lundi 29 août 2022

L’imprimeur de Cologne Bartholomeus de Unckel (1477)

L’imprimerie est arrivée très tôt à Cologne, ville universitaire en plein essor, sans doute peu de temps après le sac de la ville de Mayence (28 Octobre 1462) par l’entremise du typographe Ulrich Zell dont la présence est attestée pour la première fois dans cette ville le 17 Juin 1464 par une mention dans les registres de l’université.  

A partir des années 70, il n’est plus le seul à exercer son art. Plusieurs typographes le rejoignent : Johann Guldenschaft, Arnold Therhoernen, Johann Schilling, Johann Koelhoff l’aîné, Nicolas Goetz…

Parmi eux, le maitre-imprimeur Bartholomeus de Unckel a laissé une empreinte discrète dans l’art typographique. Il n’a utilisé qu’une seule fonte de caractères pendant sa courte carrière mais toutes ses impressions sont d’une esthétique indéniable qui les font rechercher encore aujourd’hui par les bibliophiles avertis. Je n’ai qu’un seul livre issu de ses presses, un commentaire théologique de Pierre Bersuire sur la Bible intitulé Liber Bibliae moralis. (Le livre moralisé de la Bible).

Incipit du liber Bibliae Moralis
Une page de l'ouvrage permettant d'aprécier la netteté des caractères.

C’est un extrait d’une œuvre beaucoup plus vaste intitulée Reductorium morale, une encyclopédie dont l’objectif est d'exposer la leçon morale qui peut être retirée de tous les objets considérés (Dieu, les anges, les démons, l'Homme, les organes du corps, les animaux, les plantes, les minéraux, les éléments physiques, etc...). Le Reductorium était originellement composé de 13 livres, mais comme l’explique la préface, de nouvelles idées conduisirent à la rédaction de 3 livres supplémentaires : Liber de naturae mirabilibus (XIV), Ovidius moralizatus (XV) and Liber bibliae moralis (XVI), chacun avec son propre prologue. Ainsi, le livre XV est un commentaire moral des Métamorphoses d'Ovide (Ovidius moralizatus), et le présent livre XVI un commentaire moral de la Bible.

L’ouvrage eut un grand succès et une large diffusion ; Il en existe une cinquantaine d’exemplaires manuscrits dans les bibliothèques publiques et les quatre premières versions incunables sont celles d’Ulm et de Strasbourg (1474), suivies par deux autres, en 1477, celle de Cologne par Bartholomeus de Unckel [1] et celle de Deventer, par Richard Paffraet.

Nous manquons d’une quelconque information sur les circonstances de la vie de Bartholomeus de Unckel. Son nom permet de déduire qu’il était originaire d'Unkel sur le Rhin, petite bourgade rurale à une vingtaine de kilomètres de Bonn et une cinquantaine au sud de Cologne. Il était alors fréquent que les imprimeurs portassent le nom de leur ville d’origine, ce fut le cas pour Ulrich Zell, Nikolaus Götz von Schlettstadt, Goswin Gops von Euskirchen, Petrus in altis de Olpe, Ludwig von Renchen, etc.

Unkel était une cité en plein développement, qui entamait la construction de ses fortifications et qui entretenait de nombreux liens, tant économiques que religieux, avec Cologne. La majeure partie de la production de vin du Rhin, principale source de revenus d'Unkel, partait pour Cologne. Les seigneurs de Breitbach, originaires d'Unkel, donnèrent des abbés à l'abbaye bénédictine de Cologne et un Arnolt von Unckel, moine de l'ordre franciscain, était Évêque auxiliaire de Cologne.  

Pages de l'ouvrage rubriquées et enluminées à l'époque.

Nous ne savons rien non plus de sa formation universitaire mais il y a tout lieu de penser qu’elle se déroula à Cologne qui était la zone d’attraction intellectuelle naturelle pour les habitants de la région du Churköln. Les recherches les plus récentes n’ont rien donné à ce sujet et pourtant Maria Rissel, pour sa thèse [2], avait épluché le registre universitaire de Cologne au XVe siècle. Aucun étudiant ou aucune obtention de diplôme universitaire n’apparait sous le nom de Bartholomeus de Unckel. Son nom n'apparaît pas non plus dans les registres des autres universités allemandes alentours, ni dans les listes de commémoration des défunts ou même sur les registres des fonctionnaires de Unkel publié par Hans Vogts. 

Il faut donc se contenter de ce que nous apprend la liste de ses éditions. Il exerça le métier d’imprimeur entre la fin de l’année 1475 jusqu’en 1484, voire un peu plus si l’on prend en compte une impression de mars 1486 d’attribution douteuse, puis il disparut complètement de la vie économique ce qui peut vouloir dire qu’il est mort brutalement ou bien qu’il est entré dans un couvent pour se retirer du monde comme cela arrivait parfois pour les intellectuels âgés. Son matériel typographique fut recueilli par Quentell.

 Bartholomeus de Unckel n’utilisait ni numérotation de pages, ni signature et il ne mentionnait que très rarement la date d’achever d’imprimer. Sur la petite quarantaine d’ouvrages [3] sortis de ses presses seulement 9 d’entre eux portent une date. Et la plupart des autres sont mentionnés dans les catalogues des bibliothèques publiques comme étant « autour de 1480 », sans plus de recherche pour établir une chronologie. Quand un imprimeur n’utilise qu’un seul type de caractère il est bien difficile d’utiliser la typographie pour replacer ses travaux dans le temps !

Par chance, l’ouvrage de Pierre Bersuire qu’il a imprimé est bien daté au colophon : Impressum per me Bartholomeus de Unckel sub annis dominis mille quadringentis septuagentaseptem, ipso die sancte ghertrudis. (Année de seigneur 1477 (et le 17 Mars) fête de saint Gertrude). Il s’agit donc d’une des productions de ses premières années d’activité.

Filigrane à la sirène au miroir. (Briquet 13858)
Le papier utilisé par Bartholomeus de Unckel provenait de Troyes en Champagne.

Un autre filigrane avec la lettre P surmontée de fleurs de lys. 

