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lundi 29 janvier 2024

Antoine Favre, Président du Sénat de Savoie

Les œuvres du jurisconsulte Antoine Favre (1557-1624) font partie de ces livres qui ne sont plus très recherchés aujourd’hui mais qui constituaient pourtant un must dans les bibliothèques du Duché de Savoie sous l’Ancien Régime. Elles ont été rééditées à de nombreuses reprises et je me devais d’en placer quelques échantillons dans ma bibliothèque savoyarde.  

Cet austère magistrat, infatigable travailleur, acquit une réputation qui dépassa largement les frontières du petit Etat de Savoie. On le surnommait le Prince des Jurisconsultes et il parait qu’à l’occasion d’une rentrée du Parlement de Paris, l’Avocat Général qui portait la parole demanda à ses confrères de ne jamais citer une opinion de Favre sans mettre la main au bonnet.

L’édition originale des Conjectures d’Antoine Favre (1581)

Les Conjectures, Début du Livre Premier

Dédicace à René de Lyobard du Chatelard

Il est vrai que sa pensée était claire et synthétique et qu’il eut le mérite de trouver des chemins nouveaux dans cette matière du droit romain qu’on étudiait depuis mille ans et où il paraissait que tout avait déjà été dit. Parmi les nouveautés figure la codification de la pratique, autrement dit la mise forme des recueils de jurisprudence, notamment celle du Sénat de Savoie dont il allait devenir le Premier Président.

La Savoie avait ceci de particulier que d’avoir un Sénat souverain, c’est-à-dire une sorte de Cour Suprême qui édictait les lois et les appliquait tout en même temps.

Ce privilège avait été obtenu du duc - et les Chambériens n’en étaient pas peu fiers - à l’issue de la longue occupation française du duché de Savoie (1536-1559) sur la souche d’un parlement établi sur le modèle capétien du Conseil Résident, remontant au XIIIe siècle. Le Sénat de Savoie représentait l’aînée des quatre autres cours souveraines de justice de Turin, de Nice, de Casal et de Gènes établies à sa suite par la Maison de Savoie dans les possessions continentales de ses Etats.

Ce qui était décidé par le Sénat un jour pouvait être modifié le lendemain. Rien ne pouvait le lier, pas même sa propre jurisprudence et il n’avait pas l’obligation de motiver ses arrêts qui constituaient la loi. Il va sans dire que toutes ses décisions étaient scrutées et abondamment commentées dans de volumineux grimoires que l’imprimeur Geoffroy Dufour, tenant boutique dans une rue proche du Senat, couchait sur du beau papier avec vignettes et frontispices. Les publications juridiques avaient généralement au titre la qualification de Bref recueil ou d’Abrégé pour faire oublier qu’elles ne contenaient jamais moins de 600 pages.

Brief recueil des Edicts (1642)

Antoine Favre, grâce à son autorité et ses compétences, parvint à la tête de ce Sénat de Savoie après une carrière fulgurante. Il était né dans la Bresse, alors en territoire savoyard, d’une famille de haut magistrat et il avait fait ses études au collège de Clermont à Paris puis à l’université de Turin.

À 22 ans, en 1579, il est avocat et docteur en droit. Il publie sa première œuvre deux ans plus tard, en 1581, chez Jean II de Tournes à Lyon. Ce sont les trois premiers livres des Conjectures du droit civil. Il aurait pu faire imprimer l’ouvrage à Chambéry mais pour une raison que nous ne connaissons pas – peut-être parce que le seul imprimeur de la ville ne parvenait pas à satisfaire cet homme pressé - il choisit de se rendre à Lyon, où les imprimeurs abondaient et où la qualité de leur travail n’était plus à démontrer.

Jean II de Tournes rendit une copie parfaite. Le titre Conjecturarum juris Civiis Libri III figure dans un encadrement architectural classique, typique des pages de titre de cette période. Ce que la lecture des Conjectures peut avoir de rébarbative pour le bibliophile d’aujourd’hui est largement compensée par la belle typographie et les subtiles mises en page de l’imprimeur.   

Le privilège accordé à Jean de Tournes pour dix ans, 
rédigé en caractères de civilité. 

La dédicace du Livre Second à Claude Guichard

Conjectures, Livre III

Le livre débute par une longue préface de 12 pages adressée à René de Lyobard, seigneur du Chastelard, conseiller d’Etat de Son Altesse et président du Souverain Sénat de Savoie, en date du 1er février 1581. La teneur du texte et l’identité de son destinataire nous renseigne sur les ambitions du jeune juriste dont tout porte à croire qu’il a préparé son livre dès l’époque de ses études toutes récentes. Dès l’entame, Antoine Favre tape fort ; Il n’hésite pas à écrire qu’il regrette qu’on ne puisse remettre en cause l’opinion des éminents prédécesseurs qui ne sont exempts ni de lacunes ni d’erreurs. A quoi servirait l’édition de nouveaux livres si on doit répéter ce qui a déjà été écrit, juste à gonfler le profit des imprimeurs ? [1]

Une préface qui donne une idée du caractère et de l’autorité de l’auteur !

 Elle est suivie par un extrait du privilège d'imprimer, rédigé en caractère de civilité, consenti à Jean de Tournes, libraire et imprimeur de sa Majesté, pour dix ans. La date indiquée sur ce privilège est 1574, ce qui n’est guère possible car Antoine Favre ne pouvait pas avoir écrit ce livre avant d’avoir terminé ses études de droit, aussi doué soit-il. L’achevé d’imprimé est du 21 Juillet 1581.

Chacun des trois livres de ce volume est adressé à un dédicataire différent : le Livre Premier au professeur de droit Jean-Antoine Manuce de l’université de Turin qui enseigna probablement le droit à Antoine Favre ; Le Livre Second, à Claude Guichard, Maitre des Requêtes puis Grand Référendaire et Historiographe de Savoie, plus connu aujourd’hui pour son célèbre ouvrage sur les Funérailles et diverses manières d'ensevelir des Romains, grecs et autres nations, paru cette même année 1581 chez Jean II de Tournes, lequel va utiliser le même encadrement au titre, en forme de portique romain. Claude Guichard, né à Saint Rambert-en-Bugey, était un compatriote de Favre qui le considère comme son ami au-delà des joutes verbales et des controverses doctrinales qui semblent les avoir opposés, d’après ce qu’il en dit dans sa dédicace.

