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jeudi 5 août 2021

La Trêve de Vaucelles ou la conscience politique de Joachim du Bellay. (1559)

Nous avons tendance à oublier que Joachim du Bellay était avant tout, pour ses contemporains, un bon juriste. C’est pour ses connaissances dans cette matière et ses compétences en négociations que son oncle, le Cardinal Jean du Bellay, l’emmena avec lui à la Cour pontificale de Rome, en 1553. Ses écrits politiques ne sont pourtant pas les plus connus, ni les plus faciles à interpréter [1].

Le poète est rapidement déçu par Rome, par les intrigues de la Cour comme par les missions qu’on lui confie car son rôle se résume à une activité d’intendant. Son oncle mène grand train et il lui faut gérer les cordons de la bourse. Je suis né pour la Muse, on me fait ménager [2]. Il s’ennuie. Le spectacle des mœurs de cette Babylone que lui parait être Rome est une amère désillusion pour lui qui ne connaissait les vrais Romains qu'à travers Virgile et Pétrarque. Il exprime son dégoût de l'exil et son amertume dans les Regrets et plusieurs fois il envisage un retour au pays natal mais l’espoir d’une brillante carrière diplomatique le retient auprès du cardinal.

Pourtant, il aurait pu s’apercevoir que le cardinal ne cherchait qu’à sauver les apparences car il était tombé en disgrâce auprès du roi de France et n’avait plus guère le pouvoir d’influencer le cours des évènements. Il était arrivé à Rome pendant les derniers mois du pontificat de Jules III avec pour mission de renouveler la trêve de Passau, conclue en 1552 entre Henri II et Jules III. Cette mission tourna court lorsque, après l'élection du nouveau pape Paul IV, les ennemis du cardinal du Bellay, dont le cardinal de Lorraine, un Guise, lui reprochèrent son intimité avec Carpi, un cardinal proche des Habsbourg.

Page de Titre du Discours au Roy.



Joachim avait-il perçu toutes ces intrigues ? Toujours est-il que dans ce contexte, la trêve de Vaucelles est accueillie avec enthousiasme par le poète. L’occasion est belle d’en faire compliment au Roi et de rechercher ainsi ses faveurs, pour un éventuel retour.  Il compose le ''Discours au Roy sur la tresve de l'an M.D.L.V'' [3], écrit très certainement dans l’enthousiasme de l’évènement, c’est-à-dire dès Février 1556. Du Bellay acclame son souverain magnanime qui aurait pu se contenter d’une victoire par les armes : La Tresve bienheureuse ... / Sire, vous asseuroit de r'emporter l'honneur, / Et vous avez trop plus, tenant ja la victoire, / Prisé le bien public que vostre propre gloire.

Puis il fait l’éloge de la paix et invite les princes d’Europe à unifier leurs forces face au péril venu du Levant :

La paix irait devant, et d'un rameau d'olive

Umbrageant ses cheveux ferais au premier ranc

Chascune en son habit, cheminer flanc à flanc,

Vostre France et l'Espaigne avec toute leur troppe,

Et la plus grande part des provinces d'Europe,

Qui d'un commun accord vostre enseigne suyvant

Chrestiennes conduiraient leurs forces en Levant.

Discours au Roy, f° Aii


Discours au Roy f°5v-6r.

Les hostilités contre l’Empire des Habsbourg duraient déjà depuis quelques années. L’Espagne de Charles Quint était en guerre contre la France depuis que celle-ci s’était allié aux princes protestants allemands par le traité de Chambord en 1552. Mais Charles Quint subit des revers ; il cherchait une solution pour sortir de ce conflit et préparer sa succession (Il abdiquera le 25 octobre 1555). À cet effet, il conclut à Vaucelles une trêve de cinq ans : ce traité reconnaissait les nouvelles possessions françaises (les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, de nombreuses places fortes entre le Luxembourg et la Flandre, ainsi que diverses possessions en Piémont, dans le centre de l'Italie et en Corse).

Mais la paix fut de courte durée : Car la guerre en avait la serrure brouillée, / Et la clef en était par l'âge si rouillée / Qu'en vain, pour en sortir, combattait ce grand corps …[4]

En effet, le pape Paul IV, farouchement hostile aux Habsbourg, cherchait à relancer le conflit : il excommunia Charles Quint et son successeur Philippe II d'Espagne, et il promit aux Français le royaume de Naples. Ces machinations, ainsi que celles de son légat, son propre neveu Carlo Caraffa, poussèrent les Impériaux à envahir les États pontificaux.

