Une bonne bibliothèque consacrée à la Savoie se doit d’avoir une section historique dédiée à la famille princière qui régna sur ce territoire et s’énorgueillissait d’être une dynastie européenne dont l’ancienneté se perd dans les temps obscurs et les légendes. C’était le cas de la grande bibliothèque savoisienne du docteur Bernard Blanc dispersée en 2010 [1], ou encore celle de Jean Faga [2].
Le premier représentant de la Maison
de Savoie serait un prince saxon nommé Bérold ou Bérald, fils d'un certain
Hugues, duc de Saxe, petit-fils de l'empereur Othon II et neveu d’Othon III. Les ouvrages consacrés à la famille de Savoie
font tous débuter la lignée des Savoie à ce personnage hypothétique dont ils décrivent
dans le détail les aventures en Provence puis en Savoie où il mate la révolte
des montagnards.
Une autre légende, sans souci
de cohérence, fait du fils de Bérold, Humbert dit aux Blanches Mains (Albimanus),
un descendant de Widukind, ennemi de Charlemagne. Dans les deux cas, cette
source saxonne était nécessaire à la revendication du droit à ceindre, en tant
que princes du Saint-Empire, la couronne impériale.
Les travaux les plus récents,
tels ceux de Laurent Ripart [3], permettent d’imaginer qu’Humbert,
premier comte de Maurienne, ait pu appartenir à une famille de grands
propriétaires de la combe de Savoie pendant la période carolingienne et qu'il
ait eu pour frère Odon, évêque de Belley. Tous les actes d’époque où il est
mentionné rapportent qu’Humbert et sa famille étaient originaires du comté de
Vienne. Lui et ses frères Burchard et Odon possédaient des terres et des droits
dans le sud de l'évêché de Belley. Aucun acte ne mentionne le nom de leur père.
Quoiqu’il en soit, il est
certain que la famille est d’une grande ancienneté et peut revendiquer une
longévité exceptionnelle puisque pendant mille ans se succèdent des princes
portant le titre de comte de Savoie (1033) [4], puis de duc de Savoie
(1416), prince de Piémont (1418), roi de Sicile (1713), roi de Sardaigne (1720)
puis finalement roi d'Italie (1861).
Les puissances voisines
avaient intérêt à maintenir ce petit Etat occupant une position stratégique sur
les routes alpines qui relient le royaume de France aux principautés italiennes
et à forger des alliances par le mariage.
Au fil des siècles, les historiographes
se sont plu à faire l’éloge de la famille humbertienne et à en dresser la
généalogie. Voici quelques ouvrages représentatifs de ces travaux.
1/ Symphorien Champier, le
précurseur (1516)
C’est le duc Amédée VIII qui
chargea Jean d’Orville dit Cabaret de rédiger la première chronique de sa
famille en 1419, alors que la Savoie venait d’être érigée en duché par
l’Empereur Sigismond. Ce picard d’origine travaillait à la demande. Il dut être
appelé à la cour de Chambéry parce qu’il avait rédigé des chroniques pour
d’autres familles princières. C’est Cabaret qui invente le mythe de Bérald et
qui relie la famille aux héros des chansons de geste de son époque. Ce texte fondateur de l’historiographie
savoisienne dont il nous reste une bonne trentaine de manuscrits [5], sera repris et décliné
par tous ses successeurs, à commencer par Symphorien Champier.
Moitié traité d’histoire,
moitié roman de chevalerie, Les Grans croniques des gestes et vertueux
faictz des tresexcellens catholicques et illustres ducz et princes des pays de
Savoye et Piemont [6] est le premier
livre imprimé traitant de manière approfondie de la Maison de Savoie. Son
auteur, Symphorien Champier (1472-1539), est un humaniste lyonnais, né à St
Symphorien sur Coise, parent de Pierre Terrail, seigneur de Bayard, le
chevalier sans peur et sans reproche [7].
