux. Tout en admettant qu’il y avait des
recherches à faire dans cette direction, Du Bellay dans sa Défence et
Illustration de la langue française, puis Ronsard dans la préface des Odes
reconnaissent la difficulté de l’exercice.
Pour
Ronsard, la reconnaissance du poète savoisien ne fut pas immédiate, c’est seulement
lorsque Buttet obtint la protection de Marguerite de Valois, fille de François
1er et de Louise de Savoie qui venait d’épouser Emmanuel-Philibert
de Savoie que le Vendomois fit placer un quatrain de Buttet en tête du recueil
des Amours (1560). Cette protection est une chance pour le poète savoisien. Par
sa mère Jeanne Françoise de la Mare, Buttet connait les milieux calvinistes de
Genève. Il y a probablement des affinités de pensée entre Marguerite de Valois (restée
néanmoins catholique) et Buttet, ce qui a pu favoriser l’estime réciproque
qu’ils se portent. Quand la princesse épouse Emmanuel-Philibert, Buttet quitte
Paris et la suit naturellement à Chambéry avant que le siège ducal ne soit
transféré à Turin en 1562. Il semble que Marc-Claude de Buttet soit resté de ce
côté-ci des Monts. Il ne retourna pas à Paris. Il animait un cercle de poètes aux
côtés de Jean de Piochet, son cousin, Antoine Baptendier, Louis Milliet,
Philibert Pingon ou Amé du Coudray, dans sa propriété de Tresserve, ne rimant
que pour eux, sans souci de gloire ou d’honneurs, si bien qu’il fut
complètement oublié après sa mort survenue à Genève le 10 Aout 1586, pour n’être
redécouvert que trois cents ans plus tard.
Il
aurait beaucoup écrit nous dit Louis de Richevaux mais ne se préoccupait pas
d’être publié. Il mentionne dans sa préface de l’Amalthée une production
abondante parmi laquelle des poèmes héroïques intitulés Idylle à l’imitation de
Théocrite, cinq volumes de vers lyriques, un livre sur les plus illustres
personnages de Savoie, trois traités [3], une traduction rimée de
Job qui devait être incessamment mise en lumière. Tout ceci disparut dans
l’oubli.
Précédée
de quelques pièces de circonstance (Odes à la Paix (1559), Epithalame
ou Noces du Prince Emmanuel Philibert (1559), l’Amalthée est l’œuvre
principale de Marc-Claude de Buttet. Elle parait en 1560-61 chez Michel Fézandat
– une édition aujourd’hui introuvable – à la suite des premier et second Livre
des Vers (soit respectivement vingt-cinq et trente et une odes) [4].
L’exemplaire de l’Amalthée qui a rejoint très récemment ma bibliothèque est l’édition de 1575 [5]. La première édition séparée, publiée à Lyon, chez Benoist Rigaud. Aux cent vingt-huit poèmes initiaux, Buttet fait ajouter cent quatre-vingt-douze sonnets et un dizain. C’est un petit ouvrage très soigneusement imprimé qui pourtant n’avait pas satisfait de Buttet. Il est vrai que la mise en page de l’édition de 1560 était plus aérée. Il avait envisagé une troisième édition qui ne vit pas le jour de son vivant. L’ensemble des Œuvres Poétiques, paru une dernière fois en 1588, à Paris chez Jérôme de Marnef et la veuve Cavellat, n’est que la remise en vente sous un nouveau titre des invendus de 1560. Il faudra ensuite attendre la fin du XIXème siècle pour avoir une nouvelle édition des œuvres poétiques. [6]
La
poésie de Buttet est très savante, pour ne pas dire pédante, remplie
d’allusions mythologiques que seuls quelques esprits érudits parvenaient à
comprendre. Ses vers n’ont pas la belle musicalité d’un Ronsard ou d’un Du
Bellay mais il y a tout de même de beaux passages d’un tour agréable [7]. La plupart des sonnets
sont de dix pieds, sauf treize qui sont en alexandrins.
Influencé
par la culture italienne, Buttet emprunte à Pétrarque et à Dante. Son Amalthée
est une référence à la fille du roi de Crète qui allaita Zeus à l’aide d’une
chèvre. Le roi des dieux brisa une corne de la chèvre pour l’ouvrir à la jeune
fille en guise de reconnaissance, c’est la corne d’Abondance...
Marc-Claude
de Buttet se plait dans la nostalgie, celle de ses amours passées, de ses amis
qui sont restés à Paris. Une strophe de l’Amalthée, que n’aurait pas reniée
Joachim du Bellay, laisse entendre qu’il regrettait l’effervescence
intellectuelle de Paris. L’écho des montagnes ne remplace pas les rimes de ses
amis de la Pléiade : Et je regrette en sa Minerve forte / ce grand Paris,
que vif au cueur je porte / tant le désir de la France me point : / Puisque je
voi mes muses non connues / de leur beaux chants hurter jusques aux nues / ces
durs rochers, qui ne respondent point.
