jeudi 5 août 2021

La Trêve de Vaucelles ou la conscience politique de Joachim du Bellay. (1559)

Nous avons tendance à oublier que Joachim du Bellay était avant tout, pour ses contemporains, un bon juriste. C’est pour ses connaissances dans cette matière et ses compétences en négociations que son oncle, le Cardinal Jean du Bellay, l’emmena avec lui à la Cour pontificale de Rome, en 1553. Ses écrits politiques ne sont pourtant pas les plus connus, ni les plus faciles à interpréter [1].

Le poète est rapidement déçu par Rome, par les intrigues de la Cour comme par les missions qu’on lui confie car son rôle se résume à une activité d’intendant. Son oncle mène grand train et il lui faut gérer les cordons de la bourse. Je suis né pour la Muse, on me fait ménager [2]. Il s’ennuie. Le spectacle des mœurs de cette Babylone que lui parait être Rome est une amère désillusion pour lui qui ne connaissait les vrais Romains qu'à travers Virgile et Pétrarque. Il exprime son dégoût de l'exil et son amertume dans les Regrets et plusieurs fois il envisage un retour au pays natal mais l’espoir d’une brillante carrière diplomatique le retient auprès du cardinal.

Pourtant, il aurait pu s’apercevoir que le cardinal ne cherchait qu’à sauver les apparences car il était tombé en disgrâce auprès du roi de France et n’avait plus guère le pouvoir d’influencer le cours des évènements. Il était arrivé à Rome pendant les derniers mois du pontificat de Jules III avec pour mission de renouveler la trêve de Passau, conclue en 1552 entre Henri II et Jules III. Cette mission tourna court lorsque, après l'élection du nouveau pape Paul IV, les ennemis du cardinal du Bellay, dont le cardinal de Lorraine, un Guise, lui reprochèrent son intimité avec Carpi, un cardinal proche des Habsbourg.

Page de Titre du Discours au Roy.



Joachim avait-il perçu toutes ces intrigues ? Toujours est-il que dans ce contexte, la trêve de Vaucelles est accueillie avec enthousiasme par le poète. L’occasion est belle d’en faire compliment au Roi et de rechercher ainsi ses faveurs, pour un éventuel retour.  Il compose le ''Discours au Roy sur la tresve de l'an M.D.L.V'' [3], écrit très certainement dans l’enthousiasme de l’évènement, c’est-à-dire dès Février 1556. Du Bellay acclame son souverain magnanime qui aurait pu se contenter d’une victoire par les armes : La Tresve bienheureuse ... / Sire, vous asseuroit de r'emporter l'honneur, / Et vous avez trop plus, tenant ja la victoire, / Prisé le bien public que vostre propre gloire.

Puis il fait l’éloge de la paix et invite les princes d’Europe à unifier leurs forces face au péril venu du Levant :

La paix irait devant, et d'un rameau d'olive

Umbrageant ses cheveux ferais au premier ranc

Chascune en son habit, cheminer flanc à flanc,

Vostre France et l'Espaigne avec toute leur troppe,

Et la plus grande part des provinces d'Europe,

Qui d'un commun accord vostre enseigne suyvant

Chrestiennes conduiraient leurs forces en Levant.

Discours au Roy, f° Aii


Discours au Roy f°5v-6r.

Les hostilités contre l’Empire des Habsbourg duraient déjà depuis quelques années. L’Espagne de Charles Quint était en guerre contre la France depuis que celle-ci s’était allié aux princes protestants allemands par le traité de Chambord en 1552. Mais Charles Quint subit des revers ; il cherchait une solution pour sortir de ce conflit et préparer sa succession (Il abdiquera le 25 octobre 1555). À cet effet, il conclut à Vaucelles une trêve de cinq ans : ce traité reconnaissait les nouvelles possessions françaises (les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, de nombreuses places fortes entre le Luxembourg et la Flandre, ainsi que diverses possessions en Piémont, dans le centre de l'Italie et en Corse).

Mais la paix fut de courte durée : Car la guerre en avait la serrure brouillée, / Et la clef en était par l'âge si rouillée / Qu'en vain, pour en sortir, combattait ce grand corps …[4]

En effet, le pape Paul IV, farouchement hostile aux Habsbourg, cherchait à relancer le conflit : il excommunia Charles Quint et son successeur Philippe II d'Espagne, et il promit aux Français le royaume de Naples. Ces machinations, ainsi que celles de son légat, son propre neveu Carlo Caraffa, poussèrent les Impériaux à envahir les États pontificaux.