Le cardinal du Bellay, pourtant venu à Rome avec d’autres intentions, suivit le parti du Pape et s’emporta violemment contre Philippe II, contre l’hypocrisie de ce saint Philippe, ce bon devot roy Phelippes [5] . Henri II envoya aussitôt en Italie une armée conduite par le duc de Guise. Après une série de victoires, de Guise s'enlisa et dut abandonner sa campagne pour rentrer en France en septembre 1557, tandis que le pape finit par s'entendre avec Philippe II.

Il semble que Joachim du Bellay ne partageait pas le revirement d’opinion de son oncle. Il était pour la paix et non la reprise des hostilités. Sentiment partagé par la majorité des français qui étaient contents que la paix se fît, d'autant plus qu'ils savaient la France épuisée par la guerre.

Nous ne sommes faschez que la tresve se face :

Car bien que nous soyons de la France bien loin,

Si est chascun de nous à soy-mesme tesmoin

Combien la France doit de la guerre estre lasse.[6]

 

Toutefois, il attendit son retour en France pour publier son poème, comme il le fit pour tout ce qu'il avait écrit pendant quatre ans à Rome. Mais, à la fin de 1557, il était trop tard, le Discours n'était plus de saison. La trêve avait été rompue dès Octobre 1556 et son poème devenait anachronique. Il lui fallut différer encore la publication.

C'est seulement en fin d’année 1558 que l'opuscule put voir le jour à une date indéterminée, probablement après la prise de Thionville (22 juin 1558) laquelle fit renaitre des espoirs de paix. Le privilège du Roy, bien que mentionné sur la page de titre, fait défaut [7] et donc rien ne permet de dater précisément la publication, d’autant que certains exemplaires de l’édition originale, comme celui présenté ici, porte une page de titre renouvelée avec la date de 1559.

Discours au Roy, introduction.

Pour actualiser son texte, du Bellay ajoute au manuscrit, qu’il avait sans doute envoyé au Roi bien avant la publication, une introduction en vers dans laquelle il rappelle que (le Ciel) permit que le discord, d’une fureur nouvelle / vint arracher des mains des deux Roys plus puissans / La Tresve qui entre eulx devait durer cinq ans / ….Recevons désormais le bien qui se présente / Renouons cest accord d’une plus forte main.

Il était plus facile de prendre parti en 1558 que deux ans auparavant. Un autre sonnet des Regrets fait aussi allusion à la Trêve de Vaucelles,[8] dans lequel le poète ne s’adresse pas directement au Roi mais à la Trêve elle-même :  Tu sois la bienvenue, ô bienheureuse tresve / Tresve que le chrétien ne peut assez chanter / puisque seule tu as la vertu d’enchanter / de nos travaux passés la souvenance gresve.

Si du Bellay semble très clairement pencher en faveur de la paix et loue son négociateur principal, le Duc de Montmorency, dans le Discours au Roy, cela ne l’empêche pas d’écrire par ailleurs des sonnets en l’honneur de Jean d'Avanson [9], ambassadeur de France qui, lui, était du parti des Guise, c’est-à-dire pour une politique guerrière en Italie : Comme celui qui avec la sagesse / Avez conjoint le droit et l’équité, / Et qui portez de toute antiquité / Joint à vertu le titre de noblesse [10]. Subtile manœuvre politique ou inadvertance d’un poète ? Difficile de savoir de quel côté était vraiment du Bellay.

Quoiqu’il en soit, le poète sera entendu puisque la paix du Cateau-Cambrésis finit par être signée le 3 Avril 1559, scellant la fin des guerres d'Italie et la lutte pour l'hégémonie en Europe entre Habsbourg et Valois.

Le Ciel voulant tirer d'une rigueur cruelle

Une humaine douceur, d'un orage un beau temps.

D'un hyver froidureux un gracieux printemps.

Et d'une longue guerre une paix éternelle…

 

Bonne journée,

Textor



[1] Voir La poésie politique de Joachim Du Bellay, dans Du Bellay : actes du colloque international d’Angers du 26 au 29 mai 1989, t. 1, sous la dir. de Georges Cesbron, Angers, Presses de l’université d’Angers, 1990, p. 77-78.