Il est depuis 1506 le médecin
du duc Antoine de Lorraine, cousin du futur François Ier. C’est à ce titre
qu’il l’accompagne à la bataille d’Agnadel qui a vu la victoire de Louis XII
contre les Vénitiens, puis à celle de Marignan dont François Ier revient
vainqueur. Champier a publié son Triumphe du treschrestien Roy de France
puis ses Grans croniques de Savoye peu après chacune de ces victoires.
C’est un auteur prolixe qui a laissé des ouvrages touchant à la médecine, aux mathématiques, à l'archéologie, à la poésie, à la morale et à la théologie. Aujourd’hui, nous reconnaissons principalement sa qualité de chroniqueur. Son texte sur l’épopée de la Maison de Savoie s’étend de Bérald jusqu’au Duc Charles le Bon, il est dédié à Louise de Savoie, mère de François 1er, et s’inspire largement de la Chronique de Savoie de Jean d’Orville, sans esprit critique, ni originalité particulière. Samuel Guichenon est sévère avec lui en affirmant que l’ouvrage ressent fort la barbarie du siècle.
S’il n’est pas le plus fiable
en matière historique, le livre possède un grand mérite pour le bibliophile
actuel, celui d’avoir été abondamment illustré par Jean de la Garde, successeur
d’Antoine Vérard, dont les éditions sont très recherchées. Il contient
trente-cinq belles figures gravées sur bois - trois grandes, huit à mi-page et
vingt-quatre petites dont deux sont répétées - et 5 tableaux généalogiques. L’imprimeur
a réemployé des bois provenant du fonds de Vérard et plusieurs illustrations
tirées de la Mer des Hystoires [8]. Dans une scène de siège,
au feuillet fiii, Jean de la Garde a composé sa gravure en regroupant
habilement trois bois de thèmes différents, dont un visiblement tiré d’un livre
d’Heures, donnant l’impression qu’il s’agit d’une scène unique.
Un tel ouvrage ne pouvait être
qu’onéreux à l’époque. Est-ce pour cela que le Parlement fixa dans le privilège
accordé pour trois ans à Jean de la Garde une clause assez rare de prix
maximum ? Ouy le rapport de certain commissaire lequel a visité ledict
livre, et tout considéré la cour a permis et permet audit de la Garde de faire
imprimer et exposer en vente ledict livre pourveu qu’il ne le pourra vendre
plus hault de huict soulz parisis.
Espérons que l’imprimeur est
rentré dans ses frais …
2/ Guillaume Paradin,
historien bourguignon (1552 – 1561 – 1602)
L’édition des Croniques de
Savoye donnée par Guillaume Paradin en 1552, comparée à celle de Symphorien
Champier, est plus rigoureuse et se détache davantage de la fable et du
merveilleux. Paradin, chanoine de Beaujeu (1510-1590), est un humaniste
bourguignon qui se passionne pour l’histoire. Il entame son ouvrage par une
description du pays de Savoie et de ses "Glaces prodigieuses",
puis recense les sources antiques qui traitent de la peuplade celte des
Allobroges, du passage d’Annibal par les Alpes avant de s’attaquer aux origines
de la maison de Savoie extraite de Saxonie.
Les aventures mythiques de
Berald sont encore complaisamment détaillées sur plusieurs chapitres, puis il
décrit dans de courtes sections (ch. 19 à 60) les faits d’armes des Comtes de
Savoie avant de passer dans une autre partie, bien plus courte (90 pp. contre
240 pp.) aux Ducs.
Claude Paradin aurait puisé
des passages entiers dans Philippe de Commynes et Le Féron.
Suivront deux autres éditions,
la seconde de 1561, dont la chronique est continuée jusqu’au duc
Emmanuel-Philibert, le vainqueur de la bataille de Saint-Quentin, et l’année
1559. L’ouvrage est divisé en trois livres, ce qui n’était pas le cas de la
première édition. Superbe édition, parfaitement imprimée, orné au titre du
fameux encadrement à enroulements dit Cadre au Midas de Jean de Tournes.
