dimanche 30 mai 2021

Les sermons d’Olivier Maillard, prêcheur breton. (1506)

Au sortir de la guerre de cent ans, en 1460, sous Louis XI, la France connait un développement économique sans précédent qui s’accompagne d’un renouveau des idées et des mœurs. Le pays se développe, les livres imprimés se multiplient au grand dam d’un prédicateur breton intransigeant qui ne voit dans cette évolution de la société que pêchés et luxure.
Ce prédicateur se nommait Olivier Maillard. Ses sermons et ses anathèmes ont passionné ses contemporains qui se pressaient pour l’écouter à St Jean-en-Grève, une petite église parisienne, disparue aujourd’hui, qui se situait derrière l’hotel de ville.

Olivier Maillard est né en Bretagne, comme nous l’apprend son épitaphe : Premièrement devons savoir/ Par bon vouloir / Qu'il a esté né en Bretagne. Peut-être à Yvignac-la-Tour mais plus surement à Nantes. Toujours est-il que c’est en Aquitaine qu’il commence son éducation chez les moines franciscains ; ces derniers remarquent ses prédispositions à l’étude et l’envoient parfaire ses classes à l’université de Paris où il obtint le grade de docteur avant d’être jugé digne d’occuper une chaire de professeur de théologie. Mais c’est moins pour ses cours que pour sa verve durant ses sermons que notre théologien se fit connaitre.

Les Sermons du Carême prêchés à Nantes (1506)

On sait par la préface que l’éditeur a placée en tête d'un recueil des Sermons de l'Avent, que Maillard commença à parler aux foules assemblées vers l'année 1460. Cette indication recoupe ce que nous dit son épitaphe :  Hélas ! le grand fruit qu'il a fait/ Et parfait/L'espace de quarante-deux ans ! Sa date de décès étant certaine (1502), cette inscription confirme la date de 1460. Comme Il prêchait matin et soir, inlassablement, il n’est pas étonnant qu’on ait conservé de lui plus de 500 sermons donnés non seulement à St Jean-en-Grève mais partout en France et en Europe. On venait l’écouter en Flandres, (où il a donné le fameux sermon fait à Bruges le 5ème dimanche de carême l’an 1500 [1]) comme en Espagne, où l'appelaient souvent sa charge de grand vicaire de l'ordre et aussi parfois sa mission d’émissaire du roi ; en Allemagne comme en Hongrie ou en Angleterre.

S'il faut en croire la même préface des Sermons de l’Avent : « il n'y a presque pas une province en France que n'ait parcourue cet infatigable semeur, répandant partout les germes de la parole de Dieu et partout faisant lever une moisson abondante ». On dit même que son passage à Nantes eut une influence décisive sur la foi très stricte d’Anne de Bretagne.

Olivier Maillard n’est donc pas inconnu des biographes : Labouderie, Levot, le marquis du Roure, Gabriel Peignot, Arthur de La Borderie [2] et l’abbé Samouillan [3] ont écrit sa biographie. Un état bibliographique assez complet de ses œuvres nous est donné par La Borderie (voir Annexe). A ces recherches savantes s’ajoutent les écrits de Charles Labitte [4].

Maillard ne peut pas être réduit à ses prédications, il eut aussi un rôle politique et une œuvre de réformateur. Il tenta de négocier, sans succès, au côté de Charles VIII, l’abolition de la Pragmatique Sanction. On dit qu’il décida ce Prince à restituer la Cerdagne et le Roussillon à l’Espagne.  Il prit aussi une part active à la grande réforme de son ordre : « la stricte observance ». L’initiative venait du cardinal Georges d'Amboise, l'homme de confiance de Louis XII et le légat du Saint-Siège, mais Jean d’Auton nous dit, dans sa chronique, qu’ « ung cordellier, nommé frère Ollivier Maillart de l'observance, estoit lors a Paris dedans le colliege des cordelliers pour iceulx refformer, lequel avoit avecques lui cincquante autres cordelliers de son ordre, voulant iceulx colloquer et mectre dedans pour reduyre les autres à l'observance.[5] » II était venu là comme vicaire général, en charge depuis 1499, avec l'intention d'enfermer ses frères de Paris dans le dilemme soumission ou expulsion.