Le troisième et dernier livre est dédié au sage et docte Pierre II de Boissat (1556-1613) érudit du Dauphiné, vice-bailli de Vienne, qui étudia son droit à Valence sous Cujas. Féru de grec, il est souvent confondu  avec son fils Pierre III de Boissat (1603-1662), l’un des premiers académiciens, bien oublié aujourd’hui au point de devenir la cible de railleries dans le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostang.[2]

Quant au corps de l’ouvrage, il est divisé en chapitres, chaque chapitre correspondant à une conjecture. Chacune débute par l’idée que veut développer l’auteur ; l’argumentaire suit, puis la conclusion. Les conjectures relève les dissentions, les lieux communs (Generaliae sententiae) avec pour but de proposer de nouvelles interprétations, de découvrir des principes généraux, de résoudre des contradictions, de défendre ou de nier des opinions, et surtout de traquer les interpolations afin de corriger le Corpus Juris Civilis.


L'édition de 1581 est recouverte d'un curieux vélin marron 
sur lequel on devine par transparence qu'il s'agit d'un vélin de réemploi manuscrit.  

En 1584, à tout juste 27 ans - soit avant l'âge requis – Favre est nommé juge-mage de la Bresse et du Bugey, puis il entre au service du duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie. Il fixe alors sa résidence à Chambéry. Trois ans plus tard, il rejoint le souverain Sénat de Savoie, juste après avoir fait publier la suite des Conjectures juridiques, soient les livres 4, 5 et 6.

Le second volume des Conjectures chez B. Honorat (1586)
 La page de titre contient un ex-dono de l’auteur (Ab Auctore donatus) qui pourrait bien être de la main d’Antoine Favre lui-même.

L’ouvrage parait encore à Lyon, comme les trois premiers livres, mais cette fois-ci chez Barthélémy Honorat car, dans l’intervalle, Jean II de Tournes avait quitté la ville pour fuir les persécutions que subissaient les Protestants.

Bathélémy Honorat suit le format in-quarto et la présentation du premier ouvrage. Chaque livre, dédié à un nouveau personnage éminent, débute sur une grande lettrine historiée. L’une d’elle provient de la série aux oiseaux, gravée par Pierre Eskrich [3] ; Cette fois-ci les dédicataires sont Louis Milliet, Premier Président du Sénat, Chancelier de Savoie, Baron de Faverges et seigneur de Challes, Charles Velliet, Premier Président du Sénat et enfin René de Lucinge, seigneur des Allymes dans le Bugey qui avait fait son droit à Turin dans les mêmes années que Favre et qui était, par son mariage, seigneur de Montrosat dans les Dombes.

Début du Quart Livre adressé à Louis Millet

Dans une ville, capitale de la Savoie, à l’étroit dans ses murailles, le Sénat était hébergé dans les locaux du couvent des Dominicains, près du Marché Couvert. Le lieu possédait deux cloitres, le premier réservé aux ecclésiastiques et le second aux gens de robe. Antoine Favre s’installe dans une maison de la rue Saint Antoine, quartier un peu à l’écart, presqu’un faubourg à l’époque, mais à deux encablures du Sénat.  

Gabriel Pérouse archiviste de la Savoie, se plait à imaginer Antoine Favre à sa table, travaillant inlassablement sur son œuvre principale, qu’on appellera le Codex Fabriani : « Le jour, il y a sous ses fenêtres une certaine animation : ce sont les voyageurs, marchands, maraîchers et plaideurs qui viennent du côté d'Aix et par la route de Genève. Mais, au soleil couché, c'est le silence et la solitude... Les amis de Favre, les solliciteurs, les collègues sont partis. La Présidente, et les enfants, encore présents, se sont retirés. Tout près, de l'autre côté de la rue Macornet, chez les Jésuites, tout dort. La porte du Reclus s'est fermée et ne s'ouvrira qu'à l'aube. La ville est close. Dans le cabinet du Président, on n'entend que le bruit de sa plume, plume d'oie qui grince sur le beau papier du temps[4]»

Le dernier ouvrage de ma bibliothèque illustrant l’œuvre du grand juriste est un petit opuscule posthume, en français, le seul texte qu’Antoine Favre aurait écrit dans cette langue et qui a fait douter à certains qu’il en soit l’auteur. Pourtant on retrouve dans cet écrit qui parut pour la première fois à Genève, en 1627, chez Jacques Chouët, l’esprit de l’auteur renvoyant sans cesse les praticiens aux maximes et principes.  L’édition de 1627 contient une préface anonyme : "Tu y apprendras une science entiere de la practique, là où plusieurs autrement ci-devant ne sçavoyent que c’estoit de la Practique que par la practique mesme  & comme  on  dit,  par  routine." Il est probable qu’il s’agisse d’extraits d’écrits inédits à la mort de l’auteur.

Toujours est-il que ce livre eut beaucoup de succès, pas moins de 6 éditions différentes entre 1627 et 1699 [5].  

Le livre s’intitule dans la première édition : Abrégé De La Practique Judiciaire Et Civile, De Mre Antoine Favre, Conseiller d'Estat, & premier Président au Souverain Senat de Savoye, utile et nécessaire, non seulement à tous ceux qui estudient en droict: mais aussi à tous Magistrats, juges, Aduocats… etc. Le titre de la seconde édition est transformé en Thresor de la Practique etc….

C’est un livre qui visiblement devait être dans toutes les poches des avocats de Chambéry compte tenu de son caractère pratique et synthétique. Les exemplaires conservés ont mal supporté ce passage de poche en poche.

