dimanche 27 juin 2021

Les épigrammes du poète Gilbert Ducher Vulton, aiguepersois. (1538)

Gilbert Ducher, dit Vulton de son nom de plume, n’est pas le plus connu des poètes du premier tiers du 16ème siècle. Il est de la génération de Clément Marot, Maurice Scève, Mellin de Saint Gelais, Etienne Dolet ; il ne publia chez Sébastien Gryphe, en 1538, qu’un seul recueil de poésies latines, l’œuvre de toute sa vie, une suite d’épigrammes intitulée Epigrammaton Libri Duo, composée sur une vingtaine d'années.

La page de titre de l’Epigrammaton Libri Duo à la marque de Sébastien Gryphe

Henri-Louis Baudrier, dans sa bibliographie Lyonnaise, nous dit : « Ce recueil de poésies, très intéressant pour l’histoire littéraire de la France au XVIe siècle, l’est encore davantage pour celle de Lyon et de ses environs, et mériterait une étude sérieuse et documentée ». Il est vrai que les éléments biographiques sur Ducher étaient rares jusqu’à la publication, en 2015, d’une étude minutieuse de Sylvie Laigneau-Fontaine et Catherine Langlois-Pézeret, accompagnée de la traduction des épigrammes.[1]

Gilbert Ducher est né à Aigueperse en Auvergne, sans doute au début des années 1490. Il évoquera souvent son pays natal dans ses vers mais c’est à Toulouse qu’il entame des études de droit et à Paris qu’il vient poursuivre ses humanités. Il s’initie à la langue grecque ce qui était encore assez peu courant en ces années-là. On le retrouve ensuite professeur au collège des Lombards puis au collège de Lisieux. Il y dispense un cours sur le livre VII de l’Histoire Naturelle de Pline l’ancien, texte qu’il doit d’abord se procurer puis corriger montrant ainsi ses gouts pour la philologie. Cette activité le mène naturellement à devenir correcteur chez les imprimeurs de la rue St Jacques, notamment chez Simon de Colines où il fit éditer les Orationes de Richard Crocke en 1520 puis chez Pierre Vidoue. Il collabora ainsi avec Pierre Danès, futur lecteur royal pour le grec, à différentes éditions dont les lettres de Phalaris et les Commentaires de César.

En 1526, toujours à la demande de Pierre Vidoue, il révisa une édition des épigrammes de Martial.[2] Par le plus grands des hasards, car il a été publié plusieurs dizaines d’éditions de Martial à la Renaissance, l’exemplaire de ma bibliothèque est justement celle de Gilbert Ducher. Imprimée par Pierre Vidoue aux dépens des libraires Pierre Gaudoul et Nicolas Crespin. Cette édition soignée s’inspire de l’édition vénitienne d’Alde Manuce de décembre 1517. Elle eut un grand retentissement et fut rééditée plusieurs fois. Nicolas Bourbon, dans son ouvrage Nugea de 1538, avait loué la qualité de l’œuvre et le talent de son auteur.

Les Epigrammes de Martial données par Ducher en 1526

Prologue de Pierre Vidoue à son ami Ducher

Colophon de Pierre Vidoue

Au fil des éditions, chez Vidoue puis chez Calvarin Prigent, Gilbert Ducher commence à offrir des épigrammes qui paraissent comme pièces liminaires pour célébrer Ravisius Textor dans les officinae de 1520, Claude Peronne dans son Compendium Philosophia Naturalis, ou Ureus Cordus dans une édition de Plaute. Ces textes, remaniés, seront ensuite insérés dans l’Epigrammaton Libri Duo.

En 1535, Ducher quitte Paris pour la Savoie. Il n’y reste que 18 mois mais la région l’inspire et c’est là qu’il conçoit et met en forme son recueil. L’épitre dédicatoire du livre 1 est signée de Belley en Savoie (Bellicii Allobrogorum). Mais Lyon et sa brillante vie intellectuelle l’attire et il obtint un poste au collège de la Trinité, fondé sous l’impulsion de Symphorien Champier en 1527, haut lieu des études humanistes.

