lundi 29 janvier 2024

Antoine Favre, Président du Sénat de Savoie

Les œuvres du jurisconsulte Antoine Favre (1557-1624) font partie de ces livres qui ne sont plus très recherchés aujourd’hui mais qui constituaient pourtant un must dans les bibliothèques du Duché de Savoie sous l’Ancien Régime. Elles ont été rééditées à de nombreuses reprises et je me devais d’en placer quelques échantillons dans ma bibliothèque savoyarde.  

Cet austère magistrat, infatigable travailleur, acquit une réputation qui dépassa largement les frontières du petit Etat de Savoie. On le surnommait le Prince des Jurisconsultes et il parait qu’à l’occasion d’une rentrée du Parlement de Paris, l’Avocat Général qui portait la parole demanda à ses confrères de ne jamais citer une opinion de Favre sans mettre la main au bonnet.

L’édition originale des Conjectures d’Antoine Favre (1581)

Les Conjectures, Début du Livre Premier

Dédicace à René de Lyobard du Chatelard

Il est vrai que sa pensée était claire et synthétique et qu’il eut le mérite de trouver des chemins nouveaux dans cette matière du droit romain qu’on étudiait depuis mille ans et où il paraissait que tout avait déjà été dit. Parmi les nouveautés figure la codification de la pratique, autrement dit la mise forme des recueils de jurisprudence, notamment celle du Sénat de Savoie dont il allait devenir le Premier Président.

La Savoie avait ceci de particulier que d’avoir un Sénat souverain, c’est-à-dire une sorte de Cour Suprême qui édictait les lois et les appliquait tout en même temps.

Ce privilège avait été obtenu du duc - et les Chambériens n’en étaient pas peu fiers - à l’issue de la longue occupation française du duché de Savoie (1536-1559) sur la souche d’un parlement établi sur le modèle capétien du Conseil Résident, remontant au XIIIe siècle. Le Sénat de Savoie représentait l’aînée des quatre autres cours souveraines de justice de Turin, de Nice, de Casal et de Gènes établies à sa suite par la Maison de Savoie dans les possessions continentales de ses Etats.

Ce qui était décidé par le Sénat un jour pouvait être modifié le lendemain. Rien ne pouvait le lier, pas même sa propre jurisprudence et il n’avait pas l’obligation de motiver ses arrêts qui constituaient la loi. Il va sans dire que toutes ses décisions étaient scrutées et abondamment commentées dans de volumineux grimoires que l’imprimeur Geoffroy Dufour, tenant boutique dans une rue proche du Senat, couchait sur du beau papier avec vignettes et frontispices. Les publications juridiques avaient généralement au titre la qualification de Bref recueil ou d’Abrégé pour faire oublier qu’elles ne contenaient jamais moins de 600 pages.

Brief recueil des Edicts (1642)

Antoine Favre, grâce à son autorité et ses compétences, parvint à la tête de ce Sénat de Savoie après une carrière fulgurante. Il était né dans la Bresse, alors en territoire savoyard, d’une famille de haut magistrat et il avait fait ses études au collège de Clermont à Paris puis à l’université de Turin.

À 22 ans, en 1579, il est avocat et docteur en droit. Il publie sa première œuvre deux ans plus tard, en 1581, chez Jean II de Tournes à Lyon. Ce sont les trois premiers livres des Conjectures du droit civil. Il aurait pu faire imprimer l’ouvrage à Chambéry mais pour une raison que nous ne connaissons pas – peut-être parce que le seul imprimeur de la ville ne parvenait pas à satisfaire cet homme pressé - il choisit de se rendre à Lyon, où les imprimeurs abondaient et où la qualité de leur travail n’était plus à démontrer.

Jean II de Tournes rendit une copie parfaite. Le titre Conjecturarum juris Civiis Libri III figure dans un encadrement architectural classique, typique des pages de titre de cette période. Ce que la lecture des Conjectures peut avoir de rébarbative pour le bibliophile d’aujourd’hui est largement compensée par la belle typographie et les subtiles mises en page de l’imprimeur.   

Le privilège accordé à Jean de Tournes pour dix ans, 
rédigé en caractères de civilité. 

La dédicace du Livre Second à Claude Guichard

Conjectures, Livre III

Le livre débute par une longue préface de 12 pages adressée à René de Lyobard, seigneur du Chastelard, conseiller d’Etat de Son Altesse et président du Souverain Sénat de Savoie, en date du 1er février 1581. La teneur du texte et l’identité de son destinataire nous renseigne sur les ambitions du jeune juriste dont tout porte à croire qu’il a préparé son livre dès l’époque de ses études toutes récentes. Dès l’entame, Antoine Favre tape fort ; Il n’hésite pas à écrire qu’il regrette qu’on ne puisse remettre en cause l’opinion des éminents prédécesseurs qui ne sont exempts ni de lacunes ni d’erreurs. A quoi servirait l’édition de nouveaux livres si on doit répéter ce qui a déjà été écrit, juste à gonfler le profit des imprimeurs ? [1]

Une préface qui donne une idée du caractère et de l’autorité de l’auteur !

 Elle est suivie par un extrait du privilège d'imprimer, rédigé en caractère de civilité, consenti à Jean de Tournes, libraire et imprimeur de sa Majesté, pour dix ans. La date indiquée sur ce privilège est 1574, ce qui n’est guère possible car Antoine Favre ne pouvait pas avoir écrit ce livre avant d’avoir terminé ses études de droit, aussi doué soit-il. L’achevé d’imprimé est du 21 Juillet 1581.