L’exemplaire des Sermons de Maillard figurant dans ma bibliothèque est composé de quatre parties distribuées dans trois éditions distinctes, toutes publiées par Jehan Petit en 1504, 1506 et 1508. Dans l’ordre chronologique, on trouve d’abord les sermons du Carême prêchés à Nantes (avant 1470): « Opus quadragesimale egregium magistri Oliverii Maillardi, sacre theologie preclarissimi ordinis minorum preconis : quod quidem in civitate Nannetensi fuit per eorumdem publice declamatum, ac nuper Parisius impressum. » [6] Il s’agit de la première édition selon de la Borderie, publiée à Paris sous la marque de Jehan Petit. C’est un in-octavo de 102 ff. (en chiffres arabes) + 22 de table [sign. a-p8, q4]. Une Impression gothique sur 2 colonnes. Exemplaire du premier état avec l’avis au lecteur daté 1506 (le second état sera daté 1507). Cet opuscule contient aussi le Carême du Criminel, qu’on ne trouve que dans cette édition de 1506.

Suivi de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ : Passio domini nostri iesu christi Reverendi p. Oliverii parisius declamata (titre courant : Feria VI de Passione Domini sermo). Sans lieu ni date, (entre 1504 et 1506). Brunet le rattache à une édition de Nantes [7], sans doute par confusion avec le recueil auquel il est souvent relié (Les Sermons de Nantes) mais il est aujourd’hui attribué aux presses d’André Bocard d’après le matériel typographique. C’est un in-octavo de 16 ff. n. c. [sign. A-B4], impression gothique sur 2 colonnes. [8]

Suivent les Sermons du Carême donnés à Saint Jean-en-Grève : Quadragesimale opus declamatum parisiorum urbe ecclesia sancti Johannis in Grauia : per venerabilem patrem sacre scripture interpretem diuini verbi preconem eximium fratrem Oliuerium Maillardi ordinis fratrum minorum [9] ... Paris, Jehan Petit, 1508, in-8° de 174 ff. (en chiffres romains) + 4 de table. Impression gothique sur 2 colonnes, marque de Jehan Petit au titre. (Relié en tête de l’exemplaire).

Sermons prêchés à St Jean-en-Grève - Sermo 1 Fol ii

Page de titre des Sermons du Carême prêchés à St Jean-en-Grève. On observera que cette grande marque de Jehan Petit de 1508 n’est pas la même que celle de 1506 (un lion et un léopard se regardant l’un l’autre pour celle-ci et les regards à senestre, pour celle de 1506).

Le succès d’Olivier Maillard apparait dans les différentes préfaces des éditions anciennes où il est qualifié de très célèbre héraut de la parole divine, de prédicateur incomparable, de fervent, sévère, incorruptible orateur, etc… Il est même encore cité par Rabelais dans le Plantagruel : « Panurge …., les prêchait éloquentement comme s’il fût un petit frère Olivier Maillard, ou un second frère Jean Bourgeois, leur remontrant par lieux de rhétorique les misères de ce monde, le bien et l’heur de l’autre…. » [10]. Rabelais avait certainement apprécié la verve du prédicateur qui n’était pas sans rappeler son propre style.

Les textes des éditions anciennes sont majoritairement en latin mais il n’est pas certain que ce soit dans cette langue qu’Olivier Maillard s’exprimait. Comme il cherchait à s’adresser au plus grand nombre et que le peuple n’entendait rien au latin c’est sans doute en langue vulgaire qu’il diffusait ses sermons.

D'ailleurs, il y a un indice dans un passage de ses sermons : Après avoir cité une suite de textes latins, Maillard dit avec sa bonhomie narquoise : « Mesdames, vous pourriez objecter entre vous : Nous
n'avons pas appris le latin, aussi nous ne comprenons pas ce que vous nous dites. Mais patience, je vais vous l'expliquer [11] ». Et l'explication est aussi en latin ! En réalité Olivier Maillard devait largement improviser ses prêches et il n’est pas l’auteur direct des textes imprimés qui ont été retranscrits postérieurement, sans doute par l’un de ses disciples.

Le Carème des Criminels, annexé à l'édition de 1506.

L'opuscule de la Passion du Christ, datant entre 1504 et 1506, selon la BNF. 

Ce n’est pas l’abondance des publications ni son succès pendant le premier tiers du XVIème siècle qui retiennent l’attention de ceux qui recherchent ses sermons aujourd’hui mais les détails qu’il nous a laissé sur les mœurs de l’époque et ses talents d’observateur de la vie civile à la fin du Moyen-âge. Ajoutez à cela un style fleuri qui étonne encore de la part de cet austère prédicateur et une liberté de parole qui ne serait plus possible aujourd’hui.

