Voici un de mes livres préférés qui allie à la sagesse de la Renaissance la poésie des vers latins, à une reliure aux armes une belle typographie sur un papier bien blanc, et pour couronner le tout plusieurs provenances illustres. Quoi rechercher d’autre ?
Michel
de l’Hospital est la figure même de l’humaniste du 16ème siècle. Poète et homme politique, héritier de la
pensée érasmienne, c’est un témoin éclairé de la vie publique française pendant
plus de 30 ans. Il fut successivement conseiller au parlement de Paris (1537),
ambassadeur au concile de Trente, maître des requêtes, surintendant des
Finances (1554), puis finalement chancelier de France (1560). Son nom reste
associé aux tentatives royales de pacification civile durant les guerres de
religion.
En
parallèle de son œuvre législative (Ordonnance de Moulins) et des publications
politiques (Traité de la réformation de la justice, Harangues, mercuriales et
remontrances, Mémoire sur la nécessité de mettre un terme à la guerre civile
(1570), Le but de la guerre et de la paix (1570), Discours pour la majorité de
Charles IX et trois autres discours, etc.), Michel de l’Hospital a composé des
poèmes en latin, les Carmina seu epistolae [1],
sous forme d’épitres adressées à ses amis et à ses relations politiques. C’est
un recueil en 7 chapitres qui ne fut publié qu’après le décès du chancelier en
1585, par son petit-fils Hurault de l'Hospital avec l’aide de Jacques du Faur
de Pibrac, Jacques-Auguste de Thou et Scévole de Sainte-Marthe. Bien imprimé par Mamert Patisson pour le
compte de la veuve de Robert Estienne, il se présente parfois dans des reliures
aux armes [2] comme l’exemplaire présenté.
L’ouvrage
est intéressant pour la beauté des vers mais aussi pour les nombreuses
références autobiographiques qu’il contient ainsi que pour les informations
historiques que donne Michel de l’Hospital sur les évènements de son
temps. Les pièces du recueil ont été
composées sur une longue période, entre 1543 et 1573, les premières sont
rédigées alors que l’auteur est en mission au concile de Trente. Elles ne sont
pas sans rappeler certains vers des Poemata de Joachim du Bellay pour leurs thèmes
du voyage et de l’exil.
La
plupart des poèmes du recueil sont inédits. Quelques épitres seulement avaient
déjà paru dans les pièces liminaires d’autres ouvrages, comme les épîtres III,
8-10 [3] dans les Poemata du
cardinal du Bellay en 1546 ou l’épitre III, 17 dans un ouvrage juridique
d’André Tiraqueau, ou encore dans deux des recueils poétiques de Jean Salmon
Macrin (En 1546 et 1549). D’autres poèmes avaient été traduits par Antoine du
Baïf ou Joachim du Bellay et enfin L’hospital orchestra lui-même la diffusion
d’une dizaine de plaquettes imprimées en 1558 et 1560 par le jeune imprimeur
Fédéric Morel qu’il contribua ainsi à lancer [4]. Les pièces poétiques
circulaient aussi sous forme manuscrite, savamment diffusées par son auteur,
cette diffusion concertée permettant à L’Hospital de créer et puis d’affermir
un réseau de relations d’amitié et de clientèle qui ont pu favoriser son
ascension sociale.
Les
destinataires des poèmes sont très variés, ce sont des prélats (Le cardinal Jean
du Bellay, le cardinal de Lorraine, Georges d’Armagnac), des lettrés (Pierre du
Chastel, maitre de la librairie du Roi François 1er, Achille Bocchi,
humaniste italien, Pontrone, Eusèbe Turnèbe imprimeur reconnu), des poètes (Joachim
du Bellay [5], Salmon Macrin), ou des
hommes de loi (le chancelier François Olivier, Adrien du Drac).