Chacun des trois livres de ce volume est adressé à un dédicataire différent : le Livre Premier au professeur de droit Jean-Antoine Manuce de l’université de Turin qui enseigna probablement le droit à Antoine Favre ; Le Livre Second, à Claude Guichard, Maitre des Requêtes puis Grand Référendaire et Historiographe de Savoie, plus connu aujourd’hui pour son célèbre ouvrage sur les Funérailles et diverses manières d'ensevelir des Romains, grecs et autres nations, paru cette même année 1581 chez Jean II de Tournes, lequel va utiliser le même encadrement au titre, en forme de portique romain. Claude Guichard, né à Saint Rambert-en-Bugey, était un compatriote de Favre qui le considère comme son ami au-delà des joutes verbales et des controverses doctrinales qui semblent les avoir opposés, d’après ce qu’il en dit dans sa dédicace.

Le troisième et dernier livre est dédié au sage et docte Pierre II de Boissat (1556-1613) érudit du Dauphiné, vice-bailli de Vienne, qui étudia son droit à Valence sous Cujas. Féru de grec, il est souvent confondu  avec son fils Pierre III de Boissat (1603-1662), l’un des premiers académiciens, bien oublié aujourd’hui au point de devenir la cible de railleries dans le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostang.[2]

Quant au corps de l’ouvrage, il est divisé en chapitres, chaque chapitre correspondant à une conjecture. Chacune débute par l’idée que veut développer l’auteur ; l’argumentaire suit, puis la conclusion. Les conjectures relève les dissentions, les lieux communs (Generaliae sententiae) avec pour but de proposer de nouvelles interprétations, de découvrir des principes généraux, de résoudre des contradictions, de défendre ou de nier des opinions, et surtout de traquer les interpolations afin de corriger le Corpus Juris Civilis.


L'édition de 1581 est recouverte d'un curieux vélin marron 
sur lequel on devine par transparence qu'il s'agit d'un vélin de réemploi manuscrit.  

En 1584, à tout juste 27 ans - soit avant l'âge requis – Favre est nommé juge-mage de la Bresse et du Bugey, puis il entre au service du duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie. Il fixe alors sa résidence à Chambéry. Trois ans plus tard, il rejoint le souverain Sénat de Savoie, juste après avoir fait publier la suite des Conjectures juridiques, soient les livres 4, 5 et 6.

Le second volume des Conjectures chez B. Honorat (1586)
 La page de titre contient un ex-dono de l’auteur (Ab Auctore donatus) qui pourrait bien être de la main d’Antoine Favre lui-même.

L’ouvrage parait encore à Lyon, comme les trois premiers livres, mais cette fois-ci chez Barthélémy Honorat car, dans l’intervalle, Jean II de Tournes avait quitté la ville pour fuir les persécutions que subissaient les Protestants.

Bathélémy Honorat suit le format in-quarto et la présentation du premier ouvrage. Chaque livre, dédié à un nouveau personnage éminent, débute sur une grande lettrine historiée. L’une d’elle provient de la série aux oiseaux, gravée par Pierre Eskrich [3] ; Cette fois-ci les dédicataires sont Louis Milliet, Premier Président du Sénat, Chancelier de Savoie, Baron de Faverges et seigneur de Challes, Charles Velliet, Premier Président du Sénat et enfin René de Lucinge, seigneur des Allymes dans le Bugey qui avait fait son droit à Turin dans les mêmes années que Favre et qui était, par son mariage, seigneur de Montrosat dans les Dombes.

Début du Quart Livre adressé à Louis Millet

Dans une ville, capitale de la Savoie, à l’étroit dans ses murailles, le Sénat était hébergé dans les locaux du couvent des Dominicains, près du Marché Couvert. Le lieu possédait deux cloitres, le premier réservé aux ecclésiastiques et le second aux gens de robe. Antoine Favre s’installe dans une maison de la rue Saint Antoine, quartier un peu à l’écart, presqu’un faubourg à l’époque, mais à deux encablures du Sénat.  

Gabriel Pérouse archiviste de la Savoie, se plait à imaginer Antoine Favre à sa table, travaillant inlassablement sur son œuvre principale, qu’on appellera le Codex Fabriani : « Le jour, il y a sous ses fenêtres une certaine animation : ce sont les voyageurs, marchands, maraîchers et plaideurs qui viennent du côté d'Aix et par la route de Genève. Mais, au soleil couché, c'est le silence et la solitude... Les amis de Favre, les solliciteurs, les collègues sont partis. La Présidente, et les enfants, encore présents, se sont retirés. Tout près, de l'autre côté de la rue Macornet, chez les Jésuites, tout dort. La porte du Reclus s'est fermée et ne s'ouvrira qu'à l'aube. La ville est close. Dans le cabinet du Président, on n'entend que le bruit de sa plume, plume d'oie qui grince sur le beau papier du temps[4]»

Le dernier ouvrage de ma bibliothèque illustrant l’œuvre du grand juriste est un petit opuscule posthume, en français, le seul texte qu’Antoine Favre aurait écrit dans cette langue et qui a fait douter à certains qu’il en soit l’auteur. Pourtant on retrouve dans cet écrit qui parut pour la première fois à Genève, en 1627, chez Jacques Chouët, l’esprit de l’auteur renvoyant sans cesse les praticiens aux maximes et principes.  L’édition de 1627 contient une préface anonyme : "Tu y apprendras une science entiere de la practique, là où plusieurs autrement ci-devant ne sçavoyent que c’estoit de la Practique que par la practique mesme  & comme  on  dit,  par  routine." Il est probable qu’il s’agisse d’extraits d’écrits inédits à la mort de l’auteur.