[2] Les Regrets, sonnet XXXIX.

[3] Plaquette in-4 de 6 ff. imprimée en car. Romains, sign. A4. Réglures à l’encre rouge.

[4] Les Regrets Sonnet CXXV.

[5] Sur la Trêve de Vaucelles voir Bertrand Haan, Une paix pour l’Eternité. La négociation du traité du Cateau-Cambrésis. Bibliothèque de la Casa de Velázquez n° 49 – 2010.

[6] Les Regrets, Sonnet CXXIII.

[7] Ma bibliothèque poétique, Partie 4, Jean Paul Barbier, p 506. Ni privilège, ni achevé d’imprimer.

[8] Sonnet CXXVI.

[9] Les Regrets, sonnets CLXIV et CLXV.

[10] Les Regrets, poème A monsieur d’Avanson.

dimanche 27 juin 2021

Les épigrammes du poète Gilbert Ducher Vulton, aiguepersois. (1538)

Gilbert Ducher, dit Vulton de son nom de plume, n’est pas le plus connu des poètes du premier tiers du 16ème siècle. Il est de la génération de Clément Marot, Maurice Scève, Mellin de Saint Gelais, Etienne Dolet ; il ne publia chez Sébastien Gryphe, en 1538, qu’un seul recueil de poésies latines, l’œuvre de toute sa vie, une suite d’épigrammes intitulée Epigrammaton Libri Duo, composée sur une vingtaine d'années.

La page de titre de l’Epigrammaton Libri Duo à la marque de Sébastien Gryphe

Henri-Louis Baudrier, dans sa bibliographie Lyonnaise, nous dit : « Ce recueil de poésies, très intéressant pour l’histoire littéraire de la France au XVIe siècle, l’est encore davantage pour celle de Lyon et de ses environs, et mériterait une étude sérieuse et documentée ». Il est vrai que les éléments biographiques sur Ducher étaient rares jusqu’à la publication, en 2015, d’une étude minutieuse de Sylvie Laigneau-Fontaine et Catherine Langlois-Pézeret, accompagnée de la traduction des épigrammes.[1]

Gilbert Ducher est né à Aigueperse en Auvergne, sans doute au début des années 1490. Il évoquera souvent son pays natal dans ses vers mais c’est à Toulouse qu’il entame des études de droit et à Paris qu’il vient poursuivre ses humanités. Il s’initie à la langue grecque ce qui était encore assez peu courant en ces années-là. On le retrouve ensuite professeur au collège des Lombards puis au collège de Lisieux. Il y dispense un cours sur le livre VII de l’Histoire Naturelle de Pline l’ancien, texte qu’il doit d’abord se procurer puis corriger montrant ainsi ses gouts pour la philologie. Cette activité le mène naturellement à devenir correcteur chez les imprimeurs de la rue St Jacques, notamment chez Simon de Colines où il fit éditer les Orationes de Richard Crocke en 1520 puis chez Pierre Vidoue. Il collabora ainsi avec Pierre Danès, futur lecteur royal pour le grec, à différentes éditions dont les lettres de Phalaris et les Commentaires de César.

En 1526, toujours à la demande de Pierre Vidoue, il révisa une édition des épigrammes de Martial.[2] Par le plus grands des hasards, car il a été publié plusieurs dizaines d’éditions de Martial à la Renaissance, l’exemplaire de ma bibliothèque est justement celle de Gilbert Ducher. Imprimée par Pierre Vidoue aux dépens des libraires Pierre Gaudoul et Nicolas Crespin. Cette édition soignée s’inspire de l’édition vénitienne d’Alde Manuce de décembre 1517. Elle eut un grand retentissement et fut rééditée plusieurs fois. Nicolas Bourbon, dans son ouvrage Nugea de 1538, avait loué la qualité de l’œuvre et le talent de son auteur.

Les Epigrammes de Martial données par Ducher en 1526

Prologue de Pierre Vidoue à son ami Ducher

Colophon de Pierre Vidoue

Au fil des éditions, chez Vidoue puis chez Calvarin Prigent, Gilbert Ducher commence à offrir des épigrammes qui paraissent comme pièces liminaires pour célébrer Ravisius Textor dans les officinae de 1520, Claude Peronne dans son Compendium Philosophia Naturalis, ou Ureus Cordus dans une édition de Plaute. Ces textes, remaniés, seront ensuite insérés dans l’Epigrammaton Libri Duo.