Je possède un exemplaire des deux premières éditions avec un doute pour l’exemplaire paru chez Jacques Chouët car la page de titre est tronquée [6]. On n’aperçoit qu’un petit tiers de la marque de l’imprimeur. Il pourrait donc s’agir de l’édition originale de 1627. Seulement voilà, l’exemplaire consulté à la BNF présente le même nombre de feuillets mais avec de menues variantes dans la mise en page et quelques fautes qui démontre qu’il s’agit d’une autre émission. Par exemple au titre du premier chapitre, le mot Abrégé est avec un seul B alors qu’il a 2 B sur mon exemplaire, et le bandeau est différent. Le problème est qu’il n’y a pas d’autre édition répertoriée à l’adresse de Jacques Chouet [7]. L’édition suivante, de 1634, n’est pas imprimée chez Jacques Chouët mais à Chambéry par Louys du Four. Il reste donc quelques recherches à faire pour savoir si l’édition de Chouët est une seconde émission de 1627, inconnue des bibliographes, ou bien une édition postérieure qui reste à identifier.

L'abrégé de la Practique à la page de titre tronquée, édition de 1627 ?
 (Bibliotheca Textoriana) 

L'abrégé de la Practique, édition de 1627
 (Exemplaire BNF)


La comparaison de la page 1 de l'Abrégé de la Practique montre des différences entre l'exemplaire Textoriana et celui de la BNF. 

L’exemplaire imprimé par Louys Du Four en 1634 [8] a ceci de particulier qu’un de ses premiers possesseurs a relié à ce texte imprimé, sous le même vélin, vers 1672, quatre-vingt-seize feuillets blancs portant une table des matières très développée et complétée de commentaires variés, des tarifs pour les diligences des auxiliaires de justice, une petite étude sur les arrêts de Monsieur de Gerpene (?), des textes de lois et des extraits de formulaires manuscrits. Certains actes font référence à la ville et aux édiles de Thonon et un modèle de formulaire est prérempli au nom de Louys Matthieu, docteur ès-droict, avocat au Sénat de Savoie et juge ordinaire dudict lieu, qui pourrait bien être l’auteur des notes.

Il serait possible de faire une étude exhaustive des revenus des gens de justice car chaque émolument est soigneusement détaillé. On apprend que les huissiers du Senat vacquant ès ville touchent 5 ff. contre 70 ff. s’ils vaquent hors la ville à cheval, oultre leurs dépens pour le louage du cheval. La vacation du seigneur président est tout simplement hors de prix, étant donné qu’il vaque à quatre chevaux.

A nous mandé par devant nous Louys Matthieu, 
docteur es droict, et juge ordinaire dudit lieu un tel pour etc….

Arrêt sur les écorces, Thonon 1672.

C’est un témoignage émouvant et inédit de la pratique d’un juriste à Thonon. Parmi les arrêts qui faisaient l’actualité cette année-là, on lit ceci : Le 30 Mars 1672, Le Senat a inhibé à toutes sortes de personnes d’enlever ou faire enlever des escorses de toutes sortes d’arbres et icelles vendre tant dans les Estats que dehors, à peine de cinq cents livres et du fouet et plus grande (peine) s’il estait (nécessaire) a requeste de Messieurs de Thonon.

Gageons que les arbres ont dû conserver leur écorce….

Bonne Journée,

Textor


[1] « Illorum certe pusillanimitas, & inhonesta verecundia excusari non potest, qui rumores, ut dici solet, ante salutem ponũt: Sed horum præcipue diligentia reprehenda est, publicis Iurisprudentiæ studýs longe magis perniciosa, quibus tot librorum millia nocent potius, nec nisi ornandis, aut verius onerandus Typographorũ officinis proficiunt ».

[2] « L’Académie est là ? Mais j’en vois plus d’un membre, / Voici Boudu, Boissat et Cureau de la Chambre, / Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud. / Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau. » (E.Rostand, in Cyrano de Bergerac)

[3] Voir l’article Pierre Eskrich, maitre brodeur et tailleur d’histoires. (1520-1590) du 08 Décembre 2020 sur ce site.

[4] Gabriel Pérouse, Causerie sur l'Histoire littéraire de la Savoie T1, Chambéry Dardel, 1934.

[5] Jacques Chouët, Genève 1627, puis Du Four, Chambéry 1634. D'autres éditions paraitront en 1650 (Genève, Pierre Chouët) 1660 et 1680 (Chambéry, Riondet) et 1699 (Annecy, Fontaine).

[6] In-12 de (8) 165 pp. (1) pp.bl sign. a-k8, l3.

[7] Une édition de 1650 est à l’adresse de Pierre Chouet (et non Jacques) mais la collation des exemplaires n’est pas disponible. Je ne sais pas si la même marque est utilisée au titre. (BM Amiens et BM de Bourg en Bresse).

[8] Petit in-8 (de taille in-12) comprenant un blason de la Savoie en page de titre, 3 ff.n.c. 166 pp. et environ 150 pages en feuilles blanches avec remarques et commentaires d'une écriture du temps.

Les Oeuvres de Favre


jeudi 29 décembre 2022

La Savoye, poème de Jacques Peletier du Mans (1572)

Pour terminer l’année 2022 en fanfare, je vous présente un poème de Jacques Peletier du Mans entièrement consacré à la gloire de la Savoie, le pays de mes ancêtres. Ce petit ouvrage intitulé La Savoye de Jaques Peletier du Mans [1], devenu rare [2], fut imprimé à Annecy en 1572 par Jacques Bertrand qui était alors le seul imprimeur de la ville. Bien que le savoyard Guillaume Fichet eut été l’un des pionniers de l’imprimerie, la nouvelle invention mit du temps à se diffuser en deçà des Monts et on ne compte guère plus d’un ou deux imprimeurs par génération au 16ème siècle à Chambéry et Annecy. L’attraction des foyers intellectuels qu’étaient Lyon et Genève faisait que la plupart des livres lus dans le duché provenait de ces deux villes.

