Le poète Janus Pannonius, ou Jean de Pannonie, nom de plume de János Csezmicei (Francisé autrefois en Jean Césinge) n’est pas très connu ailleurs qu’autour du Danube, il est pourtant considéré comme la première grande figure de la littérature hungaro-croate de la Renaissance, grâce aux élégies et aux épopées écrites en latin qu’il nous a laissées.
Janus Pannonius est né en Slavonie, vers 1434, dans un
village nommé Csezmice. Il est le neveu de János Vitéz, grand humaniste qui
fonda dans ses sièges épiscopaux successifs (Nagyvárad, en Transylvanie, à
partir de 1445, puis Esztergom en 1465) une académie et une bibliothèque. Ce
dernier l’envoie étudier en Italie, à Ferrare, où il passe 11 ans dans la
maison du Maitre Guarino Guarini dont il est le meilleur disciple. C’est là
qu’il se lie d'amitié avec Galeotto Marzio, né vers 1425, à Narni en Ombrie,
étudiant dans la même école. La plupart
des poèmes de Janus Panonnius sont dédiés ou adressés à Marzio. À l'automne
1454, son ami s'installe à Montagnana, sur le territoire de la République de Venise,
et Janus vient le rejoindre en 1556 pour fuir la peste qui sévit dans la
Sérénissime. Le jeune peintre Andrea Mantegna fait aussi partie de ce cercle
d’intellectuels et le hongrois lui dédie un poème en 1458. En retour, Mantegna
aurait peint un portrait des deux amis, perdu depuis lors.
En 1459, Janus Pannonius est rappelé en Hongrie par le
nouveau roi Matthias Corvin, dont son oncle János Vitéz a été le précepteur
puis le chancelier. Le roi Matthias, ayant Pannonius en grande estime, le
reçoit dans son cercle de conseillers, tandis que le Pape Pie II le nomme
évêque de Pécs. Il invite alors son ami Galeotto à le rejoindre, fin 1461. L'ancien
disciple de Guarino Guarini est alors chargé par le Roi de couronner son ami
Janus Pannonius, prince des poètes de la cour.
Mais, le destin de Janus Pannonius tourne court lorsqu’il veut
suivre le parti de son oncle János Vitéz, favorable aux partisans du Prince
polonais Kázmér, prétendant au trône de Hongrie, et qu’ils affrontent ensemble
le roi Matthias Corvin. Il s'arme contre les troupes royales mais la rébellion échoue
et lorsqu’il apprend que János Vitéz a été arrêté, il s'enfuit en Italie. C’est
pendant ce voyage, en s’arrêtant dans le château de Medvedgrad, propriété de
l'évêché de Pécs, qu’il décède le 27 mars 1472 à l'âge de 38 ans. Son tombeau, disparu
des mémoires, est retrouvé en 1991 sous le maitre autel de la cathédrale de
Pécs.
La première impression contenant exclusivement des œuvres de
Janus Pannonius, découvertes dans la bibliothèque Saint Marc de Venise, a été
publiée à Vienne en 1512, puis neuf éditions s’échelonnent entre 1512 et 1523
et la première édition d’une traduction en hongrois remonte 1565.
Mais c’est bien avant cette date qu’est édité un poème en cinquante
vers à la gloire de la nymphe Féronia, imprimé à la suite des cinq livres des Histoires
de Polybe (Edition de Venise, Bernardino de Vitali, 1498, dont il était
question dans mon billet précédent). Il s’agit de la toute première impression
de ce chant élégiaque, l’un des plus connus de Pannonius, en même temps que la
première œuvre qui fut imprimée de lui.
Au Printemps 1458, Janus Pannonius rentre de Rome et fait
halte à Narni, ville natale de son ami Marzio. Non loin de la forteresse qui
surplombe la ville, se trouve la Fontaine de Feronia, devant une oliveraie et
le parfum des pins maritimes. La chaleur de l’été et la fraicheur de cette
fontaine aux eaux limpides lui inspire cette ode à la nature, l’un de ses plus
beaux poèmes.
