dimanche 25 juillet 2021

Janus Pannonius, poète humaniste et bibliophile hungaro-croate. (1498)

Le poète Janus Pannonius, ou Jean de Pannonie, nom de plume de János Csezmicei (Francisé autrefois en Jean Césinge) n’est pas très connu ailleurs qu’autour du Danube, il est pourtant considéré comme la première grande figure de la littérature hungaro-croate de la Renaissance, grâce aux élégies et aux épopées écrites en latin qu’il nous a laissées.

Janus Pannonius est né en Slavonie, vers 1434, dans un village nommé Csezmice. Il est le neveu de János Vitéz, grand humaniste qui fonda dans ses sièges épiscopaux successifs (Nagyvárad, en Transylvanie, à partir de 1445, puis Esztergom en 1465) une académie et une bibliothèque. Ce dernier l’envoie étudier en Italie, à Ferrare, où il passe 11 ans dans la maison du Maitre Guarino Guarini dont il est le meilleur disciple. C’est là qu’il se lie d'amitié avec Galeotto Marzio, né vers 1425, à Narni en Ombrie, étudiant dans la même école.  La plupart des poèmes de Janus Panonnius sont dédiés ou adressés à Marzio. À l'automne 1454, son ami s'installe à Montagnana, sur le territoire de la République de Venise, et Janus vient le rejoindre en 1556 pour fuir la peste qui sévit dans la Sérénissime. Le jeune peintre Andrea Mantegna fait aussi partie de ce cercle d’intellectuels et le hongrois lui dédie un poème en 1458. En retour, Mantegna aurait peint un portrait des deux amis, perdu depuis lors.

Portrait supposé de Janus Pannonius peint par Andrea Mantegna sur une fresque de la Cathédrale de Padoue. (Il s’agirait du personnage central qui tourne la tête à droite)

En 1459, Janus Pannonius est rappelé en Hongrie par le nouveau roi Matthias Corvin, dont son oncle János Vitéz a été le précepteur puis le chancelier. Le roi Matthias, ayant Pannonius en grande estime, le reçoit dans son cercle de conseillers, tandis que le Pape Pie II le nomme évêque de Pécs. Il invite alors son ami Galeotto à le rejoindre, fin 1461. L'ancien disciple de Guarino Guarini est alors chargé par le Roi de couronner son ami Janus Pannonius, prince des poètes de la cour.

Mais, le destin de Janus Pannonius tourne court lorsqu’il veut suivre le parti de son oncle János Vitéz, favorable aux partisans du Prince polonais Kázmér, prétendant au trône de Hongrie, et qu’ils affrontent ensemble le roi Matthias Corvin. Il s'arme contre les troupes royales mais la rébellion échoue et lorsqu’il apprend que János Vitéz a été arrêté, il s'enfuit en Italie. C’est pendant ce voyage, en s’arrêtant dans le château de Medvedgrad, propriété de l'évêché de Pécs, qu’il décède le 27 mars 1472 à l'âge de 38 ans. Son tombeau, disparu des mémoires, est retrouvé en 1991 sous le maitre autel de la cathédrale de Pécs.

La première impression contenant exclusivement des œuvres de Janus Pannonius, découvertes dans la bibliothèque Saint Marc de Venise, a été publiée à Vienne en 1512, puis neuf éditions s’échelonnent entre 1512 et 1523 et la première édition d’une traduction en hongrois remonte 1565.

Mais c’est bien avant cette date qu’est édité un poème en cinquante vers à la gloire de la nymphe Féronia, imprimé à la suite des cinq livres des Histoires de Polybe (Edition de Venise, Bernardino de Vitali, 1498, dont il était question dans mon billet précédent). Il s’agit de la toute première impression de ce chant élégiaque, l’un des plus connus de Pannonius, en même temps que la première œuvre qui fut imprimée de lui.

Feuillet 101v et 102r contenant le poème de Pannonius

Au Printemps 1458, Janus Pannonius rentre de Rome et fait halte à Narni, ville natale de son ami Marzio. Non loin de la forteresse qui surplombe la ville, se trouve la Fontaine de Feronia, devant une oliveraie et le parfum des pins maritimes. La chaleur de l’été et la fraicheur de cette fontaine aux eaux limpides lui inspire cette ode à la nature, l’un de ses plus beaux poèmes. 

