Nous avons tendance à oublier que
Joachim du Bellay était avant tout, pour ses contemporains, un bon juriste. C’est
pour ses connaissances dans cette matière et ses compétences en négociations
que son oncle, le Cardinal Jean du Bellay, l’emmena avec lui à la Cour
pontificale de Rome, en 1553. Ses écrits politiques ne sont pourtant pas les
plus connus, ni les plus faciles à interpréter [1].
Le poète est rapidement déçu par
Rome, par les intrigues de la Cour comme par les missions qu’on lui confie car
son rôle se résume à une activité d’intendant. Son oncle mène grand train et il
lui faut gérer les cordons de la bourse. Je suis né pour la Muse, on me fait
ménager [2].
Il s’ennuie. Le spectacle des mœurs de cette Babylone que lui parait être Rome
est une amère désillusion pour lui qui ne connaissait les vrais Romains
qu'à travers Virgile et Pétrarque. Il exprime son dégoût de l'exil et son
amertume dans les Regrets et plusieurs fois il envisage un retour au
pays natal mais l’espoir d’une brillante carrière diplomatique le retient
auprès du cardinal.
Pourtant, il aurait pu s’apercevoir
que le cardinal ne cherchait qu’à sauver les apparences car il était tombé en
disgrâce auprès du roi de France et n’avait plus guère le pouvoir d’influencer
le cours des évènements. Il était arrivé à Rome pendant les derniers mois du
pontificat de Jules III avec pour mission de renouveler la trêve de Passau,
conclue en 1552 entre Henri II et Jules III. Cette mission tourna court
lorsque, après l'élection du nouveau pape Paul IV, les ennemis du cardinal du
Bellay, dont le cardinal de Lorraine, un Guise, lui reprochèrent son intimité
avec Carpi, un cardinal proche des Habsbourg.
Joachim avait-il perçu toutes ces intrigues ? Toujours est-il que dans ce contexte, la trêve de Vaucelles est accueillie avec enthousiasme par le poète. L’occasion est belle d’en faire compliment au Roi et de rechercher ainsi ses faveurs, pour un éventuel retour. Il compose le ''Discours au Roy sur la tresve de l'an M.D.L.V'' [3], écrit très certainement dans l’enthousiasme de l’évènement, c’est-à-dire dès Février 1556. Du Bellay acclame son souverain magnanime qui aurait pu se contenter d’une victoire par les armes : La Tresve bienheureuse ... / Sire, vous asseuroit de r'emporter l'honneur, / Et vous avez trop plus, tenant ja la victoire, / Prisé le bien public que vostre propre gloire.
Puis il fait l’éloge de la paix
et invite les princes d’Europe à unifier leurs forces face au péril venu du
Levant :
La paix irait devant, et d'un rameau d'olive
Umbrageant ses cheveux ferais au premier ranc
Chascune en son habit, cheminer flanc à flanc,
Vostre France et l'Espaigne avec toute leur troppe,
Et la plus grande part des provinces d'Europe,
Qui d'un commun accord vostre enseigne suyvant
Chrestiennes conduiraient leurs forces en Levant.
Les hostilités contre l’Empire
des Habsbourg duraient déjà depuis quelques années. L’Espagne de Charles Quint
était en guerre contre la France depuis que celle-ci s’était allié aux princes
protestants allemands par le traité de Chambord en 1552. Mais Charles Quint
subit des revers ; il cherchait une solution pour sortir de ce conflit et
préparer sa succession (Il abdiquera le 25 octobre 1555). À cet effet, il
conclut à Vaucelles une trêve de cinq ans : ce traité reconnaissait les
nouvelles possessions françaises (les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, de
nombreuses places fortes entre le Luxembourg et la Flandre, ainsi que diverses
possessions en Piémont, dans le centre de l'Italie et en Corse).
Mais la paix fut de courte durée :
Car la guerre en avait la serrure brouillée, / Et la clef en était par l'âge
si rouillée / Qu'en vain, pour en sortir, combattait ce grand corps …[4]
En effet, le pape Paul IV, farouchement
hostile aux Habsbourg, cherchait à relancer le conflit : il excommunia Charles
Quint et son successeur Philippe II d'Espagne, et il promit aux Français le
royaume de Naples. Ces machinations, ainsi que celles de son légat, son propre
neveu Carlo Caraffa, poussèrent les Impériaux à envahir les États pontificaux.
Le cardinal du Bellay, pourtant
venu à Rome avec d’autres intentions, suivit le parti du Pape et s’emporta violemment
contre Philippe II, contre l’hypocrisie de ce saint Philippe, ce bon
devot roy Phelippes [5] .
Henri II envoya aussitôt en Italie une armée conduite par le duc de Guise.
