vendredi 31 mai 2024

L’Amalthée de Marc-Claude de Buttet, gentilhomme savoisien. (1575)

Alors que Louis de Richevaux [1], par une belle soirée d’été, était en Avignon, écoutant sous la treille des jeunes filles chanter des vers, accompagnées de la harpe et du luth, il leur demanda si leurs chansons étaient de Ronsard ou de Du Bellay et elles répondirent : Vous êtes comme ceux qui mangent des fruits étrangers et ne reconnaissent pas ceux qui leur sont plus familiers, encore qu’ils soient bons. Ces sont des vers de l’Amalthée ! Il s’empressa de prendre leur manuscrit et fit éditer les poèmes de son ami Marc-Claude de Buttet.

La page de titre de l'édition de l'Amalthée de 1575.

Marc-Claude de Buttet est issu d’une ancienne famille de Savoie. Au XIVème siècle, Jean de Buttet, (Buctet), originaire d'Ugine, rejoint le château du Bourget pour exercer la fonction de secrétaire des comtes de Savoie.  Marc-Claude nait vers 1530 à Chambéry dans une maison près de Saint François (Dans la rue Métropole actuelle) à moins que ce ne soit dans la propriété familiale de Tresserve sur le lac du Bourget. Alors qu’il est encore très jeune, la Savoie est occupée par François 1eret devient donc territoire français pendant 25 ans [2].

Nous savons peu de chose de ses années de jeunesse. Ses parents veulent en faire un magistrat mais il préfère les lettres et rejoint Paris pour y poursuivre ses études auprès de Jean Dorat, érudit professeur de Ronsard et de Du Bellay qui lui enseigne le grec et le latin. Il passe pour fort savant. Ronsard le qualifie de « docte » dans un des poèmes du livre II des Amours : Docte Buttet, qui as montré la voye / Aux tiens de suivre Apollon et son Chœur, / Qui le premier t’espoinçonnant le cœur, / Te fist chanter sur les mons de Savoye….

Ronsard ne s’est pas trompé, Buttet a montré la voie à ses compatriotes. C’est lui, le premier, qui forge le mot « Savoisien » placé à la suite de son nom et sa carrière littéraire débute par un ouvrage polémique de soutien à la Savoie. Il publie en 1554, à Lyon, chez Angelin Benoist, l’Apologie pour la Savoie qui est une défense virulente du Duché et de ses mœurs contre les attaques de Barthélémy Aneau, principal du Collège de la Trinité, à Lyon. Ce dernier avait traité les Savoisiens de sauvages et de barbares et il finit assassiné en 1565 comme protestant et sacrilège.

La préface de Louis de Richevaux

Premiers sonnets de l'Amalthée

Maison des de Buttet rue Métropole à Chambéry.

La plaque apposée par les Amis du Vieux Chambéry à l’emplacement de la maison des Buttet, rue Métropole à Chambéry, mentionne qu’il était un poète de la Pléiade. Marc-Claude n’en fit jamais officiellement partie (si tant est que la Brigade, puis la Pléiade puissent être considérées comme un groupe officiel à contour défini !). Mais il avait côtoyé pendant ses études certains membres de ce qui allait devenir le ’’noyau dur’’ de la Pléiade comme Pierre Ronsard, Jean Antoine de Baïf, Guillaume des Autels ou Peletier du Mans. Ce dernier avait fait sa connaissance à Paris, alors qu’il était professeur au collège de Bayeux et Il le retrouve en 1570 à Chambéry durant son voyage dans le Duché. Dans son long poème sur la Savoye, Pelletier du Mans loue le bien disant Buttet qui en naquit, / à qui en touche et l’honneur et l’acquit.  Buttet lui répondra dans l’Amalthée en comparant le Divin Peletier à Orphée.

Il était également proche de la Pléiade par les thèmes abordés dans ses vers et les recherches sur la langue française, comme ces tentatives d’appliquer la rythmique latine des syllabes courtes et longues à la versification française. Les vers mesurés, innovation initiée par Dorat, reprise par Baïf, ne sont pas ce que Buttet a produit de plus heureux. Tout en admettant qu’il y avait des recherches à faire dans cette direction, Du Bellay dans sa Défence et Illustration de la langue française, puis Ronsard dans la préface des Odes reconnaissent la difficulté de l’exercice.