Nous ne savons pas davantage qui lui apprit l’imprimerie mais il parait avoir été en relation avec le premier imprimeur de la ville, Ulrich Zell, lui-même probablement formé dans l’atelier des associés de Gutenberg, Furst et Schoefer. Les caractères forgés par Bartholomeus de Unckel, un type gothique antica, présentent bien des similitudes avec les caractères de Zell mais aussi avec ceux de Terhoernen et de Quentell. Pour ce dernier, c’est sans doute parce qu’ils auraient partagé leur matériel typographique. En effet à partir de 1479, Bartolomeus de Unckel est associé à l’imprimeur de Cologne Heinrich Quentell. Au moins une édition est reconnue comme une œuvre de collaboration, la bible illustrée en langue allemande, mais il est possible qu’il y eût d’autres partages de travail bien que leurs deux noms n’apparaissent jamais ensemble, le plus probable étant que de Unckel travaillait en sous-traitance pour Quentell.

Bartholomeus a produit presque exclusivement des ouvrages en langue latine et essentiellement des livres religieux. Il avait débuté en 1475 par les homélies de saint Grégoire puis il enchaina avec d’autres œuvres des Pères de l'Église (Léon Ier, Augustin, Jérôme), ponctué par des manuels d’instruction pour les curés, comme le Manipulus Curator(um) de Guy de Montrocher de 1476, un classique du genre, continuellement réimprimé jusqu’à ce que le concile de Trente ne le rende obsolète en 1566.

Après la publication de l'édit de censure par le pape Sixte IV, qui soumet à l’autorisation préalable de l’Eglise l’impression des textes religieux, on dit que Bartholomeus de Unckel fut l'un des imprimeurs qui se conformèrent aux règlements qui y sont mentionnés, comprenant notamment l’interdiction des livres hérétiques, bien sûr, mais aussi la diffusion de la Bible en langage vernaculaire. Il peut dès lors paraitre étonnant que de Unckel ait pu participer, en 1479, à l’ambitieuse entreprise d’Heinrich Quentell pour Johann Helmann et Arnold Salmonster à Cologne et Anton Koberger à Nuremberg, consistant à imprimer la magnifique Bible en allemand avec la glose de Nicolaus de Lyra [4], dont les pages sont magnifiquement illustrées de gravures dans les marges et dans le texte.  Une œuvre qui sort du champ de production habituel de Bartholomeus de Unckel et qu’il n’aurait certainement pas pu mener seul pour la simple raison qu’il manquait à l’évidence de soutien financier. Le seul fait qu’il n'ait utilisé qu’un seul type, au cours de sa carrière, est bien la preuve qu’il était désargenté.

La Bible illustrée, exemplaire conservé à la Bibliothèque de Munich.

Certains biographes comme Voullième prétendent que la collaboration avec Quentell se poursuivit après 1479 pour la raison que Bartholomeus de Unckel enchaina l’année suivante avec un autre texte en allemand, un texte juridique dont Quentel se faisait la spécialité. Pourtant seul le nom «Bartholomaeus de Unckel » apparait au colophon. Ce livre juridique est le Sachsenspiegel, le miroir des Saxons, un coutumier qui passe pour l'une des premières œuvres en prose de la littérature allemande. C’est un témoignage important des débuts de l’unification des parlers moyen-allemands. Bien qu'il ne constitue qu'un recueil particulier du droit coutumier saxon, cet ouvrage acquit rapidement une telle influence qu'il s'imposa comme un texte juridique fondamental pour toute l’Allemagne du Nord, au-delà de la Saxe. Quentel en imprimera une nouvelle version en 1492.

Le Miroir des Saxons (Sachsenspiegel) de Eike von Repgow imprimé par Unckel.  [H]Ir begynet dat r[e]gister des eyrsten boukes des Speygels der Sassen ... (Bibliothèque de Cologne)

A la suite de cette incursion hors du domaine religieux, Bartholomeus de Unckel produira entre 1480 et 1484 différentes œuvres de Jean Gerson, Jean Nider, Saint Thomas d’Aquin, Saint Augustin. Son dernier texte connu, datable de 1484 et signé BDV, est une collaboration avec Johann Koelhoff l’ancien. Ce sont les opuscules de saint Bonaventure que ce dernier mènera à terme après l’arrêt probable de l’activité de Bartholomeus de Unckel, suite à son décès ou à un autre évènement.

Colophon de Unckel et ex-dono.

Sous le colophon de notre ouvrage figure une mention manuscrite de donation [5]. A peine 7 ans après la date d’achevé d’imprimer, Adam de Welnis, prêtre, fit contribution de ce livre à la communauté des Bogards de Zepperen, près de Saint Trond dans la province du Limbourg. Cette communauté d’artisans, essentiellement des tisserands, existait au moins depuis 1418. C’est un certain Jean de Gorre, habitant du village qui donna et assigna en l’honneur de saint Jérome un champ d’une contenance de 3 bonniers et demi, situé à Zepperen ( Jacens in parrochia villae de septemburgis alias dicte Seppris) afin d’y placer des frères bogards que le Prince-évêque Jean de Heinsbergh institua en abbaye du Tiers-Ordre de St François en 1425. Cette maison obtint rapidement divers privilèges jusqu’à devenir le chapitre général du Tiers ordre de St François.

En 1485, lors d’un chapitre tenu à Hoegarden, il fut arrêté que tous les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux couvents de la Province qui avaient été obtenus ou acquis en faveur du Tiers-Ordre seraient transférés au chapitre général de Zepperen afin qu’ils ne fussent pas transférés à un autre Ordre ou appliqués à une autre fin. La décision fut consignée par le notaire dans un acte du 16 Octobre 1486.

La mention sur l’origine de la donation rappelle donc que celle-ci est antérieure d’un an à l’affectation générale des biens appartenant à la communauté et cette précision pourrait avoir eu son importance en rapport avec la décision du chapitre et confirmer ainsi l’affectation du livre à la communauté de Zepperen. L’utilisation du mot ‘contulit’ (contribue) plutôt que ‘donner’ semble être un indice allant dans ce sens.

Mentions sur la première garde.

Quoiqu’il en soit le livre est resté longtemps en possession des Bogards car il était encore dans leur bibliothèque 120 ans plus tard, en 1604, lorsqu’un autre bibliothécaire précisa sur le premier feuillet blanc le titre de l’ouvrage, le nom de l’auteur  et l’appartenance au Campus Sancti Hieronymi de Zepperen. Il y était encore certainement en 1744 lorsque de Saumery décrit les lieux dans ses Délices du pays de Liège ...