En 1535, Ducher quitte Paris pour la Savoie. Il n’y reste que 18 mois mais la région l’inspire et c’est là qu’il conçoit et met en forme son recueil. L’épitre dédicatoire du livre 1 est signée de Belley en Savoie (Bellicii Allobrogorum). Mais Lyon et sa brillante vie intellectuelle l’attire et il obtint un poste au collège de la Trinité, fondé sous l’impulsion de Symphorien Champier en 1527, haut lieu des études humanistes.

C’est là, avec d’autres professeurs du collège comme Barthelemy Aneau, Charles de Sainte Marthe, Jean Visagier ou Charles Fontaine que va naitre le second cercle des poètes lyonnais appelé le Sodalitium, plus connu sous le nom d’Académie de Fourvière. A ce noyau de collègues vont venir s’agréger d’autres personnalités dont les plus importantes seront Etienne Dolet, Mellin de Saint-Gelais, Nicolas Bourdon, Maurice et Guillaume Scève, et une bonne douzaine d’autres intellectuels moins connus.

La composition du groupe est variable selon les années, au fil des affinités et des brouilles. Au noyau des membres permanents viennent se greffer des poètes de passage. Il se trouve qu’en 1536, date de la formation de ce cénacle, la Cour est en résidence à Lyon et c’est donc tout naturellement que des valets de chambre du roi comme Clément Marot ou Salmon Macrin viennent à participer. Ce groupe se réunit le plus souvent chez Guillaume Scève, au collège de la Trinité ou chez Sébastien Gryphe pour festoyer, taquiner les muses et la dive bouteille. On y lit des vers, on se livre à des concours d’éloquence et on se célèbrent mutuellement à travers des épigrammes qui se répondent. Les poèmes sont souvent des variations autour d’un même thème et forment une unité qui prouve la forte solidarité du groupe littéraire.

Ces échanges intellectuels et festifs vont donner lieu à la publication de plusieurs recueils de poésies et d’épigrammes en 1537 et 1538. Etienne Dolet publie les Carmina, Jean Visagier les Epigrammaton, Nicolas Bourdon les Nugarum libri octo. Tous ces livres ont une structure identique puisqu’ils sont composés de l’œuvre personnelle de l’auteur suivi de celle de ses amis.  L’Epigrammaton libri duo de Gilbert Ducher suit cette structure : les deux premières sections rassemblent les épigrammes adressées aux membres du Sodalitium mais aussi à Sadolet, Érasme, Mélanchthon, Budé, Rabelais, Gryphe et d'autres. Le volume se referme, sous le titre courant d'Epigrammata amicorum, sur les vers grecs et latins en l'honneur de l’auteur composés par Maurice Scève, Charles Fontaine, etc.

L’Epigrammata amicorum suit les deux livres de Ducher.

Les Epigrammes, cette littérature de circonstance, étaient très à la mode dans le premier tiers du XVIème siècle. C’est une poésie qui se veut humble et sans prétention. Plusieurs auteurs intituleront leur recueil d’épigrammes Nugae, qui veut dire à la fois paroles légères et amusement. C’est évidemment une fausse modestie car leurs auteurs ont une grande opinion d’eux-mêmes et considèrent le genre poétique comme le plus à même de les conduire à l’immortalité.

Ducher ne retranscrit pas Martial, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, mais les épigrammes en reprennent les thèmes obligés ; nombre d’entre eux sont à connotation érotique et célèbrent une certaine Gellia, qui fut peut-être sa maitresse, en jouant sur l'ambiguité du nom commun gellia. D’autres saynètes, plutôt salaces, sont inspirées de Marot comme l’épigramme I-163 reprenant L'espousé la premiere nuict….

Ad Amorem - "On te place près d’un fleuve glacé brulant Cupidon, afin que l’eau froide tempère tes ardeurs".  

"Plaisanterie sur Lycoris et Aegon tirée des vers de mon ami Marot"

L’autre thème obligé est la satire et Ducher distribue les blâmes en vers mordants comme ceux de Martial. Etienne Dolet est sa première cible après la brouille de 1537 (Dolet avait voulu prendre le pouvoir au sein du Sodalitium), ainsi qu’un certain Cordus Volerus, poète non identifié, qu’on voit trainé devant les roues du char à l’occasion d’un triomphe romain à la gloire de Ducher, en général victorieux : « Et la foule des poètes riront, Ô poète Cordus, de ton sort »[3].

