Les XIX Eglogues de Jean Antoine de Baïf entament le recueil intitulé Les Jeux, paru en 1572. Elles sont suivies de toute sa production théâtrale et de ses pièces dialoguées, à savoir (i) Antigone, première adaptation de la célèbre tragédie de Sophocle, (ii) Le Brave (unique comédie qui fit monter l'auteur, inspiré de Plaute) (iii) L'Eunuque (Comédie prise de Terence mais jamais représentée) et (iv) les Neuf Devis des Dieux pris de Lucian et dédiés au roi et à la reine de Navarre. Ces pièces sont d’une extraordinaire audace formelle. Aucun autre poète contemporain n’a déployé dans les chœurs d’une tragédie une telle variété de mètres et de strophes et aucun n’a fait résonner sur le théâtre des vers de quinze syllabes ou pulvérisé comme il l’a fait la césure nous dit le dictionnaire Larousse.
Les pièces théâtrales mériteraient
une analyse en elle-même mais ce sont les Eglogues qui vont retenir notre
attention. Une églogue est un poème pastoral écrit dans un style simple et naïf
où, à travers les dialogues des bergers, l'auteur relate les événements
généralement heureux de la vie champêtre, chante la nature, les occupations et
les amours rustiques. Le poète grec Théocrite en fut l’un des premiers
inventeurs puis les poètes latins, notamment Virgile, lui donnèrent ses lettres
de noblesse.
La redécouverte des antiquités
grecques et latines conduisit les poètes de la Renaissance à composer des
églogues. Ce fut le cas de Clément Marot, Pierre de Ronsard ou Jacopo Sannazaro.
Célébré par Ronsard et Du Bellay comme le premier poète pastoral au sein de la Pléiade, Jean-Antoine de Baïf a tardé à publier ses Eglogues qui représentent pourtant ce que le poète a produit de plus intime et qui révèlent le mieux ses goûts poétiques. « C'est sa vision tantôt pessimiste, tantôt rieuse et joyeuse de l'amour ; ce sont encore ses frustrations, ses ressentiments ; c'est surtout sa passion du chant accompagné d'instruments que l'églogue lui permet d'exprimer en toute liberté, par l'intermédiaire de la fiction pastorale. [1] »
En effet, le poète possède un
gout particulier pour la sonorité des mots. Il fonde en 1570, dans sa maison du
faubourg Saint-Marcel, l'Académie de poésie et de musique dont le rayonnement
fut très important. C'est dans ce cadre qu'il publie les Étrennes de poésie
française en vers mesurés (1574) dans lequel il introduit la métrique
quantitative (reposant sur la longueur, ou le poids des syllabes) c’est-à-dire
qu’il a cherché à reproduire le rythme scandé des psalmodies antiques, allant jusqu’à
imaginer une écriture phonétique sensée faciliter la déclamation de ses vers.
Ces sonorités se retrouvent dans les
pastorales et l’on entend le flageolet et la chalemie des bergers qui s’affrontent
en joutes musicales :
Sous ces ormeaux allons mes
brebiettes,
Là Vous orrez mes gayes
chansonnettes
Avec les eaux bruire si
doucement
De mes amours, que débaïssement
Vous en perdrez de pasturer
l'envie. (Eglogue X – Les Bergers)
Les Eglogues sont dédiées à
François, duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de Médicis, et imprimé en
beaux caractères italiques (Tandis que la partie en prose des autres œuvres
l’est en caractères romains), agrémentés de lettrines et bandeaux. Les Jeux ont
d’abord paru isolément en 1572, puis les exemplaires invendus furent réunis à
l’édition collective de 1573 pour constituer la troisième partie des Œuvres
en Rime. L’imprimeur au service du marchand-libraire Lucas Breyer se
contentant de modifier maladroitement la date sur la page de titre, en ajoutant
un ‘I’ au composteur.
Jean-Paul Barbier avait remarqué
que le livre des Jeux avait précédé l’édition collective et constituait une
édition complète en elle-même : Il [me] parait évident que le poète commença
par donner une nouvelle édition de ses Amours, puis un volume de Jeux, avant de
concevoir le projet d'une édition collective. On se rappelle que Ronsard avait
déjà réalisé une telle ambition en 1560 (en 1573, il en était à sa quatrième
édition collective !), et l'on peut comprendre que son ancien disciple et
intime ait eu envie, lui aussi, d'aligner plusieurs tomes sur les étagères de
la postérité. Les Amours et les Jeux, vendus séparément par Breyer, avant
l'impression des Œuvres en Rime, se trouvent parfois avec de jolies reliures en
vélin doré ou en maroquin." [2]
Les notices des libraires se
plaisent à rappeler que la plupart des églogues sont à connotation érotiques.