Bonne Journée

Textor

 

Annexe : Liste des impressions de Bartholomeo de Unckel

 présentes dans les Bibliothèques Publiques selon l’ISTC

 

1475     - Gregorius I, Pont. Max : Homiliae super Evangeliis. Add: Origenes: Homiliae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel], 9 Dec. 1475. – f°. – ISTC ig00419000

1475     - Leo I, Pont. Max : Sermones. Add: Johannes Andreas, bishop of Aleria, Letter. Symbolum Nicaenum. Testimonia quod Jesus semper verus sit deus et verus homo [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 1475]. – f°. – ISTC il00133000

1476     - Guido de Monte Rochen : Manipulus curatorum. Add: Jacobus de Fusignano: De arte praedicandi. Simon Alcock: De modo diuidendi thema pro materia sermonis dilatanda. Ars moriendi Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 6 Apr. 1476. – 4°. – ISTC ig00572000

1477     Berchorius, Petrus : Liber Bibliae moralis [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, 17 Mar. 1477. – f°. – ISTC ib00339000


1477     - Keyerslach, Petrus : Passio Christi ex quattuor evangelistis [Cologne : Bartholomaeus de Unkel], 20 Dec. 1477. – 4°. – ISTC ik00019000

1479     - Biblia [Low German]. With glosses according to Nicolaus de Lyra's postils Cologne : [Bartholomaeus de Unkel and Heinrich Quentell, for Johann Helmann and Arnold Salmonster in Cologne and Anton Koberger in Nuremberg, about 1478-79]. – f°. – ISTC ib00637000

1480     - Flores poetarum de virtutibus et vitiis ac donis spiritus sancti [Cologne: Bartholomäus von Unckel, vers 1480]

1480     - Eike von Repgow : Sachsenspiegel: Landrecht - Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 1480. – f°. – ISTC ie00021000

1480     - Flores poetarum de virtutibus et vitiis, sive Sententiae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC if00221000

1480     - Garlandia, Johannes de : Composita verborum (Comm: Johannes Synthen). With Low German gloss [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC ig00074850

1480     - Gerson, Johannes : Conclusiones de diversis materiis moralibus, sive De regulis mandatorum. Add: Opus tripartitum de praeceptis Decalogi, de confessione et de arte moriendi [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC ig00208000

1480     - Gerson, Johannes : Conclusiones de diversis materiis moralibus, sive De regulis mandatorum (I). Add: Opus tripartitum de praeceptis Decalogi, de confessione et de arte moriendi (II) [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC ig00208300

1480     - Hieronymus : Vitae sanctorum patrum, sive Vitas patrum. [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – f°. – ISTC ih00202000

1480     - Johannes de Verdena : Sermones "Dormi secure" de tempore [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – f°. – ISTC ij00447000

1480     - Maximilianus : Vita ac legenda sancti Maximiliani [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC im00382500

1480     - Nider, Johannes : De morali lepra [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC in00192000

1480     - Tabula in omnes Sacrae Scripturae libros. Vocabula difficilium verborum bibliae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – f°. – ISTC it00005000

1480     - Traversanus, Laurentius Gulielmus, de Saona : Modus conficiendi epistolas [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1480]. – 4°. – ISTC it00427810

1480     - Cordiale quattuor novissimorum [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, [about 1480]. – 4°. – ISTC ic00886000

1481     - Hieronymus : De viris illustribus. Add: Opuscula Gennadii, Isidori et aliorum de scriptoribus ecclesiasticis [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1481]. – 4°. – ISTC ih00193000

1481     - Johannes de Hildesheim : Liber de gestis et translatione trium regum [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, 1481. – 4°. – ISTC ij00338000

1481     - Nider, Johannes : Manuale confessorum [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1481]. – 4°. – ISTC in00186000

1481     - Rolewinck, Werner : De regimine rusticorum [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, not before 1481]. – 4°. – ISTC ir00294000

1481     - Thomas Aquinas : De eucharistia ad modum decem praedicamentorum, sive De corpore Christi (Pseudo-). Expositio orationis dominicae [possibly no. 7 of his Opuscula?]. Add: Nicolaus de Lyra: Dicta de sacramento [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1481]. – 4°. – ISTC it00293000

1482     - Augustinus, Aurelius [Cologne : Bartholomaeus de Unkel], 9 Aug. 1482. – 4°. – ISTC ia01252000

1482     - Augustinus, Aurelius : De disciplina christiana [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01261000

1482     - Augustinus, Aurelius : De doctrina christiana [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01262000

1482     - Augustinus, Aurelius : De moribus ecclesiae catholicae [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01296000

1482     Augustinus, Aurelius : De vita christiana. De dogmatibus ecclesiasticis [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1482]. – 4°. – ISTC ia01358000

1482     - Gregorius I, Pont. Max : Dialogorum libri quattuor [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, [not after 1482]. – 4°. – ISTC ig00404000

1482     - Jacobus de Voragine : Tractatus super libros sancti Augustini [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, 1482?]. – 4°. – ISTC ij00203000

1483     - Cordiale quattuor novissimorum [Cologne] : Bartholomaeus de Unkel, 1483. – 4°. – ISTC ic00891000

1484     -Epistolae et Evangelia [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, about 1484]. – 4°. – ISTC ie00064230

1484     - Psalterium [Cologne : Bartholomaeus de Unkel, between 1475-1484]. – 8°. – ISTC ip01044500

1484     - Bonaventura, S : Opuscula [Cologne] : B.D.V. (Bartholomaeus de Unkel) [and Johann Koelhoff, the Elder], 1484[-85]. – f°. – ISTC ib00924000

1486     - Coelde van Munster, Dirk : Kerstenspiegel [Low German] Christenspiegel (Hantbochelgin oder Spegel des Kirstenmynschen) [Cologne : Bartholomaeus de Unkel?], 7 Mar. 1486. – 8°. – ISTC ic00747700




[1] Il existe plusieurs transcriptions de son nom. L’imprimeur lui-même écrit invariablement Bartholomeus de Unckel dans chacun des colophons qu’il a laissés (Bersuire, Montrocher, Grégoire, Jean de Hildesheim, etc.). Nous opterons pour cette version. La forme internationale retenue par la BNF est Bartholomäus von Unckel mais on le trouve à l’entrée Bartholomaus de Unkel dans l’ISTC.

[2] Voir Maria Rissel Späte Ehren für den Frühdrucker Bartholomäus von Unckel - Heimersheim : M. Rissel, 1999.

[3] 36 entrées selon l’ISTC, voir la liste en annexe.

