Le
petit ouvrage que fit publier Michele Riccio à Paris, en Aout 1507, chez
l’imprimeur Josse Bade, a pour titre Histoire Condensée et Véridique des
Rois Très Chrétiens Par Leurs Conseillers et Suppliants (Comme On Dit) [1]. C’est un ensemble de cinq
livres qui s’attache à présenter l’histoire des dynasties qui ont
successivement régné sur le royaume de Naples.
L’histoire
du Royaume de Naples au XVème siècle est particulièrement mouvementée. Ancienne
colonie grecque, Neapolis (La ville nouvelle) devient très tôt un carrefour
stratégique et l’une des cités les plus peuplée d’Europe ; elle attire les
convoitises.
La
cité a vu passer, après les grecs et les romains, les normands qui fondent le
royaume de Sicile incluant une bonne partie de l’Italie du sud, puis les
angevins au XIIIème siècle, après la scission du royaume de Sicile, suivis des
espagnols d’Alphonse V d’Aragon, qui prennent possession de Naples en 1443
après leur victoire contre René d’Anjou. René d’Anjou est le légitime héritier
du Royaume de Naples mais après 4 ans de bagarres et de tractations, il finit
par rentrer en France, ne gardant que le titre de Roi de Jérusalem et de
Sicile. Alphonse V fait alors de Naples un foyer de la Renaissance italienne où
des artistes comme Antonello da Messina, Jacopo Sannazaro ou Ange Policien y
exercent leurs talents.
C’est
durant cette période faste que nait à Castellammare di Stabia autour de l'année
1445 Michele Riccio (1445-1515), fils de Nicholas de Ritii et Mariella Correale.
Il eut comme précepteur l’humaniste Pietro Summonte qui l’orienta vers la
carrière juridique. Ferdinand 1er d’Aragon, alors roi de Naples, le
nomme professeur de droit à l’université du Royaume.
Lors
de la première guerre d’Italie (1494-1497), Charles VIII de Valois, allié au
duché de Milan, estime avoir des droits héréditaires sur le royaume de Naples.
Il passe le col de Montgenèvre et envahit Naples sous le prétexte de mener une
nouvelle croisade contre l'Empire ottoman et délivrer Jérusalem. À la
mi-février 1495, le roi Alphonse II de Naples abdique et Ferdinand II lui
succède. Ce dernier doit fuir devant l’arrivée des troupes françaises le 22
février 1495. C’est alors que des nobles italiens, nostalgiques de la période
angevine et convaincus de la justesse des prétentions de Charles VIII, se
rallient à lui avec leurs hommes d'armes. Michele Riccio est au nombre de ceux
qui participent à ces ralliements. Il profite de la prise de Naples pour se
placer sous la protection des Valois. Il devient ainsi Avocat fiscal, diplomate
et conseiller du roi et il occupe différentes fonctions politiques qui
l’impliquent dans les guerres d’Italie.
La
conquête est de courte durée car les exactions des occupants provoquent
l’hostilité de la population et une alliance anti-française connue sous le nom
de la Ligue de Venise organise la résistance. Charles VIII choisit de battre en
retraite et Michele Riccio le suit dans son retour en France. Il reçoit la
charge de Conseiller du Roi au Grand Conseil.
Il
entreprend alors la rédaction d’une histoire de l’expédition de Charles VIII (Historia
profectionis Caroli VIII) dont le manuscrit daté de Juillet 1496 est
conservé à la Bibliothèque Nationale de France.[2] Il s’agit d’un compte
rendu de la première guerre d'Italie dans lequel Riccio prend parti sans nuance
pour son protecteur. Cet ouvrage n’a pas bénéficié à l’époque d’une édition
imprimée.[3]
Au
décès de Charles VIII, son cousin Louis d’Orléans, devenu Louis XII, hérite des
droits des Valois sur le royaume de Naples et poursuit les rêves de conquête.
Il commence par reprendre le duché de Milan et nomme Michele Riccio, premier
sénateur de la ville en 1498. Ce dernier entre ainsi à Milan en Octobre 1499
avec le cardinal d'Amboise pour répondre à une harangue des Milanais. Puis
Louis XII se tourne vers le royaume de Naples. Le 11 novembre 1500, il signe le
traité de Grenade avec Ferdinand II d'Aragon réglant le partage du royaume :
les Pouilles et la Calabre pour l’Aragon, Naples, le Labour et les Abruzzes
pour la France. Par la suite, Louis XII va confier à Riccio plusieurs missions
diplomatiques, ce qui le conduit à prononcer un discours officiel d’obédience à
Jules II lors d’une ambassade à Rome, en 1505, au côté de Guillaume Budé,
discours qui sera publié d’abord à Rome [4] puis par Josse Bade.
Le royaume de Naples reste encore 4 ans aux mains des Français mais après les défaites de Seminara, de Cérignole et du Garigliano contre Gonzalve de Cordoue, la France renonce définitivement à ses prétentions sur Naples en 1504.
