vendredi 4 mars 2022

Le supplément à la somme du Pisanelle par Nicolas d’Osimo (1483).

La Préface du Supplementum


En prenant un livre au hasard dans la bibliothèque et en cherchant à savoir quels renseignements les érudits des siècles passés et, plus récemment, les historiens du livre ont pu rassembler, il n’est pas rare que mon investigation se résume à quelques maigres paragraphes.  Il y a décidément encore beaucoup de travail à venir pour les étudiants en histoire du livre. Ce fut le cas pendant longtemps pour cette impression de Cologne, dénichée il y a près d’une décennie et sur laquelle je ne savais que ce que me donnaient les 10 lignes du catalogue du libraire.

L’ouvrage s’intitule Supplementum Summae Pisanellae et Canones poenitentiales fratris Astensis. C’est-à-dire le supplément à la somme du Pisanelle et les règles de pénitence de Frère Astensis.

Ce livre fut en son temps un des plus grands best-sellers de l’occident et quand Ulrich Zell, proto-imprimeur de Cologne décida de l’imprimer à son tour en 1483, il y avait eu déjà 15 éditions précédentes. La première avait été publiée 10 ans auparavant par l’imprimeur de Venise Vindelinus de Spira. La plupart des autres à Venise également (Bartholome de Crémone, Renner de Heilbronn) mais aussi à Gênes (Mathias Moranus 1474) et à Milan (Léonard Pachel, 1479). Puis l’Allemagne se mis à son tour à en donner des éditions, à Nuremberg (1478) et à Cologne (Conrad Winters de Homborch, 1479) et enfin celle d’Ulrich Zell.

Ulrich Zell avait participé à l’aventure de l’imprimerie depuis ses débuts, probablement en travaillant dans l’atelier de Gutenberg. C’est lui qui racontera à l’auteur de la Chronique de Cologne comment la technique s’était développée et qui en avait été le génial inventeur [1].

On dit qu’Ulrich Zell avait formé dans son atelier Conrad de Homborch. Quoiqu’il en soit, les deux hommes étaient certainement restés en relation d’affaires et J-C. Brunet note que leurs fontes respectives étaient très similaires, à moins qu’ils ne se prêtassent tout simplement leur matériel. Il est arrivé que les bibliographes attribuent à Zell des impressions de Homborch, comme l’avait fait Hain pour un De Arte Amandi libri tres d’Ovide, sans lieu ni date.  Toujours est-il que c’est seulement après la mort de Conrad Homborch en 1482 qu’Ulrich Zell fit imprimer le Supplément à la Somme de Pisanella pour la seconde fois à Cologne.

Cette impression de Cologne est restée relativement confidentielle. Il n’en existe qu’un seul exemplaire dans une bibliothèque publique en France (BNF) et encore est-il incomplet. Et l’ISTC en dénombre 37 exemplaires de par le monde.

Le Supplément à la Somme du Pisanelle est un ouvrage de casuistique, organisé de façon très pratique, par ordre alphabétique.

Le résultat de ce classement méthodique se voit du premier coup d’œil, dès l’ouverture du livre, puisque toutes les lettrines peintes sont les mêmes pour une page depuis A pour Abbas (in suo monasteio…) jusqu’à Z. Lorsque l’auteur passe à une autre lettre, la première de la série est distinguée par une enluminure bicolore. Dans une série de lettres, pour une raison inconnue, l’enlumineur a voulu orner sa lettrine par une couleur qui n’était ni le rouge vermillon, ni le bleu de cobalt mais sans doute un jaune ou un vert qui n’a pas tenu au fil du temps et qui apparait aujourd’hui en grisé.

Une lettrine T grisée dont la couleur n'a pas tenu et qui, par ailleurs, ne correspond pas à la première lettre de la série des entrées de mots commençant par T. 

L’ouvrage n’a pas de titre, le feuillet a1 est blanc au recto et contient une table des abréviations au verso. Voilà une nouveauté éminemment pratique. Je ne sais pas si cette table aidait le lecteur du XVème siècle mais elle facilite la vie du lecteur d’aujourd’hui. Sachant qu’un mot sur deux est abrégé et que cette liste d’abréviations est très succincte, je ne sais pas quel critère a été retenu, sans doute les abréviations non courantes ou sujettes à interprétation. Nous y retrouvons principalement des noms propres, comme Ac pour Acursius ou Goff pour Goffredus ou Lau pour Laurentius mais pas seulement. Des choix curieux ont été opérés : F pour facit mais aussi F pour digestis (un bon latiniste doit pourvoir résoudre cela). Le nom de Guillaume (William) a posé quelques problèmes linguistiques car il est défini par deux entrées, à Guil et à VVil pour Gvvilhelmus, VVilhelmus ou Guillermus ou Guilielmus.

Le volume se termine par une table de toutes les rubriques (incipit tabula omnia rubrica…). Comme les thèmes sont dans l’ordre alphabétique les numéros des folios se suivent dans la table.  Le Supplementum est traditionnellement suivi, après la table, des Règles de pénitence de Frère Astensis, court extrait du livre V de cette somme appelée l’Astesana.

La table des rubriques

A l’origine, c’est un dominicain de Pise, Bartholomé de Saint Concord (Bartolomeo da San Concordio - 1260 - 1347), qui se faisait appeler le Pisan ou le Pisanelle ou encore le Maitre (Magistruccia), qui eut l’idée de composer vers 1288, une sorte de manuel des confesseurs (Summa de casibus conscientiae) destiné à guider les ecclésiastiques dans les méandres de la contrition, car la religion catholique est basée sur la recherche et la rémission des péchés et il n’est pas toujours évident de faire la part du bien et du mal.  Son idée fut d’imaginer une grille d’examen (on dirait aujourd’hui un maping) de tous les cas possibles classés par grands thèmes et numérotés par sous thèmes. Il y a, par exemple, 17 entrées pour le thème Impedimentum, c’est-à-dire les empêchements au mariage.

