Olivier Maillard est né en Bretagne, comme nous l’apprend son épitaphe : Premièrement devons savoir/ Par bon vouloir / Qu'il a esté né en Bretagne. Peut-être à Yvignac-la-Tour mais plus surement à Nantes. Toujours est-il que c’est en Aquitaine qu’il commence son éducation chez les moines franciscains ; ces derniers remarquent ses prédispositions à l’étude et l’envoient parfaire ses classes à l’université de Paris où il obtint le grade de docteur avant d’être jugé digne d’occuper une chaire de professeur de théologie. Mais c’est moins pour ses cours que pour sa verve durant ses sermons que notre théologien se fit connaitre.
On sait par la préface que l’éditeur a
placée en tête d'un recueil des Sermons de l'Avent, que Maillard commença à
parler aux foules assemblées vers l'année 1460. Cette indication recoupe ce que
nous dit son épitaphe : Hélas ! le
grand fruit qu'il a fait/ Et parfait/L'espace de quarante-deux ans ! Sa
date de décès étant certaine (1502), cette inscription confirme la date de
1460. Comme Il prêchait matin et soir, inlassablement, il n’est pas étonnant
qu’on ait conservé de lui plus de 500 sermons donnés non seulement à St Jean-en-Grève
mais partout en France et en Europe. On venait l’écouter en Flandres, (où il a
donné le fameux sermon fait à Bruges le 5ème dimanche de carême l’an
1500 [1]) comme
en Espagne, où l'appelaient souvent sa charge de grand vicaire de l'ordre et
aussi parfois sa mission d’émissaire du roi ; en Allemagne comme en
Hongrie ou en Angleterre.
S'il faut en croire la même préface
des Sermons de l’Avent : « il n'y a presque pas une province en France que
n'ait parcourue cet infatigable semeur, répandant partout les germes de la
parole de Dieu et partout faisant lever une moisson abondante ». On dit
même que son passage à Nantes eut une influence décisive sur la foi très
stricte d’Anne de Bretagne.
Olivier Maillard n’est donc pas
inconnu des biographes :
Labouderie, Levot, le marquis du Roure, Gabriel Peignot, Arthur de La Borderie [2]
et l’abbé Samouillan [3]
ont écrit sa biographie. Un état
bibliographique assez complet de ses œuvres nous est donné par La Borderie
(voir Annexe). A ces recherches savantes s’ajoutent les écrits de Charles
Labitte [4].
Maillard
ne peut pas être réduit à ses prédications, il eut aussi un rôle politique et une
œuvre de réformateur. Il tenta de négocier, sans succès, au côté de Charles
VIII, l’abolition de la Pragmatique Sanction. On dit qu’il décida ce Prince à
restituer la Cerdagne et le Roussillon à l’Espagne. Il prit aussi une part active à la grande
réforme de son ordre : « la stricte observance ». L’initiative venait du
cardinal Georges d'Amboise, l'homme de confiance de Louis XII et le légat du
Saint-Siège, mais Jean d’Auton nous dit, dans sa chronique, qu’ « ung
cordellier, nommé frère Ollivier Maillart de l'observance, estoit lors a Paris
dedans le colliege des cordelliers pour iceulx refformer, lequel avoit avecques
lui cincquante autres cordelliers de son ordre, voulant iceulx colloquer et
mectre dedans pour reduyre les autres à l'observance.[5]
» II était venu là comme vicaire général, en charge depuis 1499, avec
l'intention d'enfermer ses frères de Paris dans le dilemme soumission ou
expulsion.