Fin
de l’histoire française à Naples et début des chroniques historiographiques de Michele
Riccio qui entame l’écriture du De Regis Francorum, un résumé des
dynasties qui se sont succédées en France de Pharamond jusqu’à Louis XII. Jacques
Le Long dans sa Bibliothèque Historique de la France [5]
nous dit que le style de l’auteur est travaillé mais qu’il ne fait qu’effleurer
les principaux évènements tant ils sont abrégés. Il est certain que condenser
l’histoire de France en 25 feuillets requiert un bon esprit de synthèse. Il
s’inspire en cela du Compendium qu’avait rédigé quelques années auparavant
Robert Gaguin sur l’histoire de France.
La
première édition parait à Rome en 1505 sous le titre Michaelis Riccii
Neapolitani ludovico XII regi a consilis, de Regibus Francorum a Pharamundo
usque ad Ludovicum XII. L’édition est citée par plusieurs bibliographes du
17ème siècle (Le Long, Lenglet Dufrenoy, etc) mais je n’en ai pas
retrouvé trace dans les bibliothèques publiques. Son existence est néanmoins
très plausible puisque cette date correspond à celle des deux pièces liminaires
figurant dans les deux premières éditions collectives, à savoir celle de Milan
(Impressum Mediolani per Joannem de Castelliono, 1506) puis celle de Paris. (Josse
Bade, 1507). Ces deux éditions regroupent le De Regibus Francorum avec
d’autres opuscules consacrés aux autres dynasties ayant régné sur Naples. On
trouve donc à la suite du De Regibus Francorum libri III (f°I à
XXV) soit 50 pp. :
-
De
Regibus Hispaniae lib. III.
(Du Royaume d’Espagne en 3 livres ). f° XXVI à XLIII, soit 36 pp.
-
De
Regibus Hierosolymorum lib. I.
(Du Royaume de Jérusalem en 1 livre). f° XLIV à XLVI, soit 6 pp.
-
De
Regibus Neapolis et Siciliae lib. IV.
(Du Royaume de Naples et de Sicile en 4 livres). f° XLVII à LXXX, soit 48 pp.
-
De
Regibus Ungariae lib. II.
(Du Royaume de Hongrie en 2 livres). f°LXXXI à CVII, soit 54 pp.
Certains
bibliographes [6] prétendent que ces autres opuscules avaient aussi paru séparément en 1505, mais
là encore, je n’en ai trouvé aucun qui soit cité comme opuscule séparé dans une
quelconque bibliothèque publique. Il faudrait sans doute creuser davantage car,
à vrai dire, la recherche des différentes éditions anciennes est ardue, les catalogues
retenant un nom d’auteur très variable selon le pays ou la période [7].
Par
ailleurs, il apparait que les quatre premiers opuscules forment un tout dans la
mesure où ils mettent en lumière les droits des différents souverains sur le
royaume de Naples. Riccio a développé en
priorité l’histoire de France, puis celle du royaume de Naples en elle-même,
tandis que l’histoire d’Espagne et surtout celle du royaume de Jérusalem sont
traitées plus succinctement. L’histoire de la Hongrie, qui n’a pas de rapport immédiat
avec le royaume de Naples, semble-t-il, a fait l’objet d’un titre de transition
: Sequitur Gibus (sic !) Ungariae, pouvant vouloir marquer
une distinction par rapport aux autres livres.
Les
opuscules sont précédés de deux pièces liminaires qui figuraient déjà dans
l’édition de Milan de l’année précédente : La première est une épître du
professeur Gianpaolo Parasio (Alias Aulus Janus Parrhasius), de Cosenza, à
l'auteur datée du 1er Octobre 1505. Ce fils d’un conseiller au Sénat
de Naples avait fui à Rome lors de l’invasion française. La seconde épître est
rédigée par l’auteur à l’attention de Guy de Rochefort, grand chancelier de France [8].
L’édition
de Josse Bade contient, outre les deux pièces liminaires déjà citées, une
épigramme originale dans laquelle l’éditeur loue le travail de Michele Riccio
et met l’accent sur le fil rouge de l’ouvrage, à savoir les revendications
héréditaires sur le Royaume de Naples, faisant au passage un certain amalgame
entre les espagnols, la conquête arabe et la nécessaire reprise des lieux
saints.