Elle est intitulée Naiadum Italicarum Principi divae Feroniae devotus hospes, lanus Pannonius, cecinit in reditu ex Urbe, nonis luniis, MCCCCLVIII (A la déesse Feronia, la plus importante des nymphes d’Italie, chantée par Janus Pannonius, hôte dévoué revenant de Rome, le 5 juin 1458.) et commence ainsi : Sacri fontes, ave, mater Feronia, cujus Félix Paeonias Narnia potat aquas. - Je te salue, ô déesse Feronia, mère de la fontaine sacrée, dont les heureux habitants de Narni boivent à la source salubre.

Détail du F°101v avec le titre du poème

La Fontaine Féronia à Narni

Feronia était une divinité rurale de l’Antiquité, objet d’un culte important en Italie centrale, principalement sur le territoire sabin et latin. Elle présidait aux travaux de l'agriculture et elle était principalement associée à la fertilité, à l'abondance, à la bonne santé des troupeaux et des bêtes sauvages. D’anciens temples lui était dédiés, comme celui du Champ de Mars à Rome, dans l'actuel aire archéologique du Largo di Torre Argentina. Les cérémonies annuelles en son honneur étaient appelées les Feroniae et se tenaient tous les 13 novembre au cours des Jeux plébéiens, en même temps que les fêtes dédiées à la Fortune de Préneste. Lors de ces cérémonies, ses prêtres, au dire de Strabon, marchaient nu-pieds sur les charbons ardents sans se brûler. Thèmes opposés du feu et de la fraicheur que Pannonius reprend dans son poème.

Le Hongrois se plait à imaginer qu’il sacrifie aux rites antiques et appelle la déesse à recevoir ses offrandes, après avoir retrouvé ses forces en se désaltérant dans l’onde pure : - Une fois, deux fois, la gorge sèche avale tes eaux régénérantes… Oh dans mes membres quelle force revient ! Oh combien ton feu divin dans mes entrailles a aimé s'éteindre !  Ma soif est étanchée…. Maintenant je me réjouis de contempler l'ancienne forteresse avec ses belles tours qui s'élève près de la fontaine sacrée ; Maintenant je suis heureux d'entendre le sombre grondement que la vague blanche du soufre, noir, fait en bas dans la gorge profonde, et d'écumer de vagues tout le ciel salubre [1]….. Ici, un petit chevreau est bientôt le plus gras du troupeau, et pour son sang, éparpillé, l'étang cristallin devient rouge. Ici, des fleurs viennent, et dans l'une d'elles la liqueur si précieuse de Bacchus, et un chant fend mes lèvres à la louange divine. : … Salve iterum et Latiis longe celeberrima Nymphis, Hospitis et grati suggipe dona libens !  - A nouveau salut, toi qui est de loin la plus célèbre des nymphes du Latium, accueille avec plaisir l’hôte reconnaissant qui t'offre de tels sacrifices. Acceptez-les de bon gré.

Fol°102r

Les textes de Pannonius sont d’une grande beauté formelle. Il a su adapter l’humanisme italien de la Renaissance aux thèmes et à l’âme de son pays. Son sens profond de l’observation donne des images charmantes comme dans le poème de l’amandier planté en Hongrie et qui se couvre de fleurs sans attendre la venue du Printemps, adaptation personnelle et sans doute inspirée par une chose vue du thème épigrammatique de la fleur éclose hors saison chez Martial.  

Pourquoi et par quelles circonstances un texte du poète hongrois figure-t-il à la suite de la seconde impression des Histoires de Polybe ? Il n’y a aucun lien apparent entre la déesse étrusco-romaine, protectrice des sources et de la nature et l’ouvrage de Polybe axé sur la stratégie militaire des romains et leurs institutions politiques. C’est un mystère qui ne semble pas encore résolu. On peut penser que c’est l’imprimeur Bernardino de Vitali lui-même qui aurait pu décider, en 1498, de faire figurer le poème à la suite de la seconde édition imprimée des Histoires.