L’exemplaire
des Sermons de Maillard figurant dans ma bibliothèque est composé de quatre
parties distribuées dans trois éditions distinctes, toutes publiées par Jehan
Petit en 1504, 1506 et 1508. Dans l’ordre chronologique, on trouve d’abord les
sermons du Carême prêchés à Nantes (avant 1470): « Opus quadragesimale
egregium magistri Oliverii Maillardi, sacre theologie preclarissimi ordinis
minorum preconis : quod quidem in civitate Nannetensi fuit per eorumdem publice
declamatum, ac nuper Parisius impressum. » [6]
Il s’agit de la première édition selon de la Borderie, publiée à Paris sous la
marque de Jehan Petit. C’est un in-octavo de 102 ff. (en chiffres arabes) + 22
de table [sign. a-p8, q4]. Une Impression gothique sur 2 colonnes. Exemplaire
du premier état avec l’avis au lecteur daté 1506 (le second état sera daté
1507). Cet opuscule contient aussi le Carême du Criminel, qu’on ne trouve que
dans cette édition de 1506.
Suivi
de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ : Passio domini nostri iesu
christi Reverendi p. Oliverii parisius declamata (titre courant : Feria
VI de Passione Domini sermo). Sans lieu ni date, (entre 1504 et 1506). Brunet
le rattache à une édition de Nantes [7],
sans doute par confusion avec le recueil auquel il est souvent relié (Les
Sermons de Nantes) mais il est aujourd’hui attribué aux presses d’André Bocard
d’après le matériel typographique. C’est un in-octavo de 16 ff. n. c. [sign.
A-B4], impression gothique sur 2 colonnes. [8]
Suivent
les Sermons du Carême donnés à Saint Jean-en-Grève : Quadragesimale opus
declamatum parisiorum urbe ecclesia sancti Johannis in Grauia : per venerabilem
patrem sacre scripture interpretem diuini verbi preconem eximium fratrem
Oliuerium Maillardi ordinis fratrum minorum [9] ...
Paris, Jehan Petit, 1508, in-8° de 174 ff. (en chiffres romains) + 4 de table.
Impression gothique sur 2 colonnes, marque de Jehan Petit au titre. (Relié en
tête de l’exemplaire).
Le succès d’Olivier Maillard apparait
dans les différentes préfaces des éditions anciennes où il est qualifié de très
célèbre héraut de la parole divine, de prédicateur incomparable, de fervent,
sévère, incorruptible orateur, etc… Il est même encore cité par Rabelais
dans le Plantagruel : « Panurge …., les prêchait éloquentement comme
s’il fût un petit frère Olivier Maillard, ou un second frère Jean Bourgeois,
leur remontrant par lieux de rhétorique les misères de ce monde, le bien et
l’heur de l’autre…. » [10]. Rabelais
avait certainement apprécié la verve du prédicateur qui n’était pas sans
rappeler son propre style.
Les textes des éditions anciennes sont
majoritairement en latin mais il n’est pas certain que ce soit dans cette
langue qu’Olivier Maillard s’exprimait. Comme il cherchait à s’adresser au plus
grand nombre et que le peuple n’entendait rien au latin c’est sans doute en
langue vulgaire qu’il diffusait ses sermons.
D'ailleurs, il y a un indice dans un
passage de ses sermons : Après avoir cité une suite de textes latins,
Maillard dit avec sa bonhomie narquoise : « Mesdames, vous pourriez objecter
entre vous : Nous
n'avons pas appris le latin, aussi nous ne comprenons pas ce que vous nous
dites. Mais patience, je vais vous l'expliquer [11]
». Et l'explication est aussi en latin ! En réalité Olivier Maillard
devait largement improviser ses prêches et il n’est pas l’auteur direct des
textes imprimés qui ont été retranscrits postérieurement, sans doute par l’un
de ses disciples.
Ce n’est pas l’abondance des publications ni son succès pendant le premier tiers du XVIème siècle qui retiennent l’attention de ceux qui recherchent ses sermons aujourd’hui mais les détails qu’il nous a laissé sur les mœurs de l’époque et ses talents d’observateur de la vie civile à la fin du Moyen-âge. Ajoutez à cela un style fleuri qui étonne encore de la part de cet austère prédicateur et une liberté de parole qui ne serait plus possible aujourd’hui.
‘’Jamais personne n’avait attaqué
toutes les classes et toutes les professions sociales avec plus de hardiesse,
de virulence et de mauvais goût. Chacun de ses sermons est une satire amère et
outrageante, revêtue d’un langage grossier, trivial, et de mots empruntés aux
mauvais lieux du plus bas étage” (Hoefer).