En
voici une libre traduction :
Epigramme
de Jodoc. Badius sur ce qui suit à propos des royaumes chrétiens :
Si la noblesse connaissait la lignée des familles royales / cela les aiderait à avoir une vision globale (à voir tout en un) / Lisez les livres de Riccio, parmi les meilleurs sur l'histoire. / En effet, à partir de ceux-ci vous apprendrez l'origine des célèbres Francs / Ils ont atteint les sommets des rois chrétiens / Un rival des Francs, par le sang duquel les Ibères ont été menés, / Bethyca (La Bétique) [9] a soumis leurs royaumes à son sceptre. / Et par cette parthénopée, les rois sont rejetons des Sicules (Siciliens) / Ils disent qu'ils détiennent seuls les droits de Soliman / Le chef de ceux qui ont orné le Christ d'une couronne / Ou alors ravissent quelques sceptres par jour. / Et enfin, les rois de Hongrie sont nés du sang / Des guerres horribles et dures entre les hommes / Et par cette union ou parthénopée de sang / La Hongrie revendique le sceptre pannonien. [10]
Le
Praelium Ascensianum est connu pour être un foyer important de la diffusion de
l’humanisme italien en langue latine. Josse Bade a voyagé en Italie, à Ferrare,
à Mantoue ; il a suivi les cours de Philippe Beroalde, dont il éditera à
plusieurs reprises les œuvres. Ses auteurs de référence sont notamment
Petrarque, Ange Policien, Marcile Ficin, Lorenzo Valla, Nicolo Perotti. Il
semble donc naturel que Michele Riccio se soit adressé à lui pour faire
rééditer son compendium.
Cette
édition parisienne a été imprimée en caractères romains. Les majuscules du
texte sont rubriquées en jaune et le début des livres agrémentée de lettrines
foliacées. Le titre, typographié en rouge, est inséré dans la célèbre marque
gravée du Prælum Ascensianum de l’éditeur [11], figurant l’intérieur
d’un atelier d’imprimerie.
Il
faut noter une particularité qu’on ne retrouve pas dans les autres exemplaires
consultés : le (mal nommé) dernier feuillet blanc contient au verso une reprise
à l’identique du texte en rouge figurant sur le premier feuillet, à l’exception
de la marque de l’imprimeur. Il s’agit sans doute d’une erreur au moment de la
mise en page ou de la reliure mais cela nous donne une indication sur la
manière dont Josse Bade composait son titre. A l’inverse des gravures avant la
lettre, Il commençait par typographier la page de titre en lettres rouges et
surimposait ensuite sa marque.
L’édition collective [12] des traités sur les royaumes chrétiens aura beaucoup de succès, peut-être en raison de son caractère synthétique qui la rendait pratique aux étudiants. Elle sera encore publiée par Froben en 1517 puis en 1534 (C’est l’édition que l’on trouve le plus souvent en bibliothèque), traduite en italien (Venise, Vincenzo Vaugris, 1543), puis reprise en entier ou seulement par fascicules insérés dans d’autres ouvrages jusqu’au milieu du 17ème siècle (par exemple Naples, 1645).
Michele
Riccio a ouvert ainsi la voie à d’autres historiographes comme son compatriote
Paolo Emilio, pensionné par Charles VIII dès 1489 comme orateur et chroniqueur
du roi, qui écrira à son tour une Chronique de France bien plus développée (De
rebus gestis Francorum, Libri IIII ) qui sera publié également par Josse
Bade à partir de 1517.
Bonne
Journée
Textor
[1] D. Michaelis Ritii a. consilio et ab requaestis (ut ajunt) regii : Compendiosi & veridici de regibus christianis fere libelli. Ouvrage de 107 feuillets (mal chiffré CIII) signés A4, B-O8, P4.
[2] Paris, lat. 6200.
[3] Texte
publié en fragments in Arthur de Boislisle, Notice biographique et
historique sur Étienne de Vesc, sénéchal de Beaucaire, pour servir à l'histoire
des expéditions d'Italie, Paris et Nogent-le-Rotrou, 1884, p. 258-270.
[4] Oratio ad Julium II. in obedientia
illi praestita per Ludovico XII, per Michaelem Ritium. (Romae : E.
Silber, s. d.)
[5] Bibliothèque Historique de la France T II, p. 47 (Paris, J.T. Herissant 1769).
[6] Voir
Brunet IV 1314. Lequel se trompe aussi sur le format de l’édition de Bade
puisqu’il écrit In-quarto alors que c’est un in-octavo.
[7] Michele
Riccio pour la BNF mais Michael Riccio pour la British Library, en latin
Michaelis Ritius, on trouve aussi Michele Ricci ou Rezzo, parfois francisé en
Michel de Ris, du Rit ou de Rys, chez les anciens bibliographes.
[8]
L’édition de Milan contient aussi deux autres pièces qui n’ont pas été reprises
par Josse Bade : Martianus Aries cremonensis a manu Jani studiosis.
S.P.D. ; et, au fol. VIII v° : Clarissimi senatoris et juriscon.
Michaelis Ritii de Regibus Neapolis historia.
[9] La
Bétique couvre le sud de l'actuelle Espagne et correspond à peu près à
l'actuelle Andalousie. Elle tire son nom du nom latin du fleuve Guadalquivir,
Baetis.
[10] Janus
Pannonius, humaniste et poète Hungaro-Croate, voir l’article du 25 juil. 2021
sur ce site.
[11] Marque 1,
état 1 de Josse Bade Ascensius, reproduite par Ph. Renouard dans sa
bibliographie de Josse Bade, Paris 1908 (Gravure Pl. B3 n°77).
[12] La BNF
dénombre 18 exemplaires de l’édition de Josse Bade, 1507 dont 7 en France, mais
la liste n’est pas exhaustive.