Parmi
tous ces destinataires, le nom de l’un d’eux retient l’attention : pas
moins de onze pièces sont dédiées à Marguerite de France, duchesse de Savoie,
fille de François 1er et de Claude de France et sœur d’Henri II. La
princesse le nommera Chancelier privé du Berry en 1550 et dira de lui Michel
est celuy que j’ayme, honore et estime comme mon pere et milieur ami. [6]
De fait, les Carmina recueillent les plus beaux portraits de Marguerite et reflètent leur long entretien amical et politique au fil des années. Ils se font l’écho de leurs lectures communes (Horace, Cicéron, Flaminio, Du Bellay), de leurs sentiments partagés, de conseils de lectures, de vie et de gestion du pouvoir. Dans une des plus belles lettres, l’épitre II-8 Ad Margaritam, Regis Sororem [7], l’auteur lui confie ses doutes sur la recherche de la vérité et sa peur de tomber en disgrâce, dans l’oubli et l’obscurité : Nostra vagatur / In tenebris, nec caeca potest mens cernere verum.[8] La formule plaira à Montaigne qui la fera graver sur une poutre de sa librairie.
Les
poètes de la Pléiade goûtaient-ils les vers néo-latins du puissant
chancelier ? Les avis semblent contrastés. Joachim du Bellay reconnait du
bout des lèvres une certaine grâce qui n’a rien d’Horatienne.
Lors que je ly & rely mile fois / Tes
vers tracez sur la Romaine grâce / Je pense ouïr, non la voix d’un Horace
/ Mais d’un Platon les tant nombreuses loix [9].
En
bref, l’angevin trouve que L’Hospital composait comme un juriste !
Ronsard,
qui sera destinataire de plusieurs épîtres, se montre plus charitable envers
son protecteur. En 1550, le Vendômois lui dédit une ode pindarique sur les
Muses, en guise de remerciement au lendemain de sa querelle avec le vieux poète
de Cour Mellin de Saint Gelais.
C’est
luy [L’Hospital], dont
les graces infuses / Ont ramené dans l’univers / Le Chœur des Pierides Muses /
Faictes illustres par ses vers / … Cest luy qui honore, & qui prise / Ceulx
qui font l’amour aux neuf Sœurs, / Et qui estime leurs doulceurs, / Et qui
anime leur emprise. [10].
Eloge appuyé mais pas nécessairement très sincère. L’hospital avait fait circuler une élégie-plaidoyer « au nom de Ronsard » (Elegia nomine P. Ronsardi adversus eius obtrectatores et invidos ) qui faisait parler Ronsard en distiques élégiaques latins afin de justifier la qualité de ses odes dont le style pindarisant avait été ridiculisé par Saint-Gelais devant le roi. Exercice compliqué pour Ronsard qui devait à la fois agréer cette élégie du pseudo-Ronsard écrivant en latin pour défendre une œuvre critiquée pour être en français….
Un
feuillet contrecollé sur la première page du livre porte l’information suivante
: "Par Michel de l'Hospital. Epistolarum ...vol petit in-f° vendu 18 fr
à la vente Monmerqué en 1840". Le docteur Jean-Paul Fontaine, alias le
Bibliophile Rhémus, a rapidement identifié l’exemplaire sous le numero 628 de
la seconde vente Monmerqué, non pas en 1840 comme l’indique par erreur la note
manuscrite mais en 1851. L’importante bibliothèque de Louis-Jean-Nicolas
Monmerqué fut dispersée lors de 3 ventes : les autographes en 1831, la
première vente partielle de livres en 1851 et la seconde à son décès en 1861.
Si
l’auteur de la note manuscrite avait pris le soin d’indiquer la provenance et de
relever le prix lors de la vente aux enchères, il n’aurait pas commis une telle
erreur sur la date de l’évènement. Il faut en déduire qu’il l’a inscrite bien
plus tard ou que l’information lui a été (mal) rapportée par un tiers.
Louis-Jean-Nicolas
Monmerqué, était magistrat et littérateur. On lui doit des notices
biographiques (Brantôme, 1823 ; Madame de Maintenon, 1828 ; Jean Ier, 1844,
in-8°) et surtout des éditions de documents anciens comme les Collection de
mémoires relatifs à l’histoire de France, depuis Henri IV jusqu’à la paix de
Paris (1819-1829, 130 vol. in-8°) ou les Lettres de Mme de Sévigné
(1818-1819, 10 vol. in-8°), etc. Ses travaux lui ont valu d’entrer à l’Académie
des inscriptions et belles-lettres en 1833.
Un
journaliste témoin de la seconde vente écrivait à l’époque : « Depuis
plus de huit jours, les amateurs de livres sont captivés par la vente d’une
partie considérable de la célèbre bibliothèque de M. de Monmerqué, … (les
livres) dont M. de Monmerqué vient de publier le catalogue sont généralement
recommandables ou par leur rareté, ou par leur importance historique,
philologique et littéraire. Chaque soir, on s’en dispute la possession avec
l’acharnement le plus louable, et cependant il arrive encore que l'absence ou
la distraction des amateurs, le retard apporté dans certaines commandes,
laissent à si bas prix des adjudications qu’on eût voulu pousser bien au-delà.