La plupart de ces thèmes sont tirés du Manuel du Confesseur de Jean de Fribourg et du droit canon, quelques fois d’une vertu ou d’un vice, ce qui donne alors lieu à un développement d’ordre moral. Cette organisation alphabétique a renvoyé aux oubliettes des bibliothèques monastiques tous les recueils qui avaient précédé. Par ailleurs, l’ouvrage était réputé synthétique (350 folios tout de même !) car le Pisanelle ne cherche pas à entrer dans les vives polémiques qui agitaient le monde intellectuel de son temps autour de la doctrine thomiste. Il cite peu ses références, à l’exception de Saint Thomas qui constitue sa source essentielle. En réalité, il laisse de côté le raisonnement et la controverse, qu’adoraient pourtant les lecteurs de l’époque, pour donner sa solution sans nuance, et le public aima cela[2].

Une double page du Supplément. Passage de l'entrée D à E

Le chapitre des entrées de la lettre A


La composition du livre par thèmes facilitait les annotations et les compléments. D’où l’intervention de frère Nicolas d’Osimo (Nicolaus de Ausimo). Ce franciscain qui vécut une centaine d’années après le Pisanelle était originaire d’Osimo près d’Ancone. Il avait fait des études de droit à Bologne, obtint le titre de docteur puis, changeant de voie, au lieu de pratiquer le droit, rejoignit les Observants franciscains pour se tourner vers l'étude de la théologie. Il fit alors la connaissance de St Bernardin de Sienne et devint l'un de ses fidèles. Il l'assista dans la réforme de l'Ordre ainsi que dans la lutte contre la corruption. Il mourut au couvent Santa Maria d'Aracoeli à Rome, peu après le milieu du XVe siècle.

Dans cet ouvrage, Nicolas d’Osimo n’a pas cherché à faire une œuvre novatrice mais à enrichir et compléter le travail de son prédécesseur. Et d’ailleurs, il intitule son ouvrage : le Supplément, tout simplement.

Dans la préface du Supplementum, Nicolas d’Osimo présente son projet et explique qu’il a cherché à corriger 2 défauts du Pisanelle, le premier serait d’avoir mal numéroté ses références et le second, plus grave car touchant le fond de l’œuvre, d’avoir proposé des solutions peu sures (valde dubia) qui nécessiteraient des rectifications et des compléments. Il reprend donc systématiquement tous les thèmes du Pisanelle et y ajoute ses propres réflexions. Par ailleurs dans cette même courte préface, il explique sa méthode graphique qui permet de bien distinguer ce qui résulte de son cru et ce qui appartient à l’original : il commence son propre texte par une lettre A et le finit par un B.

A vrai dire ses ajouts n’ont rien de très originaux. Il s’agit pour lui de mettre à jour les écrits de son collègue de Pise à partir des dernières évolutions du droit canon, mais comme il n’y a pas eu de bouleversements jurisprudentiels durant la période, ses développements sont plutôt restreints. En revanche, il s’attacha à citer toutes les références omises par le Pisanelle et à rendre à Jean de Fribourg les passages que le Pisanelle lui avait empruntés. Il le fît de façon subtile, en utilisant l’ouvrage de Jean de Fribourg comme d’une justification des thèses du Pisanelle, alors que ces dernières n’étaient qu’un copié-collé de l’œuvre amont…

Donc, vous l’avez compris, quitte à rechercher un ouvrage de casuistique imprimé au XVème siècle, il vaut mieux acheter le Supplément à la Somme de Pisanelle que tout autre manuel des confesseurs, bien moins complet. Le Supplementum finit par détrôner la Somme de Pisanelle elle-même. Il suffit de compter le nombre important de manuscrits de la Somme au XIVème siècle alors qu’il n’en sera imprimé qu’un nombre très réduit d’exemplaires au siècle suivant, pendant que le Supplément voit ses éditions incunables se multiplier.

Une page du Supplément ouverte au folio 193 dans laquelle on distingue sur la première colonne, par trois fois, les lettres A et B qui enferment les commentaires de Nicolas d’Osimo. Le rubricateur surligne de rouge le B, donc la fin du commentaire, mais non le A. J’aurais plutôt fait le contraire, mais bon …

La fin de la table des rubriques suivi des Canons Pénitentiels d’Astesanus d’Asti.

Enfin, la dernière partie du livre est un extrait de l'Astesana, ou Summa de casibus conscientiae, qui avait été rédigé en 1317 par un frère des ordres mineurs connu sous le nom tautologique d’Astesanus d’Asti, mais pour lequel on ne sait rien, sinon qu’il est sans doute originaire d’Asti dans le Piémont. Cette somme a connu aussi un certain succès ; elle est représentée dans de nombreux manuscrits médiévaux et dans une quinzaine d'éditions imprimées, ce qui témoigne de sa popularité et de son influence tout au long du XIVème et XVème siècle.  Elle était composée de huit livres, dont le livre V, sur la pénitence, pourrait être considéré à lui seul comme un véritable et bref confessionnal. Il explique les étapes du processus pénitentiel, offre quelques conseils pratiques pour le confesseur et inclut une liste de canons pénitentiels. C’est cette liste de canons qui est reprise à la suite du Supplementum.

Crosse d’évêque à laquelle pend un huchet. (Briquet n° 5803) Cette marque de papetier serait d’origine baroise (Bar-le-Duc) selon Briquet et connut une durée d’existence très courte, moins d’une douzaine d’années. On la retrouve dans des impressions champenoises, d’Utrecht et de Cologne.  

Pour revenir au travail d’Ulrich Zell, cet ouvrage permet aussi d’étudier la méthode avec laquelle le typographe assurait ses fournitures de papier. Les 350 folios ne contiennent pas moins d’une quinzaine de filigranes différents qui indiquent que celui-ci s’approvisionnait auprès de moulins à papier d’origine très variée. On trouve une coquille à la croix de Malte, une crosse d’évêque surmontée d’un huchet, un blason aux armes de France et du Dauphiné, un chien errant, une tête de bœuf surmontée d’une croix, diverses mains avec croix, etc …. En prenant l’ouvrage de référence pour cette période, celui de C-M. Briquet et en croisant les données, il apparait que c’est sans doute lors d’un passage par une foire de Champagne qu’Ulrich Zell a constitué ses stocks de papier.

Coquille à la croix de Malte (Briquet 4510). Les coquilles indiquent souvent une origine champenoise, fréquentes au XIVème siècle, elles donnèrent leur nom à un format de papier.

Filigrane aux Armes de France et du Dauphiné.


Bonne Journée !