Toujours est-il que ce livre eut beaucoup de succès, pas moins de 6 éditions différentes entre 1627 et 1699 [5].  

Le livre s’intitule dans la première édition : Abrégé De La Practique Judiciaire Et Civile, De Mre Antoine Favre, Conseiller d'Estat, & premier Président au Souverain Senat de Savoye, utile et nécessaire, non seulement à tous ceux qui estudient en droict: mais aussi à tous Magistrats, juges, Aduocats… etc. Le titre de la seconde édition est transformé en Thresor de la Practique etc….

C’est un livre qui visiblement devait être dans toutes les poches des avocats de Chambéry compte tenu de son caractère pratique et synthétique. Les exemplaires conservés ont mal supporté ce passage de poche en poche.

Je possède un exemplaire des deux premières éditions avec un doute pour l’exemplaire paru chez Jacques Chouët car la page de titre est tronquée [6]. On n’aperçoit qu’un petit tiers de la marque de l’imprimeur. Il pourrait donc s’agir de l’édition originale de 1627. Seulement voilà, l’exemplaire consulté à la BNF présente le même nombre de feuillets mais avec de menues variantes dans la mise en page et quelques fautes qui démontre qu’il s’agit d’une autre émission. Par exemple au titre du premier chapitre, le mot Abrégé est avec un seul B alors qu’il a 2 B sur mon exemplaire, et le bandeau est différent. Le problème est qu’il n’y a pas d’autre édition répertoriée à l’adresse de Jacques Chouet [7]. L’édition suivante, de 1634, n’est pas imprimée chez Jacques Chouët mais à Chambéry par Louys du Four. Il reste donc quelques recherches à faire pour savoir si l’édition de Chouët est une seconde émission de 1627, inconnue des bibliographes, ou bien une édition postérieure qui reste à identifier.

L'abrégé de la Practique à la page de titre tronquée, édition de 1627 ?
 (Bibliotheca Textoriana) 

L'abrégé de la Practique, édition de 1627
 (Exemplaire BNF)


La comparaison de la page 1 de l'Abrégé de la Practique montre des différences entre l'exemplaire Textoriana et celui de la BNF. 

L’exemplaire imprimé par Louys Du Four en 1634 [8] a ceci de particulier qu’un de ses premiers possesseurs a relié à ce texte imprimé, sous le même vélin, vers 1672, quatre-vingt-seize feuillets blancs portant une table des matières très développée et complétée de commentaires variés, des tarifs pour les diligences des auxiliaires de justice, une petite étude sur les arrêts de Monsieur de Gerpene (?), des textes de lois et des extraits de formulaires manuscrits. Certains actes font référence à la ville et aux édiles de Thonon et un modèle de formulaire est prérempli au nom de Louys Matthieu, docteur ès-droict, avocat au Sénat de Savoie et juge ordinaire dudict lieu, qui pourrait bien être l’auteur des notes.

Il serait possible de faire une étude exhaustive des revenus des gens de justice car chaque émolument est soigneusement détaillé. On apprend que les huissiers du Senat vacquant ès ville touchent 5 ff. contre 70 ff. s’ils vaquent hors la ville à cheval, oultre leurs dépens pour le louage du cheval. La vacation du seigneur président est tout simplement hors de prix, étant donné qu’il vaque à quatre chevaux.

A nous mandé par devant nous Louys Matthieu, 
docteur es droict, et juge ordinaire dudit lieu un tel pour etc….

Arrêt sur les écorces, Thonon 1672.

C’est un témoignage émouvant et inédit de la pratique d’un juriste à Thonon. Parmi les arrêts qui faisaient l’actualité cette année-là, on lit ceci : Le 30 Mars 1672, Le Senat a inhibé à toutes sortes de personnes d’enlever ou faire enlever des escorses de toutes sortes d’arbres et icelles vendre tant dans les Estats que dehors, à peine de cinq cents livres et du fouet et plus grande (peine) s’il estait (nécessaire) a requeste de Messieurs de Thonon.

Gageons que les arbres ont dû conserver leur écorce….

Bonne Journée,

Textor


[1] « Illorum certe pusillanimitas, & inhonesta verecundia excusari non potest, qui rumores, ut dici solet, ante salutem ponũt: Sed horum præcipue diligentia reprehenda est, publicis Iurisprudentiæ studýs longe magis perniciosa, quibus tot librorum millia nocent potius, nec nisi ornandis, aut verius onerandus Typographorũ officinis proficiunt ».

[2] « L’Académie est là ? Mais j’en vois plus d’un membre, / Voici Boudu, Boissat et Cureau de la Chambre, / Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud. / Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau. » (E.Rostand, in Cyrano de Bergerac)

[3] Voir l’article Pierre Eskrich, maitre brodeur et tailleur d’histoires. (1520-1590) du 08 Décembre 2020 sur ce site.

[4] Gabriel Pérouse, Causerie sur l'Histoire littéraire de la Savoie T1, Chambéry Dardel, 1934.