D’autres
vers ont des accents épicuriens directement inspirés de Ronsard : Belle si
au printemps, été, automne aussi, / Des fleurs, moissons, et fruits, ne vous
tient le souci, / Quand l’hiver vous prendra, vous n’aurez que la glace.
Les
biographes ont cherché longtemps qui pouvait être La muse chantée par Buttet. Peut-être cette jeune fille rencontrée à
Paris, qu’il apercevait à sa fenêtre, entrelaçant ses frisons d’or, avec
laquelle il se promenait dans le parc de sa maison et qui finit par aller se
marier au loin car chez Buttet la rose a des épines [8]. A vrai dire, nous n’en
savons rien. C’est en même temps, peut-être, Marguerite de Valois, Jacqueline
d’Entremont [9]
et quelques autres, idéalisées comme le furent Cassandre ou Laura.
La
poésie de Buttet se fait moins savante et presque familière lorsqu’il évoque
son pays natal, Chambéry, les rives de Tresserve ou le lac du Bourget. Mais l’évocation
des lieux reste toujours fugitive.
L’ouvrage se clôt par quelques pièces offertes par ses amis, Louis de Richevaux, A de Vignère et Jean de Piochet. Ce dernier joue avec les sonorités de la rivière de Chambéry, la Leysse, et de la Loire des Angevins : Qui a tant hault vostre gloire exaltée / Repondés moi, ô Loir, ô Loire, ô Lesse ? Cassandre, Olive, et la belle Amalthée.
La
famille de Buttet n’est pas éteinte, elle s’est séparée en 2011 du château du
Bourget et la bibliothèque a été dispersée. Il y figurait un exemplaire de
l’Amalthée élégamment relié en maroquin rouge par Pouillet qui m’avait alors
échappé. J’ai rattrapé cette erreur en dénichant un maroquin couleur de sable
très correctement établi par Quinet.
Bonne
Journée,
[1] Louis de
Richevaux semble n’avoir laissé aucune trace dans les archives. Les biographes
affirment qu’il était ami de Buttet, ce qui est fort probable, ou qu’il aurait
été son éditeur. Sarah Alyn Stacey émet l’hypothèse que son nom soit un
pseudonyme derrière lequel se cacherait Jean de Piochet, son cousin. Mais alors
les poèmes qui clôturent l’Amalthée sont signés tantôt de Richevaux tantôt de
Piochet. Une façon de brouiller les pistes ? Cf. Mémoires de l’Académie de
Savoie Années 2013-2014 Neuvième série Tome 1 : S.A. Stacey - Un esprit
inventif, Marc Claude de Buttet et la nouvelle poésie bien différente de
l’accoutumée. Et Sarah Alyn Stacey, Marc-Claude de Buttet, L’Amalthée
édition critique – Paris, Honoré Champion 2003.
[2] Pour une
biographie déjà ancienne sur Marc Claude de Buttet, voir François Munier :
Marc-Claude de Buttet, poète savoisien (XVIe siècle): Notice sur sa vie, ses
œuvres in Mémoires et Documents de la Société Savoisienne d’Histoire et
d’Archéologie ; Tome 35 – 1896.
[3]
Peut-être des traités de mathématique car Buttet était aussi reconnu pour sa
maitrise des sciences.
[4] Avec la
date de 1560 pour quelques exemplaires puis avec une page de titre renouvelée
datée 1561. Cf Nicolas Ducimetière, Mignonne Allons voir… p. 203
[5] Marc Claude
de Buttet, L’Amalthée. Nouvellement par lui reveue, mise en ordre, et de la
meilleure part augmentée. Lyon, Benoît Rigaud, 1575. In-8, maroquin fauve,
décor à la Du Seuil, dos orné, dentelle intérieure, tranches dorées (Quinet).
Exemplaire Barbier-Mueller. A son sujet voir N. Ducimetière, Mignonne allons
voir… p.202.
[6] Alfred
Philibert-Soupé, Lyon N.Scheuring, 1877.
[7] Ce n’est
pas l’avis d’Etienne Pasquier qui jugea sévèrement la poésie du savoisien,
déclarant sans nuance : Tous ses vers clochent du pied.
[8]
Philibert-Soupé, op.cit. introduction p.13.
[9] Une
strophe fait allusion à cette jeune personne, demoiselle d’honneur de la
Princesse Marguerite : Fai rechanter aux grans forestz ombreuses / Aux
mons, aux plains, aux ondes ecumeuses, / Et aux cités, la nymphe d’Entremont.
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