Elle est intitulée Naiadum Italicarum Principi divae
Feroniae devotus hospes, lanus Pannonius, cecinit in reditu ex Urbe, nonis
luniis, MCCCCLVIII (A la déesse Feronia, la plus importante des nymphes
d’Italie, chantée par Janus Pannonius, hôte dévoué revenant de Rome, le 5 juin
1458.) et commence ainsi : Sacri fontes, ave, mater Feronia, cujus Félix
Paeonias Narnia potat aquas. - Je te salue, ô déesse Feronia, mère de la
fontaine sacrée, dont les heureux habitants de Narni boivent à la source salubre.
Feronia était une divinité rurale de l’Antiquité, objet d’un
culte important en Italie centrale, principalement sur le territoire sabin et
latin. Elle présidait aux travaux de l'agriculture et elle était principalement
associée à la fertilité, à l'abondance, à la bonne santé des troupeaux et des
bêtes sauvages. D’anciens temples lui était dédiés, comme celui du Champ de
Mars à Rome, dans l'actuel aire archéologique du Largo di Torre Argentina. Les
cérémonies annuelles en son honneur étaient appelées les Feroniae et se
tenaient tous les 13 novembre au cours des Jeux plébéiens, en même temps que
les fêtes dédiées à la Fortune de Préneste. Lors de ces cérémonies, ses
prêtres, au dire de Strabon, marchaient nu-pieds sur les charbons ardents sans
se brûler. Thèmes opposés du feu et de la fraicheur que Pannonius reprend dans
son poème.
Le Hongrois se plait à imaginer qu’il sacrifie aux rites
antiques et appelle la déesse à recevoir ses offrandes, après avoir retrouvé
ses forces en se désaltérant dans l’onde pure : - Une fois, deux fois,
la gorge sèche avale tes eaux régénérantes… Oh dans mes membres quelle force
revient ! Oh combien ton feu divin dans mes entrailles a aimé s'éteindre ! Ma soif est étanchée…. Maintenant je me
réjouis de contempler l'ancienne forteresse avec ses belles tours qui s'élève
près de la fontaine sacrée ; Maintenant je suis heureux d'entendre le
sombre grondement que la vague blanche du soufre, noir, fait en bas dans la
gorge profonde, et d'écumer de vagues tout le ciel salubre [1]…..
Ici, un petit chevreau est bientôt le plus gras du troupeau, et pour son sang,
éparpillé, l'étang cristallin devient rouge. Ici, des fleurs viennent, et dans
l'une d'elles la liqueur si précieuse de Bacchus, et un chant fend mes lèvres à
la louange divine. : … Salve iterum et Latiis longe celeberrima Nymphis,
Hospitis et grati suggipe dona libens !
- A nouveau salut, toi qui est de loin la plus célèbre des nymphes du
Latium, accueille avec plaisir l’hôte reconnaissant qui t'offre de tels
sacrifices. Acceptez-les de bon gré.
Les textes de Pannonius sont d’une grande beauté formelle.
Il a su adapter l’humanisme italien de la Renaissance aux thèmes et à l’âme de
son pays. Son sens profond de l’observation donne des images charmantes comme
dans le poème de l’amandier planté en Hongrie et qui se couvre de fleurs sans
attendre la venue du Printemps, adaptation personnelle et sans doute inspirée
par une chose vue du thème épigrammatique de la fleur éclose hors saison chez
Martial.
Pourquoi et par quelles circonstances un texte du poète
hongrois figure-t-il à la suite de la seconde impression des Histoires
de Polybe ? Il n’y a aucun lien apparent entre la déesse étrusco-romaine,
protectrice des sources et de la nature et l’ouvrage de Polybe axé sur la
stratégie militaire des romains et leurs institutions politiques. C’est un
mystère qui ne semble pas encore résolu. On peut penser que c’est l’imprimeur
Bernardino de Vitali lui-même qui aurait pu décider, en 1498, de faire figurer
le poème à la suite de la seconde édition imprimée des Histoires.