Pour Ronsard, la reconnaissance du poète savoisien ne fut pas immédiate, c’est seulement lorsque Buttet obtint la protection de Marguerite de Valois, fille de François 1er et de Louise de Savoie qui venait d’épouser Emmanuel-Philibert de Savoie que le Vendomois fit placer un quatrain de Buttet en tête du recueil des Amours (1560). Cette protection est une chance pour le poète savoisien. Par sa mère Jeanne Françoise de la Mare, Buttet connait les milieux calvinistes de Genève. Il y a probablement des affinités de pensée entre Marguerite de Valois (restée néanmoins catholique) et Buttet, ce qui a pu favoriser l’estime réciproque qu’ils se portent. Quand la princesse épouse Emmanuel-Philibert, Buttet quitte Paris et la suit naturellement à Chambéry avant que le siège ducal ne soit transféré à Turin en 1562. Il semble que Marc-Claude de Buttet soit resté de ce côté-ci des Monts. Il ne retourna pas à Paris. Il animait un cercle de poètes aux côtés de Jean de Piochet, son cousin, Antoine Baptendier, Louis Milliet, Philibert Pingon ou Amé du Coudray, dans sa propriété de Tresserve, ne rimant que pour eux, sans souci de gloire ou d’honneurs, si bien qu’il fut complètement oublié après sa mort survenue à Genève le 10 Aout 1586, pour n’être redécouvert que trois cents ans plus tard.  

Il aurait beaucoup écrit nous dit Louis de Richevaux mais ne se préoccupait pas d’être publié. Il mentionne dans sa préface de l’Amalthée une production abondante parmi laquelle des poèmes héroïques intitulés Idylle à l’imitation de Théocrite, cinq volumes de vers lyriques, un livre sur les plus illustres personnages de Savoie, trois traités [3], une traduction rimée de Job qui devait être incessamment mise en lumière. Tout ceci disparut dans l’oubli.

Précédée de quelques pièces de circonstance (Odes à la Paix (1559), Epithalame ou Noces du Prince Emmanuel Philibert (1559), l’Amalthée est l’œuvre principale de Marc-Claude de Buttet. Elle parait en 1560-61 chez Michel Fézandat – une édition aujourd’hui introuvable – à la suite des premier et second Livre des Vers (soit respectivement vingt-cinq et trente et une odes) [4].

Une reliure de Quillet pour cet exemplaire parfaitement établi

L’exemplaire de l’Amalthée qui a rejoint très récemment ma bibliothèque est l’édition de 1575 [5]. La première édition séparée, publiée à Lyon, chez Benoist Rigaud. Aux cent vingt-huit poèmes initiaux, Buttet fait ajouter cent quatre-vingt-douze sonnets et un dizain. C’est un petit ouvrage très soigneusement imprimé qui pourtant n’avait pas satisfait de Buttet. Il est vrai que la mise en page de l’édition de 1560 était plus aérée. Il avait envisagé une troisième édition qui ne vit pas le jour de son vivant. L’ensemble des Œuvres Poétiques, paru une dernière fois en 1588, à Paris chez Jérôme de Marnef et la veuve Cavellat, n’est que la remise en vente sous un nouveau titre des invendus de 1560. Il faudra ensuite attendre la fin du XIXème siècle pour avoir une nouvelle édition des œuvres poétiques. [6]

La poésie de Buttet est très savante, pour ne pas dire pédante, remplie d’allusions mythologiques que seuls quelques esprits érudits parvenaient à comprendre. Ses vers n’ont pas la belle musicalité d’un Ronsard ou d’un Du Bellay mais il y a tout de même de beaux passages d’un tour agréable [7]. La plupart des sonnets sont de dix pieds, sauf treize qui sont en alexandrins.

Influencé par la culture italienne, Buttet emprunte à Pétrarque et à Dante. Son Amalthée est une référence à la fille du roi de Crète qui allaita Zeus à l’aide d’une chèvre. Le roi des dieux brisa une corne de la chèvre pour l’ouvrir à la jeune fille en guise de reconnaissance, c’est la corne d’Abondance...

Marc-Claude de Buttet se plait dans la nostalgie, celle de ses amours passées, de ses amis qui sont restés à Paris. Une strophe de l’Amalthée, que n’aurait pas reniée Joachim du Bellay, laisse entendre qu’il regrettait l’effervescence intellectuelle de Paris. L’écho des montagnes ne remplace pas les rimes de ses amis de la Pléiade : Et je regrette en sa Minerve forte / ce grand Paris, que vif au cueur je porte / tant le désir de la France me point : / Puisque je voi mes muses non connues / de leur beaux chants hurter jusques aux nues / ces durs rochers, qui ne respondent point.