[4] Biblia, Übers. aus dem Lat. Mit Glossen nach der Postilla litteralis des Nicolaus de Lyra, Vorrede und Register, Köln, [ca. 1478/79] BSB-Ink B-494 - GW 4308]

[5] Dns (Dominus) Adamus de Walonis pbr (presbyter) contulit campo gloriosi Jheromini -  ?? - conventui 3ij (tertii) ord (inis) almi ? - Pres(byter) - francisce  in zeppere hunc librum a° (anno) xiiij c lxxxiiij°, amore ihu (Ihesu) Xri (Christi) pro eo orate, ce qui peut être transcrit approximativement par Maitre Adam de Welnis (ou Walonis), prêtre, a donné au Champ saint Jérome .. couvent du tiers ordre de Saint François de Zepperen ce livre en l’année 14 cent 84, priez pour lui et l’amour de Jésus Christ.

mercredi 20 juillet 2022

Le Lancelot du Lac imprimé par Benoist Rigaud en 1591.

Le roman de chevalerie a connu une grande vogue pendant tout le moyen-âge et à la Renaissance. A partir des années 1480, une centaine d’œuvres médiévales (romans antiques, matière arthurienne, chansons de geste et romans d’aventures) ont été mises à jour et remaniées pour l’impression et plusieurs milliers de volumes imprimés.

Dans ma collection des romans de chevalerie imprimés au XVIème, je ne pouvais pas passer à côté des Grandes prouesses, vaillances et héroïques faits d’armes de Lancelot du lac, peut-être l’œuvre la plus connue de la matière de Bretagne. Lancelot du Lac, figure emblématique de l’amour courtois, est un personnage central du cycle arthurien. Apparu comme personnage principal à la fin du XIIème siècle dans l’œuvre du poète Chrétien de Troyes, Lancelot ou le Chevalier de la Charrette, son épopée sera continuée par Godefroi de Lagny puis déclinée en multiples versions aux XIV et XVème siècles.

 

La page de titre de l’édition de Benoist Rigaud. Au-dessus de l’adresse, un blason d’argent à trois bandes de gueule représente les armes fictives des Benoïc [1].

Suivre l’évolution des différentes éditions du Lancelot est intéressante en ce qu’elle donne une idée de la transformation du goût des lecteurs pour ce qu’ils appelaient au XVIème siècle les vieux romans.

Il y eut 5 éditions imprimées successives avant celle de Benoit Rigaud [2]. La première, par Jean Le Bourgeois à Rouen pour le premier volume et Jean Du Pré à Paris pour le second, date de 1488. Suivront celles d’Antoine Vérard (1494), qui en fait une édition de référence offerte au roi Charles VIII et qui sera copiée à l’identique par Michel Le Noir (1513 puis 1520), Philippe Le Noir (s.d.) et Jean Petit (1533). Ensuite, le roman ne sera pas réédité pendant près de 60 ans avant que Benoist Rigaud ne sorte sa propre version.

Les premières éditions, au format in-folio ou in-quarto, parfois sur vélin et agrémentées de figures, étaient des éditions de luxe destinées à la riche société lettrée.  Au fil des rééditions, le soin apporté à l’ouvrage et la diminution de l’illustration montrent que les imprimeurs réduisaient leur mise de fonds, signe probable d’un moindre intérêt des lecteurs pour cette vieille histoire.

L’opus de Benoist Rigaud tranche nettement sur les éditions précédentes, tant par sa conception que par sa réception. Alors que la plupart des productions éditoriales de Benoist Rigaud dans le domaine du roman de chevalerie sont des rééditions, ce qui évite d’avoir à obtenir ou racheter un privilège, Le Lancelot de 1591 est quant à lui une nouveauté littéraire, un remaniement conçu et commandité sans doute par le libraire lui-même.

Quelques pages du Lancelot de Benoist Rigaud

Celui-ci est l’un des plus prolifiques éditeurs lyonnais de la seconde moitié du XVIème siècle, le fondateur d’une dynastie qui va se maintenir jusqu’au XVIIIème siècle. Son activité s’étend sur presque toute la seconde moitié du siècle, dès 1555 (en association avec Jean Saugrain, de 1555 à 1558) jusqu’à 1597, date de sa mort. Il imprime le chiffre considérable de mille cinq cents titres environ. Il s’est fait une spécialité des romans de chevalerie à la qualité d’impression et aux papiers assez médiocres destinés à un public moins fortuné. Il puisait largement dans les romans d’aventures et les chansons de geste [3].  Le Lancelot entre parfaitement dans cette politique éditoriale ; il fait partie des trois textes arthuriens qu’il publie après le Nouveau Tristan de Jean Maugin en 1577 et la Devise des armes des chevaliers de la table ronde du temps du tresrenommé Artus en 1590.

A cet égard l’ouvrage se rapproche davantage de la littérature de colportage, dont il est une préfiguration. Il est imprimé en lettres rondes (Alors que l’usage était d’utiliser des lettres gothiques pour les romans de chevalerie, même pour les productions tardives du XVIème siècle.) au format petit in-8, sur 166 pp. et n'offre qu'un modeste abrégé de l'œuvre médiévale. Il n'en reste qu'une succession de "briefs sommaires donnans au plus près l'intelligence du tout", comme le précise le titre, des phrases lapidaires retraçant uniquement l'action, fidèlement mais sans dialogue ni description. Ceci dit, cette édition n'en demeure pas moins recherchée et fort rare.

L’histoire débute à la naissance de Lancelot en la marche de Gaule et de la Petite Bretagne alors que Ban de Benoïc et son frère Boort de Gaume se font attaquer par Claudas, roi de la Terre Déserte, les obligeant à chercher refuge auprès d’Arthur, roi de la Grande Bretagne. Ban de Bénoïc voyant son château détruit meurt de désespoir et le petit Lancelot encore au berceau est recueilli par la Dame du Lac.

L’histoire enchaine les évènements sans laisser au lecteur le temps de souffler : Merlin le magicien, engendré au corps d’une damoiselle par un démon incube, tombe amoureux de la Dame du Lac et lui enseigne le secret de l’art de nigromance qui permet d’enfermer un homme dans un cercle si puissant qu’il n’en peut sortir. Aussitôt mis en pratique, la Dame du Lac enferme Merlin dans un tombeau de la forêt de Darnantes, en Brocéliante… On connait la suite. Parvenu à l'âge adulte, Lancelot devient l'un des meilleurs chevaliers de la Table Ronde. Son amour pour la reine Guenièvre le rend impur et lui interdit ainsi d'accomplir la quête du Graal.

Le preux chevalier ne tint pas ses promesses...