Page de titre de la Savoye

Jacques Peletier du Mans n’est sans doute pas le plus connu des poètes de la Pléiade, peut-être parce qu’il est difficile à cerner. Tout à la fois humaniste et poète, grammairien et philosophe, mathématicien et médecin, Il est surtout un infatigable voyageur qui fera dire à Ronsard :  Et Peletier le docte a vagué comme Ulysse.

Celui qui avait pris comme doctrine Moins et meilleur passera sa vie à sillonner la France, la Suisse ou l’Italie au gré de ses études ou de ses fonctions. Gilles Ménage au siècle suivant avait écrit une biographie sur Peletier malheureusement perdue et les différentes phases de sa vie sont assez confuses et variables selon les biographes : D’abord étudiant au collège de Navarre à Paris, où son frère ainé enseigne la philosophie, il est poussé par son père, lui-même avocat, vers les études de droit et la théologie et il apprend le grec et le latin. Il a peut-être exercé le droit au Mans de 1538 à 1543 mais il n’a pas laissé d’œuvres juridiques.

Il confiera à son frère : J'ai employé presque cinq années entières à l'étude des lois. Pendant un certain temps cette occupation, par sa nouveauté, ne me déplut pas. Mais, quand j'eus commencé d'acquérir quelque maturité et que je pus disposer de moi-même, je fus épouvanté par la vanité des affaires juridiques et je revins à la philosophie [3]. Nous ne savons pas très bien ce qu’il met derrière le terme philosophie mais il aime l’observation du monde et plus particulièrement les sciences, les mathématiques et la médecine. C’est dans ces domaines qu’il écrira le plus.

L'ouvrage est dédié à Marguerite de France, 
Duchesse de Savoie,protectrice des poètes de la Pléiade.

Au Mans, vers 1539, étant secrétaire de l'évêque René du Bellay, grand cousin du poète, il se lie alors d'amitié avec Pierre de Ronsard et Joachim Du Bellay, un peu plus jeunes que lui. Il fait la connaissance du premier puis du second avant même qu'ils n'entrent au collège de Coqueret et il leur prodigue ses conseils. C’est à lui que Ronsard montre ses essais d’odes horatiennes dès le printemps 1543 et c’est de lui que Du Bellay, en 1546, reçoit le conseil de cultiver de préférence l’ode et le sonnet. Il préside ainsi aux origines de la Pléiade sur laquelle son influence est certaine. En 1545, Jacques Peletier publie, quatre ans avant la Deffence et Illustration de la Langue Française de Du Bellay, un premier manifeste pour l’usage du français, en préface de la traduction française de l'Art Poétique d'Horace. Joachim Du Bellay le reconnaîtra et saluera son influence. Par la suite, quoiqu’éloigné de Paris, il restera en contact constant avec le groupe.

Après avoir brièvement enseigné au collège de Bayeux, à Paris, où venaient étudier les boursiers du Maine, il entame une existence vagabonde, ne restant jamais très longtemps dans la même ville. Trente-deux ans d’errance où chaque séjour est l’occasion de rencontres. Il séjourne ainsi à Poitiers où il échange avec un autre passionné de médecine, François Rabelais.  Puis, à Bordeaux, il exerce la médecine et se fait héberger un temps par Montaigne. Plus tard, entre 1553 et 1557, alors qu’il est en villégiature à Lyon, il fréquente les poètes et les humanistes du cercle Lyonnais, dont Maurice Scève, Louise Labé, Olivier de Magny et Pontus de Tyard.

Livre Second et tiers livre

Après quoi, en 1570, il rejoint la Savoie, d’une part pour fuir la France dévastée par les malheurs de la guerre, mais d’autre part, sans doute aussi appelé par son ancienne protectrice, la duchesse Marguerite de France [4] qui, lorsqu’elle séjournait à Paris, avait soutenu les poètes de la Pléiade et qui, contrainte de rejoindre la Savoie après son mariage avec Emmanuel-Philibert, entretenait autour d'elle une cour de lettrés et de poètes.

Je vá & vien par volontaire fuite, / Pour contempler le Monde en divers lieus, / En évitant, à tout le moins des yeus, / Tant de malheurs, dont la France est détruite.

En Savoie, il retrouve le poète Marc-Claude de Buttet, avec lequel il se lie d’amitié. Il l’avait déjà croisé autrefois à Paris alors qu’il enseignait au collège de Bayeux. Buttet lui ouvre son cercle littéraire à Chambéry et à Tresserve où il croisera Antoine Baptendier, avocat au parlement de Chambéry et ancien juge-mage de Maurienne, de suffisance egale / En Poesie & science legale [5], le vertueux Claude Lambert, gentilhomme de Miolans [6], Jehan de Piochet de Salins, seigneur de Mérande et de Monterminod [7], parent de Marc-Claude de Buttet et admirateur de Ronsard, Amé Du Coudray, etc. Tous auront droit à quelques vers et Marc-Claude de Buttet à des louanges appuyées :

De Chamberi , le chef de la Province, / Ce ne seroit raison que je previnse / Le bien disant Butet, qui en n’áquit, / A qui en touche & l’honneur & l’aquit. [8]

Le poète savoisien lui répondra d'un ton tout aussi louangeur, comparant Peletier à Orphée dans son Amathée de 1575.

L'hommage à Marc-Claude de Buttet

L’accueil qu’il reçut et la beauté du paysage lui firent prolonger son séjour qui dura deux ans et cinquante-cinq hivers [9] et l’incita à écrire ce long poème en trois livres dédié à sa protectrice.

Le sujet du poème est le pays de Savoie lui-même dont Peletier du Mans décrit en détail toutes les richesses. Lui qui ne connaissait que les Alpes Mancelles fut certainement impressionné par la géographie montagnarde. Il oppose l’humeur paisible de ses habitants et leur cadre farouche composé de rochers abrupts et d’abîmes tumultueux, de glaciers et d’avalanches, de marmoteines et d’ours arpus.