‘’Jamais personne n’avait attaqué toutes les classes et toutes les professions sociales avec plus de hardiesse, de virulence et de mauvais goût. Chacun de ses sermons est une satire amère et outrageante, revêtue d’un langage grossier, trivial, et de mots empruntés aux mauvais lieux du plus bas étage” (Hoefer).

Olivier ne semblait jamais trouver de mots assez durs ni d’expressions assez imagées pour ses sermons. Il s'adressait, sans épargner personne, à tous les rangs, à tous les âges, fustigeant riches et pauvres, jusqu’au roi Louis XI qui finit par trouver qu’il dérivait dangereusement vers le crime de lèse-majesté. Il lui envoya un de ses valets pour le menacer de le faire coudre dans un sac et de le jeter à la rivière s'il se permettait encore de pareilles attaques. Maillard lui répondit sans se démonter : « Va dire à ton maître que j'arriverai plus tôt au ciel par eau que lui avec ses chevaux de poste [12] »

La réplique dut amuser le souverain qui venait de mettre en place les premiers relais de poste car il ne mit pas sa menace à exécution et cela ne fit qu’encourager la hardiesse du prédicateur.

La Table des Sermons donnés à St Jean-en-Grève.





Un exemple de son style mêlant latin et français nous est donné dans le vingt-sixième sermon de Carême prêché à Paris, dans lequel il s’offusque des comportements à l’église, de ce qu’on y venait essentiellement pour s’y montrer, faire du commerce ou pire encore pour s’y adonner à la luxure. Olivier Maillard dénonce les dames qui portaient les noms de leurs amants les plus chers sur les marges de leurs livres d'heures : « In horis suis, amantiorum nomma utpote : vostre loyal, vostre mignon, vostre serviteur, vostre tretout, filia dyabolica ! »[13]

L’abbé Samouillan voit dans ce style imagé fait d’anecdotes et de petite scénettes le prolongement des mystères et des farces donnés par l’Eglise au peuple des villes pour mieux faire passer son message. Une des historiettes célèbres, reprise par Anatole France dans les Contes de Jacques Tournebroche, est celle de l’entremetteuse et des cinq dames, toutes de grande beauté. Maillard voulait montrer les différents degrés d'honnêteté ou de perversion, à travers l’attitude et les répliques de la Picarde, la Poitevine, la Tourangelle, la Lyonnaise et la Parisienne. Cette dernière étant évidemment la plus délurée et la plus coupable.

A vrai dire, il n’en voulait pas qu’aux femmes mais à tout le monde, particulièrement aux libraires qui diffusait des livres profanes. « O pauvres libraires ! il ne vous suffit pas de vous damner seuls, vous voulez damner les autres en imprimant des livres obscènes qui traitent de l'art d'aimer et de luxure, et en fournissant occasion à mal faire. Allez à tous les diables [14]» .

Les libraires ne lui en ont vraiment pas tenu rancune, vu le nombre d’éditions des sermons qu’ils publièrent par la suite.

Bonne journée

Textor


Colophon de 1506

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Annexe bibliographique des principales éditions recensées par Arthur de la Borderie.

 

 

Œuvres Latines.

1. Avent de Saint-Jean-en-Grève, publié en 1494, 1497, 1498 (J. de Vingle, Lyon), en 1500 (Paris, Philippe Pigouchet), en 1502 (Lyon, Étienne Gueygnard), en 1506, 1511, 1516,
1522 (Paris, Jean Petit), en 1512 (Strasbourg, Jean Knoblouch).
2. Adventuale breve ou petit Avent, publié cà Paris séparément ou compris dans les diverses éditions du Novum diversorum sermonum opus, qui ont paru, l'une en 1518, les deux autres sans date, toutes les trois par les soins de J. Petit.
3. Carême de Nantes, publié par J. Petit en 1506, 1513, 1518.
4. Carême.du criminel, compris dans l'édition précédente de 1506.
5. Carême de Saint-Jean-en-Grève, publié en 1498 (J. de Vingle, Lyon), en 1499 (Antoine Caillant), en 1500 (Phil. Pigouchet), en 1503 (Lyon, Et. Gueygnard), en 1512 (Strasbourg, J. Knoblouch), en 1508.,
1513, 1520 (Jean Petit).
6. Carême épistolaire, publié en 1497 par Antoine Caillaut.
7. Carême de Bruges, publié séparément sans date ou compris dans les trois éditions du Novum div. serm. opiis.
8. Sermons divers pour dimanches et fêtes, également compris dans le Nov. div. serm. opus, 2me partie.
9. Sermons pour les dimanches après la Pentecôte, publiés en 1498 (Ant. Caillaut, J. de Vingle), en 1500 (Pigouchet), en 1503 (Gueygnard), en 1508, 1511, 1521 (J. Petit), en 1512 (J. Knoblouch), en
1506 et 1516.
10. Sermons sur les saints, publiés par J. Petit en 1507, 1513, 1516, par Durand Gerlier en 1508, par J. Knoblouch en 1514 et 1521 (Lyon).

