La maison de ventes aux enchères Ader proposera mercredi prochain un exemplaire des œuvres de Saint Augustin dans la première édition de Martin Flach publiée à Strasbourg en 1489.
Il s’agit de l'une des deux éditions publiées par cet imprimeur, imprimées en caractères gothiques sur deux colonnes, à 49 lignes. L’exemplaire a retenu mon attention car il se trouve que la Bibliotheca Textoriana conserve la seconde édition parue seulement deux ans plus tard, le 11 août 1491.
L’ouvrage intitulé Aurelii Augustini Opuscula Plurima renferme l'essentiel de l'œuvre de saint Augustin, notamment les Meditationes, les Soliloquia, mais sans la Cité de Dieu (De civitate deis) ainsi que divers opuscules attribués à l’évêque d’Hippone mais qui ont été écrits par d’autres auteurs qu’il est parfois difficile d’identifier. En annexe de cet article, figure la liste des 32 traités et leur attribution possible.
Parmi ces traités, le
rédacteur de la notice de la vente a mis en avant un texte particulier : La
Divination des démons (De divinatione demonum).
C’est un petit traité de saint Augustin, court mais dense, rédigé
vraisemblablement autour de 406–411 qui s’inscrit dans le vaste ensemble des
œuvres antipaïennes du Père de l’Église.
Un matin, pendant nos saints jours d’octaves, un certain nombre de nos frères laïques se trouvaient chez moi réunis au lieu habituel de nos séances, quand la conversation tomba sur notre sainte religion comparée à cette science si présomptueuse des païens, qu’on nous présente comme étonnante et vraiment sérieuse. J’ai cru devoir rédiger par écrit et même compléter les souvenirs que cette conversation m’a laissés. Je tairai cependant le nom de mes honorables contradicteurs, bien qu’ils fussent de vrais chrétiens, et que leurs objections eussent plutôt pour but d’arriver à mieux connaître ce qu’il faut répondre aux païens [1].
L’enjeu du texte est de
déterminer si les démons sont capables de divination et, si oui, en quel sens
et jusqu’à quel point ils peuvent prédire l’avenir. Vaste question qui
passionne encore aujourd’hui les bibliophiles amateurs d’ésotérisme.
Il faut se souvenir qu’à
l’époque d’Augustin, au sortir de l’époque romaine, la religion et la
divination sont étroitement liés. On ne part pas au combat sans avoir consulté
les dieux et on ne vote pas aux élections avant l’examen des entrailles d’un
poulet. Les prédictions extraordinaires, les augures, les oracles, les prodiges
et les pressentiments sont attribués par ses contemporains à une capacité
surnaturelle des esprits ; Augustin veut montrer que les démons ne savent
jamais réellement l’avenir mais qu’ils manipulent les hommes par ruse,
observation, illusion et tromperie.
Ce traité constitue un moment
important de la réflexion augustinienne sur le discernement des esprits, sur la
nature du mal, et sur le rapport de la liberté humaine aux influences
spirituelles :
Dieu permet que les démons
devinent, et qu’il leur soit rendu un certain culte : mais il ne suit pas de là
que ces divinations et ce culte soient dans l’ordre [2].
Ce qui fait tout le piquant du
texte à notre époque matérialiste c’est qu’Augustin ne remet pas en cause
l’existence des démons mais qu’il s’appuie sur la tradition chrétienne et les
Ecritures pour contester leurs pouvoirs réels. Les démons sont des créatures
spirituelles, des anges déchus qui, par leur révolte, ont perdu la béatitude
mais non leurs facultés naturelles. Ils restent des esprits intelligents,
capables de se déplacer avec une vitesse et une précision bien supérieure à
celles des humains. Des super-héros en quelque sorte. Ils ne peuvent pas être
mauvais en soi, puisque Dieu ne crée rien de mauvais, mais ils ont mis leur
intelligence au service des passions exacerbées.
La question centrale de ce
traité est de savoir si les démons peuvent prédire l’avenir ? La réponse est
simple : Ils ne connaissent pas le futur, car seul Dieu le connaît. Les
créatures, même spirituelles, ne voient l’avenir qu'à travers des indices
présents. Les démons n’ont donc aucune vision directe du futur.
