En cette période de sécheresse
estivale, alors qu’il est loisible de traverser la Leysse à pied, il m’est
apparu rafraichissant de vous présenter un certain nombre de petits ouvrages
sur les bienfaits de l’eau en Savoie, eau que l’on boit sans modération depuis l’époque
des romains. Ce thème n’intéresse évidemment qu’une poignée d’érudits
savoyards, et encore pas tous, car il faut écarter d’emblée les amateurs de
vins de Cruet.
Le premier à s’être intéressé aux
bienfaits des eaux d’Aix est le docteur Jean Baptiste de Cabias, médecin
dauphinois, exerçant à Vienne puis à St Marcellin, qui se dit un jour qu’il
irait bien vérifier sur place la qualité des eaux qu’il prescrivait à ses
patients. Il entreprit le voyage, quittant sa province et son officine pour se
rendre à Aix-en-Savoye goutter l’eau des thermes, ne sachant leurs
propriétez et qualitez que par la coutume et usage familiers de ceux de ceste
province. Il s’installa à l’auberge de la Croix-Blanche de Juin à Octobre
1621 ou 1622, puis fit publier en 1623 son petit livre intitulé Les
Merveilles des Bains d’Aix en Savoye, ouvrage imprimé à Lyon par Jacques
Roussin.
Cabias fait un tour exhaustif du
sujet, divisé en 2 livres et 31 chapitres, où il décrit d’abord les lieux et la
forme des bains, puis la qualité et propriété de l’air, la méthode générale
pour prendre les Bains, Les remèdes nécessaires à ceux qui prennent les Bains,
puis il poursuit sur les diverses maladies que les eaux aident à soulager,
depuis la stérilité des femmes jusqu’à la surdité, en passant par toutes les
maladies de peau, la gale, la lèpre, la vérole, sans oublier la goute et la
sciatique.
L’homme est curieux, énergique
mais il se garde bien de vouloir pousser le temps par les espaules ni vivre
trop paresseusement en curieux et chercheur, car à l’époque il vaut mieux
être prudent et se garder de toute curiosité antireligieuse à vouloir trop
sonder et expliquer. Il s’excuse presque d’avoir recherché ce qu’il appelle le secret
des causes : C’est chose fort honnorable de scavoir ce que la nature nous
enseigne mais de passer outre et apostropher le Seigneur des Seigneurs, dire
beaucoup de ce qu’on ne peut rien scavoir, c’est vouloir trop entreprendre…. Petite
mise au point nécessaire pour éviter d’offenser les docteurs en théologie. Ce
passage rappelle toute la difficulté pour un médecin du 17ème siècle de faire
des observations de « chimiatrie » sur site.
A quelle école avait été formé
Cabias ? Il ne le dit pas et nous ne le retrouveons pas dans les registres des
universités de Lyon ou de Montpellier. Notre auteur est à la fois archéologue,
médecin, chimiste. Il est aussi l’un des premiers à décrire la beauté des
montagnes alentours, la douceur du site et à promettre aux malades de guérir
dans un cadre enchanteur.
Les Romains se servaient des eaux
d'Aix, comme des autres thermes en général, pour l’usage de la piscine et des
bains de vapeur. Il reste à Aix-les-Bains des vestiges de bassins antiques et
de conduits pour la vapeur. Après l'abandon des thermes romains, l'emploi des
eaux fut longtemps réduit à la grotte proche de la source de soufre qu'une
muraille divisait pour permettre aux-malades des deux sexes de venir s'y
baigner. Nous savons peu de chose sur les traitements administrés.
Il faut attendre Cabias et son
livre pour avoir une description détaillée de l’administration des soins. A son
époque, l’usage est aux bains, sudations et douches qu'on fait tomber « du
plus haut qu'on peut ». Le traitement par l'eau était pour le moins
énergique : Pour le séjour des
malades dans les bains, c'est d'une petite demi-heure, car tout aussitôt que le
coeur manque et qu'on abonde en sueurs sur le visage, il faut se faire porter
hors du bain, autrement on tomberait en syncope. Après le bain, se couvrir
d'une robe de chambre, se mettre dans une chaise, chacun se fait porter dans
son logis où l'on se couche dans un lit bien chauffé pour suer une demi-heure.
L’exemplaire présenté provient de
la bibliothèque du docteur Blanc, dispersée en 2010, et avant elle de la
bibliothèque du médecin lyonnais Marc-Antoine Petit avec son super-libris doré
sur le premier plat. Chirurgien-Major de l’Hôtel-Dieu de Lyon, membre du
conseil municipal, et de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de
Lyon, il légua une partie de sa bibliothèque à la ville de Lyon.