En revanche, Ducher reste prudent sur le thème de la religion à la différence de certains de ses amis comme Etienne Dolet ou Nicolas Bourbon. A peine quelques pièces caricaturent la religion comme dans cette petite histoire où il raille la rigidité de l’Eglise : un moine aide un infirme à traverser une rivière puis le jette l’eau à mi-chemin lorsqu’il apprend que celui-ci porte une bourse d’or alors que lui-même a fait vœu de pauvreté et ne peut donc porter de richesses !

Sylvie Laigneau-Fontaine a pu souvent retrouver la source des poèmes de Ducher dans des pièces empruntées aux auteurs anciens (Ovide, Virgile, Juvenal) comme aux modernes (Marot, Mellin de Saint-Gélais [4], Alciat [5]). Notre épigraphiste copie beaucoup l’Anthologie grecque et les adages érasmiens. La notion de plagiat n’était pas perçue au XVIème siècle comme elle est aujourd’hui et les professeurs demandaient à leurs élèves d’imiter telle ou telle pièce grecque ou latine. Il n’est donc pas étonnant que le professeur Ducher fasse de même. L’imitation était plutôt considérée comme un hommage rendu à l’auteur-source, ou un défi pour prouver que l’auteur pouvait égaler le génie du maitre imité. Dans un cas, cela a même permis de sauver un fragment perdu de la poésie de Mellin de Saint Gellais, la Bergerie des Saules, qu’on ne connait que par la transcription latine de Ducher [6].  

"Plainte d’un Faune aux Nymphes, en partie tiré de vers du seigneur Mellin de Saint Gelais"

Un hommage appuyé à Rabelais, qui séjourna à Lyon de 1532 à 1535, mêlé à un éloge de la philosophie (pièce tirée de Boèce).

Il est dommage qu’aujourd’hui peu de lecteur puisse apprécier à sa juste valeur la poésie néo-latine des auteurs du XVIème siècle. La versification ne s’appuie pas sur les rimes mais sur la musicalité du rythme et, de ce fait, le choix de la métrique varie en fonction de ce que le poète veut exprimer. Ducher réserve l’hendécasyllabe phalécien pour les vers de l’amitié (car ressenti comme proprement catullien par les humanistes) et utilise les premiers pythiambiques pour les vers érotiques car employés par Horace dans deux épodes érotiques. 

A défaut, il nous reste un instantané du milieu humaniste lyonnais des années 1530, de ses personnages flamboyants comme des petits rimailleurs oubliés. 

Bonne Journée

Textor



[1] Gilbert Ducher, Épigrammes, édition, traduction et notes par Sylvie Laigneau-Fontaine et Catherine Langlois-Pézeret, Paris, Champion, 2015, 720 p.

[2] Sylvie Laigneau-Fontaine (op. cit. p.20) mentionne que l’ouvrage fut édité chez Ambroise Girault, mais il s’agit en réalité de la seconde édition parue la même année, sans l’épitre dédicatoire qui apparait seulement dans l’édition de Pierre Vidoue.

[3] Epigr. II - 216

[4] Epigr. I -86 Fauni ad nymphas expostulatio.

[5] L’épigr. I-17 sur la séquestration des jeunes vierges est une reprise de l’emblème d’Alciat Custodiendas virginem.

[6] Sicard Claire et Joubaud Pascal, « Gilbert Ducher traduit-il Mellin en latin ? (1538) », Démêler Mellin de Saint-Gelais, Carnet de recherche Hypothèses, 20 mai 2015, mis à jour le 31 août 2015 [En ligne] http://demelermellin.hypotheses.org/2723. 

Chacun des livres se ferme sur l'éloge de l'imprimeur Sébastien Gryphe, comparé au meilleur Tryphon de notre temps. Tryphon était le premier des libraires de Rome

mercredi 28 avril 2021

Quand les sœurs Seymour inspiraient les poètes de la Pléiade. (1551)

 Anne, Margaret et Jane Seymour étaient les filles d'Anne Stanhope et d’Edouard Seymour (1500-1550), premier duc de Somerset, nièces de Jane Seymour, éphémère épouse du roi Henri VIII d’Angleterre. Leur père devint le Lord Protecteur de son neveu, le jeune roi Edouard VI, monté sur le trône en 1547. 