La seconde édition,
contrairement à la première, offre un grand nombre de blasons généalogiques de
la famille de Savoie, ainsi qu’une planche aux grandes armes de Savoie et 2
planches à double page présentant la descendance du comte Thomas et d’Amé IV,
le tout gravé sur bois.
Jean de Tournes écrit :
Ceste seconde édition … ayant été encore mieux reçeuë que la première, et ne
s’en trouvant plus, j’ay esté sollicité de plusieurs endroits de la remettre
sur la presse. Elle sera donc suivie d’une troisième et dernière édition de
1602, toujours de l'imprimerie de Jean de Tournes mais imprimée cette fois sur un
mauvais papier. Elle est divisée en trois livres, comme la seconde de 1561, les
deux premiers ne sont augmentés que de quelques additions ou corrections à la
fin des chapitres, tandis que le troisième livre contient vingt chapitres de
plus, renfermant la continuation depuis Emmanuel-Philibert jusqu'à Charles-Emmanuel
et la paix de 1601. Ces changements et additions sont dus à Jean de Tournes,
comme il l'indique lui-même dans son avis au lecteur. Il a pu puiser dans les
ouvrages de Van Derbrucht et Pingon publiés entre temps.
3/ Philibert Pingon, Historiographe
ducal (1581)
Philibert Pingon (1525-1582) natif
de Chambéry est un membre d’une famille de notaires anoblie au XIVème siècle
originaire du Bugey. Il fréquenta le milieu littéraire savoisien, comme les
frères Piochet ou Louis Milliet qu’il avait côtoyé durant ses études. Il était
allié par sa sœur avec la famille de Buttet et Marc-Claude de Buttet le célèbre
dans plusieurs de ses poèmes [9]. Après avoir fait son
droit à Padoue, il occupa successivement les charges d’avocat au Parlement
français de Chambéry (1549), de premier syndic de Chambéry (1551) et de
conseiller d'État (1561). Il obtint le titre officiel d’Historiographe du Duc,
ce qui l’obligea à se rendre à Turin et à rédiger une généalogie de la Maison
de Savoie dans laquelle la partie iconographique de la publication est restée
inachevée, sans doute en raison de sa mort prématurée.
Son traité est publié en 1581 à
Turin chez les héritiers de Nicolò Bevilacqua sous le titre Iclytorum
Saxoniæ Sabaudiæque principum arbor gentilitia, mettant l’accent sur le
fait qu’il s’agit d’une généalogie des maisons princières de Saxe et de Savoie
présentées au travers des biographies illustrées de leurs familles.
Le volume contient quarante-trois
cartouches gravés sur bois dans le texte, conçus pour recevoir les portraits
princiers, ce qui aurait formé une belle galerie d’ancêtres, mais
malheureusement seulement quatre ont été imprimés, complétés dans certains
exemplaires par des gravures contrecollées. (Nous en comptons neuf dans l’exemplaire
Textoriana, les quatre imprimés et cinq contrecollés aux folios 16, 18, 19, 21,
75).
A cette illustration in texto
a été ajouté, dans les meilleurs exemplaires, une longue gravure de plus de
deux mètres, parfois simplement repliée mais le plus souvent coupées par le
relieur en huit gravures doubles montées soigneusement l’une après l’autre. Cet
arbre généalogique richement illustré de blasons est d’un style très germanique
qui vise à conforter l’idée de l’origine saxonne de la Maison de Savoie.
Malgré sa grande érudition et
une recherche dans les chartes, Philibert Pingon n’a pas réussi véritablement à
démêler l’origine obscure de la famille de Savoie.
4/ Lambert
Van Derburcht, historien flamand. (1599)
L’ouvrage en latin qu’il
publia à Leyde chez Plantin en 1599 est intitulé Histoire généalogique des
Princes et Ducs de Savoie en deux Livres (Sabaudorum ducum principumq.