Devenu rarissime, pour ne pas
dire introuvable, l’ouvrage manquait à la plupart des bibliothèques médicales bien
qu’il avait été réédité en 1688 [1] ;
aussi le docteur Léon Brachet décida, en 1891, de le faire réimprimer par
Ducloz à Moutiers en Tarentaise avec une préface et des notes bibliographiques
par Victor Barbier (1828-1898), le célèbre conservateur de la bibliothèque
municipale de Chambéry. C’est une copie page à page du texte original, sur beau
papier, l’auteur n’hésitant pas à reproduire à l’identique ou dans leur style les
lettrines gravées, bandeaux et culs de lampe. Le tirage est de 500 exemplaires,
tous numérotés.
Cet ouvrage marque le début d’une
longue suite de publications consacrées aux eaux d’Aix, parmi lesquelles nous
pouvons citer, parmi les principales, celles de :
1/ Jean Panthot : Brèves
dissertations sur l'usage des bains chauds et principalement des eaux d'Aix,
Lyon, Jacques Guerrier, 1700.
2/ Joseph Daquin: Analyse des
eaux thermales d'Aix en Savoye, dans laquelle on expose Les diverses
manières d'user de ces eaux, la méthode & le régime de vivre qu'il convient
de suivre pendant leur usage, & les différentes maladies pour lesquelles
elles sont employées ; avec plusieurs Observations qui y sont relatives, pour
en constater les propriétés. Chambéry, de l'imprimerie de M. F. Gorrin,
imprimeur du Roi, broché de l'épitre au Roi, de la préface et des
préliminaires. Edition originale selon Quérard mais il existe des exemplaires à
la date de 1772, avec la même pagination mais dont le faux titre et le titre
sont différents.
Le médecin savoyard Joseph
Daquin, outre son statut de créateur de la médecine psychiatrique dite
aliéniste, présente un intérêt tout particulier pour le thermalisme car c’est
en constatant la méconnaissance des eaux thermales et leur prescription aveugle
qu'il a décidé de mettre en œuvre ses recherches et de proposer son analyse.
Il évoque notamment dans cet
ouvrage les thermes romains qui furent redécouverts par hasard l'année de la
publication de son étude. Sa thèse, fort rare, établie scientifiquement la
qualité des eaux d'Aix et leur prépondérance.
L’ouvrage sera republié sous le
titre Les Eaux thermales d'Aix dans le département du Mont Blanc, Chambéry,
Cléaz 1808.
3/ Socquet, Analyse des eaux thermales d'Aix (en Savoie), département du Mont-Blanc, Chambéry Cleaz, 1802.
4/ Constant Despine : Manuel
de l'Etranger aux eaux d'Aix ; Annecy, Burdet, 1834.
Si les eaux d’Aix font
merveilles, ce ne sont pas les seules car il faut compter aussi sur les vertus
des eaux de Challes et de la Boisse, pour rester dans les environs de Chambéry.
Celles de la Boisse retiennent
l’attention des bibliophiles en raison de la longue polémique qu’elles
déclenchèrent au sujet de leurs bienfaits supposés. Il est difficile d’imaginer
aujourd’hui, dans la banlieue industrielle de Chambéry, cette source qui
coulait inlassablement au pied d’une colline boisée. Elle aurait pu changer le
destin de la cité des ducs, faisant de Chambéry une station thermale capable de
rivaliser avec Challes-les-Eaux ou Aix-les-Bains.
Déjà, en 1738, le docteur
François Grossy, ami de Mme de Warens, protectrice du jeune Jean-Jacques, la
conseillait à ses patients. Dix ans plus tard, son disciple, le docteur Fleury,
la prescrit aux soldats de l'armée d'occupation espagnole. Très vite, la rumeur
se répand dans les chaumières.
L'eau de la Boisse a le don de
prévenir plus d'un malaise, de dissiper plus d'une migraine, de guérir plus
d'une langueur et de rétablir dans leur état normal les nerfs agacés, chuchotent
les habitants.
Coquettes et dandys en font un remède à la
mode jusqu'à ce que Joseph Daquin démente les qualités de cette eau qu'on
croyait ferrugineuse. S'appuyant sur une expérience, il déclare formellement
que cette eau au goût dur, terreux, rebutant, ne contient aucun principe
minéral, pas même de fer, et la couleur rouille déposée sur les pierres par la
source est commune à tous les endroits par où s'écoulent les marais.