C’est sans doute un peu réducteur mais cela reste un bon argument de vente.
il est vrai que les Jeux constituent le prolongement des Poèmes,
un autre recueil de l’édition collective, qui puise son inspiration dans
l’Ovide des Métamorphoses et l'Arioste et quand Ronsard, sur ces mêmes sources,
privilégie les épisodes épiques et guerrier, Baif en retient les scènes
érotiques.
Nul, Nymphes, ne vous suit
en plus grand’reverence
Qu’il adorait les pas de
vostre sainte dance :
C'est pour luy que je veu,
Naiades, vous prier :
Voudriez vous à Brinon vos
presans dénïer ?
Pucelles, commencez :
(ainsi la bande fole
Des Satyres bouquins vostre
fleur ne viole :
Si vous dancez, ainsi ne
trouble vos ébas,
Et si vous reposez, ne vous
surprenne pas).
Pucelles, commencez : où
vous touchez, pucelles,
Où vous mettez la main
toutes choses sont belles :
Chantez avecques moy : de
Brinon langoureux
Recordon les amours en ce
chant amoureux. (Eglogue II)
Les Eglogues sont aussi l’occasion de mettre en scène ses amis poètes. Dans l’églogue IV on croit pouvoir reconnaître, dans un ordre peut être hiérarchique, Ronsard, Du Bellay, Belleau et Baïf :
Mais si vous ne voulez
appaiser vostre noise,
J’ay bien affaire ailleurs,
où faut que je m’en voise :
Voicy venir Perrot & Belot & Belin
Et Toinet, qui pourront à
vos plaids mettre fin.
Dans l’églogue XVII, De Baïf met en scène Mellin, personnage renvoyant explicitement à Mellin de Saint-Gelais, dans un dialogue avec Thoinet diminutif de l’un de ses propres prénoms. Le premier réconforte Thoinet qui se plaint de sa pauvreté. Il semble que BaÏf ait eu à souffrir de sa condition et de son manque de fortune. Il était le fils naturel de Lazare de Baïf et si ce dernier avait pourvu à son éducation en lui permettant notamment d’avoir Jean Dorat comme professeur, il n’en demeurait pas moins bâtard.
Dans cette longue pièce Mellin prodigue
ses conseils d’aîné avisé au malheureux Thoinet. Il lui rappelle que ce père,
s’il ne lui a laissé aucun bien matériel, a pourvu à son éducation en le confiant
à Jean Dorat. Il peut en particulier se réjouir de connaître la musique, qui
lui permettra de célébrer les puissants. Si le temps de Janet et de Francin (C’est-à-dire
du cardinal Jean de Lorraine et François Ier) est révolu, on peut toutefois
espérer trouver d’autres protecteurs dans leurs successeurs, Henri II mais
surtout Charles de Guise, nouveau cardinal de Lorraine. [3]
Si notre poète a été quelque peu
oublié par les générations suivantes, pour ses amis de la Pléiade, Jean-Antoine
de Baif passait pour un très savant versificateur. Nous laisserons la
conclusion à Joachim du Bellay :
De tes doux vers le style
coulantime,
Tant estimé par les
doctieurs François,
Justimement ordonne que tu
sois,
Pour ton savoir, à tous
révérendime.
Bonne Journée
Textor
[1] Jean
Vignes, Oeuvres complètes : Euvres en rime. Vol. 3. Les jeux. Vol. 1. XIX
eclogues. H. Champion 2016.
[2] Jean-Paul
Barbier, Ma bibliothèque poétique, partie III, Ceux de la Pléiade, p.60.
[3] Claire
Sicard et Pascal Joubaud, « Jean-Antoine de Baïf fait de Mellin de
Saint-Gelais le personnage de son églogue (1556) », in Démêler Mellin de
Saint-Gelais, Carnet de recherche Hypothèses, 26 août 2015 [En ligne]
http://demelermellin.hypotheses.org/4090.
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