Textor

 


[1] Chronique de Cologne : «  les débuts et les progrès de cet art m'ont été racontés de vive voix par l'honorable homme et maître Ulrich Zell de Hanau, toujours imprimeur de livres à Cologne à notre époque » (1499)

[2] Voir les Sommes casuistiques et Manuels de confession - Michaud-Quantin, 1962

mardi 15 février 2022

A propos de deux polices de lettres cursives de Jean II de Tournes (1581 et 1602)

A l’heure où j’ai de plus en plus de difficultés à écrire à la main à force de taper sur un clavier et de ne plus exercer mon poignet aux moulinets nécessaires à l’écriture cursive, je me dis que l’avenir de l’écriture manuscrite est compté et qu’il est peut-être temps de réimprimer en caractère de civilité si nous voulons conserver l’usage des pleins et des déliés.

Les lettres françaises, appelés bien plus tard, au XVIIIème siècle, caractères de civilité, sont nées de l’envie d’imiter au plus près l’écriture manuscrite. Vers 1557, le typographe Robert Granjon décida de tailler des lettres qui imiteraient la cursive gothique pour les rendre propres à l’imprimerie. Il explique dans une épitre dédicatoire au Chevalier d’Urfé que les lettres françaises ne cédaient en rien à celles des autres nations. Granjon avait en tête la création d’un caractère typiquement français dans le but que les français aient un style d’imprimerie bien à eux, comme les italiens avaient le romain et l’italique [1].

Une page composée en lettres françaises

Le caractère typographique cursif de Granjon qu’il désignait sous le terme de lettres françaises d’art de main fut utilisées pour la première fois par lui-même dans la composition du Dialogue de la vie et de la Mort de Ringhieri [2], une adaptation française d’un texte italien, qu’il édita et imprima sur ses presses. Son objectif était clairement politique, défendre et illustrer la calligraphie française qu’il jugeait meilleure à toutes les autres. Il imaginait que les lettres françaises allaient supplanter les polices italiques et, pour protéger son invention d’éventuelles contrefaçons, il demanda au roi un privilège exclusif pour 10 ans, qu’il obtint. C’était une grande première car auparavant les privilèges royaux protégeaient l’édition d’un ouvrage et non la police utilisée.

Les lettres françaises sont nettement identifiables avec leur grandes attaques bien encrées, leurs ligatures variées et suffisamment caractéristiques des autres types d’imprimerie ; l’innovation est audacieuse et tellement moderne que dès l’année suivante d’autres imprimeurs, notamment Philippe Danfrie à Paris, copièrent les caractères de Granjon dans un corps de caractère plus grand. Bon prince, le roi donna également des privilèges exclusifs à ces concurrents… Robert Granjon, quant à lui, fabriquera 7 polices de civilité différentes pour son propre usage et quelques autres pour des confrères.

Modèle des lettres françaises : les actes manuscrits des notaires. 
(Parchemin de réemploi daté de 1554 sur les Chroniques de Savoye)

Son imitation en imprimerie (Dans les Chroniques de Savoye)

Evidemment, à l’origine de toute typographie il y a une écriture manuscrite que le graveur prend pour modèle, le style ‘italique’ de Griffo des éditions aldines cherchait aussi à se rapprocher de l’art inimitable de la main. Mais les caractères de civilité se rapprochent plus fidèlement encore de la souplesse des lettres cursives ; Ils s’inspirent des variantes de la gothique bâtarde, ce qui est plutôt paradoxale car l’écriture gothique n’était plus à la mode depuis quelques décennies, au point que Pétrarque écrivait déjà qu’elle avait été inventée pour autre chose que pour être lue…

Ensuite, il faut un modèle, les Maitres d’écriture royaux sont de bons exemples à imiter : Pierre Habert, calligraphe et valet de chambre du Roi, a pu inspirer Granjon, tandis que Pierre Hamon, calligraphe réputé, aurait inspiré Philippe Danfrie. Mais ce ne sont que des conjectures car tous les notaires du royaume possédaient cette belle écriture cursive.

La diffusion internationale des lettres françaises sera aussi rapide qu’éphémère. Elle eut le plus de succès aux Pays Bas, où Plantin qualifie ce style de moyen d’écrire à la presse sans plume. La raison de cette diffusion était due à Granjon lui-même qui était parti pour Anvers en 1562 au moment du début des troubles religieux à Lyon. Mais il existe aussi des exemples de cette graphie à Genève, en Angleterre, en Ecosse, etc...

Au début, des textes d’origine variée sont imprimés en civilité, des poésies, des traductions ou des ouvrages bilingues, des traités de linguistique et, bien sûr, des ouvrages scolaires pour apprendre la calligraphie en même temps que la civilité puérile. Toutefois, la mode passe assez rapidement, et la production diminue dès les années 1580. (Une cinquantaine d’éditions a été recensé pour la décennie 1560 et seulement une quarantaine pour les trente années suivantes).  Une progressive spécialisation s’opère. Il ne s’agit plus de composer n’importe quel texte dans ce style. Le lettré du XVIème siècle accepte de lire certaines pages pendant un certain temps dans cette écriture mais pas plus. On ne conçoit plus d’imprimer un ouvrage entier, mais plutôt d’en réserver l’usage à des impressions bien particulières, essentiellement les actes officiels, les épitres dédicatoires et autres pièces liminaires.

La lettre française n’a donc pas réussi à remplacer le romain et l’italique. La raison en est peut-être une certaine difficulté de lecture à mesure que la calligraphie elle-même évolue. D’ailleurs un arrêt du Parlement de Paris, en 1632, finira par interdire aux écrivains-jurés d’écrire et d’enseigner en gothique.  Il y a aussi une raison bassement matérielle : les caractères de civilité se doivent d’avoir une grande variété de ligatures pour imiter au plus près l’écriture et il faut donc fondre de nombreux types, ce qui coute cher. Par ailleurs les grandes hastes et les attaques prennent de la place sur la feuille et le papier aussi a un coût. Il suffit pour en juger de contempler une page d’une édition bilingue comme les Facéties de Ludovic Domenichi et Bernard du Hailland où le texte en langue italienne, composé en italique, prend le tiers de la feuille quand le texte en lettres françaises occupe les deux tiers restants. Enfin, de Pierre Habert à Jean de Tournes, le style imprimé cursif prend une connotation protestante qui détourne les autres imprimeurs de son usage.

