mercredi 28 septembre 2022

Les Merveilles des Bains d’Aix en Savoye et autres très-excellentes sources thermales (1623)

En cette période de sécheresse estivale, alors qu’il est loisible de traverser la Leysse à pied, il m’est apparu rafraichissant de vous présenter un certain nombre de petits ouvrages sur les bienfaits de l’eau en Savoie, eau que l’on boit sans modération depuis l’époque des romains. Ce thème n’intéresse évidemment qu’une poignée d’érudits savoyards, et encore pas tous, car il faut écarter d’emblée les amateurs de vins de Cruet.

Le premier à s’être intéressé aux bienfaits des eaux d’Aix est le docteur Jean Baptiste de Cabias, médecin dauphinois, exerçant à Vienne puis à St Marcellin, qui se dit un jour qu’il irait bien vérifier sur place la qualité des eaux qu’il prescrivait à ses patients. Il entreprit le voyage, quittant sa province et son officine pour se rendre à Aix-en-Savoye goutter l’eau des thermes, ne sachant leurs propriétez et qualitez que par la coutume et usage familiers de ceux de ceste province. Il s’installa à l’auberge de la Croix-Blanche de Juin à Octobre 1621 ou 1622, puis fit publier en 1623 son petit livre intitulé Les Merveilles des Bains d’Aix en Savoye, ouvrage imprimé à Lyon par Jacques Roussin.

Titre de l'ouvrage de Cabias, 1623

Cabias fait un tour exhaustif du sujet, divisé en 2 livres et 31 chapitres, où il décrit d’abord les lieux et la forme des bains, puis la qualité et propriété de l’air, la méthode générale pour prendre les Bains, Les remèdes nécessaires à ceux qui prennent les Bains, puis il poursuit sur les diverses maladies que les eaux aident à soulager, depuis la stérilité des femmes jusqu’à la surdité, en passant par toutes les maladies de peau, la gale, la lèpre, la vérole, sans oublier la goute et la sciatique.

L’homme est curieux, énergique mais il se garde bien de vouloir pousser le temps par les espaules ni vivre trop paresseusement en curieux et chercheur, car à l’époque il vaut mieux être prudent et se garder de toute curiosité antireligieuse à vouloir trop sonder et expliquer. Il s’excuse presque d’avoir recherché ce qu’il appelle le secret des causes : C’est chose fort honnorable de scavoir ce que la nature nous enseigne mais de passer outre et apostropher le Seigneur des Seigneurs, dire beaucoup de ce qu’on ne peut rien scavoir, c’est vouloir trop entreprendre…. Petite mise au point nécessaire pour éviter d’offenser les docteurs en théologie. Ce passage rappelle toute la difficulté pour un médecin du 17ème siècle de faire des observations de « chimiatrie » sur site.



Les Merveilles des Eaux d'Aix, exemplaire Petit

A quelle école avait été formé Cabias ? Il ne le dit pas et nous ne le retrouveons pas dans les registres des universités de Lyon ou de Montpellier. Notre auteur est à la fois archéologue, médecin, chimiste. Il est aussi l’un des premiers à décrire la beauté des montagnes alentours, la douceur du site et à promettre aux malades de guérir dans un cadre enchanteur.

Les Romains se servaient des eaux d'Aix, comme des autres thermes en général, pour l’usage de la piscine et des bains de vapeur. Il reste à Aix-les-Bains des vestiges de bassins antiques et de conduits pour la vapeur. Après l'abandon des thermes romains, l'emploi des eaux fut longtemps réduit à la grotte proche de la source de soufre qu'une muraille divisait pour permettre aux-malades des deux sexes de venir s'y baigner. Nous savons peu de chose sur les traitements administrés. 

Il faut attendre Cabias et son livre pour avoir une description détaillée de l’administration des soins. A son époque, l’usage est aux bains, sudations et douches qu'on fait tomber « du plus haut qu'on peut ». Le traitement par l'eau était pour le moins énergique :  Pour le séjour des malades dans les bains, c'est d'une petite demi-heure, car tout aussitôt que le coeur manque et qu'on abonde en sueurs sur le visage, il faut se faire porter hors du bain, autrement on tomberait en syncope. Après le bain, se couvrir d'une robe de chambre, se mettre dans une chaise, chacun se fait porter dans son logis où l'on se couche dans un lit bien chauffé pour suer une demi-heure.

L’exemplaire présenté provient de la bibliothèque du docteur Blanc, dispersée en 2010, et avant elle de la bibliothèque du médecin lyonnais Marc-Antoine Petit avec son super-libris doré sur le premier plat. Chirurgien-Major de l’Hôtel-Dieu de Lyon, membre du conseil municipal, et de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, il légua une partie de sa bibliothèque à la ville de Lyon.