[5] Jacques Chouët, Genève 1627, puis Du Four, Chambéry 1634. D'autres éditions paraitront en 1650 (Genève, Pierre Chouët) 1660 et 1680 (Chambéry, Riondet) et 1699 (Annecy, Fontaine).

[6] In-12 de (8) 165 pp. (1) pp.bl sign. a-k8, l3.

[7] Une édition de 1650 est à l’adresse de Pierre Chouet (et non Jacques) mais la collation des exemplaires n’est pas disponible. Je ne sais pas si la même marque est utilisée au titre. (BM Amiens et BM de Bourg en Bresse).

[8] Petit in-8 (de taille in-12) comprenant un blason de la Savoie en page de titre, 3 ff.n.c. 166 pp. et environ 150 pages en feuilles blanches avec remarques et commentaires d'une écriture du temps.

Les Oeuvres de Favre


lundi 1 janvier 2024

La Bibliotheca Textoriana vous souhaite une bonne et heureuse année 2024.

L'Usage des globes céleste et terrestre, et des spheres 
suivant les différens systêmes du monde . Précédé d'un traité de cosmographie, 
par Nicolas Bion. (1717)
 

lundi 4 décembre 2023

Les Œuvres Poétiques des Dames des Roches (1579)

Madeleine Neveu et sa fille Catherine Fradonnet, dites les Dames des Roches, sont célèbres pour avoir animé un cercle littéraire à Poitiers vers 1570 et composé des œuvres dont les sujets sont tirés d’événements liés à ce cercle. Elles figurent ainsi parmi les rares femmes de lettres de la Renaissance, au côté de Marguerite de Navarre, Louise Labé, Madeleine de l’Aubépine et quelques autres.

Page de titre des Oeuvres poétiques de Mes-Dames des Roches de Poetiers Mère et Fille, seconde édition. Avec une coquille sur la date (MCLXXIX pour MDLXXIX)

Epitre à Ma Fille de Madeleine Des Roches

Jean-Paul Barbier Mueller avait déclaré à propos de cet ouvrage, dont il possédait l’édition originale de 1578 : « Je serai content que ce mince volume fasse aussi plaisir à son futur possesseur qu’à moi, si heureux de l’avoir déniché [1]». Je comprends ce commentaire car je ne suis pas mécontent non plus d’avoir déniché un exemplaire de la seconde édition de 1579, en partie originale, de l’œuvre poétique des Dames des Roches. Volume certes imparfait mais, selon Jean Balsamo, il ne resterait que 7 exemplaires de l’édition de 1578 et 22 exemplaires de celles de 1579 dans les institutions publiques de par le monde [2].

Madeleine Neveu naquit vers 1520 dans les environs de Châtellerault où sa famille possédait des terres, notamment la métairie des Roches. Elle épousa un procureur originaire de Montmorillon, André Fradonnet et ils eurent ensemble 3 enfants dont seule Catherine, née à Poitiers en 1542, survécut.   Nous savons peu de chose de l’éducation de Madeleine mais il est certain qu’elle était inhabituelle pour une femme de la bourgeoisie de son époque.

Madeleine épousa en secondes noces François Eboissard, seigneur de La Villée, un gentilhomme breton, avocat au présidial de Poitiers qui lui assura une certaine aisance matérielle jusqu’à sa mort en 1558. Suivirent alors des difficultés financières aggravées par la perte de plusieurs propriétés des faubourgs de Poitiers, brulées durant les guerres de religion. (Ces maisons pouvaient bien valoir deux mille livres / Plus que ne m’ont valu ma plume n’y mes livres.)

Malgré ces vicissitudes, Madeleine poursuivit son objectif entièrement tourné vers l’éducation de sa fille qui montrait des dispositions singulières pour les études. Elle maitrisait l’italien et le latin au point d’être capable de traduire plusieurs textes latins, dont deux inédits en traduction, les Symboles de Pythagore et le Ravissement de Proserpine de Claudien [3]. Sa mère ambitionnait de la voir briller dans le domaine des lettres et elle y parviendra. [4]

Epitre à ma Mère de Catherine des Roches

Tobie, Tragi-comédie écrite par Catherine

 Le passage de la Cour à Poitiers en 1577 sera l’occasion pour les deux femmes de se faire connaitre. Les dames des Roches participent à différentes fêtes organisées pour l’évènement et composent des vers. Cette brusque faveur mondaine et non plus seulement savante les incite à publier leurs textes. Elles choisissent pour cela un tout jeune imprimeur parisien, issu d’une lignée déjà connue dans le métier du livre : Abel L’Angelier [5].

L’Angelier publie un premier recueil de 109 pièces en 1578 [6] : odes, sonnets, chansons et épitaphes, en rassemblant les poèmes de la mère en première partie puis ceux de la fille. La seconde édition ne tarde pas à paraitre l’année suivante sous le même privilège, preuve du succès du livre. Aux textes précédents sont ajoutés une Requête Au Roy et six sonnets de Madeleine, complétés par Catherine d’Un Acte de la Tragi-comédie de Tobie, de six sonnets et d’une chanson, soit 124 pièces. Jean Balsamo fait remarquer qu’il ne s’agit pas d’un simple retirage de la première émission, augmentée des cahiers supplémentaires, mais bien d’une réimpression ligne pour ligne, avec d’autres caractères et d’autres ornements, présentant de notables variantes de ponctuation et d’orthographe et il regrette que, dans son édition critique, Anne Larsen n’ait pas véritablement étudié les liens entre les deux éditions, s’étant appuyée essentiellement sur la seconde [7].