Facecies, et motz subtilz, d'aucuns excellens espritz et tresnobles seigneurs. En françois, et italien, Lyon, Granjon 1559 (Page tirée de Gallica)

Au fil du temps, et à partir du milieu du XVIIIème siècle, on finira par réserver cette police de caractères aux seules impressions de livres scolaires dans le but de servir de modèles pour les exercices d’écriture, suivant en cela l’ouvrage précurseur d’une traduction d’Erasme : la civilité puérile distribuée par petitz chapitres et sommaires (Anvers, Jean Bellère, 1559). Ces manuels faisaient coup double, celui d’enseigner les règles de savoir-vivre en même temps que l’écriture manuscrite, mais il s’agissait dès lors d’ouvrages de travail, imprimés à la hâte, sur de médiocres papiers, des livres de colportage qui ne se sont pas toujours conservés.

L’échec relatif des lettres françaises en fait aujourd’hui tout l’attrait bibliophilique car les ouvrages imprimés en caractère de civilité au XVIème siècle, en plus d’être particulièrement esthétiques, sont excessivement rares à dénicher. 

Voici deux exemples tirés de ma bibliothèque de textes imprimés en caractère de civilité, deux polices cursives différentes pour un même imprimeur : Jean II de Tournes.

Les deux textes sont des pièces liminaires à destination des Princes de Savoie. A 20 ans d’intervalle, une même règle s’impose : composer le texte d’hommage en lettres françaises alors que le reste de l’ouvrage est en gros romain classique.

L’épitre dédicatoire de l’ouvrage de Claude Guichard sur les Funérailles des Romains est adressée à très haut, très puissant et très magnanime Prince Charles-Emmanuel duc de Savoie. Elle est datée de Lagnieu ce premier jour de juin l'an M.D. LXXXI. Chronologiquement c’est le plus ancien des deux textes mais sa fonte ‘pointue’ semble la plus éloignée des caractères de Granjon.

Les caractères cursifs des Funérailles des Romains qualifiés de flamands par Audin.

De fait, Marius Audin [3] nous dit que « Robert Granjon, l'inventeur du caractère de civilité, était le gendre du Petit Bernard (Bernard Salomon) ; ce dernier ayant été le graveur préféré de Jean Ier de Tournes, il était inévitable que Jean de Tournes se servît de la singulière cursive qu'avait gravée Granjon en 1556. M. Cartier paraît ne s'être nullement préoccupé de cette curieuse lettre que Jean II de Tournes, surtout, utilisa en effet pour maintes de ses impressions. L'une de ces cursives a été employée par Jean II dans Funérailles des Romains ; c'est, je suppose, celle dont Robert Granjon disait dans la préface du Dialogue de la Vie et de la Mort : « j'espère d'en achever une autre de plus gros corps et beaucoup plus belle » ; cependant cette lettre a un aspect flamand très caractérisé qui me fait un peu douter de son origine lyonnaise. On en trouve une autre, très voisine de celle du Dialogue (de Ringhieri), et de même corps, dans la Métamorphose d'Ovide genevoise de 1597 »

La seconde police de civilité mentionnée par Audin est celle que nous retrouvons utilisée à nouveau par Jean II de Tournes en 1602 dans la 3ème édition des Chroniques de Savoye de Guillaume Paradin.  Elle servit à composer une pièce liminaire sous la forme de 8 quatrains soit 102 vers à la gloire de la maison de Savoie.  L’œuvre anonyme est intitulée Quatrains composant un abrégé de la vie des Princes de Savoye. Au premier coup d’œil, on constate qu’elle diffère nettement de celle des Funérailles et qu’en revanche elle est proche des impressions cursives de Granjon.

Il faut, par exemple, comparer cette fonte avec le Granjon 6 de 1567 donnée par le tableau du Musée Plantin-Moretus

Le Tableau du Granjon 6 (1567) du musée Plantin-Moretus


A mon avis, cette seconde police pourrait provenir de la casse de Granjon lui-même, compte tenu de sa grande similitude avec le Granjon 6. C’est plausible malgré le nombre d’années qui sépare les deux impressions car maintes fontes employées par les de Tournes avaient été gravées par Granjon et par ailleurs les empreintes apparaissent ici comme usées.

Mais ce n’est là qu’une supposition qui mériterait d’être approfondie par un véritable spécialiste de la typographie.   

Bonne Journée

Textor



[1] Sur ce thème, l’ouvrage le plus complet et le plus récent est celui de Rémi Jimenes, Les Caractères de civilité. Typographie et calligraphie sous l’Ancien Régime, Gap, Atelier Perrousseaux, coll. Histoire de l’écriture typographique, 2011.

Voir aussi : Herman de la Fontaine Verwey, Les caractères de civilité et la propagande religieuse, Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, vol. 26, no 1,‎ 1964, p. 7–27

Carter (Harry) – Vervliet (H.D.L.) - ‎Civilité Types. Oxford BIbliographical Society PUblications. New series volume XIV. 1966

[2] Dialogue de la vie et de la mort, composé en Toscan par Maistre Innocent Rhinghiere, Gentilhomme Boulongnois. Nouvellement traduit en françoys par Jehan Louveau, 1557

[3] Alfred Cartier Bibliographie des éditions des de Tournes, imprimeurs lyonnais, mise en ordre par Marius Audin. Paris, Editions de la BNF, 1937.

Dans un article sur Marius Audin, le musée de l’imprimerie de Lyon nous dit que ce dernier s'intéressait aux caractères de civilité de Robert Granjon qui avait été utilisé à plusieurs reprises par les de Tournes et il se procura le manuscrit inachevé d’Alfred Cartier sur l’imprimerie des de Tournes pour le faire éditer.

Malgré cet intérêt pour les caractères de civilité des de Tournes, il n’en est que très peu question dans l’ouvrage d’Audin qui se contente d’écrire que Cartier ne les avait pas étudiés non plus…. Il me semble que les étudiants actuels devraient reprendre le flambeau.

https://www.imprimerie.lyon.fr/fr/edito/fonds-audin

samedi 1 janvier 2022

Voeux 2022

 

Bonne et heureuse année 2022 à Tous !