Le cardinal du Bellay, pourtant venu à Rome avec d’autres intentions, suivit le parti du Pape et s’emporta violemment contre Philippe II, contre l’hypocrisie de ce saint Philippe, ce bon devot roy Phelippes [5] . Henri II envoya aussitôt en Italie une armée conduite par le duc de Guise. Après une série de victoires, de Guise s'enlisa et dut abandonner sa campagne pour rentrer en France en septembre 1557, tandis que le pape finit par s'entendre avec Philippe II.

Il semble que Joachim du Bellay ne partageait pas le revirement d’opinion de son oncle. Il était pour la paix et non la reprise des hostilités. Sentiment partagé par la majorité des français qui étaient contents que la paix se fît, d'autant plus qu'ils savaient la France épuisée par la guerre.

Nous ne sommes faschez que la tresve se face :

Car bien que nous soyons de la France bien loin,

Si est chascun de nous à soy-mesme tesmoin

Combien la France doit de la guerre estre lasse.[6]

 

Toutefois, il attendit son retour en France pour publier son poème, comme il le fit pour tout ce qu'il avait écrit pendant quatre ans à Rome. Mais, à la fin de 1557, il était trop tard, le Discours n'était plus de saison. La trêve avait été rompue dès Octobre 1556 et son poème devenait anachronique. Il lui fallut différer encore la publication.

C'est seulement en fin d’année 1558 que l'opuscule put voir le jour à une date indéterminée, probablement après la prise de Thionville (22 juin 1558) laquelle fit renaitre des espoirs de paix. Le privilège du Roy, bien que mentionné sur la page de titre, fait défaut [7] et donc rien ne permet de dater précisément la publication, d’autant que certains exemplaires de l’édition originale, comme celui présenté ici, porte une page de titre renouvelée avec la date de 1559.

Discours au Roy, introduction.

Pour actualiser son texte, du Bellay ajoute au manuscrit, qu’il avait sans doute envoyé au Roi bien avant la publication, une introduction en vers dans laquelle il rappelle que (le Ciel) permit que le discord, d’une fureur nouvelle / vint arracher des mains des deux Roys plus puissans / La Tresve qui entre eulx devait durer cinq ans / ….Recevons désormais le bien qui se présente / Renouons cest accord d’une plus forte main.

Il était plus facile de prendre parti en 1558 que deux ans auparavant. Un autre sonnet des Regrets fait aussi allusion à la Trêve de Vaucelles,[8] dans lequel le poète ne s’adresse pas directement au Roi mais à la Trêve elle-même :  Tu sois la bienvenue, ô bienheureuse tresve / Tresve que le chrétien ne peut assez chanter / puisque seule tu as la vertu d’enchanter / de nos travaux passés la souvenance gresve.

Si du Bellay semble très clairement pencher en faveur de la paix et loue son négociateur principal, le Duc de Montmorency, dans le Discours au Roy, cela ne l’empêche pas d’écrire par ailleurs des sonnets en l’honneur de Jean d'Avanson [9], ambassadeur de France qui, lui, était du parti des Guise, c’est-à-dire pour une politique guerrière en Italie : Comme celui qui avec la sagesse / Avez conjoint le droit et l’équité, / Et qui portez de toute antiquité / Joint à vertu le titre de noblesse [10]. Subtile manœuvre politique ou inadvertance d’un poète ? Difficile de savoir de quel côté était vraiment du Bellay.

Quoiqu’il en soit, le poète sera entendu puisque la paix du Cateau-Cambrésis finit par être signée le 3 Avril 1559, scellant la fin des guerres d'Italie et la lutte pour l'hégémonie en Europe entre Habsbourg et Valois.

Le Ciel voulant tirer d'une rigueur cruelle

Une humaine douceur, d'un orage un beau temps.

D'un hyver froidureux un gracieux printemps.

Et d'une longue guerre une paix éternelle…

 

Bonne journée,

Textor



[1] Voir La poésie politique de Joachim Du Bellay, dans Du Bellay : actes du colloque international d’Angers du 26 au 29 mai 1989, t. 1, sous la dir. de Georges Cesbron, Angers, Presses de l’université d’Angers, 1990, p. 77-78.

[2] Les Regrets, sonnet XXXIX.

[3] Plaquette in-4 de 6 ff. imprimée en car. Romains, sign. A4. Réglures à l’encre rouge.

[4] Les Regrets Sonnet CXXV.

[5] Sur la Trêve de Vaucelles voir Bertrand Haan, Une paix pour l’Eternité. La négociation du traité du Cateau-Cambrésis. Bibliothèque de la Casa de Velázquez n° 49 – 2010.

[6] Les Regrets, Sonnet CXXIII.

[7] Ma bibliothèque poétique, Partie 4, Jean Paul Barbier, p 506. Ni privilège, ni achevé d’imprimer.

[8] Sonnet CXXVI.

[9] Les Regrets, sonnets CLXIV et CLXV.

[10] Les Regrets, poème A monsieur d’Avanson.

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