Historiae gentilitiae libri duo). Son objectif était d’établir les preuves
de l’ancienneté et du prestige de la Maison de Savoie, déjà considérée à
l'époque comme l'une des plus anciennes d'Europe. Il met l’accent sur les liens
généalogiques et sur les blasons de chaque représentant de la famille. C’est le
premier à réduire l’importance de Bérald, le sujet est traité en cinq pages et
à insérer des preuves sous forme d’extraits d’actes.
C’est un traité important pour
l'histoire de la Savoie et de la Bresse et relativement peu courant. Il a
précédé le livre de Samuel Guichenon qui dit que l’ouvrage n’a pour seul mérite
que la beauté du style.
Lambert Van DerBurch
(1542-1617) était le doyen de la collégiale Notre Dame d’Utrecht. Un savant
humaniste apprécié notamment de Juste Lipse qui lui enverra une lettre dédicace
publiée à la fin du livre. Il appartenait à l’illustre famille flamande des
comtes de Rethel qui comptait des souverains de Jérusalem, cette illustre
lignée peut expliquer qu’il se soit intéressé à la maison de Savoie qui
comptait aussi des membres portant le titre de roi de Jérusalem.
Au titre figure la marque
typographique gravée sur bois est celle de Christoffel Van Ravelingen
(Christophorus Raphelengius), petit-fils de Christophe Plantin. L’auteur dédia
le livre au sénateur vénitien et mécène Domenico Molino (1573-1635) chargé des
relations commerciales entre Venise et la Hollande. Chaque membre de la
dynastie a droit à son profil biographique accompagné par l'illustration de ses
armes et blasons. Le travail n’est pas exempt de critiques compte tenu du
nombre d’erreurs et d’omissions. Ainsi, par exemple, Amédée II est dit succéder
à Amédée Ier alors qu'il y a eu Othon Ier et Pierre Ier avant lui.
Comme souvent dans les
éditions des Plantin, l’impression est soignée et la mise en page agrémentée de
37 vignettes héraldiques dans le texte, gravées sur cuivre, dont une grande à
pleine page, au verso du titre, représente l’écu armorié des Savoie avec leur
devise F.E.R.T. Ce blason regroupe leurs différents titres et
possessions : Armes de Saxe, de
Chablais, de Piémont, de Chypre, de Jérusalem, d’Aoste, de Gênes et sur le
tout, de Savoie (de gueules à la croix d’argent).
La devise F.E.R.T. a donné
lieu à de multiples interprétations mais son sens est resté caché jusqu’à
aujourd’hui. Dans l’ouvrage de Champier une main anonyme de la fin du XVIème
siècle a tenté une explication qui s’apparente à une pasquinade : FERT pour
Foemina erit ruina tua. La Femme sera ta ruine !
5/ Jean Frisat, le poète de
Tarentaise (1628)
Nous n’avons que peu de détail
sur la vie de ce chanoine de Moutiers qui a écrit une histoire versifiée de la
Maison de Savoie des plus originales.
Il s’appelle Jean Frisat (ou
Jean Frisatto ou Joannes Frisattus). Nous ne connaissons pas sa date de
naissance, sans doute avant 1580, ni son lieu de naissance exact qui pourrait
être Aime, non loin de Moutiers. Nous savons par les archives de l’Evêché qu’il
est nommé chanoine en 1606, doyen en 1617, de nouveau simple chanoine
théologique en 1625 et qu’il se qualifie lui-même de Prieur de Tarentaise (Prior
Tharentatiensis).
Comme Jean Frisat est reconnu pour
être un lettré éminent et un très bon théologien, l’évêque Germonio, un
réformateur qui avait substitué le missel romain au missel de Tarentaise, confie
au chanoine le soin de donner au clergé deux à trois leçons par semaine sur
l’Ecriture Sainte et le rituel romain. En outre, il est féru de poésies latines,
admirateur d’Ovide et c’est donc en vers latins qu’il écrit son Histoire de
Savoie, divisée en deux parties, l’une pour les Comtes, l’autre pour les Ducs :
Domus Sabaudiae Duobus Membris
divisa. Priore Comitum, Posteriore Ducum, Pars Prima - Secunda. Accesserunt
variae diversarum rerum & temporum historiae, praecipuè series
Archiepiscoporum Tarentasiensium, & domus Borbonicae.