Ecrit à quatre mains, et d’inspiration très ronsardienne, les poèmes n’en comportent pas moins une signature stylistique bien distincte. La mère est férue d’auteurs classiques, notamment d’Ovide et ses références mythologiques sont nombreuses et parfois pédantes. Elle préfère l'ode en hexa-, hepta- ou octosyllabes, et le sonnet en décasyllabes ou en alexandrins. Le style de sa fille est plus enjoué et plus naturel. Si les vers sont mieux tournés c’est aussi parce qu’une génération les sépare et que le français évolue vers plus de netteté. Elle s’essaie à une grande variété de genres où figurent surtout le sonnet, la chanson, le dialogue et le poème narratif. C’est Catherine qui est au centre de toutes les attentions. Les contemporains vantent autant son esprit que sa beauté. Si le cercle de Poitiers est l’œuvre de Madeleine, son succès est certainement dû à Catherine.  

En 1579, les dames des Roches parviennent au faîte de leur notoriété. Cette année-là voit débarquer à Poitiers une centaine de membres du Parlement de Paris, sous la présidence d’Achille de Harlay, afin de réformer les textes juridiques. Ce sont les Grands Jours qui vont durer du 10 septembre au 18 décembre 1579. Entre les séances de travail et pour se divertir, ces sévères juristes fréquentent le cercle des Dames des Roches. On connait l’anecdote fameuse de la puce que l’œil grivois d’un Estienne Pasquier, avocat du roi, découvrit sur le sein de Catherine [8]. Il s’ensuivit un bon mot que la compagnie repris en diverses variantes et joutes poétiques. Le tout fut recueilli par le poitevin Jacques de Sourdrai dans un recueil collectif paru en 1582 sous le titre La Puce de Madame des Roches. Ces Chantes-puce étaient des magistrats ou de doctes professeurs qu’on n’attend pas dans cet exercice, tel Barnabé Brisson, futur Président du Parlement, Joseph Scaliger, Odet de Turnèbe, Nicolas Rapin, Agrippa d’Aubigné, etc. Madeleine et Catherine des Roches y contribuèrent en donnant onze poèmes.

Au-delà de la qualité indéniable de leur style littéraire, les Dames des Roches s’inscrivent dans un mouvement que l’on qualifierait aujourd’hui de féministe. Mesdames Desroches mère & fille ont cassé la glace et monstré le chemin à leur sexe de faire bien un vers dira François Le Poulchre de la Motte-Messemé dans son Passe-temps, dédié aux Amis de la Vertu. (1595)

Epitre aux Dames

Elles ont conscience qu’elles sont un exemple pour leur sexe et dès l’épitre introductive adressée aux Dames, Madeleine répond à celles qui lui conseillent le silence : Et si vous m'advisez que le silence, ornement de la femme, peut couvrir les fautes de la langue et de l'entendement, je respondray qu'il peut bien empescher la honte, mais non pas accroistre l'honneur, aussi que le parler nous separe des animaux sans raison. Elle enchaine avec une première ode sur le même thème : Noz parens ont de loüables coustumes, / Pour nous tollir l’usage de raison, / De nous tenir closes dans la maison / Et nous donner le fuzeau pour la plume.

Poème A ma Quenouille 
sur le dilemne pour une femme de devoir tenir son ménage ou la plume.

Chanson des Amazones

A la suite, plusieurs pièces du recueil sont des allusions plus ou moins directes à la difficulté rencontrée par les femmes à l’époque de composer et de se voir publiées dans une société presqu’exclusivement masculine. En réaction, elles revendiquent le droit de tenir la plume en même temps que le fuseau et Catherine écrit de jolis vers à ce sujet dans le poème La Quenouille : Mais quenoille m’amie il ne faut pas pourtant / Que pour vous estimer et pour vous aimer tant / Je délaisse du tout cette honnête coutume / D’écrire quelque fois, en écrivant ainsi / J’écris de vos valeurs, quenouille mon souci, / Ayant dedans la main, le fuseau et la plume.

Cette plume symbolise autant la plume de l’écritoire que la plume de l’aile de la liberté.

Elles font de cette revendication un combat conjugués au pluriel sur le thème des guerrières mythologiques dans la Mascarade des Amazones et la Chanson des Amazones : Nous faisons la guerre / Aux Rois de la terre / Bravant les plus glorieux, / Par notre prudence / Et notre vaillance.

Dialogue de la Pauvreté et de la Faim

Catherine surenchérit par l'intermédiaire de son héroïne calomniée Agnodice : Car en despit de toy j’animeray les âmes / Des maris, qui seront les tyrans de leurs femmes, / Et qui leur deffendant le livre & le sçavoir, / Leur osteront aussi de vivre le pouvoir…. Des hommes qui voyans leurs femmes doctes-belles / Desirent effacer de leur entendement / Les lettres, des beautez le plus digne ornement : / Et ne voulant laisser chose qui leur agrée / Leur ostent le plaisir où l’âme se recrée / Que ce fust à l’envie une grand’cruauté / De martirer ainsi cette douce beauté.

Liberté d’écrire mais aussi liberté sexuelle. La poétique amoureuse de Catherine révèle un esprit contestataire nouveau. Elle soutient que la relation homme/ femme ne doit pas être tournée vers le seul désir masculin et le mariage. Il est presque étrange que l’ouvrage ait passé la censure avec de telles idées ! Elle se met en scène dans le Dialogue de Sincero et de Charite où Charité (La Grâce) refuse la sujétion conjugale. L’amoureux transi Sincero n’est que le faire-valoir de la belle, prétexte à des jeux de l’esprit [9]. Ce manifeste sera mis en pratique dans la vie réelle puisque Catherine, pour se vouer à ses écrits, ne se maria pas.   