Fait très rare pour l’époque, il semble avoir réellement visité les lieux dont il parle et la nature est décrite telle qu'il l'observe et non telle qu'elle devrait être d'après les Anciens. Quand il cite les étendues d’eau, il fait une différence entre les grands lacs poissonneux et les lacs d’altitude froids et sans poisson. Il a noté que le Lavaret meurt à peine sorti de l’eau. En passionné de médecine, il s’émerveille devant toutes ces plantes médicinales dont il donne pour chacune d’elle la vertu cardinale.

Tu as, Savoye, un ornement ancore, / Qui ton renom de rarité décore. / Entre les dons de Nature estimez, / Sont les effetz aus Herbes imprimez. / Onq cete ouvriere, à produire ententive, / Ne se montra si riche & inventive, / Qu’en ces hauz Mons, si noblement herbuz, / Qu’on les diroit boutiques de Phebus.

 Commence alors une longue litanie dans laquelle il n’oublie ni la Gentiane amer ni l’Alquimine, ni le Fiel de Terre ou le Saxifrage exquise aulx graveleux, le Martagon semblable aux lys et les Aconiz, dont tant de bestes meurent, Renars, & Louz, & les fiers Liepars, etc …

Reliure en maroquin aubergine, décor à la Du Seuil,
 fleuron doré au centre, dos orné, tranches dorées 
(Reliure de la seconde moitié du XIXe siècle)

Il avait dû remonter jusqu’au fond des vallées de la Maurienne et de la Tarentaise avec crampons acerez franchissant / Ce dur chemin perilleus & glissant, pour pouvoir décrire des bourgades qui ne devaient pas être bien importantes de son temps, comme Bonneval sur Arc [10] ou Bessans. En ethnographe, il découvre une population heureuse qui a su s’accommoder de la dureté de la nature. Il s’étonne qu’elle puisse rester bloquée par la neige tout un hiver sans chercher à partir ailleurs. Pour autant, il convient qu’elle mène une vie simple, dans les montagnes, sans avoir été pervertie par l’ambition ou l’envie, de bons sauvages en quelque sorte qui annoncent déjà Jean-Jacques Rousseau :

Celui qui est hors de la tourbe vile, / Et tout un Monde estime estre une Vile, / Eureus est-il, si ici & ailleurs / Il rend ses faitz & ditz tousjours meilleurs. / Mais si l’aler & le voir, nous attise / De veins obgetz tousjours la convoitise, / Meilleur seroit du Berger le parti, / Qui n’est jamais des Montagnes parti.

Mais c’est au chapitre des fromages que Jacques Peletier du Mans nous surprend le plus et qu’il démontre qu’il a observé par lui-même, en parcourant les alpages, les techniques de fabrication au lieu de se contenter de recopier dans une bibliothèque les écrits d’un Pline l’Ancien ou d’un Columelle. Il nous dit que les paysans tirent de la transformation du lait trois profits : la crémeuse graisse, la faisselle et le sérac [11]. C'est là peut-être l'une des premières évocations de la fabrication du fromage en chalet. Il les a vu presser la pâte molle des tommes et cuire les Beauforts au chaudron afin de pouvoir les conserver et les descendre dans la vallée lorsque le vent d’Automne desséchant flétrit la verdure des champs.

 Bons, ou meilleurs, ainsi qu’est la páture, / Et sont partout de semblable facture: / Fors que souvent le fourmage mollet / Ils font plus gras, sans ebeurrer le lait. / Mais le tiers gaing, qu’en Savoye ilz en tirent, / Est le Serat, que du Latin ilz dirent: / Au païsan de grande utilité, / De peu de coút, & grand’ facilité.

Ex-libris Barbier-Mueller

L’ouvrage est bien imprimé en lettres italiques et dans une orthographe conforme à l’usage de l’époque et non pas dans celle qu’avait inventée Peletier du Mans. En effet notre mathématicien-poète s’était passionné un temps pour la réforme de l'orthographe et, comme l’avait fait de son côté Antoine de Baïf ou Pierre Maigret, il avait proposé dans son Dialogue de l'ortografe e prononciation françoese de 1550 un système graphique nouveau, proche de la phonétique, qui n'aura aucun succès, mais qu'il adoptera lui-même dans ses œuvres, ce qui entraine quelques difficultés de lecture pour nous qui sommes habitués  à lire d’un coup d’œil un ensemble de mots dans une phrase et non pas les syllabes les unes à la suite des autres [12].

Heureusement, l’imprimeur Jacques Bertrand tenait un petit atelier à Annecy dans lequel il imprimait peu et avec un matériel réduit.  Si bien que Peletier du Mans dut renoncer à lui faire utiliser les caractères spéciaux correspondant à la graphie moderne qu’il avait inventée à Paris, faute de matériel adapté. La seule particularité du texte est la suppression quasi systématique du doublement des consonnes.

Nous ne savons pas pourquoi, il choisit de rester en Savoie jusqu’à l’impression du livre pour retourner à Paris à peine l’édition publiée et en pleine Saint Barthélémy. Il aurait pu tout aussi bien rentrer avec son manuscrit pour le faire imprimer plus commodément dans la capitale. A vrai dire, il était déjà passé à autre chose, c’est un recueil de géométrie en latin dédié à Charles-Emmanuel de Savoie, fils de sa protectrice, le De Usu geometriae liber unus [13] auquel il consacra ses efforts durant les mois de son retour avant de repartir enseigner les mathématiques à Poitiers, loin des marmottes et des ours.

Bonne Journée,

Textor



[1] Titre complet : La Savoye de Jaques Peletier du Mans, A tresillustre Princesse Marguerite de France, Duchesse de Savoye & de Berry. Moins & meilleur. A Anecy, Par Jaques Bertrand. M.D.LXXII. Collation : In-8 de 79, [1 bl.] p. (sig. A-E8). L’exemplaire présenté provient de la collection Jean-Paul Barbier-Mueller avec son ex-libris et une mention d’achat en Octobre 2014 à Auxerre (Vente Auxerre Enchères 27 Sept. 2014).