Premier folio du supplément à la somme de Pisanelle (Supplementum summae Pisanellae) rédigé par le franciscain Nicolas d’Osimo (Ancône), vicaire de Terre-Sainte vers 1427 et mort à Rome vers 1454. L’édition princeps fut donnée à Venise, par Wendelin de Spira, avant le 28 juillet 1473 ; Celle-ci est la première édition imprimée à Cologne par Ulrich Zell en 1483.




dimanche 26 décembre 2021

Le Plutarque du bon docteur Garinet (1526)

L’année 2021 s’achève et il est d’usage de se remémorer les évènements qui l’ont marquée, comme l’étrange floraison de mon cerisier le 12 Février, la fin du couvre-feu au Printemps, la réouverture des restaurants et des spectacles, etc. Petits faits sans importance qui pimentent l’écoulement du temps et qu’on aurait oubliés si nous ne les inscrivions pas consciencieusement dans un éphéméride. C’est en pensant à la première phrase d’un livre de raison ( 3 janvier - Ce jour nostre abricotier de céans a esté flori, 1615) que l’idée m’est venue de sortir de la bibliothèque un ouvrage de Plutarque ayant appartenu à un médecin de Besançon qui adorait tenir un journal ou mentionner dans les marges de ses livres les évènements de la vie ou la pensée du jour.

Détail de la reliure estampée du Plutarque

Reliure lyonnaise du Plutarque

C’était assez courant à l’époque de consigner sur les marges de l'œuvre de l’auteur favori, sur les gardes d’un livre d'heures, voire sur celle d’un registre de commerce, les faits importants de la vie de famille, de la collectivité à laquelle on appartenait, les événements intéressant la région comme les phénomènes atmosphériques ou les faits politiques. Nous pouvons ainsi, grâce à ces notes marginales, reconstituer quelques pans de la vie du possesseur du livre, voire celle des membres de sa famille et les malheurs du temps.

Ce médecin s’appelait Jean Garinet [1], il était né à Montfaucon près de Besançon, vers l'an 1575, Il quitta sa région natale en 1596 pour aller en France s'instruire dans l’art de guérir. Il y passa 11 ans [2]. Il reçut à Tournon, le 26 Avril 1600, le grade de Bachelier ès Philosophie [3], puis conquis en Avignon son diplôme de docteur en 1605 [4], avant de rentrer à Besançon pour y épouser en Novembre de la même année Guiyonne Marquis [5], ce qui ne fut pas là le moindre de ses succès car la demoiselle était fille du médecin le plus réputé de la contrée. En 1606, il est reçu citoyen de la ville et obtint l'autorisation d'exercer la médecine. La requête fut d'autant plus facilement admise que le docteur Marquis était alors co-gouverneur de la ville, titre que reprendra plus tard Jean Garinet.

Assez rapidement notre praticien acquit une belle situation. Parmi ses clients, il mentionne nombre de nobles de la province, riches bourgeois, présidents et conseillers des chambres de justice ou encore des chanoines, des abbés, des supérieurs de couvents. Il ne ménageait pas ses efforts pour tenter de les guérir à une époque où la peste sévissait encore, ou, à défaut, il leur tirait les cartes pour qu’ils prennent connaissance de leur avenir, quand il ne lisait pas dans les astres : « 18 Novembre 1615 - Ce jour et plusieurs autres suivants a paru une comète, lequel a été suivi de plusieurs malheurs, de la mort de l'empereur Mathias et de Maximilian son frère comme aussi de l'impératrice, et de grandes guerres par toute l'Alemagne. ». (Besançon, vieille ville espagnole, comme disait Victor Hugo, dépendait du Saint-Empire des Habsbourg.)

En 1618, on nomme Jean Garinet prieur de la confrérie médicale de Saint-Côme et Saint-Damien. A la sollicitation du docteur Nardin, Garinet accepte la charge de médecin du duc de Bavière, à gage de mille écus, train de cour et laquais entretenus. En 1633, il est appelé à donner ses soins à la duchesse de Lorraine, pendant son séjour à Besançon. Il la guérit d'une fièvre catarrhale (C’était la Covid de l’époque) et en reçoit une magnifique bague ornée de diamants. Car notre médecin-philosophe ne manquait jamais de consigner ce que lui rapportait ses services.

Mention du Promptuaire de 1579 : Dans un livre appelé le Promptuaire de tout ce qui est, in-12, l’on trouvera en escrit plusieurs presents que j’ay reçu pendant mon premier mariage tant de vaisselle d’argent, bagues, choses curieuses qu’estoffes pour habits. (BM de Besançon)

Son livre de raison est rempli de listes de donations et pourrait le faire passer pour un livre de compte. L’usage était de donner des présents au mariage des enfants ou à la naissance des petits-enfants et Jean Garinet en gestionnaire rigoureux de sa maisonnée qui comptait douze bouches à nourrir notait tout. Nous trouvons donc dans ses notes des inventaires détaillés de ces libéralités, majoritairement les bijoux, les montres, les pièces d'orfèvrerie, la vaisselle d'argenterie, les surtouts de table, les reliquaires, des œuvres d'art, une hororloge, un globe terrestre, une tasse de bézoard à l'épreuve des poisons, puis les étoffes pour ses costumes, ceux de sa femme, de ses enfants ; une robe à la façon de Paris pour sa fille, un chapeau de demi-castor pour son fils, des bas de soie, enfin des confitures, des flambeaux de cire, des vins, des viandes de mesnagerie

Bon nombre de ces dons sont soumis, quand cela est possible, à l'estimation de l'orfèvre et souvent convertis en bonnes pistoles espagnoles ou en sequins d’or. Il est vrai qu’il fallait beaucoup d’argent pour se faire réélire chaque année co-gouverneur du quartier. (Une fonction municipale à mi-chemin entre celle de juge et de maire). Il était loin le temps de sa première désignation, le 6 juin 1606, où il fut reçu citoyen de la ville en offrant seulement deux mousquets. Parfois un de ses concitoyens laisse par testament un domaine entier, une vigne, ou un bénéfice ecclésiastique. Et Garinet y ajoute souvent un petit commentaire, comme à propos d’un grand tableau que lui offrait un ami : Il l'estime par son testament plus qu'il ne vaut, je ne laisse de lui être obligé, c'est un témoignage de l'amitié qui a été entre nous par l'espace de 38 ans.