Devenu rarissime, pour ne pas dire introuvable, l’ouvrage manquait à la plupart des bibliothèques médicales bien qu’il avait été réédité en 1688 [1] ; aussi le docteur Léon Brachet décida, en 1891, de le faire réimprimer par Ducloz à Moutiers en Tarentaise avec une préface et des notes bibliographiques par Victor Barbier (1828-1898), le célèbre conservateur de la bibliothèque municipale de Chambéry. C’est une copie page à page du texte original, sur beau papier, l’auteur n’hésitant pas à reproduire à l’identique ou dans leur style les lettrines gravées, bandeaux et culs de lampe. Le tirage est de 500 exemplaires, tous numérotés.

La réimpression du docteur Brachet

Cet ouvrage marque le début d’une longue suite de publications consacrées aux eaux d’Aix, parmi lesquelles nous pouvons citer, parmi les principales, celles de :

1/ Jean Panthot : Brèves dissertations sur l'usage des bains chauds et principalement des eaux d'Aix, Lyon, Jacques Guerrier, 1700. 

2/ Joseph Daquin: Analyse des eaux thermales d'Aix en Savoye, dans laquelle on expose Les diverses manières d'user de ces eaux, la méthode & le régime de vivre qu'il convient de suivre pendant leur usage, & les différentes maladies pour lesquelles elles sont employées ; avec plusieurs Observations qui y sont relatives, pour en constater les propriétés. Chambéry, de l'imprimerie de M. F. Gorrin, imprimeur du Roi, broché de l'épitre au Roi, de la préface et des préliminaires. Edition originale selon Quérard mais il existe des exemplaires à la date de 1772, avec la même pagination mais dont le faux titre et le titre sont différents.

L'Analyse des Eaux d'Aix par Joseph Daquin, 1773

L'analyse des eaux d'Aix par le citoyen Socquet, 1802

Plan de la grotte inséré dans l'ouvrage de Socquet

Le médecin savoyard Joseph Daquin, outre son statut de créateur de la médecine psychiatrique dite aliéniste, présente un intérêt tout particulier pour le thermalisme car c’est en constatant la méconnaissance des eaux thermales et leur prescription aveugle qu'il a décidé de mettre en œuvre ses recherches et de proposer son analyse.

Il évoque notamment dans cet ouvrage les thermes romains qui furent redécouverts par hasard l'année de la publication de son étude. Sa thèse, fort rare, établie scientifiquement la qualité des eaux d'Aix et leur prépondérance.

L’ouvrage sera republié sous le titre Les Eaux thermales d'Aix dans le département du Mont Blanc, Chambéry, Cléaz 1808.

3/ Socquet, Analyse des eaux thermales d'Aix (en Savoie), département du Mont-Blanc, Chambéry Cleaz, 1802.

4/ Constant Despine : Manuel de l'Etranger aux eaux d'Aix ; Annecy, Burdet, 1834.

Si les eaux d’Aix font merveilles, ce ne sont pas les seules car il faut compter aussi sur les vertus des eaux de Challes et de la Boisse, pour rester dans les environs de Chambéry.

Celles de la Boisse retiennent l’attention des bibliophiles en raison de la longue polémique qu’elles déclenchèrent au sujet de leurs bienfaits supposés. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui, dans la banlieue industrielle de Chambéry, cette source qui coulait inlassablement au pied d’une colline boisée. Elle aurait pu changer le destin de la cité des ducs, faisant de Chambéry une station thermale capable de rivaliser avec Challes-les-Eaux ou Aix-les-Bains.

Déjà, en 1738, le docteur François Grossy, ami de Mme de Warens, protectrice du jeune Jean-Jacques, la conseillait à ses patients. Dix ans plus tard, son disciple, le docteur Fleury, la prescrit aux soldats de l'armée d'occupation espagnole. Très vite, la rumeur se répand dans les chaumières.

L'eau de la Boisse a le don de prévenir plus d'un malaise, de dissiper plus d'une migraine, de guérir plus d'une langueur et de rétablir dans leur état normal les nerfs agacés, chuchotent les habitants.

Coquettes et dandys en font un remède à la mode jusqu'à ce que Joseph Daquin démente les qualités de cette eau qu'on croyait ferrugineuse. S'appuyant sur une expérience, il déclare formellement que cette eau au goût dur, terreux, rebutant, ne contient aucun principe minéral, pas même de fer, et la couleur rouille déposée sur les pierres par la source est commune à tous les endroits par où s'écoulent les marais.

Sur ordre du roi à Turin, l'intendant Vacca fait exécuter des travaux de soutènement et achète le terrain en 1778. Mais, bientôt, la polémique divise le monde scientifique. En 1830, les travaux de deux pharmaciens confirment scientifiquement les qualités minérales de l'eau, qu'ils comparent à celle de Spa et d'Evian. Présentée aux expositions de Turin et de Paris, elle ne sera jamais exploitée. L'enthousiasme retombe peu à peu. Et son existence se perd dans les tréfonds de l'oubli. Seuls subsistent une suite de petits ouvrages, difficiles à réunir, qui sont cités en partie par l’Abbé Grillet :

1/ Lettre adressée au docteur Daquin sur les eaux de la Boisse par M Despines père. 1777

2/ Analyse des eaux de la Boisse par M Daquin. Chambéry ,1777, in-8 

3/ Boessia salutifera en vers latins et français par Mr François Marie Thérèse Panisset professeur de rhétorique et préfet des Etudes du collége de Chambéry, 1778, in-8.

