mercredi 26 août 2020

Alessandro Bindoni, l’imprimeur du lac Majeur.

Pour faire suite au précédent article sur une édition des Amours de Rinaldo de Montalbano publiée par Alessandro Bindoni et ses frères, en 1522, intéressons-nous à l’activité de cet atelier d’imprimeurs pour laquelle cette édition non recensée apporte quelques détails.

Alessandro Bindoni est né sur Isola Bella, une des iles Borromées sur le Lac Majeur, une ile d’à peine 20 Ha de superficie. Il fut le premier des frères Bindoni à s’installer à Venise et à y ouvrir une imprimerie, vers 1505. Sa première adresse était dans le quartier San Marco, "à Frezzaria, près de San Moysè", à l’enseigne de la Justice.

La marque d’Alessandro Bindoni, "A la Justice", sur le tarif des poids et mesures de Praxi, 1521.


Colophon de l’Innamoramento de Rinaldo du 2 décembre 1522


Son premier livre connu est daté du 4 Novembre 1506, c’est un tarif des poids et mesures par Bartolomeo Paxi, suivi, le 27 Novembre de la même année, d’une vie du bienheureux patriarche Josaphat converti par Barlaan[1], un petit ouvrage populaire sur la vie du Saint. Il est possible qu'avant cela, il ait imprimé d'autres feuillets populaires, mais sans adresse typographiques, qui - bien que reconnaissables comme étant sorties de son imprimerie - sont difficiles à dater. En 1507, il s'associe avec Nicolò Brenta da Varenna, dont l’atelier est "au passage de San Polo sur le cours Petriani"[2]. La collaboration dure deux ans (1507-1508), avant que Nicolo Brenta déménage provisoirement à Pesaro, puis de façon permanente à Rimini.

Ensemble, ils produiront des éditions sur des thèmes religieux : un Confessionnal du pseudo-Augustin (1er avril 1507), le Transit de Jérôme (13 avril 1507), la Règle du Tiers Ordre de Saint François (1507), la Statuta Firmanorum (17 mars 1508) et le premier livre de chevalerie, un Guérin mesquin[3] d’Andrea da Barberino (25 octobre 1508) connu par un seul exemplaire conservé au British Museum, que Alessandro Bindoni fera rééditer en 1512 et 1522.


Une page du Rinaldo

Après la dissolution de l’association, il poursuit seul l’impression de petits textes comme ces pamphlets vendus sur le pont Rialto, des feuilles de chansons, des estampes, etc. Son talent est suffisamment reconnu pour que Luc Antonio Giunta lui confie l’impression d’un Ovide en langue toscane ("Ovidio maggiore"), illustrée des figures qui ornaient les éditions de G. Rossi (1497) et C. Pensi (1502), toutes deux publiées par Giunta.

Son activité éditoriale s’accélère à partir de 1515, et surtout durant les quatre dernières années d’activité, preuve de l’importance prise par son atelier ; Plus de la moitié de sa production répertoriée a été imprimées en 4 ans seulement, entre 1519 et 1522 ; L’essentielle de celle-ci est en langue toscane. Très peu d’ouvrages théologiques mais des livres médicaux, comme ceux de Galien, des ouvrages de grammaire et de vocabulaire, quelques classiques comme les Métamorphoses d’Ovide. En revanche, les romans de chevalerie occupent une place de plus en plus importante. Sur les 85 titres recensés par le Word Catalogue dans les institutions publiques, pas moins de 11 titres concernent les aventures de Charlemagne, Orlando ou Rinaldo. Nous pouvons citer, outre le Guerino il meschino, le Morgante magiore qual tracta delle battaglie & gran facti de Orlando & de Rinaldo de Luigi Pulci (1515), Leandra Qual tracta delle battaglie & gran facti de li baroni di Francia composto in sexta rima de Pietro Durante (1517),  Il Mambriano istoriato de F. Bello (1518), le Cerva Biancha d’Antonio F. Fregoso, le Capitolo che fa vno innamorato a vna sua amante, l’Orlando innamorato  de Boiardo con i libri di Nicolò degli Agostini (1522), l’Innamoramento di Carlo Magno, et pour finir notre innamoramento de Rinaldo.

En 1520, Alessandro associe à son frère Benedetto et les éditions sont alors signées : "presso Alessandro e Benedetto fratelli de Bindoni". Parmi les éditions issues de leur collaboration, citons : Tristan et Iseut de Nicolò degli Agostini (1520) ; les Épîtres et les Évangiles qui sont lus toute l'année (1521) ; le Bovo d'Antona (1521) ; le Bellum gramaticale de A. Guarna (1522).