C’est là, avec d’autres professeurs du collège comme Barthelemy Aneau, Charles de Sainte Marthe, Jean Visagier ou Charles Fontaine que va naitre le second cercle des poètes lyonnais appelé le Sodalitium, plus connu sous le nom d’Académie de Fourvière. A ce noyau de collègues vont venir s’agréger d’autres personnalités dont les plus importantes seront Etienne Dolet, Mellin de Saint-Gelais, Nicolas Bourdon, Maurice et Guillaume Scève, et une bonne douzaine d’autres intellectuels moins connus.

La composition du groupe est variable selon les années, au fil des affinités et des brouilles. Au noyau des membres permanents viennent se greffer des poètes de passage. Il se trouve qu’en 1536, date de la formation de ce cénacle, la Cour est en résidence à Lyon et c’est donc tout naturellement que des valets de chambre du roi comme Clément Marot ou Salmon Macrin viennent à participer. Ce groupe se réunit le plus souvent chez Guillaume Scève, au collège de la Trinité ou chez Sébastien Gryphe pour festoyer, taquiner les muses et la dive bouteille. On y lit des vers, on se livre à des concours d’éloquence et on se célèbrent mutuellement à travers des épigrammes qui se répondent. Les poèmes sont souvent des variations autour d’un même thème et forment une unité qui prouve la forte solidarité du groupe littéraire.

Ces échanges intellectuels et festifs vont donner lieu à la publication de plusieurs recueils de poésies et d’épigrammes en 1537 et 1538. Etienne Dolet publie les Carmina, Jean Visagier les Epigrammaton, Nicolas Bourdon les Nugarum libri octo. Tous ces livres ont une structure identique puisqu’ils sont composés de l’œuvre personnelle de l’auteur suivi de celle de ses amis.  L’Epigrammaton libri duo de Gilbert Ducher suit cette structure : les deux premières sections rassemblent les épigrammes adressées aux membres du Sodalitium mais aussi à Sadolet, Érasme, Mélanchthon, Budé, Rabelais, Gryphe et d'autres. Le volume se referme, sous le titre courant d'Epigrammata amicorum, sur les vers grecs et latins en l'honneur de l’auteur composés par Maurice Scève, Charles Fontaine, etc.

L’Epigrammata amicorum suit les deux livres de Ducher.

Les Epigrammes, cette littérature de circonstance, étaient très à la mode dans le premier tiers du XVIème siècle. C’est une poésie qui se veut humble et sans prétention. Plusieurs auteurs intituleront leur recueil d’épigrammes Nugae, qui veut dire à la fois paroles légères et amusement. C’est évidemment une fausse modestie car leurs auteurs ont une grande opinion d’eux-mêmes et considèrent le genre poétique comme le plus à même de les conduire à l’immortalité.

Ducher ne retranscrit pas Martial, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, mais les épigrammes en reprennent les thèmes obligés ; nombre d’entre eux sont à connotation érotique et célèbrent une certaine Gellia, qui fut peut-être sa maitresse, en jouant sur l'ambiguité du nom commun gellia. D’autres saynètes, plutôt salaces, sont inspirées de Marot comme l’épigramme I-163 reprenant L'espousé la premiere nuict….

Ad Amorem - "On te place près d’un fleuve glacé brulant Cupidon, afin que l’eau froide tempère tes ardeurs".  

"Plaisanterie sur Lycoris et Aegon tirée des vers de mon ami Marot"

L’autre thème obligé est la satire et Ducher distribue les blâmes en vers mordants comme ceux de Martial. Etienne Dolet est sa première cible après la brouille de 1537 (Dolet avait voulu prendre le pouvoir au sein du Sodalitium), ainsi qu’un certain Cordus Volerus, poète non identifié, qu’on voit trainé devant les roues du char à l’occasion d’un triomphe romain à la gloire de Ducher, en général victorieux : « Et la foule des poètes riront, Ô poète Cordus, de ton sort »[3].