D’autres vers ont des accents épicuriens directement inspirés de Ronsard : Belle si au printemps, été, automne aussi, / Des fleurs, moissons, et fruits, ne vous tient le souci, / Quand l’hiver vous prendra, vous n’aurez que la glace.

Les biographes ont cherché longtemps qui pouvait être La muse chantée par Buttet.  Peut-être cette jeune fille rencontrée à Paris, qu’il apercevait à sa fenêtre, entrelaçant ses frisons d’or, avec laquelle il se promenait dans le parc de sa maison et qui finit par aller se marier au loin car chez Buttet la rose a des épines [8]. A vrai dire, nous n’en savons rien. C’est en même temps, peut-être, Marguerite de Valois, Jacqueline d’Entremont [9] et quelques autres, idéalisées comme le furent Cassandre ou Laura.

De quel rosier, et de quelles épines, cueillit Amour les roses de son teint ?…

La poésie de Buttet se fait moins savante et presque familière lorsqu’il évoque son pays natal, Chambéry, les rives de Tresserve ou le lac du Bourget. Mais l’évocation des lieux reste toujours fugitive.

L’ouvrage se clôt par quelques pièces offertes par ses amis, Louis de Richevaux, A de Vignère et Jean de Piochet. Ce dernier joue avec les sonorités de la rivière de Chambéry, la Leysse, et de la Loire des Angevins : Qui a tant hault vostre gloire exaltée / Repondés moi, ô Loir, ô Loire, ô Lesse ? Cassandre, Olive, et la belle Amalthée.

Un passage où le poète évoque son beau champ de Tresserve.

Tant que Loir, Loire, Lesse auront voie.. de Jean de Piochet

La famille de Buttet n’est pas éteinte, elle s’est séparée en 2011 du château du Bourget et la bibliothèque a été dispersée. Il y figurait un exemplaire de l’Amalthée élégamment relié en maroquin rouge par Pouillet qui m’avait alors échappé. J’ai rattrapé cette erreur en dénichant un maroquin couleur de sable très correctement établi par Quinet.

Bonne Journée,

Textor


[1] Louis de Richevaux semble n’avoir laissé aucune trace dans les archives. Les biographes affirment qu’il était ami de Buttet, ce qui est fort probable, ou qu’il aurait été son éditeur. Sarah Alyn Stacey émet l’hypothèse que son nom soit un pseudonyme derrière lequel se cacherait Jean de Piochet, son cousin. Mais alors les poèmes qui clôturent l’Amalthée sont signés tantôt de Richevaux tantôt de Piochet. Une façon de brouiller les pistes ? Cf. Mémoires de l’Académie de Savoie Années 2013-2014 Neuvième série Tome 1 : S.A. Stacey - Un esprit inventif, Marc Claude de Buttet et la nouvelle poésie bien différente de l’accoutumée. Et Sarah Alyn Stacey, Marc-Claude de Buttet, L’Amalthée édition critique – Paris, Honoré Champion 2003.

[2] Pour une biographie déjà ancienne sur Marc Claude de Buttet, voir François Munier : Marc-Claude de Buttet, poète savoisien (XVIe siècle): Notice sur sa vie, ses œuvres in Mémoires et Documents de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie ; Tome 35 – 1896.

[3] Peut-être des traités de mathématique car Buttet était aussi reconnu pour sa maitrise des sciences.

[4] Avec la date de 1560 pour quelques exemplaires puis avec une page de titre renouvelée datée 1561. Cf Nicolas Ducimetière, Mignonne Allons voir… p. 203

[5] Marc Claude de Buttet, L’Amalthée. Nouvellement par lui reveue, mise en ordre, et de la meilleure part augmentée. Lyon, Benoît Rigaud, 1575. In-8, maroquin fauve, décor à la Du Seuil, dos orné, dentelle intérieure, tranches dorées (Quinet). Exemplaire Barbier-Mueller. A son sujet voir N. Ducimetière, Mignonne allons voir… p.202.

[6] Alfred Philibert-Soupé, Lyon N.Scheuring, 1877.

[7] Ce n’est pas l’avis d’Etienne Pasquier qui jugea sévèrement la poésie du savoisien, déclarant sans nuance : Tous ses vers clochent du pied.

[8] Philibert-Soupé, op.cit. introduction p.13.

[9] Une strophe fait allusion à cette jeune personne, demoiselle d’honneur de la Princesse Marguerite : Fai rechanter aux grans forestz ombreuses / Aux mons, aux plains, aux ondes ecumeuses, / Et aux cités, la nymphe d’Entremont.

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