Mais ne croyez pas que seul l’appât du gain le motivait. Il était consciencieux et s'attachait à ses malades. Parfois, il refusait leurs présents. Si par malheur l’un d’eux venait à succomber en dépit des ressources de son art, il notait mélancoliquement « j'en ai éprouvé un desplaisir incomparable. Dieu l'ait en sa haute grâce. »

En l'année 1638, la mortalité fut terrible à Besançon : « La mort m'a ravi la plupart de mes amis, tant du pays, que de la ville ». La peste atteint deux de ses servantes qui succombent et l’obligent à placer la maison en quarantaine, ce qui lui fait perdre une somme considérable. « Et me serait encore facile de supporter cette perte patiemment, n'était celle que j'ai fait de mon second fils, qui, par sa mort contagieuse, m'a laissé un regret qui ne se peut terminer que par la mienne propre ».

De livre, il n’en est point mentionné parmi les donations. Pourtant sa bibliothèque, signe de notabilité, devait sans doute être importante et Jean Garinet était de tous les co-gouverneurs le plus lettré, au point que le conseil municipal l’avait délégué pour recevoir un émissaire des Jésuites qui ne parlait que latin. Nous ne connaissons que 3 ouvrages lui ayant appartenu [6] : Un petit Promptuaire [7] qui ne le quittait jamais et dont les marges étaient couvertes de son écriture très lisible. Un livre de raison constitué d’une cinquantaine de feuillets et tenus par plusieurs générations [8] et ce Plutarque qui avait appartenu à son père [9], comme l’indique l’ex-libris qu’il y laissa.

Plutarque, Préface de Josse Bade

Plutarque, Premier opuscule, des lettres du Philosophe.

Plutarque, traité De curiositate traduit par Erasme.

Il s’agit de la dernière édition donnée par Josse Bade des Opuscula de Plutarque[10] qui rassemble les dix-sept opuscules des Moralia imprimés en latin jusque-là. C’est la plus complète de toutes, puisqu’augmentée de deux nouveaux traités traduits et préfacés par Érasme lui-même.  (ff. 182-188 de cohibenda iracundia et De curiositate, De la répression de la colère et De la curiosité). Les préfaces des autres opuscules sont signées Guillaume Budé, Philippe Melanchthon, Ange Politien, Raphael Regius, Étienne Niger, Ange Barbarus, Bilibald Pirckheymer, etc…

L’illustre imprimeur-libraire avait déjà donné sept éditions des Opuscula avant d’en clore la série avec cette édition de 1526 qui suit celle de 1521 et 1514. Toutes sont au format in-folio, celle-ci est décorée au titre du fameux cadre aux dauphins et de la grande marque typographique à la presse de l’Officina Ascensiana datée de 1520.

Page de titre

Signature de Jean II Garinet dans le Plutarque

Deux Garinet ont laissé leurs marques dans le livre. Sur la première Garde, Jean I Garinet a noté en forme d’ex-libris la date de son acquisition : Joannes Garinetus emit die vigesima tertia mensis julii anno a salute mortalibus restituta 1595. (Jean Garinet l'a acheté le vingt-troisième jour de juillet de l'année du salut rendu aux mortels 1595). Il a encore ajouté sa signature sur la page de titre et sa devise : En la fin mon repos. Tandis que Jean II Garinet, le médecin, a ajouté sa signature caractéristique, Garinet D(octor) M(edicinus), identique à celle que nous retrouvons dans le livre de raison de la bibliothèque de Besançon. C’est lui aussi, semble-t-il, qui a esquissé des armoiries dans l’écusson gravé de la page de titre en y portant les initiales IG. Armoiries constituées de bandes latérales qui ne correspondent pas à celles qui ont été peintes dans le livre de raison. Les Garinet portent de gueules au jar d'argent le cou ceint d'une couronne de laurier.

Si le premier ex-libris n’était pas daté, nous pourrions penser qu’il appartenait à un descendant de Jean Garinet plutôt qu’à son père car la graphie parait plus moderne alors que Jean II Garinet écrivait dans un style archaïque plus typique du XVIème que du XVIIème siècle. Nous ne savons rien du métier du père qui n’est jamais cité dans le journal de son fils à la différence de beaucoup d’autres membres de sa famille. Nous ne saurions même pas qu’il se prénommait Jean car les registres d’état-civil départementaux n’ont débuté qu’en 1793 [11].

Ex-libris de Jean I Garinet

Un extrait du livre de raison de Jean II Garinet avec sa signature. (BM de Besançon)

Jean Garinet dut trouver dans ce livre de Plutarque des sujets pour ses méditations philosophiques. Plutarque fut la grande découverte du XVIème siècle. Montaigne écrivait : Nous autres, ignorants, étions perdus si ce livre ne nous eût relevés du bourbier. C'est notre bréviaire.  Et notre médecin bisontin ne devait pas détester, lui qui aimait l’apparat, la belle reliure estampée ; une reliure lyonnaise dont la large roulette est identique à celle reproduite par Denise Gid dans son catalogue des reliures françaises estampées. [12]

Le journal de Jean Garinet, qui porte au premier feuillet des armoiries enluminées et une devise de circonstance (Nihil conscrire sibi – N’écris rien pour toi-même) s'arrête en 1657, date à laquelle il trépassa le 2 Novembre, Veille de la Toussaint (?). Quelques années auparavant, il avait eu la satisfaction de consigner dans son livre de raison : Le 19 Mars 1650 mon filz Thomas Garinet a prins son degré de doctorat des médecins à Avignon avec approbation unanime de tous les docteurs et mesmes M. l’archevêque lui feit l’honneur d’argumenter contre lui.  La roue tournait et Thomas poursuivit l’œuvre de son père, mais c’est son petit-fils qui reprit le flambeau des inscriptions familiales en portant au-dessous de la dernière signature de Jean Garinet :  Depuis ce temps est mort mon grand-père Jean Garinet qui est celui qui a escrit le contenu cy dessus et depuis ais augmentés ce qui suit. Le précieux Plutarque fut certainement transmis aussi à son fils et à son petit-fils afin qu’ils s’imprègnent des pensées du moraliste platonicien. Une des dernières mentions de Jean Garinet à la naissance d’un petit-fils avait été : Dieu lui fasse la grâce de bien vivre et de bien mourir.