En revanche, Ducher reste prudent sur le thème de la religion à la différence de certains de ses amis comme Etienne Dolet ou Nicolas Bourbon. A peine quelques pièces caricaturent la religion comme dans cette petite histoire où il raille la rigidité de l’Eglise : un moine aide un infirme à traverser une rivière puis le jette l’eau à mi-chemin lorsqu’il apprend que celui-ci porte une bourse d’or alors que lui-même a fait vœu de pauvreté et ne peut donc porter de richesses !

Sylvie Laigneau-Fontaine a pu souvent retrouver la source des poèmes de Ducher dans des pièces empruntées aux auteurs anciens (Ovide, Virgile, Juvenal) comme aux modernes (Marot, Mellin de Saint-Gélais [4], Alciat [5]). Notre épigraphiste copie beaucoup l’Anthologie grecque et les adages érasmiens. La notion de plagiat n’était pas perçue au XVIème siècle comme elle est aujourd’hui et les professeurs demandaient à leurs élèves d’imiter telle ou telle pièce grecque ou latine. Il n’est donc pas étonnant que le professeur Ducher fasse de même. L’imitation était plutôt considérée comme un hommage rendu à l’auteur-source, ou un défi pour prouver que l’auteur pouvait égaler le génie du maitre imité. Dans un cas, cela a même permis de sauver un fragment perdu de la poésie de Mellin de Saint Gellais, la Bergerie des Saules, qu’on ne connait que par la transcription latine de Ducher [6].  

"Plainte d’un Faune aux Nymphes, en partie tiré de vers du seigneur Mellin de Saint Gelais"

Un hommage appuyé à Rabelais, qui séjourna à Lyon de 1532 à 1535, mêlé à un éloge de la philosophie (pièce tirée de Boèce).

Il est dommage qu’aujourd’hui peu de lecteur puisse apprécier à sa juste valeur la poésie néo-latine des auteurs du XVIème siècle. La versification ne s’appuie pas sur les rimes mais sur la musicalité du rythme et, de ce fait, le choix de la métrique varie en fonction de ce que le poète veut exprimer. Ducher réserve l’hendécasyllabe phalécien pour les vers de l’amitié (car ressenti comme proprement catullien par les humanistes) et utilise les premiers pythiambiques pour les vers érotiques car employés par Horace dans deux épodes érotiques. 

A défaut, il nous reste un instantané du milieu humaniste lyonnais des années 1530, de ses personnages flamboyants comme des petits rimailleurs oubliés. 

Bonne Journée

Textor



[1] Gilbert Ducher, Épigrammes, édition, traduction et notes par Sylvie Laigneau-Fontaine et Catherine Langlois-Pézeret, Paris, Champion, 2015, 720 p.

[2] Sylvie Laigneau-Fontaine (op. cit. p.20) mentionne que l’ouvrage fut édité chez Ambroise Girault, mais il s’agit en réalité de la seconde édition parue la même année, sans l’épitre dédicatoire qui apparait seulement dans l’édition de Pierre Vidoue.

[3] Epigr. II - 216

[4] Epigr. I -86 Fauni ad nymphas expostulatio.

[5] L’épigr. I-17 sur la séquestration des jeunes vierges est une reprise de l’emblème d’Alciat Custodiendas virginem.

[6] Sicard Claire et Joubaud Pascal, « Gilbert Ducher traduit-il Mellin en latin ? (1538) », Démêler Mellin de Saint-Gelais, Carnet de recherche Hypothèses, 20 mai 2015, mis à jour le 31 août 2015 [En ligne] http://demelermellin.hypotheses.org/2723. 

Chacun des livres se ferme sur l'éloge de l'imprimeur Sébastien Gryphe, comparé au meilleur Tryphon de notre temps. Tryphon était le premier des libraires de Rome

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