Le Domus Sabaudiae est
une suite de chroniques résumant la vie et les faits d’armes des Comtes puis
des Ducs de Savoie concomitamment avec les évêques de Tarentaise. Chaque
chapitre débute par un résumé biographique succinct (Argumentum) qui est
développé pour chacun d’eux à travers des Elégies ou des Odes qui ne manquent
pas de style mais qui sont truffées de références mythologiques et de
périphrases.
On croise au détour des pages
les noms des principales familles inféodées de Tarentaise, les Villaines,
sieurs de Laudes et barons du Bois, les Chabod de Saint-Maurice, les Mareschal
de Val d’Isère, etc. ainsi que des détails sur la petite histoire locale, comme
dans ce poème dédié à Notre Dame de Briançon où Jean Frisat nous dit que
l’église avait miraculeusement échappé aux flammes lors de l’invasion du pays
par Henri IV et la vaillante défense de la ville par le Sieur de Laudes [10].
L’ouvrage parût en 1628, à
Lyon, chez Scipion Jasserme. Le chanoine Grillet nous dit qu’il y aurait une
édition parisienne de 1627, mais elle ne se trouve nulle part [11]. Il a peut-être eu
confusion de sa part avec la date de l’épitre dédicatoire de l’édition de 1628.
En effet, chacune des deux parties du livre est précédé d’une épitre de Jean
Frisat, la première adressée à Charles-Emmanuel duc de Savoie, datée de
Décembre 1627 tandis que la seconde dédiée au Prince Victor-Amédée porte la
date de Décembre 1626.
Cette première édition (1628)
est très rare, absente de la BNF et généralement omise des principales
bibliographies. Elle n’est citée ni par Marianne Merland, ni par Gaston
Saffroy, qui ne connaissaient que l’édition de 1630, pas plus que par Manno qui
écrit : Rossotto cite une
édition de 1628. Manno n'a donc pas vu cette première édition et doute même
de son existence [12].
Aujourd’hui les catalogues
recensent trois exemplaires en institutions publiques (Chambéry, Maryland,
Manheim) plus l’exemplaire du docteur Blanc, dont la bibliothèque savoisienne a
été dispersée en 2010, qui a rejoint la Bibliotheca Textoriana après un passage
par la librairie Gilibert de Turin.
La deuxième édition de 1630,
chez le même éditeur mais partagée avec Claude Cayne, de format in-12, est bien
plus facile à trouver. Elle a été augmentée de la vie du Duc Emmanuel-Philibert
(pp.417-430) et de plusieurs odes insérées à la fin des chapitres. Enfin une dernière
édition est parue en 1650 (in-12 de 462 et (20) pp.) ; elle est identique
à celle de 1630 avec une date modifiée.
Les épitres dédicatoires de
Jean Frisat qui débutent le volume sont reprises sans changement dans les deux
éditions de 1628 et 1630, seule les dates ont été modifiées. Elles sont écrites
par l’auteur depuis Monsterii ad forum Claudii, soit de Moûtiers, au
forum de Claude. Nous n’avons trouvé aucun forum Claudii à Moûtiers. Ce
lieu apparait dans quelques textes pour la ville voisine d’Aime, une petite
ville à 14 Km de Moûtiers. (Aujourd’hui Aime-La Plagne). Il y est question d’un
Forum Claudii Ceutronum Axima (le forum de Claude des Ceutrons d’Aime)
comme il y a un Forum Claudii Vallensium, le forum de Claude du Valais,
pour la ville de Martigny en Suisse. Chaque ville de fondation romaine semble
avoir eu son Forum de Claude, mais rien n’est dit pour Moûtiers à ce
sujet alors que Jean Frisat aurait dû logiquement dater son œuvre de la
Collégiale St Pierre.