Benoist Rigaud s’est très certainement inspiré d’une version imprimée et non pas manuscrite du Lancelot puisqu’il a découpé le livre en 3 parties comme l’avait fait Vérard avant lui. Il annonce qu’il a dépoussiéré le vieux texte pour le mettre en bon language françois, ce qu’avaient déjà fait les transcripteurs précédents sans le dire, et il substitue au prologue d’origine, dont la dédicace à Charles VIII n’a plus d’intérêt, une adresse au lecteur où il tint à peu près ce langage :

Amy Lecteur, m’estant tombé entre les mains une histoire non moins belle et honneste que plaisante et toute pleine de récréation, contenant les actes généreux et victoires merveilleuses obtenues diversement par Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Benoïc, le plus preux et vaillant chevalier de la Table Ronde, je n’ay voulu permettre qu’elle demeurast ensevelie sous un plus long silence et obscurcis des ténèbres d’oubli.

Il est vrai que le silence avait duré plusieurs décennies et il poursuit en rappelant que l’objectif principal de son livre est de distraire le public des soucis du quotidien et des troubles du temps (les guerres de religion) par des histoires qui pourraient paraitre fabuleuses (lesquelles plusieurs blâment tant les appelant songes vains et inutiles pour hommes oisifs) mais qui, à y regarder de plus près, sont matière à de profitables enseignements sur les relations et les passions humaines. Là où les prédécesseurs avaient insisté sur la valeur d’exemple donné par le roman à la jeunesse, Benoist Rigaud préfère mettre en avant le délassement ludique.

Dernière innovation de cette édition, l’apparition en fin de volume, pour la première fois, d’une table qui a la particularité de classer divers épisodes du roman par ordre alphabétique et non chronologique. J. Taylor a montré qu’il ne s’agissait pas d’une table des rubriques [4], celles-ci n’étant pas reprises à l’identique mais condensées à travers les diverses entrées de l’index. Autrement dit c’est un nouvel abrégé de l’histoire pour des lecteurs très pressés. Elle relève également des exemples où l’entrée de l’index, pour un même chapitre, se focalise sur un événement différent de celui annoncé par la rubrique. En revanche, c’est une particularité unique car, si les tables alphabétiques existaient déjà depuis longtemps pour les livres liturgiques ou des ouvrages scientifiques ou informatifs, il n’y avait pas de précédent pour un roman. 

La table des rubriques

Malgré la modernisation opérée par Rigaud, le succès ne fut pas au rendez-vous car l’ouvrage ne fut pas réédité et il faudra attendre le XIXème siècle pour voir la renaissance de la matière arthurienne. Si la transcription qui en avait été faite à la demande de Benoist Rigaud ne trahissait pas l’œuvre initiale et en respectait le déroulé, il lui manquait peut-être l’essentiel : un style et une composition empreints de mystère et de rêve, en un mot… la magie.

Bonne Journée

Textor



[1] Armorial des chevaliers de la Table Ronde. 1400 - BM de Lille, ms 329.

[2] Voir l’article de Gaëlle Burg : De Paris à Lyon, les mutations éditoriales du Lancelot du lac, in Carte Romanze 3/1 (2015): pp.287-311; 352-58. Et encore : La production éditoriale de Benoît Rigaud et son catalogue chevaleresque par Francesco Montorsi in Carte Romanze. Rivista di Filologia e Linguistica Romanze dalle Origini al Rinascimento: V. 2 N. 2 (2014).

[3] Dans cette catégorie, je vous présenterai, un jour peut-être, l’Histoire merveilleuse et notable de trois excellens et très renommez fils de roys, Paris, Benoist Rigaud, 1579.

[4] Jane Taylor, Rewriting Arthurian Romance in Renaissance France. Genève, Droz, 2014.  



lundi 20 juin 2022

Les Epitres du Chancelier Michel de l’Hospital, exemplaire Monmerqué. (1585)


 Voici un de mes livres préférés qui allie à la sagesse de la Renaissance la poésie des vers latins, à une reliure aux armes une belle typographie sur un papier bien blanc, et pour couronner le tout plusieurs provenances illustres. Quoi rechercher d’autre ?

Michel de l’Hospital est la figure même de l’humaniste du 16ème siècle.  Poète et homme politique, héritier de la pensée érasmienne, c’est un témoin éclairé de la vie publique française pendant plus de 30 ans. Il fut successivement conseiller au parlement de Paris (1537), ambassadeur au concile de Trente, maître des requêtes, surintendant des Finances (1554), puis finalement chancelier de France (1560). Son nom reste associé aux tentatives royales de pacification civile durant les guerres de religion.

Reliure aux armes de l’ouvrage (18ème siècle)

Page de titre des poèmes latins de Michel de l’Hospital.

En parallèle de son œuvre législative (Ordonnance de Moulins) et des publications politiques (Traité de la réformation de la justice, Harangues, mercuriales et remontrances, Mémoire sur la nécessité de mettre un terme à la guerre civile (1570), Le but de la guerre et de la paix (1570), Discours pour la majorité de Charles IX et trois autres discours, etc.), Michel de l’Hospital a composé des poèmes en latin, les Carmina seu epistolae [1], sous forme d’épitres adressées à ses amis et à ses relations politiques. C’est un recueil en 7 chapitres qui ne fut publié qu’après le décès du chancelier en 1585, par son petit-fils Hurault de l'Hospital avec l’aide de Jacques du Faur de Pibrac, Jacques-Auguste de Thou et Scévole de Sainte-Marthe.  Bien imprimé par Mamert Patisson pour le compte de la veuve de Robert Estienne, il se présente parfois dans des reliures aux armes [2] comme l’exemplaire présenté.

L’ouvrage est intéressant pour la beauté des vers mais aussi pour les nombreuses références autobiographiques qu’il contient ainsi que pour les informations historiques que donne Michel de l’Hospital sur les évènements de son temps.  Les pièces du recueil ont été composées sur une longue période, entre 1543 et 1573, les premières sont rédigées alors que l’auteur est en mission au concile de Trente. Elles ne sont pas sans rappeler certains vers des Poemata de Joachim du Bellay pour leurs thèmes du voyage et de l’exil.