Ce n’est pas la première fois que le poème apparait joint à un autre texte à la fin d’un ouvrage. Ainsi, Géza Szentmártoni Szabó, lors de ses recherches en 2009 sur trois chants panégyriques de Janus Pannonius au Roi René d’Anjou [2], a découvert dans un manuscrit conservé à Naples [3], outre les textes qui avaient déjà été identifiés au XIXème siècle par Pélissier [4], à la fin du manuscrit, après une page blanche, le texte d’un autre poème, sans indication d’auteur ou de titre, que Pélissier ne mentionnait pas dans son article. Il s’agit de l’élégie écrite par Janus Pannonius à Narni, le 5 juin 1458, à la gloire de la nymphe Feronia. Mais dans ce cas précis, si l’élégie est ajoutée à la fin du livre, le texte principal reste un panégyrique de Pannonius et non pas un texte sans aucun rapport, comme l’œuvre de Polybe.

Reliure en vélin des Histoires de Polybe contenant le poème de Pannonius

Détail de la reliure

En plus d’être poète, Janus Pannonius avait une des bibliothèques les plus importantes de Hongrie après la Bibliotheca Corviniana de son oncle János Vitéz, dont avait hérité le roi Matthias Corvin, en 1572, après l’arrestation de Vitez. Le roi enrichit lui-même considérablement la collection, surtout à partir de 1476, quand fut placé à la tête de la bibliothèque l'Italien Taddeo Ugoleto et particulièrement entre 1485 et 1490, quand le roi Matthias se fut emparé de Vienne. À sa mort en 1490, la bibliothèque comprenait plus de 2000 codex - appelés corvina - contenant 4000 à 5000 œuvres, dont beaucoup de classiques grecs et latins (mais aussi Dante ou Pétrarque), généralement rapportés d'Italie.

Les livres de la Bibliotheca Corviniana ont été dispersés pendant la période ottomane, comme le furent ceux du poète Pannonius.  Si les livres royaux ont pu être partiellement conservés et identifiés grâce à leur armoiries, il est plus difficile de reconstituer la bibliothèque humaniste de Janus Pannonius.  C’est la tâche à laquelle s’est attelé Csapodi Csaba [5] au moins pour les manuscrits copiés ou annotés par Pannonius lui-même, grâce à la graphologie ou grâce à de minces indices comme des marques de provenance, des dédicaces ou le style de la reliure d’origine, ou bien encore les allusions qui sont faites à tel ou tel auteur dans le corpus poétique du hongrois.

Ainsi ont pu être retrouvés un manuscrit du Commentaire de Ficin sur le Banquet de Platon dont la dédicace datée de 1569 est faite à Pannonius et qui aurait pu lui appartenir [6], un manuscrit de Xenophon, un Vocabularium de la Bibliothèque de Leipzig [7], etc. D’autres livres seront plus difficiles à retrouver mais nous savons par Vespasiano qu’à son retour d’Italie, Pannonius fit un arrêt à Florence pour rencontrer Cosme de Médicis et les intellectuels de la Villa de Careggi et qu’il fit à cette occasion l’acquisition de quelques livres humanistes. Il est aussi fort possible que les livres grecs de la Corviniana proviennent de la bibliothèque personnelle de Pannonius qui possédait parfaitement les deux langues.

Quoiqu’il en soit son influence a été grande dans l'ancienne Autriche-Hongrie, lui qui a amené en premier les muses de l’Italie humaniste aux rives froides du Danube.

Bonne Journée

Textor



[1] Traduction libre et non contractuelle, seul le texte latin fait foi !

[2] Du péril de Parthénope : la découverte de la version intégrale du panégyrique de René d'Anjou par Janus Pannonius. Géza Szentmártoni Szabó. Presses universitaires de Rennes, 2011 - p. 287-312.

[3] Bibliothèque nationale de Naples ( ms X, B, 63)

[4] Pélissier L.-G., « Notes autographes de la reine Christine sur un volume de la bibliothèque de Naples », Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 15 juillet 1898, p. 380-385.

[5] Csapodi Csaba, Les livres de Janus Pannonius et sa bibliothèque à Pécs in Scriptorium, Tome 28, n°1, pp.32-50.

[6] Vienne, ONB Cod.Lat. 2472 - Marsilius Ficinus : Commentarius in Platonis convivium de amore. Ianus Pannonius : Epigramma in Marsilium Ficinum.

[7] Coté Rep I-98

2 commentaires:

  1. Je ne connaissez rien de rien de ce poéte Hongrois......merci.
    Bien amicalement.
    Bernard.

    RépondreSupprimer
  2. Merci Bernard ! Je pense que vous n’est pas le seul dans ce cas ! :) Amitiés. Thierry

    RépondreSupprimer

Vos commentaires sur cet article ou le partage de vos connaissances sont les bienvenus.