Mais alors, si les démons ne
sont pas omniscients, comment expliquer que certaines de leurs prédictions se
réalisent ? En fait, les démons sont de très bons observateurs. Ils voient ce
que les humains ne voient pas : les mouvements subtils des corps ; les signes
invisibles annonçant un événement naturel ; les pensées ou émotions qui
transparaissent dans un visage, un geste, une attitude. Ils peuvent donc
prédire ce que l’esprit humain, même très habile, ne pourrait deviner.
De plus, ils sont capables d’avoir une action sur les choses matérielles, comme faire tomber les livres de la bibliothèque, par exemple.
La pensée de Saint Augustin
reste encore d’actualité à notre époque de sur-information pour comprendre ce
qu’il appelle la curiositas, cette tentation humaine de dépasser les
limites légitimes du savoir. Le traité pose ainsi une question universelle :
qu’est-ce qui pousse l’homme à se tourner vers des illusions plutôt que vers le
factuel ?
Je conclurais cette rapide
présentation du De divinatione demonum, en conseillant de se garder des
démons, de rester vigilant et d’acheter des traités comme cet incunable de
Martin Flach, si possible pendant le Black Friday, pour savoir reconnaitre les
signes….
Bonne journée,
Textor
Annexe : La liste des
traités contenus dans l’Aurelii Augustini opuscula plurima de Martin
Flach, édition de 1491.
1- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. Meditationes (incipit Domine deus da cordi meo. ).
2- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. Soliloquia (incipit Cognoscam te. ).
3- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. Manuale (version augmentée : cap. 1-36)
4- Augustin d'Hippone. Enchiridion
de fide, spe et caritate
5- Augustin d'Hippone [Pseudo]
(= Patrice, évêque de Dublin ?). De triplici habitaculo,
6- Augustin d'Hippone [Pseudo]
(= Guigues II, prieur de Chartreuse). Scala paradisi
7- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. De duodecim abusionum gradibus
8- Augustin d'Hippone. De
beata vita
9- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. De assumptione Beatae Virginis Mariae
10- Augustin d'Hippone. De
divinatione daemonum contra paganos,
11- Augustin d'Hippone
[Pseudo] (= Césaire d'Arles). [De fuga mulierum : ] De honestate mulierum,
12- Augustin d'Hippone. De cura pro mortuis gerenda,
13- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. De vera et falsa poenitentia,
14- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. De contritione cordis,
15- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. De contemptu mundi,
16-Augustin d'Hippone [Pseudo]
(= Césaire d'Arles). De convenientia decem praeceptorum et decem plagarum
Aegypti,
17- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. (= Honorius d'Augsbourg). De cognitione verae vitae,
18- Augustin d'Hippone.
Confessiones
19- Augustin d'Hippone. De
doctrina christiana (lib. I-IV),
20- Augustin d'Hippone
[Pseudo] (= Fulgence de Ruspe). De fide ad Petrum,
21- Augustin d'Hippone. Sermones
de vita et moribus clericorum (I-II)
22- Augustin d'Hippone. De
vera religione
23- Augustin d'Hippone
[Pseudo]. De spiritu et anima,
24- Augustin d'Hippone
[Pseudo] (= Pelage ?). De vita christiana,
25- Augustin d'Hippone
[Pseudo] (= Gennade de Marseille). De ecclesiaticis dogmatibus (1ère
recension augmentée)
26- Augustin d'Hippone. De
disciplina christiana,
27- Augustin d'Hippone. Sermo
de caritate,
28- Augustin d'Hippone. Sermo
de decem chordis,
29- Augustin d'Hippone
[Pseudo] (= Césaire d'Arles). De ebrietate (incipit Frequenter caritatem
vestram. ),
30- Augustin d'Hippone [Pseudo].
De vanitate saeculi,
31- Augustin d'Hippone
[Pseudo] (= Jérôme de Strydon). De Oboedientia et humilitate,
32- Augustin d'Hippone. De
agone christiano,
La vie d'Augustin par
Possidius occupe les f 259r2 à 267v2
Par rapport à la première
édition, l’imprimeur a supprimé deux textes concernant la règle de St
Augustin : De bono discipline et le Regula de communi vita
clericorum





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