[2] La Savoye a connu 2 rééditions : i) Par Joseph Dessaix (in Mémoires et Documents de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie T. 1 Chambéry, 1856) ; ii) Par Charles Pagès (Bibl. savoyarde, Moutiers Tarentaise, Ducloz, 1897). L’exemplaire de la BM de Tours a été numérisé par le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes. http://www.bvh.univ-tours.fr/Consult/index.asp?numfiche=848

[3] Lettre en latin à son frère Jean Peletier dans les pièces du In Euclidis Elementa geometrica... (Lyon, de Tournes, 1557, in -fol.).

[4] Marguerite de France (1523-1574) duchesse de Savoie et du Berry, fille de François 1er, dont la grand-mère maternelle était Anne de Bretagne et la grand-mère paternelle, Louise de Savoie.

[5] Livre Second, p.42.

[6] Son frère Jean-Gaspard Lambert était un ami de Marc-Claude de Buttet mais il serait décédé avant 1569 et c’est donc plus vraisemblablement Claude que Jacques Peletier a pu rencontrer.

[7] La vie de Jehan de Piochet (1532-1624), cousin de de Buttet, est bien documentée grâce à ses dix livres de raison et son livre de comptes de 1568 conservés aujourd’hui aux Archives départementales de la Savoie. Piochet poursuivit des études de droit à Avignon avec Amé Du Coudray mais choisit une carrière d’armes. Il est capitaine du château de Chambéry à partir de 1569, quand Jacques Peletier arrive en Savoie. Voir R. Devos et P. Le Blanc de Cernex, Un ‘humaniste’ chambérien au XVIe siècle: Jehan Piochet de Salins d'après ses livres de raison, in Vie quotidienne en Savoie, Actes du VIIe Congrès des Sociétés Savantes de Savoie, Conflans, 1976.

[8] Livre Second, p 44.

[9] Tiers Livre, p.75 : Apres l’avoir deus ans entiers hantee, Et aiant vu cinquantecinq hyvers, ….

[10] Peut-être mentionne-t-il ce village pour sa chapelle dédiée à Sainte Marguerite, sainte patronne de sa protectrice.

[11] Livre second, p. 36. 

[12] Un exemple de son illisible graphie :  Madamɇ, lɇ grand dɇſir quɇ j’auoę̀ dɇ deſſe̱ruir (a toutɇ ma poßibilite) la gracɇ ſouuɇreinɇ dɇ feuɇ la Reinɇ votrɇ tre dɇbonnerɇ e tre rɇgretteɇ merɇ, m’auoè̱t induìt a lui vouloę̀r dedier un mien Dialoguɇ dɇ l’Ortografɇ e Prononciation Françoȩſɇ.

[13] Parisiis, apud E. Gorbinum, octobre 1572 - In-4°, pièces limin., 44 p., fig.

mercredi 28 septembre 2022

Les Merveilles des Bains d’Aix en Savoye et autres très-excellentes sources thermales (1623)

En cette période de sécheresse estivale, alors qu’il est loisible de traverser la Leysse à pied, il m’est apparu rafraichissant de vous présenter un certain nombre de petits ouvrages sur les bienfaits de l’eau en Savoie, eau que l’on boit sans modération depuis l’époque des romains. Ce thème n’intéresse évidemment qu’une poignée d’érudits savoyards, et encore pas tous, car il faut écarter d’emblée les amateurs de vins de Cruet.

Le premier à s’être intéressé aux bienfaits des eaux d’Aix est le docteur Jean Baptiste de Cabias, médecin dauphinois, exerçant à Vienne puis à St Marcellin, qui se dit un jour qu’il irait bien vérifier sur place la qualité des eaux qu’il prescrivait à ses patients. Il entreprit le voyage, quittant sa province et son officine pour se rendre à Aix-en-Savoye goutter l’eau des thermes, ne sachant leurs propriétez et qualitez que par la coutume et usage familiers de ceux de ceste province. Il s’installa à l’auberge de la Croix-Blanche de Juin à Octobre 1621 ou 1622, puis fit publier en 1623 son petit livre intitulé Les Merveilles des Bains d’Aix en Savoye, ouvrage imprimé à Lyon par Jacques Roussin.

Titre de l'ouvrage de Cabias, 1623

Cabias fait un tour exhaustif du sujet, divisé en 2 livres et 31 chapitres, où il décrit d’abord les lieux et la forme des bains, puis la qualité et propriété de l’air, la méthode générale pour prendre les Bains, Les remèdes nécessaires à ceux qui prennent les Bains, puis il poursuit sur les diverses maladies que les eaux aident à soulager, depuis la stérilité des femmes jusqu’à la surdité, en passant par toutes les maladies de peau, la gale, la lèpre, la vérole, sans oublier la goute et la sciatique.

L’homme est curieux, énergique mais il se garde bien de vouloir pousser le temps par les espaules ni vivre trop paresseusement en curieux et chercheur, car à l’époque il vaut mieux être prudent et se garder de toute curiosité antireligieuse à vouloir trop sonder et expliquer. Il s’excuse presque d’avoir recherché ce qu’il appelle le secret des causes : C’est chose fort honnorable de scavoir ce que la nature nous enseigne mais de passer outre et apostropher le Seigneur des Seigneurs, dire beaucoup de ce qu’on ne peut rien scavoir, c’est vouloir trop entreprendre…. Petite mise au point nécessaire pour éviter d’offenser les docteurs en théologie. Ce passage rappelle toute la difficulté pour un médecin du 17ème siècle de faire des observations de « chimiatrie » sur site.



Les Merveilles des Eaux d'Aix, exemplaire Petit

A quelle école avait été formé Cabias ? Il ne le dit pas et nous ne le retrouveons pas dans les registres des universités de Lyon ou de Montpellier. Notre auteur est à la fois archéologue, médecin, chimiste. Il est aussi l’un des premiers à décrire la beauté des montagnes alentours, la douceur du site et à promettre aux malades de guérir dans un cadre enchanteur.