Autre thème qui ne manque pas de surprendre, Catherine s’intéresse aux plus démunis dans le Dialogue de la Pauvreté et de la Faim qui dresse un tableau réaliste des disparités entre riches et pauvres en cette période troublée par les misères de la guerre civile. La Faim déclare :  Je m’en vais chez les paysans du Poitou ; il semble qu’ils vivent de faim comme les autres en meurent : depuis que la guerre m’y mena, je n’en ai guère bougé.

Après une dernière édition des Œuvres et des Secondes Œuvres parue à Rouen en 1604, les écrits des Dames des Roches vont tomber dans l'oubli pour n’être redécouverts qu’au siècle dernier. Aujourd’hui, elles ont retrouvé leur juste place : Les idées novatrices traitées dans les poèmes, le charme de la langue et cette complicité littéraire entre une mère et sa fille, en font un cas unique pour le XVIème siècle. Complicité qui se termine étrangement le même jour, par la mort des deux poétesses lors d’une épidémie de Peste à Poitiers, en Octobre 1587.

Bonne Journée,

Textor



[1] Commentaires cités dans le catalogue Christie’s de la première vente Barbier-Mueller du 23 Mars 2021 à propos du lot 19, un exemplaire de l’édition originale de 1578.

[2] Jean Basalmo, Abel Langelier et ses dames…. In Des femmes et des livres. Publication de l’Ecole des Chartes, 1999 (en ligne). N. Ducimetière porte ce nombre à 25. (In Mignonne, Allons Voir… – Fleurons de la bibliothèque poétique Jean Paul Barbier-Mueller n°72)

[3] Catherine aurait pu aussi être à l’origine de la traduction des Offices de Cicéron, œuvre bilingue parue à Chambéry chez François Pomar en 1569. Le traducteur signe la préface des initiales CDR et Jean-Paul Fontaine y voit la signature de Catherine des Roches, mais la spécialiste américaine des Dames des Roches, Anne Larsen, en doute car elle ne reconnait pas son style.

[4] George Diller - Les Dames des Roches. Étude sur la vie littéraire à Poitiers dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Paris, Droz, 1936.

[5] Jean Balsamo pense que c’est l’imprimeur parisien qui est venu les solliciter et non pas l’inverse mais il n’en explique pas la raison sinon par le fait qu’Abel Langelier débutait et était un parfait inconnu vu depuis Poitiers. 

[6] J. P. Barbier-Mueller, MBP, IV-5, 54 ; Brunet, IV, 1342. N. Ducimetière, Mignonne…, 72 ; Diane Barbier-Mueller, Inventaire…, 211 ; Tchemerzine, II, 908a ; Balsamo-Simonin, Abel L’Angelier , n° 26 ; FVB - 1565b.

[7] Anne R. Larsen in Madeleine et Catherine des Roches, Les Œuvres, Edition critique - Genève, Droz éditeur, 1993.

[8] Estienne Pasquier a profité du grand retour du décolleté carré dans la mode féminine du début des années 1580, après 20 ans de col monté qui se termine par une fraise en dentelle.  Il est donc possible que l’anecdote de la puce ne soit pas apocryphe.

[9] Selon Nicolas Ducimetière, suivant George E. Diller, Sincero, qui occupe une bonne place dans l’œuvre de Catherine des Roches, pourrait être Claude Pellejay, conseiller du Roi et maître ordinaire en la chambre des Comptes, l’un des admirateurs érudits qui fréquenta le Cénacle de Poitiers.

La marque au sacrifice d'Abel. 
Un livre imprimé avec soin par Abel L'Angelier avec des caractères qui paraissent neufs.  


mercredi 1 novembre 2023

La boutique d’un libraire parisien, au XVIIIème siècle, sur le Pont au Change.

Un libraire installé à Rennes [1], à l’ombre du Parlement de Bretagne, m’a offert l’autre jour une petite vignette gravée qu’il venait de découvrir comme marque-page d’un dictionnaire des synonymes. Rien ne me fait plus plaisir que ce genre d’attention car la gravure est fort belle. Elle représente l’intérieur d’une boutique du Pont au Change à Paris et elle nous plonge immédiatement dans le monde de la librairie sous Louis XV.

Vignette du Libraire Théodore de Hansy.

C’est une étiquette du libraire Théodore de Hansy (1700-1770) [2] qu’il insérait dans les ouvrages vendus afin de s’assurer une certaine publicité : THEODORE DE HANSY / Sur le Pont au Change / Vend les Livres / Nouveaux.

Il existe plusieurs tirages de cette vignette avec des textes différents dans le cartouche selon la réclame du moment :

- THEODORE DE HANSY / Libraire à Paris sur le Pont / au Change à St Nicolas / Vend toutes sortes de Livres / et Heures Nouvelles (vers 1739, signé de Humblot).

- THEODORE DE HANSY / Sur le Pont au Change / Vend le Véritable / Paroissien

- DE HANSY LIBRAIRE / a Paris sur le Pont au Change / Vend toutes sortes de / Livres et Heures / Nouvelles. Cette vignette est une autre version de la gravure, au dessin très maladroit et simplifié, peut-être une copie postérieure qui a perdu le charme de l’originale.