A la suite des poèmes sur la
maison de Savoie figurent différents textes qui constituent la
quasi-totalité de l’œuvre que nous a laissé Jean Frisat [13] : (i) une Périégèse en
vers de la ville de Genève, [14] qui n’était pas une
possession de la maison de Savoie, dans laquelle les pouvoirs temporels et
spirituels de la ville sont décrit depuis sa fondation, (ii) l’hymne à la
Vierge Marie de Briançon, déjà cité, (iii) Une liste des évêques de Turin, (iv)
Une liste des princes de Bourbon mentionnés dans l'ouvrage.
Jean Frisat meurt de la peste
le 10 septembre 1630, comme treize des vingt chanoines de St Pierre de
Moutiers, six mois seulement après la parution de la deuxième édition de son Domus
Sabaudiae.
6/ Samuel Guichenon (1660)
L’Histoire Généalogique de la
Royale Maison de Savoie est un classique, indispensable à toutes
les bibliothèques savoisiennes.
Samuel Guichenon, né le 18
août 1607, est le fils cadet de Grégoire Guichenon et de Claudine Chaussat, une
famille calviniste originaire des Dombes. Son père était chirurgien à
Bourg-en-Bresse et sa mère était fille d'un riche marchand de Bourg-en-Bresse.
Il fit ses études de droit à Annonay en Ardèche puis passe son doctorat à Lyon
pour devenir avocat à Bourg-en-Bresse, mais sa vraie passion est la recherche
historique et généalogique.
En 1650, il est nommé
historiographe dynastique de la maison de Savoie sous la régence de la duchesse
de Savoie, Christine de France et pour entreprendre l'histoire des États de
Savoie, il se rend à Turin et se plonge dans les archives. Il retrouve un grand
nombre de manuscrits qu’il énumère dans sa préface et il lit tous les textes de
ses prédécesseurs : Champier, Pingon, Van Derburcht, etc. comparant ainsi
les différentes versions et relevant les erreurs et les contradictions.
Ainsi, son ouvrage
généalogique sur la Maison de Savoie est rigoureux et détaillé, trop peut-être
pour son époque. Il s’affranchit des fables de ses prédécesseurs et il expose
avec impartialité les droits héréditaires des Princes de Savoie sur plusieurs
territoires passés en d'autres possessions, comme Genève et Chypre, ce qui
n’est pas du gout de ses commanditaires.
Finalement sous leur pression, il reconnaît le bien-fondé de l'origine
saxonne de la maison de Savoie et entérine la politique d'expansion des Ducs vers
l'Italie.
La publication de cet ouvrage
lui valut la croix de Saint-Maurice et un titre d’Historiographe de France.
La seconde édition, publiée
chez Michel Briolo à Turin en 1778 est la plus complète puisqu’augmentée de
suppléments depuis 1660 (date de la première édition) jusqu’à 1778. Elle est
abondamment illustrée dans le texte de gravures sur cuivre représentant des
portraits et des sépultures gravés par Pitarelli, Valperga et autres, et de
gravures sur bois par Cagnoni et Mercorus (sceaux, monnaies, écussons
armoriés...).
A la suite de l’ouvrage a été
relié, comme dans d’autres exemplaires de cette édition, à la fin du tome lV,
du même auteur : la Bibliotheca Sebusiana. Editio nova, Ibid., 1780, en 147 pp.
7/ Thomas Blanc,
l’abbréviateur. (1668)
Après la somme de Samuel
Guichenon, il devenait difficile pour les historiographes de rivaliser en
matière de recherche ou d’exposé. Thomas Blanc eut une idée pour remplir sa
charge : Faire très court, là où Guichenon avait fait très long.
Cet historiographe officiel du
duc Charles-Emmanuel II est né aux Allues [15], en Tarentaise, le 2 août
1637. Son père Nicolas, fils de Claude Blanc, avait été nommé notaire aux
Allues par lettre-patentes de Victor-Amédée, duc de Savoie, datées de Turin, le
12 Novembre 1634. L’un de ses frères, Gaspard Blanc, fut aussi fait notaire,
dans la même localité, le 30 octobre 1665.