Après une série de victoires, de Guise s'enlisa et dut abandonner sa campagne
pour rentrer en France en septembre 1557, tandis que le pape finit par
s'entendre avec Philippe II.
Il semble que Joachim du Bellay
ne partageait pas le revirement d’opinion de son oncle. Il était pour la paix
et non la reprise des hostilités. Sentiment partagé par la majorité des français
qui étaient contents que la paix se fît, d'autant plus qu'ils savaient la
France épuisée par la guerre.
Nous ne sommes faschez que la tresve se face :
Car bien que nous soyons de la France bien loin,
Si est chascun de nous à soy-mesme tesmoin
Combien la France doit de la guerre estre lasse.[6]
Toutefois, il attendit son retour
en France pour publier son poème, comme il le fit pour tout ce qu'il avait
écrit pendant quatre ans à Rome. Mais, à la fin de 1557, il était trop tard, le
Discours n'était plus de saison. La trêve avait été rompue dès Octobre
1556 et son poème devenait anachronique. Il lui fallut différer encore la
publication.
C'est seulement en fin d’année 1558
que l'opuscule put voir le jour à une date indéterminée, probablement après la
prise de Thionville (22 juin 1558) laquelle fit renaitre des espoirs de paix.
Le privilège du Roy, bien que mentionné sur la page de titre, fait défaut [7]
et donc rien ne permet de dater précisément la publication, d’autant que
certains exemplaires de l’édition originale, comme celui présenté ici, porte
une page de titre renouvelée avec la date de 1559.
Pour actualiser son texte, du
Bellay ajoute au manuscrit, qu’il avait sans doute envoyé au Roi bien avant la
publication, une introduction en vers dans laquelle il rappelle que (le Ciel) permit
que le discord, d’une fureur nouvelle / vint arracher des mains des deux Roys
plus puissans / La Tresve qui entre eulx devait durer cinq ans /
….Recevons désormais le bien qui se présente / Renouons cest accord d’une plus
forte main.
Il était plus facile de prendre
parti en 1558 que deux ans auparavant. Un autre sonnet des Regrets fait
aussi allusion à la Trêve de Vaucelles,[8]
dans lequel le poète ne s’adresse pas directement au Roi mais à la Trêve
elle-même : Tu sois la bienvenue, ô
bienheureuse tresve / Tresve que le chrétien ne peut assez chanter / puisque
seule tu as la vertu d’enchanter / de nos travaux passés la souvenance gresve.
Si du Bellay semble très
clairement pencher en faveur de la paix et loue son négociateur principal, le
Duc de Montmorency, dans le Discours au Roy, cela ne l’empêche pas
d’écrire par ailleurs des sonnets en l’honneur de Jean d'Avanson [9],
ambassadeur de France qui, lui, était du parti des Guise, c’est-à-dire pour une
politique guerrière en Italie : Comme celui qui avec la sagesse / Avez
conjoint le droit et l’équité, / Et qui portez de toute antiquité / Joint à
vertu le titre de noblesse [10].
Subtile manœuvre politique ou inadvertance d’un poète ? Difficile de
savoir de quel côté était vraiment du Bellay.
Quoiqu’il en soit, le poète sera
entendu puisque la paix du Cateau-Cambrésis finit par être signée le 3 Avril
1559, scellant la fin des guerres d'Italie et la lutte pour l'hégémonie en
Europe entre Habsbourg et Valois.
Le Ciel voulant tirer d'une
rigueur cruelle
Une humaine douceur, d'un
orage un beau temps.
D'un hyver froidureux un
gracieux printemps.
Et d'une longue guerre une
paix éternelle…
Bonne journée,
Textor
[1] Voir La
poésie politique de Joachim Du Bellay, dans Du Bellay : actes du colloque international
d’Angers du 26 au 29 mai 1989, t. 1, sous la dir. de Georges Cesbron, Angers,
Presses de l’université d’Angers, 1990, p. 77-78.
[2] Les
Regrets, sonnet XXXIX.
[3]
Plaquette in-4 de 6 ff. imprimée en car. Romains, sign. A4. Réglures à l’encre
rouge.
[4] Les
Regrets Sonnet CXXV.
[5] Sur la
Trêve de Vaucelles voir Bertrand Haan, Une paix pour l’Eternité. La
négociation du traité du Cateau-Cambrésis. Bibliothèque de la Casa de
Velázquez n° 49 – 2010.
[6] Les
Regrets, Sonnet CXXIII.
[7] Ma
bibliothèque poétique, Partie 4, Jean Paul Barbier, p 506. Ni privilège, ni
achevé d’imprimer.
[8] Sonnet
CXXVI.
[9] Les
Regrets, sonnets CLXIV et CLXV.
[10] Les
Regrets, poème A monsieur d’Avanson.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos commentaires sur cet article ou le partage de vos connaissances sont les bienvenus.