Bonnes Fêtes !

Textor



[1] Voir Éphémérides de Jean Garinet, médecin bisontin (1603-1657) Inclus dans Notes sur quelques livres de raison franc-comtois, in Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, 1886, p.142- 143 & p. 153-157, publié par Jules Gauthier. Voir aussi Bruchon H. Un médecin co-gouverneur de Besançon au XVIIe siècle, étude sur Jean Garinet. Notice de la Société d’Emulation du Doubs. Besançon 1902.

[2] « 29 d'avril. — Ce jour année 1596. je sorti de Besançon pour aller en France, où jay demeuré 11 ans ! »

[3] « Le 26 apvril 1600 je receu a Tournon en Vivarès le degré de bachelier es philosophie et dédia mes thèses a Monsieur de St-Marcel d'Urfé. »

[4] « 22 de mars. — Ce jour, année 1605, je prins le degré de doctorat en médecine à Avignon »

[5] « 12 de novembre. — Ce jour, année 1605, j'espousa Guyenne Marquis en l'église Saint Vincent. »

[6] En attendant que les chercheurs nous en fassent découvrir d’autres.

[7] Promptuaire de tout ce qui est arrivé de plus digne de mémoire depuis la création du monde jusqu’à présent, par Jean d'Ongoys Paris, Jean de Bordeaux, 1579, seconde édition format in-16, relié en parchemin, doré sur tranches, avec fers et filets or Il passa ensuite entre les mains de divers propriétaires. Localisation actuelle inconnue. Il faisait partie de la bibliothèque de M. l'avocat Dunod de Charnage, qui le communiqua au docteur Henri Bruchon, membre de la Société d’Emulation du Doubs en 1902.

[8] Bibliothèque de Besançon, Ms 1045. Commencé par Jean II Garinet et poursuivi par son petit-fils. Consultable en ligne.

[9] Les archives ne permettent pas de remonter la généalogie de Jean Garinet et l’état civil de son père pas plus que son métier ne semblent connus. Sans doute appartenait-il déjà à la bonne société de Besançon. Un ouvrage d’astronomie publié par Ehrard Ratdolt en 1491 et détenu par la bibliothèque de Besançon contient l’ex-libris d’Antoine Garinet, un autre fils de Jean Ier, qui était prêtre et qui occupa de 1602 à 1623 la fonction de précepteur du Petit Collège de Besançon fondé par Nicolas Perrenot de Granvelle près de l’église de Saint Maurice. (Voir Castan, Catalogue des Incunables de la Bibliothèque de Besançon.)

[10] Opuscula Plutarchi Cheronei sedulo undequaqz collecta, & dilige(n)ter recognita. In-folio ; sign. a8 e6 a-z8 A8

[11] Pour l’heure, le fait que l’ex-libris appartient à son père n’est qu’une conjecture.

[12] Denise Gid. Catalogue des reliures françaises estampées à froid, XVe-XVIe siècle, de la Bibliothèque Mazarine, Paris, 1984, pl. 94, n° 127 et 311.


jeudi 5 août 2021

La Trêve de Vaucelles ou la conscience politique de Joachim du Bellay. (1559)

Nous avons tendance à oublier que Joachim du Bellay était avant tout, pour ses contemporains, un bon juriste. C’est pour ses connaissances dans cette matière et ses compétences en négociations que son oncle, le Cardinal Jean du Bellay, l’emmena avec lui à la Cour pontificale de Rome, en 1553. Ses écrits politiques ne sont pourtant pas les plus connus, ni les plus faciles à interpréter [1].

Le poète est rapidement déçu par Rome, par les intrigues de la Cour comme par les missions qu’on lui confie car son rôle se résume à une activité d’intendant. Son oncle mène grand train et il lui faut gérer les cordons de la bourse. Je suis né pour la Muse, on me fait ménager [2]. Il s’ennuie. Le spectacle des mœurs de cette Babylone que lui parait être Rome est une amère désillusion pour lui qui ne connaissait les vrais Romains qu'à travers Virgile et Pétrarque. Il exprime son dégoût de l'exil et son amertume dans les Regrets et plusieurs fois il envisage un retour au pays natal mais l’espoir d’une brillante carrière diplomatique le retient auprès du cardinal.

Pourtant, il aurait pu s’apercevoir que le cardinal ne cherchait qu’à sauver les apparences car il était tombé en disgrâce auprès du roi de France et n’avait plus guère le pouvoir d’influencer le cours des évènements. Il était arrivé à Rome pendant les derniers mois du pontificat de Jules III avec pour mission de renouveler la trêve de Passau, conclue en 1552 entre Henri II et Jules III. Cette mission tourna court lorsque, après l'élection du nouveau pape Paul IV, les ennemis du cardinal du Bellay, dont le cardinal de Lorraine, un Guise, lui reprochèrent son intimité avec Carpi, un cardinal proche des Habsbourg.

Page de Titre du Discours au Roy.



Joachim avait-il perçu toutes ces intrigues ? Toujours est-il que dans ce contexte, la trêve de Vaucelles est accueillie avec enthousiasme par le poète. L’occasion est belle d’en faire compliment au Roi et de rechercher ainsi ses faveurs, pour un éventuel retour.  Il compose le ''Discours au Roy sur la tresve de l'an M.D.L.V'' [3], écrit très certainement dans l’enthousiasme de l’évènement, c’est-à-dire dès Février 1556. Du Bellay acclame son souverain magnanime qui aurait pu se contenter d’une victoire par les armes : La Tresve bienheureuse ... / Sire, vous asseuroit de r'emporter l'honneur, / Et vous avez trop plus, tenant ja la victoire, / Prisé le bien public que vostre propre gloire.

Puis il fait l’éloge de la paix et invite les princes d’Europe à unifier leurs forces face au péril venu du Levant :

La paix irait devant, et d'un rameau d'olive

Umbrageant ses cheveux ferais au premier ranc

Chascune en son habit, cheminer flanc à flanc,

Vostre France et l'Espaigne avec toute leur troppe,

Et la plus grande part des provinces d'Europe,

Qui d'un commun accord vostre enseigne suyvant

Chrestiennes conduiraient leurs forces en Levant.