Ces Princesses, comme les qualifie Ronsard eu égard à leur noble cousinage, étaient âgées respectivement d'environ dix-huit, seize et neuf ans en 1550 lorsqu’elles composèrent, à la demande de leur précepteur, Nicolas Denisot, un « tumulus », c’est-à-dire un poème latin de 104 distiques sur la mort de Marguerite de Navarre, intitulé Annae, Margaritae, Janae, Sororum virginum heroidum anglarum, in mortem Divae Margaritae Valesiae, navarrorum Reginae, Hecatodistichon.

Marguerite de Navarre, sœur de François Premier et protectrice des arts.

Page de titre du Tombeau chez Fezandat et Granjon.

Pièce liminaire de N. de Herberay aux soeurs Seymour

Nicolas Denisot jugea sans doute que le travail de ses élèves avait un certain mérite et n’était pas trop scolaire car, une fois rentré en France (de manière précipitée, à la suite d’une sombre affaire d’espionnage), il décida de publier l'Hecatodistichon des sœurs Seymour, faisant ainsi de ce recueil à la fois le premier éloge poétique écrit par une femme et la seule œuvre de femmes anglaises publiée en latin au XVIe siècle [1].

La première édition était un petit fascicule de 48 pages (sign.a-c8), sortie des presses parisiennes de Regnault Chaudière, en 1550. Elle contenait, outre les 104 distiques latins, deux pièces liminaires de Nicolas Denisot, autoproclamé Comte d’Alsinois, son nom de plume, une épitre de Pierre des Mireurs à la gloire des Princesses, et quelques épigrammes en grec ou en latins fournis par les amis de Denisot, comme Jean Dorat, Charles de Sainte-Marthe ou encore Jean-Antoine de Baïf.  

Née en 1492, Marguerite de Valois-Angoulême, sœur de François Ier, plus connue sous le nom de Marguerite de Navarre, avait été la grande protectrice des arts et des lettres mais aussi un auteur de talent, comme en témoignent les Marguerites de la Marguerite (1547) ou encore son Heptaméron, un recueil de nouvelles entrepris dès 1542 sur le modèle du Décaméron de Boccace. A sa mort, en 1549, le monde littéraire ne s’était pas particulièrement mobilisé, mais à la suite de la publication de l'Hecatodistichon, les lettrés français ne tardèrent pas à réagir, ce qui décida Nicolas Denisot à republier l’année suivante le poème des sœurs Seymour dans un tout nouveau volume, largement augmenté, avec un titre français qui soulignait la nature collective de l’ouvrage : Le Tombeau de Marguerite de Valois , royne de Navarre , faict premièrement en disticques latins par les trois soeurs princesses en Angleterre, depuis traduictz en grec, italien, et françois par plusieurs des excellentz poètes de la France. Avecques plusieurs odes, hymnes, cantiques, épitaphes sur le mesme subject.

Il faut dire que Nicolas Denisot avait de nombreuses relations parmi les intellectuels de son temps et qu’il sut mobiliser un nombre de poètes impressionnant, parmi les plus talentueux du moment. Brillant touche-à-tout, à la fois peintre cartographe et poète lui-même, Denisot était né au Mans, comme son ami Pelletier, dans une famille noble implantée de longue date à Nogent le Rotrou.

Il leur fit traduire en français, italien, et même grec, les distiques latins composés par les sœurs Seymour. Les traductions sont juxtaposées et forment une sorte de joute poétique où chacun cherche à surpasser les autres.

Un exemple de ces jeux de traductions où les vers d’un distique donne lieu à des variations très différentes selon les auteurs. (Ici du Bellay (I.D.B.A.) Denisot, Baïf, de Mesme (I.P.D.M.) ou Antoinette de Loyne (Dam. A.D.L.)

Une pièce latine originale de Jean Dorat et sa version italienne par J.P. de Mesme puis française par Ronsard, du Bellay et Baif permet d’apprécier les talents de chacun.