En publiant l’Abbrégé de
l'Histoire de la Royalle Maison de Savoye contenant tout ce qui s'est passé de
plus remarquable depuis son origine jusques à Amé VIII, premier Duc de Savoie, l’auteur
a puisé dans les chroniques précédentes et il soutient que son ouvrage manquait
à la gloire des Princes de Savoie en ce qu’il constitue un résumé qui ne se
perd pas dans les détails inutiles, travail difficile à remplir, dit-il, quand
on sait le nombre de faits glorieux réalisés par les ancêtres du présent duc.
Il dédit chacun des trois
tomes de son abrégé à un membre de la famille régnante : Le duc
Charles-Emmanuel, la Duchesse Marie-Jeanne- Baptiste et le jeune prince de
Piémont. Ces trois épitres sont particulièrement obséquieuses mais cette
excessive flatterie devait être une précaution nécessaire pour ne pas finir en
prison. Un autre ouvrage de Thomas Blanc sur l’histoire de Bavière sera
sévèrement censuré par le duc de Savoie [16]. Au XVIIème siècle, il ne
suffit pas de rapporter des faits historiques, il faut être rompu à la
politique.
L’édition originale lyonnaise
en trois volumes [17],
parue à Lyon chez Jean Girin et Barthélémy Rivière, est difficile à trouver.
Elle a été réimprimée en 1677. Ornée d’un titre frontispice et de trois
portraits gravés par Audran d’après Lamonce représentant le Prince, son épouse
et l’héritier de la dynastie.
A la fin du dernier volume se
trouve le précieux Catalogue des chevaliers de l’ordre du Collier de Savoye,
dit de l’Annonciade.
8/ Francesco FERRERO DI
LAURIANO (1703)
Pour clôturer cet ensemble,
voici l’Augustae regiaeque Sabaudae domus arbor gentilitia, publié à
Turin chez Jean-Baptiste Zappata en 1703, seule édition de ce rare recueil de
portraits des ducs de Savoie.
L’édition est bilingue
latin-français. Chaque biographie des princes est présentée en lettre ronde
pour le latin puis en lettre italique pour le français.
A la manière de ce qu’avait
réalisé Philibert Pingon cent vingt ans plus tôt, l’auteur présente un portrait
de chacun des membres de la dynastie, dans des encadrements ovales et des
contours ornementaux élaborés, sous-titré d’un résumé biographique gravé en
latin.
L’impressionnant frontispice a
été dessiné par J. C. Granpinus et gravé par G. Tasnière, il est daté de 1703.
Tasnière (c. 1632-1704), élève de Claude Mellan, est un illustrateur prolixe de
cette période et ses œuvres se retrouvent dans de nombreux livres illustrés
publiés à Turin.
Il s’agit d’un ouvrage
d’apparat dans un imposant format in-folio (24 x 38 mm) consacré à
l'iconographie savoyarde, depuis ses origines antiques jusqu'au règne de
Victor-Amédée II. Il comprend dans sa version originale 32 portraits dessinés
par J. D. Lange d’Annecy, gravés par Giffart et Bouchet. Les lettrines sont
exécutées dans un style typique du baroque turinois.
Par la suite, dans certains
exemplaires, le portrait de Charles-Emmanuel III, monté sur le trône en 1730 a
été ajouté. (signé par Ph. Allet et daté de 1732), suivis, à l’image du Pingon,
de médaillons "muets" pour accueillir les portraits des futurs souverains
successifs. L’exemplaire Textoriana contient donc en tout 34 portraits et un
médaillon muet.
