Aujourd’hui est le jour de la rentrée, alors parlons des fournitures scolaires… au 16ème siècle !
Imaginez-vous rue du Fouarre, à
Paris. C’est dans cette rue étroite que les maitres de l’université
dispensaient leurs cours, directement dans la rue, parait-il, aux étudiants qui
les écoutaient religieusement, assis sur des bottes de paille. Le mot fouarre
venant de « feurre » qui a donné le mot « fourrage » fait référence à la paille
sur laquelle étaient assis les écoliers pour suivre les cours.
Ce n’est peut-être qu’une légende car les rues du quartier latin étaient remplies de collèges qui étaient censés servir non seulement de dortoirs pour les élèves mais aussi de salles d’études. Par ailleurs, il parait peu pratique de prendre des notes assis sur une botte de paille, avec le vent qui éparpille les feuilles de cours et l’encrier qu’il faut bien poser quelque part, mais bref, c’est comme cela qu’il faut imaginer la prise de notes. Dans de telle circonstances, le plus simple est d’écrire directement dans le livre que le maitre commente et c’est pour cette raison que bon nombre d’ouvrages anciens des 15ème et 16ème siècle sont couverts de notes marginales, prises sous la dictée de l’enseignant.
A l’origine, avant la naissance
de l’imprimerie, le maitre dictait d’abord le texte qu’il souhaitait faire
étudier puis le commentait dans un second temps. Cet exercice s’appelait la
prélection, la lecture critique d’un auteur classique à l’issue de laquelle les
élèves rédigeaient des gloses dans les marges du livre étudié, marges prévues à
cet effet. C’est à partir du texte lu puis commenté que s’élabore la leçon
d’humanité, de grammaire, de rhétorique.
Cette pratique habituelle d’enseignement
a fini par donner naissance à un genre éditorial particulier : les supports
de cours annotés[1].
Un bon exemple de livre de classe est donné par ces Satyres de Juvenal, imprimé en 1507 par Jacob Thanner, à Leipzig[2]. Ce support de cours est constitué, pour la partie imprimée, par le texte des satyres, disposé sur la page avec un large interligne et de grandes marges destinés à recevoir les notes du cours, et, pour la partie manuscrite, par une introduction ou une sorte de résumé (appelé proemium ou summa), des notes interlinéaires, des annotations marginales, et dans certains cas, mais pas ici, un cahier annexe. Le caractère suivi et organisé des notes, leur nombre aussi, indiquent que l’on a affaire à un cours. Par ailleurs, l’imprimeur Jacob Thanner a introduit son texte par une adresse à la jeunesse directement sur la page de titre (Ad Juventutem).
C’est ce type de livre que Marie-Madeleine Compère[3] a désigné par le nom de « feuilles classiques », dans la mesure où elle travaillait sur l’édition scolaire des textes classiques, latins et grecs. Cependant, les éditions destinées aux écoliers ne se limitaient pas aux auteurs antiques. On trouve des exemples de livres des latins Cicéron, Virgile ou Horace et des grecs Xénophon, Thucydide, Galien ou Lucien mais aussi des contemporains, en fait tout ce qui composait les différentes disciplines du cursus de la faculté des arts.
Le principe du support de
cours semble avoir été une pratique encore plus courante en Allemagne qu’en
France, comme l’ont établi les travaux de Jürgen Leonhardt[4],
qui avait identifié la présence de plusieurs centaines de copies conservées
dans les bibliothèques publiques allemandes sur une période limitée aux années 1500
à 1520. Les universités de Lepzig,
Cologne, Erfurt, Cracovie, Vienne et Strasbourg s’en étaient fait une
spécialité, et à Leipzig c’est Jacob Thanner qui en était le promoteur. Cet
imprimeur venu de Wurtzburg, fait citoyen de la ville de Leipzig en 1502, a eu
une période d’activité fort longue de 1498 jusqu’à 1538. Il a publié pour
l’université jusqu’à 1520 environ ces livres de classe à la typographie soignées
et aérée.