Les Romains se servaient des eaux d'Aix, comme des autres thermes en général, pour l’usage de la piscine et des bains de vapeur. Il reste à Aix-les-Bains des vestiges de bassins antiques et de conduits pour la vapeur. Après l'abandon des thermes romains, l'emploi des eaux fut longtemps réduit à la grotte proche de la source de soufre qu'une muraille divisait pour permettre aux-malades des deux sexes de venir s'y baigner. Nous savons peu de chose sur les traitements administrés. 

Il faut attendre Cabias et son livre pour avoir une description détaillée de l’administration des soins. A son époque, l’usage est aux bains, sudations et douches qu'on fait tomber « du plus haut qu'on peut ». Le traitement par l'eau était pour le moins énergique :  Pour le séjour des malades dans les bains, c'est d'une petite demi-heure, car tout aussitôt que le coeur manque et qu'on abonde en sueurs sur le visage, il faut se faire porter hors du bain, autrement on tomberait en syncope. Après le bain, se couvrir d'une robe de chambre, se mettre dans une chaise, chacun se fait porter dans son logis où l'on se couche dans un lit bien chauffé pour suer une demi-heure.

L’exemplaire présenté provient de la bibliothèque du docteur Blanc, dispersée en 2010, et avant elle de la bibliothèque du médecin lyonnais Marc-Antoine Petit avec son super-libris doré sur le premier plat. Chirurgien-Major de l’Hôtel-Dieu de Lyon, membre du conseil municipal, et de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, il légua une partie de sa bibliothèque à la ville de Lyon.

Devenu rarissime, pour ne pas dire introuvable, l’ouvrage manquait à la plupart des bibliothèques médicales bien qu’il avait été réédité en 1688 [1] ; aussi le docteur Léon Brachet décida, en 1891, de le faire réimprimer par Ducloz à Moutiers en Tarentaise avec une préface et des notes bibliographiques par Victor Barbier (1828-1898), le célèbre conservateur de la bibliothèque municipale de Chambéry. C’est une copie page à page du texte original, sur beau papier, l’auteur n’hésitant pas à reproduire à l’identique ou dans leur style les lettrines gravées, bandeaux et culs de lampe. Le tirage est de 500 exemplaires, tous numérotés.

La réimpression du docteur Brachet

Cet ouvrage marque le début d’une longue suite de publications consacrées aux eaux d’Aix, parmi lesquelles nous pouvons citer, parmi les principales, celles de :

1/ Jean Panthot : Brèves dissertations sur l'usage des bains chauds et principalement des eaux d'Aix, Lyon, Jacques Guerrier, 1700. 

2/ Joseph Daquin: Analyse des eaux thermales d'Aix en Savoye, dans laquelle on expose Les diverses manières d'user de ces eaux, la méthode & le régime de vivre qu'il convient de suivre pendant leur usage, & les différentes maladies pour lesquelles elles sont employées ; avec plusieurs Observations qui y sont relatives, pour en constater les propriétés. Chambéry, de l'imprimerie de M. F. Gorrin, imprimeur du Roi, broché de l'épitre au Roi, de la préface et des préliminaires. Edition originale selon Quérard mais il existe des exemplaires à la date de 1772, avec la même pagination mais dont le faux titre et le titre sont différents.

L'Analyse des Eaux d'Aix par Joseph Daquin, 1773

L'analyse des eaux d'Aix par le citoyen Socquet, 1802

Plan de la grotte inséré dans l'ouvrage de Socquet

Le médecin savoyard Joseph Daquin, outre son statut de créateur de la médecine psychiatrique dite aliéniste, présente un intérêt tout particulier pour le thermalisme car c’est en constatant la méconnaissance des eaux thermales et leur prescription aveugle qu'il a décidé de mettre en œuvre ses recherches et de proposer son analyse.

Il évoque notamment dans cet ouvrage les thermes romains qui furent redécouverts par hasard l'année de la publication de son étude. Sa thèse, fort rare, établie scientifiquement la qualité des eaux d'Aix et leur prépondérance.

L’ouvrage sera republié sous le titre Les Eaux thermales d'Aix dans le département du Mont Blanc, Chambéry, Cléaz 1808.

3/ Socquet, Analyse des eaux thermales d'Aix (en Savoie), département du Mont-Blanc, Chambéry Cleaz, 1802.

4/ Constant Despine : Manuel de l'Etranger aux eaux d'Aix ; Annecy, Burdet, 1834.

Si les eaux d’Aix font merveilles, ce ne sont pas les seules car il faut compter aussi sur les vertus des eaux de Challes et de la Boisse, pour rester dans les environs de Chambéry.

Celles de la Boisse retiennent l’attention des bibliophiles en raison de la longue polémique qu’elles déclenchèrent au sujet de leurs bienfaits supposés. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui, dans la banlieue industrielle de Chambéry, cette source qui coulait inlassablement au pied d’une colline boisée. Elle aurait pu changer le destin de la cité des ducs, faisant de Chambéry une station thermale capable de rivaliser avec Challes-les-Eaux ou Aix-les-Bains.

Déjà, en 1738, le docteur François Grossy, ami de Mme de Warens, protectrice du jeune Jean-Jacques, la conseillait à ses patients. Dix ans plus tard, son disciple, le docteur Fleury, la prescrit aux soldats de l'armée d'occupation espagnole. Très vite, la rumeur se répand dans les chaumières.

L'eau de la Boisse a le don de prévenir plus d'un malaise, de dissiper plus d'une migraine, de guérir plus d'une langueur et de rétablir dans leur état normal les nerfs agacés, chuchotent les habitants.

Coquettes et dandys en font un remède à la mode jusqu'à ce que Joseph Daquin démente les qualités de cette eau qu'on croyait ferrugineuse. S'appuyant sur une expérience, il déclare formellement que cette eau au goût dur, terreux, rebutant, ne contient aucun principe minéral, pas même de fer, et la couleur rouille déposée sur les pierres par la source est commune à tous les endroits par où s'écoulent les marais.