Les dix-sept premières vacations sont exclusivement consacrées aux livres
imprimés ; le lundi 4 juin verra commencer la série des manuscrits, qui se
continuera pendant les cinq vacations suivantes. » Une bonne partie
des lots de cette vente aurait été achetée par de la Rochebilière.
Avant
Monmerqué, l’ouvrage était dans la bibliothèque de Mathias Poncet de la Rivière
(1707-1780) qui avait fait confectionner une nouvelle reliure au XVIIIème
siècle et placer ses armes au centre des plats : « qui portent
d'azur à une gerbe d'or, supportant à dextre et à senestre deux colombes
affrontées et becquetant et surmontée d'une étoile, le tout d'or ». Celui-ci fut nommé évêque de Troyes en 1642
puis obtint différentes commendes à l’abbaye de Montebourg et à l’abbaye de
Sainte Bénigne à Dijon, tout cela sans quitter Paris. Il est connu pour sa
résistance au Jansénisme et il s'est fait remarquer par ses prêches et ses
oraisons funèbres qui seront publiées en 1804.
La
notice des principaux articles de la bibliothèque de feu Monseigneur Poncet de
La Rivière. (Paris,
Colas, 1780) contenant la description de sa bibliothèque est citée par Guigard [11] et devait faire mention
de l’ouvrage que j’ai sous les yeux, mais cette notice semble avoir disparu.
Elle n’est portée ni au catalogue de la BNF ni à celui d’une autre bibliothèque
publique.
Dans
son grand âge, Michel de L’Hospital se retira à la campagne, loin du tumulte
public et continua à écrire des vers comme dans sa jeunesse. Condorcet dira de
sa poésie qu’on y trouve partout un goût simple et pur, formé par l’étude de
l’antiquité, une philosophie élevée et consolante, la haine de l’oppression et
du fanatisme, l’amour des lettres et du repos [12]. Voilà bien ce qui dut
séduire les générations de bibliophiles qui se sont transmis ce livre.
Bonne
Journée
Textor
[1] Pour une traduction du livre 1, voir Petris, L. (Ed.). (2014). Michel de L'Hospital, Carmina, livre I (Vol. 531). Genève: Droz.
[2] Un exemplaire aux armes de Charles de Rohan-Soubise était proposé par une librairie de Los Angeles il y quelques années.
[3] La
numérotation actuelle des épitres se fonde sur l’édition la plus complète
(Amsterdam, B. Lakeman, 1732) qui n’est pas celle de l’édition de 1585. Un
tableau de concordance des principales éditions des Carmina a été publié dans
Petris, La Plume et la tribune, p. 549-556.
[5] Aucun
poème n’est destiné à Joachim du Bellay nominativement mais l’épître I, 5 à
Pontrone est intitulée Ad Ioachimum dans le manuscrit et contient une
comparaison entre Tibulle et Du Bellay, poète latin qui avait inspiré ce
dernier.
[6] Marguerite
de Savoie à L’Hospital, [fin novembre 1567] in Michel de L’Hospital, Discours
et correspondance, Discours et correspondance : La plume et la tribune II,
Librairie Droz 2013, p. 225-226, n. 56.
[7] Epitre
II-8 selon le classement actuel mais en 8-2 pp. 83 dans l’édition de 1585.
[8] Notre
esprit erre dans les ténèbres et ne peut, aveugle qu’il est, discerner le vrai.
[9] Joachim
Du Bellay, Les Regrets et autres œuvres poëtiques, Paris, Fédéric Morel,
1558, s. CLXVII, v. 1-4, fol. 40vo
[10] Ode a
Michel de l’Hospital, [Odes 9-11], Livre V des Odes, Paris : Guillaume
Cavellart, 1550.
[11] Joannis
Guigard, Nouvel Armorial du Bibliophile, Guide de l’Amateur des livres
Armoriés, Paris 1890.
[12] Condorcet - Éloge de Michel de l’Hôpital, Œuvres de Condorcet, Didot, 1847 (Tome 3, p. 463-566).