Olivier ne semblait jamais trouver de
mots assez durs ni d’expressions assez imagées pour ses sermons. Il
s'adressait, sans épargner personne, à tous les rangs, à tous les âges,
fustigeant riches et pauvres, jusqu’au roi Louis XI qui finit par trouver qu’il
dérivait dangereusement vers le crime de lèse-majesté. Il lui envoya un de ses valets pour le menacer de le
faire coudre dans un sac et de le jeter à la rivière s'il se permettait encore
de pareilles attaques. Maillard lui répondit sans se démonter : « Va
dire à ton maître que j'arriverai plus tôt au ciel par eau que lui avec ses
chevaux de poste [12]
»
La
réplique dut amuser le souverain qui venait de mettre en place les premiers
relais de poste car il ne mit pas sa menace à exécution et cela ne fit qu’encourager
la hardiesse du prédicateur.
Un exemple de son style mêlant latin
et français nous est donné dans le vingt-sixième sermon de Carême prêché à
Paris, dans lequel il s’offusque des comportements à l’église, de ce qu’on y
venait essentiellement pour s’y montrer, faire du commerce ou pire encore pour
s’y adonner à la luxure. Olivier Maillard dénonce les dames qui portaient les
noms de leurs amants les plus chers sur les marges de leurs livres d'heures : «
In horis suis, amantiorum nomma utpote : vostre loyal, vostre mignon, vostre
serviteur, vostre tretout, filia dyabolica ! »[13]
L’abbé Samouillan voit dans ce style
imagé fait d’anecdotes et de petite scénettes le prolongement des mystères et
des farces donnés par l’Eglise au peuple des villes pour mieux faire passer son
message. Une des historiettes célèbres, reprise par Anatole France dans les
Contes de Jacques Tournebroche, est celle de l’entremetteuse et des cinq dames,
toutes de grande beauté. Maillard voulait montrer les différents degrés
d'honnêteté ou de perversion, à travers l’attitude et les répliques de la
Picarde, la Poitevine, la Tourangelle, la Lyonnaise et la Parisienne. Cette
dernière étant évidemment la plus délurée et la plus coupable.
A vrai dire, il n’en voulait pas qu’aux
femmes mais à tout le monde, particulièrement aux libraires qui diffusait des
livres profanes. « O pauvres libraires ! il ne vous suffit pas de vous
damner seuls, vous voulez damner les autres en imprimant des livres obscènes
qui traitent de l'art d'aimer et de luxure, et en fournissant occasion à mal
faire. Allez à tous les diables ! [14]»
.
Les libraires ne lui en ont vraiment pas
tenu rancune, vu le nombre d’éditions des sermons qu’ils publièrent par la
suite.
Bonne journée
Textor
__________________
Annexe bibliographique
des principales éditions recensées par Arthur de la Borderie.
Œuvres
Latines.
1. Avent de
Saint-Jean-en-Grève, publié en 1494, 1497, 1498 (J. de Vingle, Lyon), en 1500
(Paris, Philippe Pigouchet), en 1502 (Lyon, Étienne Gueygnard), en 1506, 1511,
1516,
1522 (Paris, Jean Petit), en 1512 (Strasbourg,
Jean Knoblouch).
2. Adventuale breve ou petit Avent, publié cà
Paris séparément ou compris dans les diverses éditions du Novum diversorum
sermonum opus, qui ont paru, l'une en 1518, les deux autres sans date, toutes
les trois par les soins de J. Petit.
3. Carême de Nantes, publié par J. Petit en
1506, 1513, 1518.
4. Carême.du criminel,
compris dans l'édition précédente de 1506.
5. Carême de Saint-Jean-en-Grève, publié en 1498
(J. de Vingle, Lyon), en 1499 (Antoine Caillant), en 1500 (Phil. Pigouchet), en
1503 (Lyon, Et. Gueygnard), en 1512 (Strasbourg, J. Knoblouch), en 1508.,
1513, 1520 (Jean Petit).