La plupart des poèmes du recueil sont inédits. Quelques épitres seulement avaient déjà paru dans les pièces liminaires d’autres ouvrages, comme les épîtres III, 8-10 [3] dans les Poemata du cardinal du Bellay en 1546 ou l’épitre III, 17 dans un ouvrage juridique d’André Tiraqueau, ou encore dans deux des recueils poétiques de Jean Salmon Macrin (En 1546 et 1549). D’autres poèmes avaient été traduits par Antoine du Baïf ou Joachim du Bellay et enfin L’hospital orchestra lui-même la diffusion d’une dizaine de plaquettes imprimées en 1558 et 1560 par le jeune imprimeur Fédéric Morel qu’il contribua ainsi à lancer [4]. Les pièces poétiques circulaient aussi sous forme manuscrite, savamment diffusées par son auteur, cette diffusion concertée permettant à L’Hospital de créer et puis d’affermir un réseau de relations d’amitié et de clientèle qui ont pu favoriser son ascension sociale.

Les destinataires des poèmes sont très variés, ce sont des prélats (Le cardinal Jean du Bellay, le cardinal de Lorraine, Georges d’Armagnac), des lettrés (Pierre du Chastel, maitre de la librairie du Roi François 1er, Achille Bocchi, humaniste italien, Pontrone, Eusèbe Turnèbe imprimeur reconnu), des poètes (Joachim du Bellay [5], Salmon Macrin), ou des hommes de loi (le chancelier François Olivier, Adrien du Drac).

Parmi tous ces destinataires, le nom de l’un d’eux retient l’attention : pas moins de onze pièces sont dédiées à Marguerite de France, duchesse de Savoie, fille de François 1er et de Claude de France et sœur d’Henri II. La princesse le nommera Chancelier privé du Berry en 1550 et dira de lui Michel est celuy que j’ayme, honore et estime comme mon pere et milieur ami. [6]

De fait, les Carmina recueillent les plus beaux portraits de Marguerite et reflètent leur long entretien amical et politique au fil des années. Ils se font l’écho de leurs lectures communes (Horace, Cicéron, Flaminio, Du Bellay), de leurs sentiments partagés, de conseils de lectures, de vie et de gestion du pouvoir. Dans une des plus belles lettres, l’épitre II-8 Ad Margaritam, Regis Sororem [7], l’auteur lui confie ses doutes sur la recherche de la vérité et sa peur de tomber en disgrâce, dans l’oubli et l’obscurité : Nostra vagatur / In tenebris, nec caeca potest mens cernere verum.[8] La formule plaira à Montaigne qui la fera graver sur une poutre de sa librairie.

 

Une des onze épitres adressées à Marguerite de Savoie

L'épître II-8 à Marguerite de Savoie

Les poètes de la Pléiade goûtaient-ils les vers néo-latins du puissant chancelier ? Les avis semblent contrastés. Joachim du Bellay reconnait du bout des lèvres une certaine grâce qui n’a rien d’Horatienne.

 Lors que je ly & rely mile fois / Tes vers tracez sur la Romaine grâce / Je pense ouïr, non la voix d’un Horace / Mais d’un Platon les tant nombreuses loix [9].

En bref, l’angevin trouve que L’Hospital composait comme un juriste !

Ronsard, qui sera destinataire de plusieurs épîtres, se montre plus charitable envers son protecteur. En 1550, le Vendômois lui dédit une ode pindarique sur les Muses, en guise de remerciement au lendemain de sa querelle avec le vieux poète de Cour Mellin de Saint Gelais.

C’est luy [L’Hospital], dont les graces infuses / Ont ramené dans l’univers / Le Chœur des Pierides Muses / Faictes illustres par ses vers / … Cest luy qui honore, & qui prise / Ceulx qui font l’amour aux neuf Sœurs, / Et qui estime leurs doulceurs, / Et qui anime leur emprise. [10].

Eloge appuyé mais pas nécessairement très sincère. L’hospital avait fait circuler une élégie-plaidoyer « au nom de Ronsard » (Elegia nomine P. Ronsardi adversus eius obtrectatores et invidos ) qui faisait parler Ronsard en distiques élégiaques latins afin de justifier la qualité de ses odes dont le style pindarisant avait été ridiculisé par Saint-Gelais devant le roi. Exercice compliqué pour Ronsard qui devait à la fois agréer cette élégie du pseudo-Ronsard écrivant en latin pour défendre une œuvre critiquée pour être en français….

Une marque de provenance 

Un feuillet contrecollé sur la première page du livre porte l’information suivante : "Par Michel de l'Hospital. Epistolarum ...vol petit in-f° vendu 18 fr à la vente Monmerqué en 1840". Le docteur Jean-Paul Fontaine, alias le Bibliophile Rhémus, a rapidement identifié l’exemplaire sous le numero 628 de la seconde vente Monmerqué, non pas en 1840 comme l’indique par erreur la note manuscrite mais en 1851. L’importante bibliothèque de Louis-Jean-Nicolas Monmerqué fut dispersée lors de 3 ventes : les autographes en 1831, la première vente partielle de livres en 1851 et la seconde à son décès en 1861.

Si l’auteur de la note manuscrite avait pris le soin d’indiquer la provenance et de relever le prix lors de la vente aux enchères, il n’aurait pas commis une telle erreur sur la date de l’évènement. Il faut en déduire qu’il l’a inscrite bien plus tard ou que l’information lui a été (mal) rapportée par un tiers.

Louis-Jean-Nicolas Monmerqué, était magistrat et littérateur. On lui doit des notices biographiques (Brantôme, 1823 ; Madame de Maintenon, 1828 ; Jean Ier, 1844, in-8°) et surtout des éditions de documents anciens comme les Collection de mémoires relatifs à l’histoire de France, depuis Henri IV jusqu’à la paix de Paris (1819-1829, 130 vol. in-8°) ou les Lettres de Mme de Sévigné (1818-1819, 10 vol. in-8°), etc. Ses travaux lui ont valu d’entrer à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1833.


Extrait du catalogue intitulé « Vente d’une partie de la bibliothèque de M. de Monmerqué » Imprimerie de Panckoucke, 1851.

Un journaliste témoin de la seconde vente écrivait à l’époque : « Depuis plus de huit jours, les amateurs de livres sont captivés par la vente d’une partie considérable de la célèbre bibliothèque de M. de Monmerqué, … (les livres) dont M. de Monmerqué vient de publier le catalogue sont généralement recommandables ou par leur rareté, ou par leur importance historique, philologique et littéraire. Chaque soir, on s’en dispute la possession avec l’acharnement le plus louable, et cependant il arrive encore que l'absence ou la distraction des amateurs, le retard apporté dans certaines commandes, laissent à si bas prix des adjudications qu’on eût voulu pousser bien au-delà. Les dix-sept premières vacations sont exclusivement consacrées aux livres imprimés ; le lundi 4 juin verra commencer la série des manuscrits, qui se continuera pendant les cinq vacations suivantes. » Une bonne partie des lots de cette vente aurait été achetée par de la Rochebilière.