Sur ordre du roi à Turin,
l'intendant Vacca fait exécuter des travaux de soutènement et achète le terrain
en 1778. Mais, bientôt, la polémique divise le monde scientifique. En 1830, les
travaux de deux pharmaciens confirment scientifiquement les qualités minérales
de l'eau, qu'ils comparent à celle de Spa et d'Evian. Présentée aux expositions
de Turin et de Paris, elle ne sera jamais exploitée. L'enthousiasme retombe peu
à peu. Et son existence se perd dans les tréfonds de l'oubli. Seuls subsistent
une suite de petits ouvrages, difficiles à réunir, qui sont cités en partie par
l’Abbé Grillet :
1/ Lettre adressée au docteur
Daquin sur les eaux de la Boisse par M Despines père. 1777
2/ Analyse des eaux de la Boisse
par M Daquin. Chambéry ,1777, in-8
3/ Boessia salutifera en vers
latins et français par Mr François Marie Thérèse Panisset professeur de
rhétorique et préfet des Etudes du collége de Chambéry, 1778, in-8.
4/ Lettres sur les vertus des
eaux ferrugineuses de la Boisse près de Chambéry, écrite à M Potôt professeur
du collège de médecine de Lyon par M Fleury proto-médecin de la province de
Savoie. Chambéry, chez J Lullin, 1778 in-8. Seconde édition, augmentée des
Observations sur les Cures opérées par ces Eaux. (La première édition est
inconnue)
5/ Lettre contenant l'analyse des eaux de la Boisse et quelques réflexions sur cette analyse pour servir de réponse à la brochure de M. Fleury, exerçant le Proto-Médicat de Savoie à Chambéry. Lyon, Regnault 1778. In-8 de 46 pp (1) f bl - 69 pp., (3) pp (Dern.p. bl.)
6/ Lettre contenant l’histoire et un essai d’analyse des eaux de la Boisse pour servir de réponse à M Chastaignier de Lyon par M Boisset fils. Turin, chez Briolo, 1779, In-8 de 46 pp (1) f bl - 70 pp., (1) f
7/ Analyse des eaux de la Boisse près de Chambéry, faite à l'invitation de M. Fleury, docteur de Montpellier & de Turin, représentant le magistrat du proto-médicat dans la ville de Chambéry & province de Savoye... par M*** (Tissier). Chambéry, Gorrin, 1779. In-12 de 30 pp. L'auteur, François -Marie Tissier, dit Tissier père, était Maître en pharmacie de la ville de Lyon.
L’abbé Grillet ne cite pas
l’ouvrage de Chastaignier ni celui de Tissier. Il est étonnant de constater le
nombre de publications que déclencha les supposée vertus d’une source qui ne
fut jamais exploitée !
Il y eut tout autant de brochures sur les bienfaits des eaux de Challes, petite station thermale aux portes de Chambéry, fief des comtes de Challes puis des Millet de Challes. En 1792, la Savoie se rallie à la Révolution, provoquant l’exil volontaire du marquis de Milliet. Leur château fut alors racheté par l'ancien intendant du marquis, nommé Balmain. Son gendre, Louis Domenget, médecin du Roi et de la famille royale en Savoie, professeur de médecine, de chimie et de botanique découvrit, lors d’une promenade le 11 avril 1841, une source d’eau sulfureuse qu’il étudia, expérimenta et fit connaître au monde savant.
Cette découverte a complètement
changé le devenir du village voisin qui s’appelait alors Triviers. C’était
jusqu’alors une petite commune rurale pauvre, qui avait du mal faire face à ses
dépenses (au début du 19ème siècle, elle n’est pas capable de payer les travaux
de l’église ni le curé). L’exploitation des eaux thermales va amener la commune
à se développer avec la construction de nombreux hôtels et pensions, d’une
ligne de tramway vers Chambéry, etc. Pour être plus attractive pour les
touristes, la commune demande à changer de nom dès les années 1860. C’est ainsi
que Triviers devint Challes-les-Eaux par un décret du 12 février 1872.
Louis Domenget a fait publier plusieurs opuscules sur les caractéristiques de la source, dont le Nouveau recueil de faits et observations sur les eaux de Challes en Savoie (Chambéry, Puthod, 1845) et dix ans plus tard ses Considérations sur les eaux Minérales naturelles, sulfureuses, alcalines, iodurées, bromurées, glairineuses de Challes en Savoie près Chambéry (Chambéry, Imprimerie Nationale, 1855). Un exemplaire de présent du Nouveau Recueil fut offert au roi d’Italie, Victor-Emmanuel II de Savoie. Pour l’occasion l’opuscule in-8 fut imprimé au format in-folio et habillé d’une reliure aux armes de la Maison de Savoie, donnant ainsi des marges disproportionnées à l’exemplaire.
De cette longue énumération de
titres, force est de conclure que les sources thermales de Savoie ont fait presque
couler plus d’encre qu’elles ne débitent d’eau !
Bonne Journée,
Textor
[1] Cabias,
Les Vertus merveilleuses des Bains d'Aix en Savoie, 1688 - Cette édition est
presque aussi rare que l'édition originale de 1623 (Guilland, Bibliographie
d'Aix). On en connaît quatre exemplaires conservés dans les dépôts publics :
BnF, BM Lyon, Chambéry et Iéna.
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