6. Carême épistolaire, publié en 1497 par
Antoine Caillaut.
7. Carême de Bruges, publié séparément sans date
ou compris dans les trois éditions du Novum div. serm. opiis.
8. Sermons divers pour dimanches et fêtes,
également compris dans le Nov. div. serm. opus, 2me partie.
9. Sermons pour les dimanches après la
Pentecôte, publiés en 1498 (Ant. Caillaut, J. de Vingle), en 1500 (Pigouchet),
en 1503 (Gueygnard), en 1508, 1511, 1521 (J. Petit), en 1512 (J. Knoblouch), en
1506 et 1516.
10. Sermons sur les saints, publiés par J. Petit
en 1507, 1513, 1516, par Durand Gerlier en 1508, par J. Knoblouch en 1514 et
1521 (Lyon).
11. Sermons
sur quelques saints, compris dans le Nov. div. serm. opus.
12. Sermones
de stipendio peccali, publiés en 1498 et 1521, une autre fois sans date.
13. Sermones omni tempore practicabiles, publiés
à la suite des autres éditions.
14. Sermones de miseriis animae, publiés
séparément sans date ou compris dans le Nov. div. serin, opus.
Œuvres Françaises.
1. Confession de frère Oliv.
Maillard, publiée sept fois sans date. Les autres éditions portent les dates de
1481, 1524 et 1529. Ces deux dernières ont été données à Lyon par Arnoullet.
2. Confession générale de frère 0. M., publiée à
Lyon en 1526 et 1527, six autres fois sans date.
3. Histoire de la Passion de J.-C. remémorée par
les mystères de la Messe, publiée en 1493 (J. Lambert), en 1552 (Paris, Bonhomme),
en 1828 (G. Peignot, Paris, Crapelet), en 1835 (Paris Bohaire). Il y a trois
éditions sans date (J. Bonfons, Pierre Sergent, veuve Trepperel).
4. Instruction et consolation, qui comprend un
sermon sur l'Ascension, un autre sur la Pentecôte. (Une édition sans date.)
5. Sermon prêché à Bruges, publié en 1503
(Anvers), en 1826 (Labouderie), une autre fois sans date.
6. Chanson piteuse, deux éditions.
7. Ballade de frère 0. Maillard.
8. Chants royaux en l'honneur de la Vierge.
_________________________
[1] C’est
dans cet ouvrage rare et très-recherché, nous dit Brunet, qu’on trouve,
indiqués en marge par des Hem ! Hem ! les endroits où l’on faisait
une pause pour tousser.
[2] A. de La
Borderie, Œuvres françaises d'Olivier Maillard... avec introduction, notes et
notices, Nantes, 1877
[3] Samouillan,
J. P. A., Études sur la chaire et la société françaises au XVe siècle. Olivier
Maillard, sa prédication et son temps, Paris et Bordeaux, 1891, qui pour la
partie biographique s’est largement inspiré de La Borderie.
[4] Ch.
Labitte. Revue de Paris, 1839 et 1840 ; Études littéraires, t. 1; prédicateurs
de la ligue, introduction.
[5] Jean d
'Auton, Chroniques de Louis XII éd. par R. de Maulde de la Clavière, Paris,
1891, t. II, p. 222-228.
[6] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30861269r
[7] Brunet
Manuel du libraire T III coll. 1317
[8] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30861272n
[9] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30861265c
[10]
Pantagruel, Ch. XXX, Comment Panurge fit en mer noyer le marchand et ses
moutons.
[11] Sermones de adventu, f°76,
col. 2.
[12]
Anecdote reprise sous forme de quatrain dans la Nef des Fous de Sébastien
Brandt.
[13]
Référence citée dans le Répertoire d'incipit des prières françaises à la fin du
Moyen Âge de Pierre Rézeau, Droz 1989..
[14]
Sermones de adventu – Sermo 29, cité par Edmond Werdet in Histoire du livre en
France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789. Paris, Dentu 1861. Le
blog du Bibliomane Moderne consacra en 2009 plusieurs articles au sujet de ce
prédicateur bibliophobique.