Ce n’est pas la première fois que le poème apparait joint à
un autre texte à la fin d’un ouvrage. Ainsi, Géza Szentmártoni Szabó, lors de
ses recherches en 2009 sur trois chants panégyriques de Janus Pannonius au Roi
René d’Anjou [2], a
découvert dans un manuscrit conservé à Naples [3],
outre les textes qui avaient déjà été identifiés au XIXème siècle par Pélissier [4],
à la fin du manuscrit, après une page blanche, le texte d’un autre poème, sans
indication d’auteur ou de titre, que Pélissier ne mentionnait pas dans son
article. Il s’agit de l’élégie écrite par Janus Pannonius à Narni, le 5 juin
1458, à la gloire de la nymphe Feronia. Mais dans ce cas précis, si l’élégie
est ajoutée à la fin du livre, le texte principal reste un panégyrique de
Pannonius et non pas un texte sans aucun rapport, comme l’œuvre de Polybe.
En plus d’être poète, Janus Pannonius avait une des
bibliothèques les plus importantes de Hongrie après la Bibliotheca Corviniana
de son oncle János Vitéz, dont avait hérité le roi Matthias Corvin, en 1572, après l’arrestation de Vitez. Le roi enrichit lui-même considérablement la
collection, surtout à partir de 1476, quand fut placé à la tête de la
bibliothèque l'Italien Taddeo Ugoleto et particulièrement entre 1485 et 1490,
quand le roi Matthias se fut emparé de Vienne. À sa mort en 1490, la
bibliothèque comprenait plus de 2000 codex - appelés corvina - contenant 4000
à 5000 œuvres, dont beaucoup de classiques grecs et latins (mais aussi Dante
ou Pétrarque), généralement rapportés d'Italie.
Les livres de la Bibliotheca Corviniana ont été dispersés pendant
la période ottomane, comme le furent ceux du poète Pannonius. Si les livres royaux ont pu être
partiellement conservés et identifiés grâce à leur armoiries, il est plus
difficile de reconstituer la bibliothèque humaniste de Janus Pannonius. C’est la tâche à laquelle s’est attelé Csapodi
Csaba [5]
au moins pour les manuscrits copiés ou annotés par Pannonius lui-même, grâce à
la graphologie ou grâce à de minces indices comme des marques de provenance,
des dédicaces ou le style de la reliure d’origine, ou bien encore les allusions
qui sont faites à tel ou tel auteur dans le corpus poétique du hongrois.
Ainsi ont pu être retrouvés un manuscrit du Commentaire de
Ficin sur le Banquet de Platon dont la dédicace datée de 1569 est faite à
Pannonius et qui aurait pu lui appartenir [6],
un manuscrit de Xenophon, un Vocabularium de la Bibliothèque de Leipzig [7],
etc. D’autres livres seront plus difficiles à retrouver mais nous savons par
Vespasiano qu’à son retour d’Italie, Pannonius fit un arrêt à Florence pour
rencontrer Cosme de Médicis et les intellectuels de la Villa de Careggi et
qu’il fit à cette occasion l’acquisition de quelques livres humanistes. Il est
aussi fort possible que les livres grecs de la Corviniana proviennent de la
bibliothèque personnelle de Pannonius qui possédait parfaitement les deux
langues.
Quoiqu’il en soit son influence a été grande dans l'ancienne Autriche-Hongrie, lui qui
a amené en premier les muses de l’Italie humaniste aux rives froides du Danube.
Bonne Journée
Textor
[1]
Traduction libre et non contractuelle, seul le texte latin fait foi !
[2] Du péril
de Parthénope : la découverte de la version intégrale du panégyrique de René
d'Anjou par Janus Pannonius. Géza Szentmártoni Szabó. Presses universitaires de
Rennes, 2011 - p. 287-312.
[3] Bibliothèque
nationale de Naples ( ms X, B, 63)
[4] Pélissier
L.-G., « Notes autographes de la reine Christine sur un volume de la
bibliothèque de Naples », Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 15
juillet 1898, p. 380-385.
[5] Csapodi
Csaba, Les livres de Janus Pannonius et sa bibliothèque à Pécs in Scriptorium,
Tome 28, n°1, pp.32-50.
[6] Vienne, ONB
Cod.Lat. 2472 - Marsilius Ficinus : Commentarius in Platonis convivium de
amore. Ianus Pannonius :
Epigramma in Marsilium Ficinum.
[7] Coté Rep I-98
Je ne connaissez rien de rien de ce poéte Hongrois......merci.
RépondreSupprimerBien amicalement.
Bernard.
Merci Bernard ! Je pense que vous n’est pas le seul dans ce cas ! :) Amitiés. Thierry
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