11. Sermons sur quelques saints, compris dans le Nov. div. serm. opus.

12. Sermones de stipendio peccali, publiés en 1498 et 1521, une autre fois sans date.
13. Sermones omni tempore practicabiles, publiés à la suite des autres éditions.
14. Sermones de miseriis animae, publiés séparément sans date ou compris dans le Nov. div. serin, opus.

Œuvres Françaises.

1. Confession de frère Oliv. Maillard, publiée sept fois sans date. Les autres éditions portent les dates de 1481, 1524 et 1529. Ces deux dernières ont été données à Lyon par Arnoullet.
2. Confession générale de frère 0. M., publiée à Lyon en 1526 et 1527, six autres fois sans date.
3. Histoire de la Passion de J.-C. remémorée par les mystères de la Messe, publiée en 1493 (J. Lambert), en 1552 (Paris, Bonhomme), en 1828 (G. Peignot, Paris, Crapelet), en 1835 (Paris Bohaire). Il y a trois éditions sans date (J. Bonfons, Pierre Sergent, veuve Trepperel).
4. Instruction et consolation, qui comprend un sermon sur l'Ascension, un autre sur la Pentecôte. (Une édition sans date.)
5. Sermon prêché à Bruges, publié en 1503 (Anvers), en 1826 (Labouderie), une autre fois sans date.
6. Chanson piteuse, deux éditions.
7. Ballade de frère 0. Maillard.
8. Chants royaux en l'honneur de la Vierge.

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Un ex-libris non identifié



[1] C’est dans cet ouvrage rare et très-recherché, nous dit Brunet, qu’on trouve, indiqués en marge par des Hem ! Hem ! les endroits où l’on faisait une pause pour tousser.

[2] A. de La Borderie, Œuvres françaises d'Olivier Maillard... avec introduction, notes et notices, Nantes, 1877

[3] Samouillan, J. P. A., Études sur la chaire et la société françaises au XVe siècle. Olivier Maillard, sa prédication et son temps, Paris et Bordeaux, 1891, qui pour la partie biographique s’est largement inspiré de La Borderie.

[4] Ch. Labitte. Revue de Paris, 1839 et 1840 ; Études littéraires, t. 1; prédicateurs de la ligue, introduction.

[5] Jean d 'Auton, Chroniques de Louis XII éd. par R. de Maulde de la Clavière, Paris, 1891, t. II, p. 222-228.

[6] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30861269r

[7] Brunet Manuel du libraire T III coll. 1317

[8] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30861272n

[9] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30861265c

[10] Pantagruel, Ch. XXX, Comment Panurge fit en mer noyer le marchand et ses moutons.

[11] Sermones de adventu, f°76, col. 2.

[12] Anecdote reprise sous forme de quatrain dans la Nef des Fous de Sébastien Brandt.

[13] Référence citée dans le Répertoire d'incipit des prières françaises à la fin du Moyen Âge de Pierre Rézeau, Droz 1989..

[14] Sermones de adventu – Sermo 29, cité par Edmond Werdet in Histoire du livre en France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789. Paris, Dentu 1861. Le blog du Bibliomane Moderne consacra en 2009 plusieurs articles au sujet de ce prédicateur bibliophobique.  

1 commentaire:

  1. A nouveau quelques minutes enrichissantes passées en votre agréable et savante compagnie, parmi les trésors de votre bibliothèque : quel plaisir !
    Dryocolaptès
    (suggestion : "amantiorum nomina" ?)

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