dimanche 12 juillet 2020

Un livre d’arpentage romain : Le De Agrorum conditionibus et constitutionibus limitum. L’exemplaire de William Cecil (1554)

Lorsqu’un livre rejoint ma bibliothèque, commence un long travail de recherches sur les différents personnages qui ont tous contribués à l’histoire du livre : L’auteur, l’éditeur, l’imprimeur ou le typographe, le relieur, parfois le fabricant du papier et enfin le possesseur. Pour cette première notice, inaugurant le blog, je choisis de commencer par le possesseur. En fait, seulement l’un des possesseurs, celui qui a laissé ses armes sur la reliure.

Trouver les informations utiles peut relever du parcours du combattant, surtout lorsque le livre vous a été vendu avec une vague description : "Reliure aux armes non identifiées, probablement anglaises, dorées sur les plats au XVIIe ou au XVIIIe siècle" et qu’à la fin des recherches on réalise que les armes sont parfaitement identifiables et qu’elles sont du XVIème siècle !

Reliure aux armes 

William Cecil, baron de Burghley (1520-1598)

Il s’agit d’un livre d’arpentage romain ; c’est l’édition princeps des recueils des plus célèbres arpenteurs latins sur le droit de bornage et la cartographie. Depuis que Romulus a tracé les fondations de Rome en dessinant un carré au sol avec sa charrue, les romains ont une passion pour le bornage et l’arpentage. Ils avaient un terme pour cela : agrimenseurs (du latin agrimensores, mesureurs du champs). La première mention d'un agrimenseur professionnel est due à Cicéron : il nous a laissé le nom d'un certain Lucius Decidius Saxa, qui était employé sous les ordres de Marc Antoine à l'arpentage des camps militaires.[1]

L’ouvrage a été publié par Pierre Galland et Adrien Turnèbe à Paris en 1554, d'après un manuscrit de l'abbaye de Saint-Bertin à Saint-Omer, rassemblant les écrits de Frontin, Siculus Flaccus, Hygin le Gromatique, Aggenus Urbicus et d'autres arpenteurs romains. L'ouvrage est illustré de 156 bois gravés dans le texte, dont certains à pleine page et un sur un papillon hors texte, présentant divers aspects de l'arpentage, la géométrie, l'agriculture et la géographie, d'après les illustrations du manuscrit.




Quelques pages du livre

Les armes appliquées sur les plats sont celles de William Cecil, baron de Burghley (1520-1598). Il s’agit de la marque n°1 sur les quatres recensées par la Bibliothèque de l’université de Toronto.[2]

William Cecil fut un personnage de premier plan sous les Tudor. Son habileté politique lui permit de rester au pouvoir malgré les changements d’influence : protégé de Somerset au début du règne d’Édouard VI, il survécut à la disgrâce de son maître, parvint à demeurer en grâce sous Marie Tudor, qui l’obligea à se convertir au catholicisme. Dès l’accession au trône d’Élisabeth (1558), il devint son principal secrétaire ; jusqu’à sa mort il joua le rôle d’un véritable inspirateur de l’action royale, avec des titres divers, celui de lord trésorier par exemple ; Il fut élevé à la pairie en 1571. Il sut créer un réseau de fidélités à la Cour et au Conseil privé, s’assurer le concours d’espions nombreux dans tous les groupes de la société, choisir avec bonheur les clans qu’il appuierait et ceux qu’il devrait combattre ; il a surmonté l’hostilité de bien des favoris d’Élisabeth, comme Leicester et Essex. Champion de la cause protestante en Angleterre, lié aux réformés écossais, il a constamment cherché à resserrer les liens avec l’Europe protestante, espérant durant un temps une alliance avec la France de Coligny. Il a été le plus résolu des adversaires de Marie Stuart, l’avocat de son emprisonnement et de son exécution. [3]

Jean Paul Fontaine, dit le Bibliophile Rhemus, ayant retrouvé la référence du catalogue de vente de la bibliothèque de Burghley en 1687. Il ne me restait plus qu’à retrouver mon livre dans le catalogue qui est conservé à la BNF pour être certain que la reliure et les armes étaient d’origine. C’est chose faite. Il figure sous le numero 52 du catalogue de la vente ; Une grande partie de la bibliothèque de Burghley a été vendue par T. Bentley & B. Walford, libraires à Londres sur Ave Mary Lane, le 21 novembre 1687.

Le jour de la visite à la BNF fut un jour de chance car le catalogue contient plus de 3700 références classées par thèmes très généraux et par formats de livres, Je ne savais pas où chercher un livre d’arpentage romain, mais en ouvrant le catalogue au hasard page 20, je suis tombé sur le nom de l’auteur en quelques secondes. J’aurais tout aussi bien pu passer plusieurs heures à rechercher le titre de l’ouvrage !

La bibliothèque était impressionnante, des livres de toutes matières, en latin, français, espagnols, italiens, des manuscrits, etc. Ces livres sont de qualité et choisis avec soin, précise la note introductive de Bentley et Walford. Le bibliophile qui a assisté à la vente à Londres a noté à la plume le prix de vente et parfois le nom de l’acquéreur. Le prix réalisé lors de la vente est souvent à 2 chiffres comme on le voit page 20 mais il est à 3 chiffres pour les manuscrits. Il pourrait s’agir de Pound / Shilling / Pence pour les manuscrits et de Shilling / Pence pour les imprimés. Le De Agrorum a été vendu pour 1 shilling et huit pences, dans la moyenne de prix des livres de philologie et d’histoire. Le catalogue de la vente, quant à lui était vendu pour 6 pences (Catalogues are distributed at 6 d. per book ) donne des détails intéressants sur les conditions de la vente.[4]



Catalogue de la vente de la bibliothèque de Cecil William en 1687 (BnF).

La magnifique bibliothèque du Baron de Burghley, ministre d’Elisabeth 1ere mériterait un chapitre dans le prochain tome des Gardiens de Bibliopolis !

Bonne journée,

Textor.

 


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Arpenteur_romain  

[2] https://armorial.library.utoronto.ca/content/cecil-william-1st-baron-burleigh-1520-1598-stamp-4 

[3]   Voir Sandra di Giusto, les Chroniques de l’Histoire, 13 Sept 2020, chronique consacrée à William Cecil le jour de son cinq centième anniversaire.

[4] Le même ouvrage a fait 2500 GBP à une vente Sotheby en 2018. 


2 commentaires:

  1. Un grand merci pour cet article :) Sandra - Les Chroniques de l'Histoire.

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    1. Merci à vous. Je vais compléter mon papier avec les informations de votre propre article sur le baron de Burghley.

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