Quelques pages du Rinaldo de 1522, dernière œuvre d'Alessandro Bindni

Alessandro serait décédé à la fin de 1522 ou au début de 1523, selon les biographes. Dès 1523, on rencontre des impressions signées des héritiers Bindoni : "Presso gli heedi di Alessandro Bindoni".

Ce qui est certain désormais c’est qu’il vivait encore au moment de la publication de l’inamoramento de Rinaldo le 2 Décembre 1522. Ce livre constitue sans doute sa dernière production. Il avait précédemment imprimé 11 titres cette année-là, sur un rythme de presque un titre par mois : Le Libro devotissimo intitulato Information de langelo proprio ; des indulgences pour toute l’année ; le Bellum grammaticale d’Andrea Guarna, le 5 Mars ; Un roman de chevalerie de Barberino Guerrino pronominato Meschino,  le 11 Mars ; le  Morgante maggiore de Luigi Pulci, autre livre de chevalerie ; le Vocabularium breve de Gasparini Bergamensis, le 20 mai ; un Vocabulista ecclesiastico latino e vulgare de Giovanni Bernardo Forte ; le Leandra de Pietro Durante du cycle de Rinaldo, le 3 juin ; le Vocabularium vulgare cum Latino apposito nuper correctum de Niccolo Valla, le 7 Juillet ; un herbier en langue vulgaire, le 30 Aout ; et le dernier répertorié, en Octobre, au titre prémonitoire : Contrasto del vivo e del morto Io sono il gran capitano della morte che tengo le chiave de tutte le porte, du 10 Octobre.

Ce qui est curieux c’est que nous ne sommes pas renseignés sur la date exacte de sa mort mais que nous connaissons en détail les péripéties de la succession qui fut houleuse. Alessandro Bindoni avait visiblement constitué une association avec ses frères Benedetto et Agostino, tous les deux imprimeurs en leur nom propre par la suite. Cette structure juridique aurait dû continuer à fonctionner après le décès d’un des membres et les frères aurait dû reprendre les parts. Mais, Alessandro ayant été le seul à se marier, il fit un testament en 1521 attribuant à son fils Francesco la succession légitime de l’entreprise familiale. Pour Alessandro, il s’agissait de léguer sa part dans l’association à son fils, afin qu’il puisse continuer l’activité paternelle ; Francesco commence d’ailleurs à imprimer dès 1523. Mais la question du partage entre les deux frères et le fils est compliquée par une supposée donation de tous ses biens qu’Alessandro aurait faite de son vivant à ses deux frères. Ceux-ci réclament donc pour eux l’héritage. Finalement, l’exécuteur testamentaire, qui n’est autre qu’un libraire du nom de Piero Ravani, a gain de cause et rétablit le fils dans ses droits. Selon les règles de succession, Franscesco d’Alessandro Bindoni héritait de la part de la compagnie et les oncles et le neveu auraient pu imprimer ensemble. L’association a été visiblement rompue en raison du conflit qui a opposé les membres de la famille. Les frères comme le fils d’Alessandro décident d’imprimer chacun de leur côté, ce qui aboutit à une division du patrimoine familial.|4]

Les romans de chevalerie rimés des Bindoni se rencontrent rarement aujourd’hui. La plupart, sans doute victimes de leur succès à l’époque, ne se sont conservés qu’à très peu d’exemplaires. Il faudrait plus d’une vie pour rassembler la collection impressionnante de Monsieur L. dispersée le 28 Juin 1847. Les ouvrages de chevalerie en langue italienne et en ottava rima, regroupés sous le titre générique Belles-lettres, occupent 25 pages du catalogue et 128 numéros[5] !

Bonne Journée 

Textor.



[1] La vita del beato patriarcha Iosaphat conuertito per Barlaa” - Impressa in Venetia : per Alexandro de Bandoni (sic), 1506 adi XXVII de nouembrio.

[2] l transito di san Polo in corte Petriani

[3] Il Guerrino Meschino

[4] Catherine Kikuchi – « Transmettre à bon escient :  le rôle de l’héritage et de l’éducation  dans l’imprimerie vénitienne (1469-1530) » in Camenulae 20, mai 2018.

[5] N° 1028 à 1156, section des Poèmes Chevaleresques de la Table Ronde, de Charlemagne, des Douze Pairs, des Paladins, etc… https://books.google.it/books?id=BpxMAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

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