Reliure aux armes de Mathias Poncet de la Rivière

Avant Monmerqué, l’ouvrage était dans la bibliothèque de Mathias Poncet de la Rivière (1707-1780) qui avait fait confectionner une nouvelle reliure au XVIIIème siècle et placer ses armes au centre des plats : « qui portent d'azur à une gerbe d'or, supportant à dextre et à senestre deux colombes affrontées et becquetant et surmontée d'une étoile, le tout d'or ».  Celui-ci fut nommé évêque de Troyes en 1642 puis obtint différentes commendes à l’abbaye de Montebourg et à l’abbaye de Sainte Bénigne à Dijon, tout cela sans quitter Paris. Il est connu pour sa résistance au Jansénisme et il s'est fait remarquer par ses prêches et ses oraisons funèbres qui seront publiées en 1804.

La notice des principaux articles de la bibliothèque de feu Monseigneur Poncet de La Rivière. (Paris, Colas, 1780) contenant la description de sa bibliothèque est citée par Guigard [11] et devait faire mention de l’ouvrage que j’ai sous les yeux, mais cette notice semble avoir disparu. Elle n’est portée ni au catalogue de la BNF ni à celui d’une autre bibliothèque publique.

Dans son grand âge, Michel de L’Hospital se retira à la campagne, loin du tumulte public et continua à écrire des vers comme dans sa jeunesse. Condorcet dira de sa poésie qu’on y trouve partout un goût simple et pur, formé par l’étude de l’antiquité, une philosophie élevée et consolante, la haine de l’oppression et du fanatisme, l’amour des lettres et du repos [12]. Voilà bien ce qui dut séduire les générations de bibliophiles qui se sont transmis ce livre.

Bonne Journée

Textor



[1] Pour une traduction du livre 1, voir Petris, L. (Ed.). (2014). Michel de L'Hospital, Carmina, livre I (Vol. 531). Genève: Droz.

[2] Un exemplaire aux armes de Charles de Rohan-Soubise était proposé par une librairie de Los Angeles il y quelques années.

[3] La numérotation actuelle des épitres se fonde sur l’édition la plus complète (Amsterdam, B. Lakeman, 1732) qui n’est pas celle de l’édition de 1585. Un tableau de concordance des principales éditions des Carmina a été publié dans Petris, La Plume et la tribune, p. 549-556.

 [4] Voir Michel Magnien, Le Plomb Et Les Sceaux : Les Publications Poétiques De Michel De L’hospital Chez Fédéric Morel (1558-1560) in Michel De L’hospital Chancelier-Poète, Cahiers Humanisme et Renaissance n. 168 - Droz

[5] Aucun poème n’est destiné à Joachim du Bellay nominativement mais l’épître I, 5 à Pontrone est intitulée Ad Ioachimum dans le manuscrit et contient une comparaison entre Tibulle et Du Bellay, poète latin qui avait inspiré ce dernier. 

[6] Marguerite de Savoie à L’Hospital, [fin novembre 1567] in Michel de L’Hospital, Discours et correspondance, Discours et correspondance : La plume et la tribune II, Librairie Droz 2013, p. 225-226, n. 56.

[7] Epitre II-8 selon le classement actuel mais en 8-2 pp. 83 dans l’édition de 1585.

[8] Notre esprit erre dans les ténèbres et ne peut, aveugle qu’il est, discerner le vrai.

[9] Joachim Du Bellay, Les Regrets et autres œuvres poëtiques, Paris, Fédéric Morel,

1558, s. CLXVII, v. 1-4, fol. 40vo

[10] Ode a Michel de l’Hospital, [Odes 9-11], Livre V des Odes, Paris : Guillaume Cavellart, 1550.

[11] Joannis Guigard, Nouvel Armorial du Bibliophile, Guide de l’Amateur des livres Armoriés, Paris 1890.

[12] Condorcet - Éloge de Michel de l’Hôpital, Œuvres de Condorcet, Didot, 1847 (Tome 3, p. 463-566).

Portrait de Michel de l'Hospital - Musée du Louvre

vendredi 27 mai 2022

Joachimi Bellaii Andini Poematum : Les élégies latines de Joachim du Bellay, angevin (1558)

En 1553, Joachim du Bellay quitte la France pour accompagner son oncle, le cardinal Jean du Bellay, à la cour pontificale de Rome. La perspective de vivre sur les lieux où vécurent tant de figures antiques et de découvrir les antiquités de Rome l’enthousiasme. Il compte jouer un rôle politique.

Mais il va rapidement déchanter, déçu par Rome, par les intrigues de la Cour comme par les missions qu’on lui confie. Le cardinal du Bellay est tombé en disgrâce auprès du roi de France et ne peut guère influer sur le cours des évènements. Joachim s’ennuie. Plusieurs fois, il envisage un retour au pays natal mais l’espoir d’une brillante carrière diplomatique le retient à Rome. Réduit à administrer l’intendance de la maison du cardinal, il met à profit ses longues périodes d’oisiveté en écrivant des poèmes en français ou en latin, alternant les sonnets, les élégies, les œuvres satiriques et les épigrammes.

L’édition des Poemata chez Fédéric Morel, au Franc Meurier.

En août 1557, Joachim tombe malade et souffre de plus en plus de surdité, le cardinal Jean du Bellay le renvoie en France. Le poète loge au cloître Notre-Dame chez son ami Claude de Bizé, auquel il s'adresse dans les sonnets 64, 136 et 142 des Regrets.

En janvier 1558, il fait publier par Fédéric Morel, tenant boutique rue Jean de Beauvais, ses trois principaux recueils : Les Regrets, Les Antiquités de Rome et les Poemata. Alors que les Antiquités de Rome évoquent la grandeur et le déclin de l'ancienne capitale du monde, Les Regrets fustigent la corruption de la Rome moderne et témoignent de la douleur de l'exil. Joachimi Bellaii Andini Poematum libri Quatuor est un recueil plus hétérogène, composés de 162 pièces inédites divisées en quatre parties distinctes : Elegiae, Epigrammata, Amores et Tumuli. La première partie, les élégies, constitue le pendant latin des Regrets. Leur date de parution peut-être estimée à novembre ou décembre 1558 puisqu’ils contiennent une épitaphe de Saint Gelais, mort le 14 octobre (Tum. 39) bien qu'ils portent au verso de leur page de titre un privilège à la date du 3 mars, qui protège les autres recueils publiés bien plus tôt dans l’année comme les Antiquitez.