Parfois, la prise de note manuscrite de l’élève est presque similaire d’une copie imprimée à l’autre, preuve que le cours a été suivi la même année. On a conservé 11 copies de ce Juvenal de 1507 et il faudrait pouvoir comparer les annotations pour retrouver peut-être le nom du professeur qui en avait commandé la production.
En effet, il arrive que les
élèves ajoutent des petits commentaires de leur cru, le nom du professeur ou la
date à laquelle la leçon a commencé. Ce fut le cas en 1548 pour un autre
ouvrage, les commentaires de Dun Scott sur les 3ème Sentences de
Pierre Lombard imprimées en 1519 par Josse Bade.
Cet ouvrage n’était pas
spécialement prévu pour être annoté, ce qui n’a pas empêché plusieurs élèves
successivement de le couvrir de notes de cours. L’un d’eux a même voulu laisser
un témoignage de ses années studieuses et il a marqué son nom et la date à
chaque début de cours : « Notre maitre commence l’interprétation
de cette 15ème section en ce 14 Juillet 1548 à laquelle j’assiste,
moi, frère François Mangon, son élève ».[5] Il devait s’ennuyer sec pendant ces cours car
il a griffonné les lettrines, l’une d’elle est même peinte à l’encre rouge
avec, une nouvelle fois, le nom de l’élève.
Les travaux sur le livre ancien,
comme ceux de Marie-Madeleine Compère, ont procuré des appréciations
quantitatives sur les tirages, les prix, la répartition des auteurs édités dans
cette catégorie des livres de classe.
Les statuts des collèges de
Jésuites mentionnent qu’avant la rentrée, le préfet s'accordait avec le recteur
pour faire établir la liste des livres qui seraient au programme dans les
classes cette année-là, et il devait faire en sorte de traiter à temps avec les
libraires de la ville pour que les élèves ne manquent pas de livres pour la
rentrée. L’histoire ne dit pas si le professeur touchait une rétro-commission
sur les ventes de l’ouvrage.
Le tirage était souvent assez
important (1000 à 3000 exemplaires), le format habituel était le in-4 et le
nombre de pages limitées à quelques cahiers, soit 24 à 48 pages. L’édition
était très bon marché, quelques sous, soit 5 à 10 fois moins qu’un livre
classique, et cela se voyait au nombre de fautes dans l’impression et à la
qualité très médiocre du papier. Compte tenu de cette mauvaise qualité et de
l’usage intensif qui en était fait, peu d’exemplaires ont subsisté de chaque
édition.
Les éditions scolaires de ce type
qui ont été retrouvées ne concernent que le XVIe et les premières décennies du
XVIIe siècle, il semble donc que le principe de leur utilisation en classe ait
exclusivement correspondu à cette période et qu’elles aient disparu ensuite. La
forme « feuilles classiques » dans l’édition scolaire correspondrait donc à une
époque assez bien délimitée. Avec la seconde moitié du XVIIe siècle, de
nouvelles formes d’éditions scolaires apparaissent dont la collection la plus
connue est celle ad usum Delphini, outre les recueils d’extraits de
textes, dont les Selectae d’Heuzet représentent l’exemple le plus répandu et le
plus durable.
On assiste simultanément à
l’autonomie de l’édition scolaire : la production et la diffusion de ces
ouvrages sont de plus en plus concentrées entre les mains de libraires qui se
spécialisent. Le professeur ne fait plus lui-même une commande spécifique telle
ou telle année, pour telle ou telle classe, mais choisit dans le stock
disponible. La méthode d’enseignement aussi se transforme avec la
généralisation des notes dans l’édition même.
Plus l'édition du texte offre
celui-ci brut d'annotation, plus le professeur a besoin d'avoir par devers lui
les instruments nécessaires à sa prélection. Avec les éditions annotées, le
travail proprement d'érudition du professeur est de moins en moins original. L’explication
du maître évolue alors, il développe davantage les aspects proprement
littéraires, esthétiques, du texte au détriment de la technique rhétorique.
Bonne Rentrée !