La gravure est de taille modeste (105 x 55 mm) mais suffisamment fine pour qu’il soit possible d’en décrire les trois plans : Au premier plan, la marque du libraire, à l’enseigne de Saint Nicolas que l’on voit figuré dans le cartouche en pied. La scène représente Saint Nicolas sauvant trois enfants démembrés dans un saloir, entouré de la Religion et de la Science, les pieds posés sur une pile de livres. On retrouve cette marque sur les pages de titre des ouvrages de Théodore De Hansy [3] ; Au second plan, une scène de la boutique qui n’est pas sans rappeler le tableau d’Antoine Watteau, l’Enseigne de Guersaint ; Au dernier plan, un paysage parisien vu depuis la fenêtre de l’échoppe.

Le Pont au Change est l’un des plus anciens ponts de Paris, il donne aujourd’hui sur la place du Chatelet, rive droite et devant la Tour de l’Horloge sur l’ile de la Cité.  Il s’appelait à l’origine le Grand-Pont pour le distinguer du Petit-Pont car il enjambait le grand bras de la Seine. Il avait été construit en bois et s’effondrait assez régulièrement au XIIIème siècle dès qu’il y avait une crue importante du fleuve.

Extrait du plan de Jaillot 1772 sur lequel on voit le pont au change
 qui se termine par une fourche de deux rues coté rive droite
 sur laquelle était accolé la statue des souverains.

Au XVIème siècle, un nouveau Grand-Pont le remplace, en bois et en pierre, financé par les changeurs et les orfèvres qui avaient investi les lieux. Il se nomme désormais le Pont-aux-changeurs, doublé par le Pont aux Meuniers réservés à des moulins établis sur le pont ou accrochés aux piliers. Les piles de ces deux ponts ne sont pas alignées créant, avec l’encombrement des barges, un goulet d’étranglement qui accélère le courant. Ce passage jusqu'au pont Neuf est appelé "la Vallée de la Misère" par les mariniers. C’est le nom de l’enseigne qu’avait choisi l’imprimeur Pierre Moreau dont il était question dans mon billet précédent et qui habitait non loin de là.

A la suite d’un incendie accidentel survenu sur le Pont aux Meuniers, le Pont au Change est à nouveau détruit en octobre 1621. Ils seront remplacés tous deux par un pont unique de 7 arches portant 106 boutiques surmontées de 4 étages de logements, construit par Jean Androuet du Cerceau entre 1639 et 1647, aux frais des changeurs. Avec ses 38 mètres de large, il est alors le plus spacieux de Paris.

De fait, la boutique de Théodore de Hansy parait assez spacieuse. Elle se situe dans une maison du milieu du pont. Le visiteur trouve en entrant deux comptoirs disposés de part et d’autre de la salle derrière lesquels les livres sont exposés sur des rayonnages qui montent jusqu’au plafond. Des employées derrière les comptoirs vont chercher l’ouvrage désiré. Il n’y a pas d’accès direct à la marchandise comme aujourd’hui. Ces deux employées sont des jeunes femmes élégamment habillées ; l’une d’elle parait avoir une sorte de dentelle aux manches et il semble bien que l’un des clients se laisse distraire de son ouvrage pour admirer la taille cambrée de la seconde vendeuse.

La famille de Hansy est installée sur le pont au Change depuis une quarantaine d’années déjà [4]. Claude II de Hansy (1666 – 1715) y avait exercé de 1700 à 1715 et s’était spécialisé dans les ouvrages religieux. Autrement dit, c’est déjà une institution lorsque son fils Théodore prend les rênes de la boutique, après avoir intégré l’association formée pour l'impression des usages du diocèse de Paris [5]. La vignette rappelle cette spécialisation puisque les deux clients assis représentent la clientèle habituelle de la maison, à savoir le clergé séculier figuré par un curé et le clergé régulier, symbolisé par un moine.

Il se dégage de la gravure une ambiance chaleureuse. Il semble faire bon venir dans la librairie de M. de Hansy. La salle est élégamment décorée avec des pilastres et des stucs, conforme au style d’Androuet du Cerceau.  Le client peut s’asseoir sur d’authentiques fauteuils d’époque transition et feuilleter à son aise les ouvrages qui l’intéresse ou simplement admirer la vue sur la Seine par la large baie au fond de la salle qui donne de la lumière tout en permettant de voir le fleuve ce qui n’est pas si facile à l’époque où la vue est généralement obstruée par les maisons. Seul le Pont-Neuf que l’on voit par la fenêtre est libre d’habitation – ce qui contribua largement à son succès – à l’exception d’une construction édifiée à son extrémité nord : la pompe de la Samaritaine.

Comparé avec une gravure plus détaillée de cette Samaritaine trouvée dans un recueil d’estampes gravées par Nicolas de Fer [6], le bâtiment abritant la pompe est correctement figuré avec sa décoration de statues, son horloge surmontée d’un élégant clocheton. On aperçoit même à gauche la Grande Galerie du Louvre qui se situe dans la perspective de la Samaritaine.

On doit ce travail de précision au dessinateur Antoine Humblot (16..-1758) dont la signature apparait sur certains tirages des vignettes. Ce dessinateur et marchand d’estampes aime reproduire des scènes de la vie parisienne avec beaucoup de détails. Son estampe de la rue Quincampoix où il s’attache à montrer l’agitation de la rue et les devantures des échoppes en est un bon exemple [7].