Il demanda aussi aux participants de fournir des pièces originales ; outre Jean Dorat et Jean-Antoine de Baïf, une pléiade de poètes fournit des poèmes en diverses langues : Joachim du Bellay, Jean Tagaut, Salmon Macrin, Nicolas Bourbon, Claude d’Espence, Jacques Bouju, Robert de La Haye, Martin Séguier, Jean du Tillet, Mathieu Pac, Salmon Macrin, Gilles Bouguier, Charles de Sainte-Marthe, Jean-Pierre de Mesme, le mécène Jean de Morel, sa femme Antoinette de Loynes, et Pierre de Ronsard « ….qui tentait alors de se poser comme chef de la nouvelle génération poétique, donna près de huit cents vers » [2].  

Il est vrai que Ronsard ne pouvait rien refuser à Denisot qui avait l’habitude de tirer le portrait des maitresses de ses amis, dont Baïf et Mellin de Saint-Gelais et qui dessina celui de la belle Cassandre. Marc-Antoine Muret écrivit que « [Ronsard] dit ne pouvoir soulager ses maux, sinon se retirant de toutes compagnies, & hantant les lieux solitaires, à fin d’aller contempler à son aise un portrait de sa Dame, fait de la main de Nicolas Denisot, homme entre les autres de singulières grâces, excellent en l’art de Peinture ». Certains ont même avancé que le portrait de Marguerite de Navarre servant de frontispice au Tombeau serait l’œuvre de Denisot mais l’original au crayon a été conservé et semble plutôt appartenir au style de François Clouet.

Une des pièces offertes par Ronsard, l'ode Aux Trois Soeurs.

Cette collaboration entre poètes fut les prémisses d’un rapprochement de plusieurs d’entre eux qui n’allaient pas tarder à former la Brigade (1553), puis la Pléiade. Six des sept membres de ce groupe informel, anciens des collèges de Boncourt et de Coqueret qui se réunissaient à l’auberge de la Pomme de Pin, se retrouvent dans l’ouvrage [3]. L’œuvre glorifie Marguerite de Navarre mais aussi les sœurs Seymour elles-mêmes, auxquelles plusieurs pièces sont consacrées. Elle est représentative des principaux thèmes développés par les poètes de la Pléiade : L’amour d’une femme, la mort, la fuite du temps, et la nature qui les entoure. 

Ronsard contribua ainsi au Tombeau de Marguerite de Navarre en donnant 4 pièces originales qui seront reprises dans le 5ème livre des Odes en 1552 :

-         L’ode Aux Trois Sœurs entame l’ouvrage. C’est tout autant une ode à la Dixième Muses, Marguerite de Navarre, qu’une célébration de toutes les femmes lettrées, parmi lesquelles figurent les sœurs Seymour, dont le poète se plait à imaginer la beauté de sirène.

 

Elles d’ordre flanc à flanc

Oisives au front des ondes,

D’un peigne d’yvoire blanc

Frisèrent leurs tresses blondes,

Et mignotant de leurs yeux

Les attraiz délicieux,

D’une œillade languissante

Guetterent la Nef passante.

 

-         L’Hymne Triomphale sur le Trepas de Marguerite de Valois, est l’œuvre la plus longue et la première contribution du poète au Tombeau. Il y conte la lutte que l’âme de la Reine Marguerite dut livrer à son corps, le triomphe de cette âme et son passage direct des terres de Navarre au royaume des béatitudes éternelles. Cette pièce, qui glorifiait sous le voile de l’allégorie, le mysticisme de la reine-poète, auteur du Discord de l’Esprit et de la Chair, fut très admirée des contemporains de Ronsard. Elle se termine par la fameuse pique de Ronsard à Mellin de Saint-Gelais, l’un de ses plus virulents concurrents.

Ecarte loin de mon chef

Tout malheur et tout meschef,

Préserve moi d'infamie

De toute langue ennemie,

Et de tout acte malin,

Et fay que devant mon prince

Désormais plus ne me pince

La tenaille de Melin.

 

-         Il compléta sa contribution au recueil par une traduction et une ode pastorale, Aux Cendres de Marguerite de Valois.

 

Il ne faut point qu'on te face

Un sepulchre qui embrasse

Mille Termes en un rond :

Pompeux d'ouvrages antiques

Et de haux pilliers Doriques

Elevéz à double front.