4/ Lettres sur les vertus des eaux ferrugineuses de la Boisse près de Chambéry, écrite à M Potôt professeur du collège de médecine de Lyon par M Fleury proto-médecin de la province de Savoie. Chambéry, chez J Lullin, 1778 in-8. Seconde édition, augmentée des Observations sur les Cures opérées par ces Eaux. (La première édition est inconnue)

5/ Lettre contenant l'analyse des eaux de la Boisse et quelques réflexions sur cette analyse pour servir de réponse à la brochure de M. Fleury, exerçant le Proto-Médicat de Savoie à Chambéry. Lyon, Regnault 1778. In-8 de 46 pp (1) f bl - 69 pp., (3) pp (Dern.p. bl.)

6/ Lettre contenant l’histoire et un essai d’analyse des eaux de la Boisse pour servir de réponse à M Chastaignier de Lyon par M Boisset fils. Turin, chez Briolo, 1779, In-8 de 46 pp (1) f bl - 70 pp., (1) f

7/ Analyse des eaux de la Boisse près de Chambéry, faite à l'invitation de M. Fleury, docteur de Montpellier & de Turin, représentant le magistrat du proto-médicat dans la ville de Chambéry & province de Savoye... par M*** (Tissier). Chambéry, Gorrin, 1779. In-12 de 30 pp. L'auteur, François -Marie Tissier, dit Tissier père, était Maître en pharmacie de la ville de Lyon.

L’abbé Grillet ne cite pas l’ouvrage de Chastaignier ni celui de Tissier. Il est étonnant de constater le nombre de publications que déclencha les supposée vertus d’une source qui ne fut jamais exploitée !



Trois pages des Lettres sur les vertus 
des eaux ferrugineuses de la Boisse par Fleury, 1778



Analyse des Eaux de la Boisse par Tissier, 1779

Lettre contenant l'analyse des eaux de la Boisse
 par Chastagnier, 1779

Lettre contenant l'Histoire et un Essai d'Analyse
 des Eaux de la Boisse par Boisset, 1779

Il y eut tout autant de brochures sur les bienfaits des eaux de Challes, petite station thermale aux portes de Chambéry, fief des comtes de Challes puis des Millet de Challes. En 1792, la Savoie se rallie à la Révolution, provoquant l’exil volontaire du marquis de Milliet. Leur château fut alors racheté par l'ancien intendant du marquis, nommé Balmain. Son gendre, Louis Domenget, médecin du Roi et de la famille royale en Savoie, professeur de médecine, de chimie et de botanique découvrit, lors d’une promenade le 11 avril 1841, une source d’eau sulfureuse qu’il étudia, expérimenta et fit connaître au monde savant.

Cette découverte a complètement changé le devenir du village voisin qui s’appelait alors Triviers. C’était jusqu’alors une petite commune rurale pauvre, qui avait du mal faire face à ses dépenses (au début du 19ème siècle, elle n’est pas capable de payer les travaux de l’église ni le curé). L’exploitation des eaux thermales va amener la commune à se développer avec la construction de nombreux hôtels et pensions, d’une ligne de tramway vers Chambéry, etc. Pour être plus attractive pour les touristes, la commune demande à changer de nom dès les années 1860. C’est ainsi que Triviers devint Challes-les-Eaux par un décret du 12 février 1872.

Le Nouveau Recueil de Faits et Observations 
sur les eaux de Challes de Louis Domenget, 1845

La reliure aux Armes du roi Victor-Emmanuel II de Savoie

Louis Domenget a fait publier plusieurs opuscules sur les caractéristiques de la source, dont le Nouveau recueil de faits et observations sur les eaux de Challes en Savoie (Chambéry, Puthod, 1845) et dix ans plus tard ses Considérations sur les eaux Minérales naturelles, sulfureuses, alcalines, iodurées, bromurées, glairineuses de Challes en Savoie près Chambéry (Chambéry, Imprimerie Nationale, 1855). Un exemplaire de présent du Nouveau Recueil fut offert au roi d’Italie, Victor-Emmanuel II de Savoie. Pour l’occasion l’opuscule in-8 fut imprimé au format in-folio et habillé d’une reliure aux armes de la Maison de Savoie, donnant ainsi des marges disproportionnées à l’exemplaire.

De cette longue énumération de titres, force est de conclure que les sources thermales de Savoie ont fait presque couler plus d’encre qu’elles ne débitent d’eau !

Bonne Journée,

Textor



[1] Cabias, Les Vertus merveilleuses des Bains d'Aix en Savoie, 1688 - Cette édition est presque aussi rare que l'édition originale de 1623 (Guilland, Bibliographie d'Aix). On en connaît quatre exemplaires conservés dans les dépôts publics : BnF, BM Lyon, Chambéry et Iéna.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos commentaires sur cet article ou le partage de vos connaissances sont les bienvenus.