L’ensemble des livres présentés illustre assez bien l’évolution de l’historiographie savoisienne. Il m'en reste néanmoins encore quelques-uns à trouver pour compléter la collection. Guichenon qui les a tous lu cite - outre ceux décrit ici - la Généalogie de Julien Taboué (1560), moitié en prose, moitié en vers, l’Histoire de Charles le Bon d’un auteur anonyme, l’Histoire de Savoie en italien de Dominique Machanée, milanais, Louis de la Chiesa et son Histoire du Piémont, et encore Antoine Delbene, Pierre Monod, jésuite, Pierre-Paul Orengiano, etc…
Bonne journée,
Textor
[1] Alde 17
et 18 Décembre 2010. (782 lots)
[2]
Dispersée à l’hôtel des ventes de Lyon du 10 au 18 Mai 1897 en huit vacations
(1232 lots)
[3] Laurent
Ripart, Les fondements idéologiques du pouvoir des comtes de la maison de
Savoie (de la fin du Xe au début du XIIIe siècle), université de Nice,
1999, tome II, p. 496-695.
[4] Amédée
III serait le premier à signer par la formule comte de Savoie en 1125.
Auparavant ses prédécesseurs se disaient comtes de Maurienne. Ce changement de
titre entérine l’extension du territoire qui englobe dès lors la Savoie Propre,
la Maurienne et les autres possessions des Humbertiens dans le Royaume de
Bourgogne.
[5] Samuel
Guichenon en possédait deux manuscrits et il nous dit à la préface de son
livre : Le plus ancien M.S. que nous ayons est l’ancienne Chronique de
Savoie composée en vieux gaulois en forme de roman, par un auteur incertain qui
vivait du temps du Comte Verd (Amédée VI). Jean de Tournes au supplément
de l’Histoire de Savoie de Guillaume Paradin l’appelle la Chronique de Monsieur
de Langes parce que le Président de Langes de Lyon en avait une. Elle est dans
les archives de S.A.R. à Turin et dans plusieurs cabinets. J’en ai deux
exemplaires. Cette chronique commence à Bérold et finit au Comte Rouge (Amédée
VII) inclusivement.
[6] Paris,
Jean de La Garde, 27 mars 1516. In-folio.
Bechtel, C-149. - Moreau, 1300. - Brun, p. 152
[7] Sur la
vie et les œuvres de Champier, voir P. Allut, Étude biographique et
bibliographique sur Symphorien Champier, Lyon, 1859.
[8] Voir John Macfarlane, Antoine
Vérard, Londres, Bibliographical society at the Chiswick Press, 1900. Le
bois du f. xlviii est reproduit fig. XVI, celui du f. lxxi, reproduit fig. XI.
[9] Voir
l’article sur le Premier livre de Vers de Marc-Claude de Buttet in Textoriana
Mai 2025.
[10] Ad beatissinam virginem
mariam Briansonis, cujus imago inter flammas illoesa remansit….
[11]
Grillet, Dictionnaire historique, littéraire et statistique des départemens
du Mont Blanc et du Léman, Chambéry, Puthod, 1807, Tome III, p. 142.
[12] Merland,
XXV, p. 239. Saffroy, III, 4999. Manno-Promis, I, 19 (Pour l’édition de Lyon,
Scipion Lasserme, 1630). Rossotto, p. 329 (Edition de 1628, pour laquelle il
écrit : Rare édition originale dont nous connaissons qu’un seul exemplaire
conservé à l’Université du Maryland).
[13] La
bibliothèque savoisienne de feu Jean Faga de Chambéry contenait une autre
publication de Jean Frisat, citée par Grillet, le poème sur l’Isère Isarae
fluminis convivium seu vallis Tarentasiae descriptio, Chambéry, 1600.
[14] Periegesis
Rerum Genevae, in qua urbis status temporalis & spiritualis à fundamentis
exegetice describitur
[15] Grillet
nous dit qu’il était de Chambéry mais il s’agit d’une erreur.
[16] Sept
lettres adressées à Thomas Blanc, Historiographe de Savoie de l’Abbé
Million in Recueil des mémoires et documents de l'Académie de La Val d'Isère.
Vol 2 1868 pp. 477 et s.
[17] 3
volumes in-12 de [24]-558-[18] ; [12]-432-[34] ; [12]-372-[100] pp,
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