 

L'Airain, le Marbre & le Cuyvre

Font tant seulement revivre

Ceulx qui meurent sans renom :

Et desquelz la sepulture

Presse soubz mesme closture

Le corps, la vie, & le nom :

 

Mais toi, dont la renommée

Porte d'une aile animée

Par le monde tes valeurs :

Mieux que ces pointes superbes

Te plaisent les douces herbes,

Les fontaines, & les fleurs.

 

L’Hymne Triomphal de Ronsard

La pique destinée à Mellin de Saint Gelais

Le Tombeau de Marguerite de Navarre est donc une œuvre majeure de la Renaissance qui, sans doute aussi grâce aux élégants caractères de Robert Granjon, attira les bibliophiles des siècles passés. Ils s’empressèrent de la rhabiller dans des maroquins clinquants signés Trautz-Bauzonnet [4], Capé [5], Chambolle-Duru [6]. La particularité de l’exemplaire présenté ici est d’avoir été conservé dans une reliure de maroquin bleu, élégante mais très sobre, non signée, possiblement anglaise, confectionnée à la demande d’Henry Danby Seymour (1820 - 1877), un lointain descendant en ligne directe des sœurs Seymour.

Henry Danby Seymour était un parlementaire anglais, membre du parti libéral, égyptologue et grand voyageur, membre de la National Geographic Society. Il fit don au British Museum des fragments de la tombe de Sobekhotep ramenés d’Egypte.

Reliure de maroquin bleu.

Ex-libris de H.D. Seymour, esq.

Son ex-libris reprend classiquement une partie du blason de la famille Seymour, à savoir le cimier composé d’un phoenix aux ailes déployées. Il porte ici la mention manuscrite « may 8th 1855 ». Henry Danby Seymour avait réussi à dénicher un second exemplaire du Tombeau qu’il fit orner d’une reliure de maroquin vert et dans lequel il apposa un ex-libris daté du 24 Avril 1855. Il est aujourd’hui conservé dans les collections du musée Barbier-Mueller, à Genève.

L’exemplaire de la Bibliotheca Textoriana est un in-8 de 104 ff. n. ch. sign. A-N8, hauteur 167 mm. En comparaison l’exemplaire Paul Eluard en maroquin anthracite signé Trautz-Bauzonnet, cité par Le Petit d'après le Répertoire Morgand et Fatout (1882, n°7859) fait 160 mm. Damascène Morgand l'avait acquis à la vente Desbarreaux-Bernard. L’exemplaire Barbier-Mueller fait 163,5 mm. Celui qui fut proposé par la librairie A. Sourget, 171 mm. 

Notre exemplaire appartint à la Bibliothèque Silvain S. Brunschwig, vendue aux enchères à Genève, en mars 1955, par Nicolas Rauch S.A. (n° 478). Il rejoint ensuite la bibliothèque littéraire d’Albert-Louis Natural, riche de quelque 800 volumes, réunis pour l’essentiel pendant l’entre-deux guerres par son père Albert Natural. Les incunables et les livres du 16ème siècle ont été dispersés à Drouot en 1987 (n°89). L’ouvrage passa encore en vente chez P. Bergé le 6 Nov 2005 (n°271) et enfin chez Ader-Nordmann le 4 Juillet 2012.

Bonne journée,

Textor



[1] Studies in Philology: Volume XCIII Spring, 1996 Number 2, England's First Female-Authored Encomium: The Seymour Sisters' Hecatodistichon (1550) to Marguerite de Navarre. Text, Translation, Notes, and Commentary by Brenda M. Hosington

[2] Nicolas Ducimetière, Mignonne, allons voir... Fleurons de la bibliothèque poétique Jean Paul Barbier-Mueller, n°96. Avant-propos de Jean d'Ormesson, préface de Michel Jeanneret, Paris, Hazan, 2007.

[3] Ronsard, du Bellay, Baïf, Dorat, Pelletier du Mans et Denisot.

[4] Exemplaire De la bibliothèque du baron de La Roche-Lacarelle (Vente Piasa, 2 mars 2003, n° 132)

[5] Exemplaire de la Bibliothèque Landau-Finaly. Reliure de maroquin vert doublé de maroquin rouge richement décoré signée Capé.

[6] Exemplaire en reliure de Chambolle Duru. 19th-century brown morocco with central diamond-shaped onlay of blue morocco stamped with 3 fleur-de-lis, gilt panelled with crowns and initials "M", gilt turn-ins. (Christies 1995)