Textor
[1] Anthony Grafton, « Text and Pupil in the Renaissance Class Room. A Case-Study from a Parisian College », History of Universities, I, 1981, p. 37-70 ; Ann M. Blair, « Lectures on Ovid’s Metamorphoses. The Class Notes of a 16 th Century Paris Schoolboy », Princeton University Library Chronicle, 1989, 50/2, p. 117-144.
[2] In-folio
de 80 ff non paginés, sign. A–H6
I4 K–M6 N4 O6;. (O6 blanc).
[3] Marie-Madeleine Compère, Marie-Dominique Couzinet et
Olivier Pédeflous in « Éléments pour l’histoire d’un genre éditorial, La
feuille classique en France aux XVIe et XVIIe siècles » in Histoire de
l’éducation n° 124, oct.-déc. 2009, pp 27-49.
[4] Jürgen Leonhardt, « Classics as
Textbooks. A Study of the Humanist Lectures on Cicero at the
University
of Leipzig, ca. 1515
» , in Emidio Campi et al. (dir.), Scholary Knowledge. Textbooks in
Early
Modern Europe, p. 89-112.
[5] « Hanc distinctionem
quindecimam incipit interpretari magistri nostri millesimum 1548 mensis julii
quarta decima me fratre Franscisco Mangonis discipulo audiente »
Ma question concerne les quatre lignes manuscrites qui figurent sur la page des Commentaires de Duns Scot sur le troisième livre des Sentences de P. Lombard que vous reproduisez juste après la page de titre. Vous attribuez à l'étudiant en théologie le nom de François Mangon : a-t-il écrit son nom ailleurs dans l'ouvrage ? Ce qui me chiffonne, c'est que vous lisez comme je le fais "me franciscus mangonis discipulo audiente" : "mangonis" est bien un génitif, pas un ablatif ?
RépondreSupprimerVous me rendez perplexe, Cher Dryocolaptès ! Effectivement, si nous lisons bien Mangonis, ce mot a toutes les apparences d’un génitif, ce qui change le sens de la phrase car nous aurions alors le nom du professeur et pas celui de l’élève. Le problème c’est que cet élève a laissé son nom ou ses initiales à plusieurs endroits du livre : Dans une lettrine f.f.m. et dans une autre : Ce n’était pas très lisible dans le collage de photo que j’avais fait dans l’article alors j’ai ajouté en fin d’article cette lettrine légèrement coloriée avec la mention manuscrite : f.f. Mangonis. Je vois mal une interprétation autre que celle du nom de l’élève. Peut-être n’est-ce pas une déclinaison ? S’appelait-il Mangonis et non Mangon ? J’ai peur que cela reste sans réponse. Textor
RépondreSupprimerCliché très net, on lit effectivement la même chose, c'est bien son nom et non pas celui du prof. Je crois que j'ai trouvé la solution dans le Manuel de diplomatique d'Arthur Giry. Le tour remonte à l'époque où l'on ne donnait qu'un nom de baptême : on résolvait la difficulté dans les actes en précisant par un sobriquet ou en ajoutant le nom du père, d'où dans ce cas le génitif (Franciscus Mangonis = Franciscus filius Mangonis). Cette pratique a pu perdurer lorsque ce deuxième nom est devenu héréditaire et que le nom de baptême a eu moins d'importance (p. 367) ; c'est un processus qui s'achève au début du XVIème siècle (p. 370). Bien à vous, Dryocolaptes.
RépondreSupprimerVoilà, le frère François Mangonis a retrouvé son nom exact. Le cas possessif s’est figé dans son nom. Un grand merci, Dryocolaptès, pour ces recherches. Je vais tenter, maintenant que j’ai son nom exact, de trouver une trace de son existence dans l’histoire. On ne sait jamais, la chance sourit aux bibliophiles. A noter aussi, qu’en plus d’indiquer son nom, François Mangonis a scrupuleusement mentionné 5 dates différentes dans l’ouvrage, étalées sur quelques mois entre Mars et Novembre 1548, ce qui permet de suivre la progression du cours sur les commentaires des sentences de Pierre Lombard par Jean Duns Scot. Une étude plutôt poussée qui a duré 9 mois !
RépondreSupprimerFrançois Mangonis était inquisiteur à Troyes (Aube) en 1548.
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