Sur ordre du roi à Turin, l'intendant Vacca fait exécuter des travaux de soutènement et achète le terrain en 1778. Mais, bientôt, la polémique divise le monde scientifique. En 1830, les travaux de deux pharmaciens confirment scientifiquement les qualités minérales de l'eau, qu'ils comparent à celle de Spa et d'Evian. Présentée aux expositions de Turin et de Paris, elle ne sera jamais exploitée. L'enthousiasme retombe peu à peu. Et son existence se perd dans les tréfonds de l'oubli. Seuls subsistent une suite de petits ouvrages, difficiles à réunir, qui sont cités en partie par l’Abbé Grillet :

1/ Lettre adressée au docteur Daquin sur les eaux de la Boisse par M Despines père. 1777

2/ Analyse des eaux de la Boisse par M Daquin. Chambéry ,1777, in-8 

3/ Boessia salutifera en vers latins et français par Mr François Marie Thérèse Panisset professeur de rhétorique et préfet des Etudes du collége de Chambéry, 1778, in-8.

4/ Lettres sur les vertus des eaux ferrugineuses de la Boisse près de Chambéry, écrite à M Potôt professeur du collège de médecine de Lyon par M Fleury proto-médecin de la province de Savoie. Chambéry, chez J Lullin, 1778 in-8. Seconde édition, augmentée des Observations sur les Cures opérées par ces Eaux. (La première édition est inconnue)

5/ Lettre contenant l'analyse des eaux de la Boisse et quelques réflexions sur cette analyse pour servir de réponse à la brochure de M. Fleury, exerçant le Proto-Médicat de Savoie à Chambéry. Lyon, Regnault 1778. In-8 de 46 pp (1) f bl - 69 pp., (3) pp (Dern.p. bl.)

6/ Lettre contenant l’histoire et un essai d’analyse des eaux de la Boisse pour servir de réponse à M Chastaignier de Lyon par M Boisset fils. Turin, chez Briolo, 1779, In-8 de 46 pp (1) f bl - 70 pp., (1) f

7/ Analyse des eaux de la Boisse près de Chambéry, faite à l'invitation de M. Fleury, docteur de Montpellier & de Turin, représentant le magistrat du proto-médicat dans la ville de Chambéry & province de Savoye... par M*** (Tissier). Chambéry, Gorrin, 1779. In-12 de 30 pp. L'auteur, François -Marie Tissier, dit Tissier père, était Maître en pharmacie de la ville de Lyon.

L’abbé Grillet ne cite pas l’ouvrage de Chastaignier ni celui de Tissier. Il est étonnant de constater le nombre de publications que déclencha les supposée vertus d’une source qui ne fut jamais exploitée !



Trois pages des Lettres sur les vertus 
des eaux ferrugineuses de la Boisse par Fleury, 1778



Analyse des Eaux de la Boisse par Tissier, 1779

Lettre contenant l'analyse des eaux de la Boisse
 par Chastagnier, 1779

Lettre contenant l'Histoire et un Essai d'Analyse
 des Eaux de la Boisse par Boisset, 1779

Il y eut tout autant de brochures sur les bienfaits des eaux de Challes, petite station thermale aux portes de Chambéry, fief des comtes de Challes puis des Millet de Challes. En 1792, la Savoie se rallie à la Révolution, provoquant l’exil volontaire du marquis de Milliet. Leur château fut alors racheté par l'ancien intendant du marquis, nommé Balmain. Son gendre, Louis Domenget, médecin du Roi et de la famille royale en Savoie, professeur de médecine, de chimie et de botanique découvrit, lors d’une promenade le 11 avril 1841, une source d’eau sulfureuse qu’il étudia, expérimenta et fit connaître au monde savant.

Cette découverte a complètement changé le devenir du village voisin qui s’appelait alors Triviers. C’était jusqu’alors une petite commune rurale pauvre, qui avait du mal faire face à ses dépenses (au début du 19ème siècle, elle n’est pas capable de payer les travaux de l’église ni le curé). L’exploitation des eaux thermales va amener la commune à se développer avec la construction de nombreux hôtels et pensions, d’une ligne de tramway vers Chambéry, etc. Pour être plus attractive pour les touristes, la commune demande à changer de nom dès les années 1860. C’est ainsi que Triviers devint Challes-les-Eaux par un décret du 12 février 1872.

Le Nouveau Recueil de Faits et Observations 
sur les eaux de Challes de Louis Domenget, 1845

La reliure aux Armes du roi Victor-Emmanuel II de Savoie

Louis Domenget a fait publier plusieurs opuscules sur les caractéristiques de la source, dont le Nouveau recueil de faits et observations sur les eaux de Challes en Savoie (Chambéry, Puthod, 1845) et dix ans plus tard ses Considérations sur les eaux Minérales naturelles, sulfureuses, alcalines, iodurées, bromurées, glairineuses de Challes en Savoie près Chambéry (Chambéry, Imprimerie Nationale, 1855). Un exemplaire de présent du Nouveau Recueil fut offert au roi d’Italie, Victor-Emmanuel II de Savoie. Pour l’occasion l’opuscule in-8 fut imprimé au format in-folio et habillé d’une reliure aux armes de la Maison de Savoie, donnant ainsi des marges disproportionnées à l’exemplaire.

De cette longue énumération de titres, force est de conclure que les sources thermales de Savoie ont fait presque couler plus d’encre qu’elles ne débitent d’eau !

Bonne Journée,

Textor



[1] Cabias, Les Vertus merveilleuses des Bains d'Aix en Savoie, 1688 - Cette édition est presque aussi rare que l'édition originale de 1623 (Guilland, Bibliographie d'Aix). On en connaît quatre exemplaires conservés dans les dépôts publics : BnF, BM Lyon, Chambéry et Iéna.