La lettre dédicace du Chancelier Francois Olivier à Fédéric Morel 

Ad Lectorem

Il peut paraitre paradoxal que celui qui avait critiqué neuf ans plus tôt dans Défense et illustration de la langue française, ces poètes néo-latins, pâles imitateurs de Cicéron, suive le même chemin. Et d’ailleurs, Du Bellay en est quelque peu embarrassé et tient à se justifier dans la préface Ad Lectorem.

Mais le paradoxe n’est qu’apparent. La Défense distinguait déjà l’imitation servile et improductive des anciens à l’imitation inspirée et créatrice des poètes de l’antiquité. Or, c’est par référence à Ovide que du Bellay use du latin, la langue de l’exil, tout comme Ovide avait utilisé le sarmate pour composer Tristes. « Ce n'est l'air des Latins, ni le mont Palatin, Qui ores, mon Ronsard, me fait parler latin …. C'est l'ennui de me voir trois ans et davantage, Ainsi qu'un Prométhée, cloué sur l'Aventin… »

Par ailleurs, son séjour à Rome lui avait permis de côtoyer deux poètes néo-latins italiens, Janus Vitali et Lelio Capilupi qui furent ses amis, c’est donc tout naturellement et à leur contact qu’il expérimente les formes poétiques latines, qui entraine en retour la production d’une poésie dont la richesse et la variété n’ont pas d’équivalent dans les recueils en langue française.

La partie du recueil contenant les Elégies est construite avec beaucoup d’habileté pour suggérer une progression du sentiment de l’exil. La première élégie décrit le poète embarqué sur la mer hostile que constitue la poésie latine. Puis les trois suivantes sont écrites autour de la première épreuve que connaît le poète : les séductions romaines. Tandis que l’élégie 7, « Patriae desiderium » (le Regret de la Patrie), s'inscrit dans le cycle des trois élégies suivantes, qui traduisent une deuxième épreuve pour le poète : la nostalgie du pays natal. Cette septième élégie retient l’attention car c’est la version latine, largement inspirée d’Ovide, du plus connu des sonnets français de du Bellay : Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage.

Felix qui mores multorum vidit et urbes, sedibus et potuit consenuisse suis ! …

Quando erit ut notae fumantia culmina villae, et videam regni jugera parva mei ?

(Heureux celui qui a vu les mœurs et les cités de beaucoup (de peuples) et a pu vieillir dans sa demeure ! … Quand arrivera-t-il que je voie les toits qui fument d'une maison connue et les petits arpents de mon royaume ?)

Cette élégie est construite sur l’alternance entre des passages sombres, marqués par le regret de la France (vers 7 et s. puis vers 29 et s.) avec des passages sur le désir d'une autre patrie, celle de Rome (vers 18 et s.). Le poème est ainsi construit, de façon formelle, sur l'alternance et la dualité de la posture de l'exilé, qui se situe à la fois entre deux patries - l'une dans laquelle il se situe géographiquement, et l'autre dans laquelle il se situe sentimentalement - entre désir et regret. [1]

Elegie 7

En dehors des vers inimitables du poète, l’ensemble de l’ouvrage retient l’attention par sa composition typographique, particulièrement attrayante. Du Bellay avait eu jusque-là eut recours à Guillaume Cavellat, Arnoul l'Angelier ou Gilles Corrozet pour faire imprimer ses œuvres mais il n’était pas très satisfait de leur travail et il s’adressa donc à Fédéric Morel, tout juste installé au clos Bruneau.  La vocation typographique de Fédéric Morel commença, dans l’atelier de Charlotte Guillard, à l’enseigne du Soleil d’Or, où il était correcteur des impressions savantes publiées par la maison. Il épousa en 1550 Jeanne Vascosan, la fille de l’imprimeur Michel Vascosan et petite fille de Josse Bade. Cette longue lignée de typographes renommés obligeait à l’excellence. Du Bellay écrit dans l’épitre au lecteur des Divers Jeux Rustiques : « car combien que ce qui est le meilleur de mon ouvrage ne mérite l'impression, si est ce que j'ayme beaucoup mieulx que tu le lises imprimé correctement que dépravé par une infinité d'exemplaires, ou, qui pis est, corrompu misérablement par un tas d'imprimeurs non moins ignorants que téméraires et impudents. »

Fédéric Morel s’était vu mettre le pied à l’étrier par Michel de l’Hospital qui lui avait demandé de publier entre 1558 et 1560 une dizaine de plaquettes de ses épitres, jusqu’alors diffusées sous forme manuscrite. Morel avait démarré sa production au prix d’investissements très importants : il utilisa dès ses premiers tirages un papier troyen d’excellente qualité, très blanc et lisse et, pour se lancer, il ne récupère pas, à la différence de ce qu’avait fait Vascosan en 1532 avec les fontes de Bade, les polices de caractère de son beau-père. Au moment de ses premières impressions, il dispose en effet de fontes neuves, et magnifiques, gravées par Claude Garamont (en particulier cet élégant italique de corps 14 dans lequel sont composés tous les textes de L’Hospital) [2]

Lettrine B du matériel de Fédéric Morel

Quelques pages du recueil

Du Bellay ne fut pas déçu. Les exemplaires des éditions exécutées à l'officine du Franc-Meurier en 1557 et 1558 sont bien imprimés. Les caractères sont neufs leurs arêtes sont vives, les barres des lettres apparaissent nettement et la mise en page est particulièrement élégante. Quelques années plus tard, les impressions de Morel seront moins belles.

Joachim du Bellay, heureux de ses relations avec son imprimeur, continua de lui confier l'exécution de ses travaux. Les Regretz et autres œuvres poétiques avaient obtenu un grand succès, et l'édition était épuisée. Joachim du Bellay en publia une seconde en 1559 ; il fit paraître aussi une seconde édition de Epithalame sur le mariage du duc de Savoye. Seuls les Poemata ne furent jamais réimprimés par Morel.

Bonne Journée

Textor



[1] Œuvres Poétiques de Joachim Du Bellay, Volume VII : Œuvres latines, Poemata. Paris, 1984, Nizet, édition présentée par Geneviève Demerson.

[2] Voir Michel de l’Hospital,  chancelier-poète sous la direction de Perrine Galand-Willemen et Loris Petris Genève, Droz 2014