Gravure de Nicolas de Fer : la pompe de la Samaritaine. (1716)

En sortant de la boutique du libraire pour se diriger chez le relieur, rive droite, le visiteur, muni de son précieux paquet de livres brochés, tombe sur un groupe de statues de bronze sur fond de marbre noir représentant Louis XIII en compagnie d’Anne d'Autriche et du petit dauphin, futur Louis XIV, groupe sculpté par François Guillain et placé, lors de la reconstruction du pont en 1647, au-dessus de la boutique d’un marchand, qui fait l’angle de deux rues. En effet, au bout du pont, la rue se partageait en deux étroites voies. Ce groupe en bronze est là pour rappeler que le Pont au Change était le lieu traditionnel des entrées royales depuis Isabeau de Bavière, et accessoirement le passage obligé lorsque la famille royale veut se rendre du Louvre à Notre-Dame [8].

Quels ouvrages emportent les clients de Théodore de Hansy ? Il est facile de le savoir pour l’année 1754 car la Bibliothèque de l’Arsenal conserve le catalogue des livres vendus cette année-là.[9]

Pour les autres années, il faut s’en tenir à la liste donnée par la Bibliothèque Nationale :

-         Les vies des saints pour tous les jours de l'année de Gouget (1734)

-        Les confessions de S. Augustin, traduites en français sur l'édition latine des PP. BB. de la congrégation de Saint Maur. (1737)

-         Les vies des saints pour tous les jours de l'année, avec une prière et des pratiques à la fin de chaque vie. (1737)

-         Le Bréviaire de l'ordre sacré des FF. prêcheurs. (1743)

-         Heures royales, contenant l'office de la vierge. (1756)

-         Les Heures militaires dédiées à la noblesse (1759)

-     Les soliloques, Les méditations, et Le manuel de S. Augustin. Traduction nouvelle sur l'édition latine des PP. BB. de la congrégation de Saint Maur (1752)

Les heures Nouvelles de Louis Sénault (1690)



La dédicace à la Dauphine

Les fameuses sirènes de la page 210

Frontispice


Mais l’ouvrage qui se vend le mieux, dont Théodore est le plus fier et qui est souvent réédité, s’intitule Les Heures Présentées A Madame La Dauphine de Louis Senault. Toute la cour veut le sien et le fait relier dans de fins maroquins.  La première édition avait été diffusée par Claude de Hansy, en 1690 sous le titre d'Heures nouvelles tirées de la Sainte Écriture dont il existe deux tirages selon qu’on préfère voir les seins des sirènes ou pas. Mon exemplaire est la version sans les seins. C’est l’un des plus beaux livres gravés de la fin du XVIIème siècle. Son fils Théodore en fait une nouvelle édition en 1745 dédiée à Marie-Thérèse d'Espagne, dauphine de France par son mariage avec Louis de France, après avoir modifié le titre-frontispice et ajouté 6 gravures hors-texte gravées par Soubeyran et Raymond d'après les tableaux de Le Sueur, Dulin, Coypel, Guido Reni, Champaigne et Mignard.

Pour conserver cette vignette et qu’elle ne se perde pas entre les pages d’un livre quelconque, il conviendrait de la placer sur la garde d’un ouvrage sorti de la boutique du Pont au Change. Problème, je n’en possède pas. Il serait un peu anachronique de la coller dans les Heures Nouvelles, d’autant que les gardes sont en tissu de soie. Il ne me reste donc plus qu’à trouver une belle édition de Théodore de Hansy….

Bonne Journée,

Textor


[1] Sylvain Langlois, librairie Exercice de Style, 18 rue Victor Hugo, Rennes.

[2] La BNF orthographie son nom Dehansy.

[3] Par exemple, l'office de la semaine Sainte en Latin dédié à la Reine, 1749 ou encore le Dictionnaire iconologique par Honoré Lacombe de Prézel, 1756. Dans le petit Paroissien contenant l’office de l’Eglise Latin et Français de 1745, la gravure est utilisée en guise de frontispice vis-à-vis la page de titre.

[4] Parisiis, apud Claudium de Hansy, sub ponte Campsorum, vulgo, au Change, ad insigne S. Nicolai. M. DCCVI. Cum privilegio Regis. Le musée Carnavalet donne la date de 1739 pour la gravure.

[5] Association formée en conséquence du privilège royal accordé le 31 déc. 1734 pour l'impression des usages du diocèse de Paris à Pierre Simon, Jean-Baptiste III Coignard, Claude-Jean-Baptiste I Hérissant et Jean Desaint, auxquels s'adjoignent par acte du 17 fév. 1735 Antoine-Chrétien Boudet et Jean-Thomas I Hérissant, puis en 1736 Théodore Dehansy.

[6] Planche 42 tirée de L'Atlas Curieux ou le Monde représenté dans des cartes générales et particulières…etc. (1716) par Nicolas de Fer.

[7] Rue / Quinquempoix / en l’année 1720 - Musée Carnavalet, eau-forte, 408x500 mm)

[8] Ce groupe de bronze est aujourd’hui abrité par le musée du Louvre, c’est le seul vestige subsistant du Pont au Change du XVIIème siècle.

[9] Catalogue des livres de Dehansy, libraire à Paris sur le Pont-au-Change, à Saint Nicolas, 1754. In-4 de (3) pp. Cote -H-8880 (25) - Pièce n ° 25 ; Recueil factice.