Discours au Roy, f° Aii


Discours au Roy f°5v-6r.

Les hostilités contre l’Empire des Habsbourg duraient déjà depuis quelques années. L’Espagne de Charles Quint était en guerre contre la France depuis que celle-ci s’était allié aux princes protestants allemands par le traité de Chambord en 1552. Mais Charles Quint subit des revers ; il cherchait une solution pour sortir de ce conflit et préparer sa succession (Il abdiquera le 25 octobre 1555). À cet effet, il conclut à Vaucelles une trêve de cinq ans : ce traité reconnaissait les nouvelles possessions françaises (les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, de nombreuses places fortes entre le Luxembourg et la Flandre, ainsi que diverses possessions en Piémont, dans le centre de l'Italie et en Corse).

Mais la paix fut de courte durée : Car la guerre en avait la serrure brouillée, / Et la clef en était par l'âge si rouillée / Qu'en vain, pour en sortir, combattait ce grand corps …[4]

En effet, le pape Paul IV, farouchement hostile aux Habsbourg, cherchait à relancer le conflit : il excommunia Charles Quint et son successeur Philippe II d'Espagne, et il promit aux Français le royaume de Naples. Ces machinations, ainsi que celles de son légat, son propre neveu Carlo Caraffa, poussèrent les Impériaux à envahir les États pontificaux.

Le cardinal du Bellay, pourtant venu à Rome avec d’autres intentions, suivit le parti du Pape et s’emporta violemment contre Philippe II, contre l’hypocrisie de ce saint Philippe, ce bon devot roy Phelippes [5] . Henri II envoya aussitôt en Italie une armée conduite par le duc de Guise. Après une série de victoires, de Guise s'enlisa et dut abandonner sa campagne pour rentrer en France en septembre 1557, tandis que le pape finit par s'entendre avec Philippe II.

Il semble que Joachim du Bellay ne partageait pas le revirement d’opinion de son oncle. Il était pour la paix et non la reprise des hostilités. Sentiment partagé par la majorité des français qui étaient contents que la paix se fît, d'autant plus qu'ils savaient la France épuisée par la guerre.

Nous ne sommes faschez que la tresve se face :

Car bien que nous soyons de la France bien loin,

Si est chascun de nous à soy-mesme tesmoin

Combien la France doit de la guerre estre lasse.[6]

 

Toutefois, il attendit son retour en France pour publier son poème, comme il le fit pour tout ce qu'il avait écrit pendant quatre ans à Rome. Mais, à la fin de 1557, il était trop tard, le Discours n'était plus de saison. La trêve avait été rompue dès Octobre 1556 et son poème devenait anachronique. Il lui fallut différer encore la publication.

C'est seulement en fin d’année 1558 que l'opuscule put voir le jour à une date indéterminée, probablement après la prise de Thionville (22 juin 1558) laquelle fit renaitre des espoirs de paix. Le privilège du Roy, bien que mentionné sur la page de titre, fait défaut [7] et donc rien ne permet de dater précisément la publication, d’autant que certains exemplaires de l’édition originale, comme celui présenté ici, porte une page de titre renouvelée avec la date de 1559.

Discours au Roy, introduction.

Pour actualiser son texte, du Bellay ajoute au manuscrit, qu’il avait sans doute envoyé au Roi bien avant la publication, une introduction en vers dans laquelle il rappelle que (le Ciel) permit que le discord, d’une fureur nouvelle / vint arracher des mains des deux Roys plus puissans / La Tresve qui entre eulx devait durer cinq ans / ….Recevons désormais le bien qui se présente / Renouons cest accord d’une plus forte main.

Il était plus facile de prendre parti en 1558 que deux ans auparavant. Un autre sonnet des Regrets fait aussi allusion à la Trêve de Vaucelles,[8] dans lequel le poète ne s’adresse pas directement au Roi mais à la Trêve elle-même :  Tu sois la bienvenue, ô bienheureuse tresve / Tresve que le chrétien ne peut assez chanter / puisque seule tu as la vertu d’enchanter / de nos travaux passés la souvenance gresve.

Si du Bellay semble très clairement pencher en faveur de la paix et loue son négociateur principal, le Duc de Montmorency, dans le Discours au Roy, cela ne l’empêche pas d’écrire par ailleurs des sonnets en l’honneur de Jean d'Avanson [9], ambassadeur de France qui, lui, était du parti des Guise, c’est-à-dire pour une politique guerrière en Italie : Comme celui qui avec la sagesse / Avez conjoint le droit et l’équité, / Et qui portez de toute antiquité / Joint à vertu le titre de noblesse [10]. Subtile manœuvre politique ou inadvertance d’un poète ? Difficile de savoir de quel côté était vraiment du Bellay.

Quoiqu’il en soit, le poète sera entendu puisque la paix du Cateau-Cambrésis finit par être signée le 3 Avril 1559, scellant la fin des guerres d'Italie et la lutte pour l'hégémonie en Europe entre Habsbourg et Valois.

Le Ciel voulant tirer d'une rigueur cruelle

Une humaine douceur, d'un orage un beau temps.

D'un hyver froidureux un gracieux printemps.

Et d'une longue guerre une paix éternelle…

 

Bonne journée,

Textor



[1] Voir La poésie politique de Joachim Du Bellay, dans Du Bellay : actes du colloque international d’Angers du 26 au 29 mai 1989, t. 1, sous la dir. de Georges Cesbron, Angers, Presses de l’université d’Angers, 1990, p. 77-78.

[2] Les Regrets, sonnet XXXIX.

[3] Plaquette in-4 de 6 ff. imprimée en car. Romains, sign. A4. Réglures à l’encre rouge.

[4] Les Regrets Sonnet CXXV.

[5] Sur la Trêve de Vaucelles voir Bertrand Haan, Une paix pour l’Eternité. La négociation du traité du Cateau-Cambrésis. Bibliothèque de la Casa de Velázquez n° 49 – 2010.

[6] Les Regrets, Sonnet CXXIII.

[7] Ma bibliothèque poétique, Partie 4, Jean Paul Barbier, p 506. Ni privilège, ni achevé d’imprimer.

[8] Sonnet CXXVI.

[9] Les Regrets, sonnets CLXIV et CLXV.

[10] Les Regrets, poème A monsieur d’Avanson.